Enfants et Animaux/L’Éléphant

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Librairie Picard-Bernheim et Cie (p. 24-32).

Au Jardin des Plantes on a rassemblé des biches, des daims
et des animaux de toutes sortes.



L’ÉLÉPHANT




UNE VISITE AU JARDIN DES PLANTES


— Maman, disait un jour la petite Marie, veux-tu que nous allions au Jardin des Plantes ? Il fait si beau temps aujourd’hui !

— Oh ! oui, je t’en prie, chère petite mère, ajouta son frère Charles ; c’est si ennuyeux de se promener toujours dans les rues de Paris ! Il y a tant de monde et il faut toujours donner la main à sa bonne.

— Tu n’as pas été trop sage cette semaine, lui répondit sa maman, et tu ne mérites guère qu’on te fasse ce plaisir.

— Oh ! maman, je t’en supplie, je serai si sage, si sage, la semaine prochaine ! et puis, tu vois, Marie en a aussi bien envie, et elle a été sage, elle.

— C’est vrai, dit sa sœur, il y a très longtemps que je n’ai vu mon bon ami le gros éléphant, et j’aimerais à lui faire une visite.

L’éléphant.

Charles. — Quel mauvais goût tu as ! Comment peux-tu aimer cette grosse vilaine bête avec sa vieille peau ridée et son affreuse couleur gris sale ? Moi, j’aime beaucoup mieux les ours et les tigres.

Marie. — Parce qu’ils sont méchants comme toi.

Charles. — Pas du tout, c’est toi qui aimes ton éléphant parce qu’il est bête comme toi.

— N’est-ce pas, maman, que les éléphants ne sont pas bêtes, dit Marie tout émue de l’injure qu’on faisait à son bon ami.

— Non, ma chérie, lui répondit sa maman, les éléphants sont fort intelligents ; mais vous êtes de vilains enfants de vous disputer ainsi. Allez dire à votre bonne de vous arranger pour sortir, je vous permets d’aller au Jardin des Plantes avec elle.

— Quel bonheur ! quel bonheur ! s’écrièrent les enfants, et en dix minutes ils furent prêts et partirent gaiement, emportant chacun quatre sous que leur maman leur avait donnés pour acheter leur goûter.

Le Jardin des Plantes est un des endroits de Paris où l’on a rassemblé de belles collections de plantes et d’animaux. À la porte du Jardin, il y a toujours de petites boutiques où l’on vend des jouets, des gâteaux et des petits pains. Charles choisit deux des plus gros et des meilleurs gâteaux et les mangea tout de suite ; quant à Marie, elle acheta deux petits pains et mangea un seul gâteau. Elle avait tant d’amis dans le jardin, auxquels elle voulait faire plaisir en leur donnant du pain : de gros moutons de races étrangères, qui accouraient à sa rencontre suivis de leurs agneaux ; de petites chèvres si caressantes, des biches, des gazelles, des daims, qui la regardaient avec de beaux yeux si suppliants, puis des paons, des pintades et toutes sortes de superbes oiseaux.

Une brebis de race étrangère et son agneau.

Charles ne s’intéressait pas à ces animaux-là. Il marchait d’un air grognon, ouvrant et fermant sans cesse un petit couteau pointu qu’on lui avait donné le jour précédent. Il n’eut point de repos qu’il n’eût entraîné sa sœur et sa bonne devant les fosses aux ours.

Ses bons amis étaient paresseusement couchés à terre, et comme il n’avait rien à leur donner, il ne put jamais leur persuader de se remuer et de monter à leurs arbres, ce qui est pourtant très amusant à voir.

Les singes furent plus complaisants, et les enfants restèrent longtemps arrêtés devant leur palais. On appelle ainsi une immense cage ronde dans laquelle ils sont enfermés. Là, ils ont des cordes, des barres, des trapèzes pour faire la gymnastique, et ils sont bien plus habiles que les petits garçons, bien qu’ils n’aient jamais pris de leçons.

Leurs sauts, leurs gambades, l’air grave de quelques-uns, qui étaient très occupés à faire la toilette à leurs compagnons, firent beaucoup rire Marie, mais elle poussa un cri d’horreur lorsqu’elle s’aperçut qu’un de ces graves personnages, si obligeants, paraissait trouver une masse de petites bêtes dans le poil de son camarade et qu’il les mangeait avec délices.

De là, ils allèrent voir la girafe, le chameau et l’éléphant.


ON NE DOIT PAS FAIRE DE MAL
AUX ANIMAUX


Marie avait gardé un petit pain tout entier pour son gros ami : aussi, dès qu’il la vit approcher, il passa sa trompe au travers des barreaux de son enclos, et la lui tendit en clignant de l’œil d’une manière tout à fait amicale. Il prenait très délicatement chaque petit morceau de pain, le portait à sa bouche, puis présentait de nouveau sa trompe. Lorsqu’il vit que la petite fille n’avait plus rien à lui donner, il la tendit à Charles ; mais celui-ci, qui avait justement son couteau ouvert, lui piqua fortement le bout de la trompe. L’animal poussa un cri rauque et se retira mécontent.

La bonne, qui s’était aperçue de la chose, gronda Charles et ramena les deux enfants à la maison.

Il se passa plus d’un mois avant que Charles et Marie revinssent au Jardin des Plantes.

C’était par un bel après-midi de dimanche, et le petit garçon qui était très coquet avait insisté pour qu’on lui mît un joli petit costume tout neuf et son plus beau chapeau. Cette fois encore, il arriva devant l’enclos de l’éléphant, ayant mangé sa dernière miette de gâteau, tandis que sa sœur avait ses poches pleines de croûtes de pain. L’éléphant en mangea deux ou trois morceaux ; puis, au grand étonnement de Marie, au lieu de continuer à lui tendre sa trompe, il alla la plonger dans son bassin plein d’eau sale. Marie avait beau l’appeler, il ne bougeait pas ; enfin la petite, impatientée, fit quelques pas pour s’en aller, tandis que son frère restait là, bouche béante. L’animal, qui les examinait du coin de l’œil, revient très vite, dirige le bout de sa trompe vers le jeune garçon, et lui souffle à la figure une masse d’eau bourbeuse, qu’il avait aspirée dans le bassin. Aveuglé, suffoqué, le pauvre Charles fut un instant sans pouvoir crier ; puis, lorsqu’il vit dans quel état il était, il éclata en sanglots. Son bel habillement neuf était tout dégouttant d’une eau verte et gluante, son chapeau aplati avait pris la forme d’une cuvette et sa chemise mouillée se collait contre sa peau.

C’est dans ce bel équipage qu’il lui fallut traverser tout le jardin et une partie de Paris pour retourner chez lui. Les gamins le poursuivaient, le montraient au doigt et se moquaient de lui ; et sa bonne et sa sœur se tenaient en arrière, ayant honte de paraître l’accompagner.

Enfin, lorsqu’ils furent arrivés à la maison, il fallut bien dire aux parents ce qui était arrivé, et pourquoi l’éléphant l’avait ainsi traité.

Le papa fut si fâché de voir que son petit garçon avait été gourmand et cruel, qu’il le fit déshabiller et coucher sans souper.