Endehors/Le Bagne ou la Mairie
Le Bagne ou la Mairie
Par ces temps de dépopulation, il est réconfortant de signaler tels exemples que l’on peut qualifier de féconds.
Il y a quelques jours, à Bordeaux, une fillette de treize ans a mis au monde un enfant dont l’état de santé ne laisse rien à désirer. La jeune citoyenne qui vient de donner à son pays un petit citoyen est évidemment au-dessus de tous éloges ; l’agriculture a besoin de bras, le militarisme aussi, et l’on ne saurait commencer trop tôt la fabrication de ces bras.
La valeur n’est pas seule à ne point attendre le nombre des années : dès l’âge le plus tendre il est des fillettes qui vont de l’avant.
C’est bon !
Bien que la recherche de la paternité soit interdite, le doux ami de la belle enfant n’a pas tardé à être désigné.
Il ne s’agissait pour lui de rien moins que de la Cour d’assises. Aimer avec autant d’entrain des gamines de douze ans passe, en effet généralement, pour un crime qui vous fait récolter bien plus vite l’épithète d’« immonde personnage » que celle d’« heureux gaillard ». L’épithète est même d’habitude soulignée de quelques années de galère.
Or, les journaux du cru, loin de s’indigner comme d’ordinaire, ont regardé la chose sous un jour badin ; ils ont eu des mots joyeux et c’est avec l’air de dire : un fier lapin ! qu’ils ont présenté le papa.
Je tiens à ne point sembler regretter un épilogue si favorable ; mais je trouve qu’il n’est pas sans saveur de montrer pourquoi ce qui apparaît couramment comme un odieux attentat est considéré, en la circonstance, comme une aimable idylle.
Le fait est simple. Au lieu de s’en tenir à l’Amour Libre, la situation a été bourgeoisement régularisée :
Il y aura Mariage demain.
Ça n’a pas été d’abord comme sur des patins. Étant connu l’âge de la petite mère, il a fallu de puissantes interventions : un décret du président de la république a tranché les difficultés en accordant une dispense.
Si bizarre que soit ce droit de veto ou de consécration laissé au chef de l’état, il n’y a qu’à se féliciter de la façon dont le président en a usé. Les deux amoureux l’ont échappé belle : d’autres auront-ils la même chance ?
M. Carnot qui n’est, somme toute, pas tendre pour les enfants fatalement précoces, puisque depuis son avènement, il en a guillotiné plusieurs, le président pourrait dire :
— Non, là ! je ne veux pas qu’ils se marient !
Alors, pour le monsieur, ce serait les travaux forcés.
La formule est ainsi posée : avec un peu de bienveillance de la part de l’Auguste, il est loisible de choisir entre la maison centrale et la maison communale.
Le bagne ou la mairie !
Si le Daphnis de l’époque, passionné pour sa Chloé, avait eu cependant une répulsion manifeste pour le mariage, il aurait goûté de la geôle.
Les arbitraires exigences de la société ne sont jamais apparues plus clownesquement que dans ce mariage laïque… et obligatoire.
Le viol est très admissible quand monsieur le maire tient la chandelle en équilibre.
Qu’on l’avoue donc : il n’y a pas de viol !
Les amants qui, réciproquement, se désirent ont le droit naturel de se prendre. Il n’y a pas de question d’âge et il n’y a pas non plus de chinoiseries morales à respecter.
La Caresse se rit des lois et des lunettes.
Et lorsque la dame Vertu, sous les traits d’un vieux juge lubrique, voudra se mêler de morigéner ceux qui s’aiment sans être majeurs, on pourra lui rappeler vite le précédent bordelais.
La jeune maman de la Gironde avait à peine ses douze ans quand, avec un garçon de vingt-deux, elle a été jusqu’au bout.
On ne saura guère rencontrer une séduction plus verte.
L’acquittement s’imposera, en tous cas, au-dessus de douze ans — pourvu que la fillette soit petite femme.
Ou, si non, notre maître à tous, le Président, devra lui-même s’interposer — lui qui vient, en quelque sorte, de piquer le bouquet de fleurs d’oranger sur une robe de première communiante…