Endehors/Rousse
Rousse
L’autorité constituée, qu’en argot on nomme la Rousse, s’est dernièrement payé la tête d’un autre Rousse, député.
L’histoire est vieille de dix jours et n’inciterait plus à la discussion si les chroniqueurs chroniquant avaient saisi le sujet pour en tirer quelque sapide déduction. Mais non, ces messieurs ont une légèreté de touche qui leur permet d’épousseter un cas sur une surface de deux colonnes sans en enlever la poussière.
Un sujet est encore vierge quand la plupart des articliers lui ont fait subir les derniers outrages de leur copie démesurément allongée.
En cinq lignes, pour rappel, l’aventure se note :
Dans un tramway — Le député épateur chope d’audace la place d’un quelconque citoyen — Intervention du policier type qui parlemente avec l’honorable parlementaire en l’esquintant de réglementaires coups de poing — Épilogue : tout le monde au poste.
C’est plutôt gai.
On s’imagine bien, à la sortie du théâtre, ce bon M. Rousse, représentant du peuple ; il est avec une dame, devant le bureau d’omnibus, écoutant, impatient, l’appel des numéros. La voiture s’emplit — la dernière voiture. Faudra-t-il prendre un fiacre ? À cette pensée, l’homme à 25 francs par jour ne se possède plus : « Je suis député », fait-il, et fendant la foule compacte il passe, tirant sa dame. Il arrive près du conducteur ahuri, « Je suis député », hurle-t-il et il monte sur le marchepied — la dame emboîtant le pas. « Je suis député », triomphe-t-il encore, s’asseyant, tout fier, à la place volée.
— Ah ! tu es député ! et pign ! et pan !
Cela c’est un monsieur qui n’est pas content et qui manifeste sur la figure de l’Honorable, l’arrache de sa banquette et l’envoie rouler hors de l’omnibus. La dame suit toujours.
Indiscutablement la scène est joyeuse et l’inconnu administrant, avec ce sans-gêne martial, une correction au législateur mérite un petit bravo.
Mais, on dévoile que cet appréciable don Quichotte est un policier qui s’entretient la poigne — cette poigne qui, d’autres soirs, s’abat aussi inconsciente, sur de braves femmes retournant tranquilles chez elles.
Ça jette un froid.
Nous n’imiterons pas pourtant ceux de nos confrères qui consomment l’exécution de l’agent de police. Quoi qu’on puisse dire, l’acte en question constitue, pour la personnalité de cet officier de paix, une circonstance atténuante.
Récemment c’était un sénateur encombrant, voulant forcer les consignes faites pour le vulgaire gibier que nous sommes, c’était un père conscrit qu’un garde républicain du palais de justice conduisait au clou, cabriolet au poing. Maintenant c’est le tour d’un député. Bravo !
Berlin s’est fait une réputation parce qu’en cette ville il y a, paraît-il, des juges.
Paris, auquel la renommée n’a jamais accordé des magistrats probes, est sur le point de se créer une autre célébrité.
S’il y a des juges à Berlin, il y a des policiers à Paris.
C’est notre revanche.