Enfants et Animaux/Les Trois Souris

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Librairie Picard-Bernheim et Cie (p. 34-43).

Dans un fromage de Hollande demeuraient trois petites souris.



LES TROIS SOURIS




CONSÉQUENCE DES MAUVAIS CONSEILS


Dans un beau fromage de Hollande, tout rond, avec une croûte rouge, demeuraient trois petites souris qui s’appelaient Mimi, Titi et Topsy. C’était leur maman qui leur avait creusé cette demeure ; elle y avait fait une grande chambre au milieu, de toutes petites portes, et fort peu de fenêtres.

Dès qu’une des souris apercevait les moustaches ou le bout de la queue de Minet, elle poussait un petit cri, et vite les trois sœurs se réfugiaient dans la maison. Minet avait beau tourner autour du fromage, le pousser avec ses pattes et appliquer son nez rose contre les petits trous, il ne pouvait rien attraper. Quelquefois, il se cachait tout près de là et attendait ; mais les souris étaient plus malignes que lui et se gardaient bien de sortir. C’était très commode pour elles ; quand elles avaient faim, elles grignotaient un peu les murailles de leur chambre, et, lorsqu’elles avaient soif, elles trouvaient une excellente liqueur dans les trous ronds qu’on appelle les yeux du fromage.

Quant à Minet, il fallait bien qu’il finît par aller chercher sa pâtée.

Un jour, Topsy fit un grand voyage dans le salon et dans la chambre à coucher de Madame. En revenant, elle dit à ses sœurs :

— Si vous saviez comme c’est beau par là, on marche sur un magnifique tapis de toutes les couleurs ; tout est si brillant, si doux, si moelleux, et partout de bonnes petites miettes de sucre, de gâteaux ou d’autres friandises.

— Et le chat ! dit la prudente Titi, tu ne l’as pas rencontré ?

— Oh ! répondit Topsy, on ne permet pas à ce méchant Minet d’aller au salon, il se tient à la cuisine ou au grenier. En vérité, je vous dis que nous sommes bien sottes de rester dans cette cave où il vient si souvent, et d’habiter cette petite et sombre maison qui sent si mauvais, quand nous pourrions être bien mieux ailleurs.

— Mais, dit Mimi timidement, y a-t-il dans ces beaux salons de bons petits coins sombres où l’on puisse se mettre en sûreté, car enfin Minet n’est pas notre seul ennemi, les hommes nous poursuivent et nous tuent aussi ? Par exemple, je n’ai jamais pu comprendre pourquoi, puisqu’ils ne nous mangent pas.

— Oh ! reprit Topsy, il y a des cachettes, j’en ai examiné une qui paraît faite exprès pour un nid de souris ; elle est sombre, douce, il y a des plumes dedans, une porte de chaque côté et juste assez de place pour y être bien à son aise. Adieu, je cours m’y installer.

— Moi, je te suis, dit Titi, ce fromage me semble affreux.

— Prenez garde ! mes sœurs, leur cria Mimi, maman nous avait bien recommandé de ne pas quitter notre demeure et elle en savait plus long que nous.

Elle parlait en vain, les petites étourdies étaient déjà loin.

— Je ne les suivrai pas, dit-elle, mais rien ne m’empêchera, maintenant que je suis seule, d’embellir un peu ma maison. Et la voilà qui se met à l’œuvre, grignotant, grignotant, faisant une autre chambre, agrandissant les portes et perçant des fenêtres de tous les côtés.

Pendant qu’elle travaille ainsi, nous allons suivre Topsy et Titi. Cette dernière était très gourmande. En passant, elle met le nez dans l’office et est arrêtée tout net par les excellentes odeurs qu’elle y respire. Elle trotte, examine, grimpe et finit par se trouver sur la planche d’une armoire, devant un magnifique pâté de gibier.

— Oh ! oh ! dit-elle, quel merveilleux château ! je suis sûre qu’une bonne fée l’a fait exprès pour moi : mais comment y entrer ? je ne vois pas de porte. Décidément il n’y en a pas ! Eh bien ! je vais en faire une. Comme ces murailles sont molles et délicieuses à manger, et l’intérieur, qu’il est exquis ! Je suis bien aise que Mimi et Topsy ne soient pas là pour me le disputer ; et là-dessus, toute gorgée de nourriture, elle s’endormit.


