Endehors/Paul et Virginie
Paul et Virginie
Virginie est morte et Paul va partir pour les travaux forcés…
C’est ainsi :
Deux ivrognes, bras-dessus bras-dessous, le ventre plein et la tête vide, mis à la porte des cabarets qui se ferment, rentrent en titubant au logis de l’un d’eux, le plus proche. Ils s’affalent sur le lit, s’endorment d’un sommeil lourd que troublent les hoquets vineux et les cauchemars de l’alcool. Dans les involontaires mouvements de ces deux corps avachis, où la boisson gargouille, un ivrogne abat son poing sur le visage de l’autre, et l’autre, en un sursaut, comme en rêve, prend à la gorge son compagnon, l’étrangle — et se rendort.
Le magistrat (interprétant le cas). — Levez-vous, Vaubourg, vous avez tué votre camarade, un garçon de dix-neuf ans, imberbe ! Vous l’aviez enivré d’abord. Pourquoi donc, sinon pour le « posséder » ? Vous aimiez le jeune Boutry comme Paul aimait Virginie !
Les gens de robe, qui opèrent au palais de justice, nous ont accoutumés au gable de leurs professionnelles tendances ; jamais pourtant, ainsi que dans le procès d’hier, ils n’avaient eu le mot coquet.
Ç’a été naïf et superbe.
— Voyons, fait le président, un homme comme vous, Vaubourg, un garçon de vingt-sept ans, fort, vigoureux, vous vous mettez au mieux avec un gamin qui n’a pas vingt ans, qui est joli ; vous couchez dans le même lit, et vous voulez nous faire croire que vous ne l’enlacez pas… Ce n’est pas à nous qu’il faut conter ça.
Et la magistrature assise — un peu partout, détaille ses intimes appréciations, se met à la place de Vaubourg, côte à flanc avec le jeune Boutry :
— Allons, insiste le président, est-il possible d’admettre les dénégations de l’accusé ? Tout indique le rôle que devait jouer le petit débardeur à la figure efféminée. On ne passe pas la nuit, sans profonds motifs, à côté d’un petit débardeur.
— Un petit débardeur imberbe ! appuie le procureur.
— Et blond ! conclut le président, ça tombe sous le sens.
Ceci n’est pas inventé. Ce n’est peut-être point la sténographie de ces caractéristiques interrogatoires, c’en est absolument l’esprit.
Aussi, cet article est-il, à chaque alinéa, prêt à glisser sur la pente savonnée qui conduit à l’outrage aux mœurs — aux mœurs de la magistrature.
On en convient. Et, pour que la petite fête soit complète, voici que le ministère public fait intervenir, dans ces postérieurs débats, l’ineffable Grande Famille.
— Boutry allait partir au régiment, conçoit et dit sans ambages le procureur de la république, et Vaubourg sentait que s’il n’arrivait pas de suite à ses fins immondes, il serait trop tard demain. Vaubourg a tué dans un accès d’érotisme et de jalousie, parce qu’il savait bien que la Caserne allait lui ravir le petit…
C’est clair. L’avocat bêcheur — de l’armée, avait du reste la partie belle et l’insinuation commode après les récentes aventures de Châlons-sur-Marne où des demi-douzaines d’officiers et de sous-officiers se sont fait pincer la main au sac.
Ces saillies ingénues qui émaillèrent le procès dont un résultat a été la condamnation de Vaubourg aux galères perpétuelles prennent trop de place pour permettre de disserter sur le drame lui-même. Il vaut mieux s’en tenir à cette physionomie des audiences. De précieux aveux ont été recueillis. D’édifiantes et perfides pointes ont été lancées. Les magistrats, après s’être déboutonnés sans vergogne, n’ont pas craint de viser les culottes rouges.
Parfait. Et, puisque le président a parlé de Paul et de Virginie, reprenons sa comparaison pour finir. Elle est d’un facile emploi lorsqu’on accouple le magistrat et la soldatesque.
Les faits divers le proclament :
Paul c’est souvent un substitut quand Virginie est un petit soldat.