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Endehors/Le néophyte Cacolet

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Chamuel (p. 93-98).


Le néophyte Cacolet


Les feuilles de propagande cléricale mènent tapage autour de la sensationnelle conversion d’un révolutionnaire…

Paris valait bien une messe, pour Henri IV ; le jeune Gouzien a trouvé qu’un peu de réclame n’était pas payé trop chèrement par une apostasie.

Eh bien ! de la réclame, on lui en fera. Une binette d’abord : Alain Gouzien, vingt-cinq ans, surprenante mémoire permettant d’improviser, à la tribune, les discours jadis faits par d’autres ; vingt-cinq ans — toutes ses dents peut-être ! — et qui ne mordront plus que les anciens compagnons. Ce fort-en-bouche qui est passé à l’ennemi, avec armes et bagages, antiques laïus et vieux clichés, s’était créé, dans les réunions publiques, une spécialité de l’appel au pillage. L’incendie seul devait reposer de la dynamite et, à défaut de l’allègement des richards, il admettait — d’une main légère — l’estampage des camarades.


Ce procédé qui consiste à rouler des amis confiants, à profiter de l’abandon qu’on a vis-à-vis de ceux qui se disent vos frères de misère, ce système qui permettrait à un compagnon sans domicile de voler le compagnon qui lui donnerait l’hospitalité, ce procédé de détrousseur insinuant est sale.

Que la guerre soit à coups de couteau, avec les capitalistes formidablement armés pour l’oppression et la défense — à coups de couteau en poitrine ou par derrière — bien ! Que la lutte n’ait pas de duperie chevaleresque en face des Jarnac de la bourgeoisie, soit ! Mais que, au milieu des militants et des convaincus, se glissent des pickpockets faiseurs de discours et de mouchoirs, subtiliseurs de hardes et de livres — c’est à épouiller, sur l’heure.

M. Gouzien pratiqua-t-il ? Catégoriquement, je l’ignore. J’ai dit son verbe, son geste. L’encombrante personnalité de ce néo-chrétien fut d’un socialisme si cascadeur que les plus drolatiques conversions ne sont faites pour troubler personne ; mais l’occasion me vient de parler de théories qu’il émettait et que professent pas mal de gens à courte vue, de théories qui me répugnent ; j’en parle — et je vais mieux encore préciser.

Il se faufile, dans les groupes, des gaillards aux doigts crochus ou aux digressions décevantes. Ce sont les vrais agents provocateurs — provocateurs de tous les doutes et de toutes les discussions.

On se lasse de voir ceux-là qui clouent au pilori les ignominies sociales, trafiquer à leur tour, par les plus vils moyens. Ce qu’il faudrait sentir chez les révoltés fiers, à coup certain, ce n’est pas les petites saletés rééditant les roueries exploiteuses ; ce qu’il ferait beau sentir chez les révoltés, c’est une volonté haute d’éviter l’éternel recommencement des tromperies, une allure tranchant en belle clarté sur les basses machinations des truqueurs.

Si, pendant que nous nous ruons à l’assaut, de prétendus compagnons d’armes nous chopent nos cartouches et vident, pour se saouler, nos gourdes réconfortantes, nous leur défendrons de se dire plus longtemps des nôtres.

Si l’on combat les bourgeois à visage découvert, ce ne sera pas pour tolérer les hommes qui, parmi nous, transplanteront les mœurs de la bourgeoisie avec, sur la face, un masque de révolutionnaire.

On ne s’y trompera plus.

Les pires bourgeois, nous les démasquons.


Parbleu ! ce sont des habiles ; ils savent qu’ils peuvent d’autant mieux opérer chez les camarades que ceux-ci ont horreur de la délation et des représailles. Ils choisissent leur terrain avec la quasi-certitude de l’impunité.

La grandeur du brigand hardi, ils n’ont pas le droit d’y prétendre.

Faut-il s’étonner quand les partisans de ces théories tombent dans les trente-sixièmes dessous des compromissions agenouillées ?

L’estampage des camarades mène à l’estampage de l’idée. On a sacrifié les uns, ou, tout au moins, on a, sans protester, laissé sacrifier les uns : l’autre on l’abandonne — l’occasion se vendant.


Que l’indépendance me garde d’insulte contre tous ceux qui changent d’avis. Ce qui paraissait hier la vérité peut sembler demain le mensonge. L’évolution est constante. J’ai l’horreur des doctrinaires qui veulent nous enchaîner au nom d’anciens credos.

Il est possible qu’à certaines heures des tempéraments les plus franchement libertaires se passionnent pour un mysticisme hautain. Au delà des brutalités du fait, il est concevable que l’on cherche l’intelligence d’une cause. Et jamais, de parti pris, je ne nierai la bonne foi de cette marche vers un idéal entrevu.

Seulement je ne crois pas, en ce moment, je ne veux même point admettre qu’après avoir rêvé de Liberté, on puisse repartir, en arrière, du pied gauche, pour les puérilités d’une religion toute faite.

Lorsque le plus cher désir a été de se mouvoir, à son instinctive fantaisie, dans la vie large ouverte, on ne se retire pas, sans secrètes pensées, dans le jardinet des dogmes étroits.

Lorsqu’un être s’est affranchi, il ne retourne pas dans les églises quémander une camisole de force ; ou, s’il le fait, c’est dans un but facile à dévoiler.

L’Église est un pis-aller.

Les révoltés mystiques auront d’autre refuge.

Le catholicisme n’est même pas l’hôtel des Invalides pour les anarchistes fatigués ; c’est une agence d’affaires pour les ambitieux impatients.

Et le Tricoche de sacristie ouvre toujours les deux bras au néophyte Cacolet.