IL FAUT SAVOIR SE CONTENTER
DE CE QUE L’ON A


Topsy, l’orgueilleuse, avait continué son chemin et était allée à la recherche du nid qu’elle avait trouvé si charmant. Il lui fallait du satin, de la ouate, du duvet, des fourrures à cette demoiselle ! car c’était le manchon de Madame qu’elle avait choisi pour demeure.

Déjà elle avait fait plusieurs grands trous dans la doublure et tiré les plumes pour mieux faire son lit, lorsque Madame sonna sa femme de chambre et lui dit de lui donner son manchon, parce qu’elle allait sortir.

Le manchon était dans un carton dont la bonne avait oublié de mettre le couvercle ; elle le prend, le secoue et voilà la pauvre Topsy qui tombe au fond du carton. Madame pousse un cri perçant, la bonne en pousse trois ou quatre ; mais, sans perdre la tête, elle saisit le carton, le ferme de son couvercle et porte l’infortunée souris dans la cour, où elle la lâche juste entre les pattes de Minet. Vous jugez si celui-ci fut prompt à la saisir ; cependant il ne s’en régala que lorsqu’il se fut longtemps amusé avec elle, la transportant de place en place dans sa bouche, la faisant courir, la rattrapant, lui donnant un coup de griffe par-ci, un coup de dent par-là.

Minet ne se régala de Topsy que lorsqu’il se fut longuement amusé avec elle.

Au milieu du dîner, Monsieur aiguise son grand couteau et dit : — Enfin, nous allons goûter de cet excellent pâté de lièvre, c’est un cadeau que m’a fait un de mes amis. Il enfonce le couteau ; aussitôt on entend cuic, cuic, cuic ! et la malheureuse Titi, tout ensanglantée et la queue coupée, saute sur la table, de là par terre, et détale au plus vite.

Tout le monde se lève, on la poursuit en criant. Le domestique veut l’écraser sous son pied ; mais il glisse sur le parquet bien ciré et tombe sur le nez en travers de la porte ; Titi profite de la confusion pour se sauver, descendre l’escalier et se réfugier dans sa chère cave qu’elle regrette tant d’avoir quittée.

— Où est Mimi ? Où est notre maison ? dit-elle, ne voyant pas la précieuse boule rouge à sa place accoutumée. Hélas ! les morceaux étaient là, éparpillés, brisés. Mimi avait si bien travaillé que la croûte était devenue extrêmement mince. Minet, se sentant encore en appétit, après qu’il eut croqué Topsy, était venu dans la cave voir s’il ne trouverait pas une autre souris. Il aperçut Mimi au travers des grandes fenêtres qu’elle avait faites à son fromage. Il y enfonce sa griffe, saisit la pauvrette et, dans les efforts qu’il fait pour la tirer dehors, brise toute la maisonnette.

— Oh ! dit-il, je vais me venger de tous les mauvais tours que tu m’as joués, petite coquine, et je ne te croquerai que lorsque je t’aurai bien tourmentée. Ah ! tu crois que tu pourras te sauver ! pas du tout ; on ne m’échappe pas ainsi. Te voilà reprise. Un petit coup de patte pour te punir. Quoi ! tu ne bouges déjà plus.

En effet, la malheureuse petite bête, à moitié morte de frayeur et toute meurtrie, avait renoncé à s’échapper et restait immobile. À ce moment, on entendit du bruit à la porte de la cave. Le chat se retourna et Mimi, ne sentant plus sa griffe, d’un bond se réfugia dans une vieille botte de paille où son ennemi ne put la retrouver.

C’est là qu’après de longues recherches Titi la découvrit, mais dans un bien triste état. Elle-même était blessée et sans queue, et toutes deux se dirent : — Comme nous avons été sottes de ne nous être pas contentées de notre vieille maison où nous étions si bien ! Qu’avons-nous gagné à vouloir être plus heureuses ! Nous voilà réduites à demeurer dans une sale botte de paille à moitié pourrie et, pour comble de malheur, nous avons perdu notre sœur et nous sommes malades et estropiées.


Petits garçons et petites filles, ne faites pas comme nous, et lorsque vous avez le nécessaire, sachez vous en contenter, ou sans cela, vous serez punis comme nous l’avons été, en vous rendant moins heureux que vous ne l’étiez auparavant.