Ennéades (trad. Bouillet)/IV/Livre 1
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C’est dans le monde intelligible que réside l’essence véritable. L’intelligence est ce qu’il y a de meilleur là-haut ; mais il s’y trouve aussi des âmes : car c’est de là qu’elles sont descendues ici-bas. Seulement, là-haut les âmes n’ont point de corps, tandis qu’ici-bas elles habitent dans des corps et y sont divisées. Là-haut, toutes les intelligences existent ensemble, sans séparation ni division ; toutes les âmes existent également ensemble dans ce monde qui est un, et il n’y a pas entre elles de distance locale. L’intelligence reste donc toujours inséparable et indivisible ; mais l’âme, inséparable tant qu’elle demeure là-haut, a cependant une nature divisible. Se diviser pour elle consiste à s’éloigner du monde intelligible et à s’unir aux corps ; on pourra donc dire avec raison qu’elle devient divisible en passant dans les corps, puisqu’elle se sépare ainsi du monde intelligible et se divise en quelque manière[2]. Comment donc est-elle aussi indivisible ? C’est qu’elle ne se sépare pas tout entière du monde intelligible, et qu’elle y demeure toujours par sa partie supérieure, dont la nature est d’être indivisible[3]. Ainsi, dire que l’âme est composée de l’essence indivisible et de l’essence divisible dans les corps[4] revient à dire que l’âme a une essence qui demeure en partie dans le monde intelligible et descend en partie dans le monde sensible, qui est suspendue au premier et s’étend jusqu’au second, comme le rayon va du centre à la circonférence[5]. Quand l’âme est descendue ici-bas, c’est par sa partie supérieure qu’elle contemple le monde intelligible, comme c’est par elle qu’elle conserve la nature du tout [c’est-à-dire de l’Âme universelle]. Car ici-bas, elle est non seulement divisible, mais encore indivisible : sa partie divisible est divisée d’une manière en quelque sorte indivisible ; elle est en effet présente tout entière dans tout le corps d’une manière indivisible, et cependant l’on dit qu’elle se divise parce qu’elle se répand tout entière dans le corps tout entier[6].
- ↑ Ce livre est le sommaire des idées développées ci-après dans le livre II. Pour les autres Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.
- ↑ Voy. ci-après, liv. VIII, § 4.
- ↑ Ibid., § 8.
- ↑ Voy. ci-après, liv. II, § 2, p. 260.
- ↑ Ibid., § 1, p. 254-5. Ce passage est cité et commenté par le P. Thomassin dans ses Dogmata theologica, t. I, p. 19 : « Observat Plotinus animum hominis ab intelligibili mundo non totum descendisse, sed quasi tantus pateat ut vertice cœlum tangat, terram pedibus terat ; ita ipsum mente sempiternis ideis contemplandis affixum adhuc vacare, infimo vero sui corpus vegetare. Hinc enim animum Plato ex dividuo et individuo coagmentat, ut individuo suique quasi fastigio superis intersit, dividuo inferiora regat corpusque administret. Ex quo fit ut pars inferior, quasi totius æmula, in corpore administrando dividuam et individuam se præstet, in illius partes omnes se spargendo, nec in ullas partes tamen se dispergendo. »
- ↑ Voy. le passage de Macrobe cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 368, note 2. Voy. encore dans ce même volume (p. CXII, note 1) le jugement que M. Steinhart porte sur cette théorie de Plotin.