Ennéades (trad. Bouillet)/III/Livre 9

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LIVRE NEUVIÈME.
CONSIDÉRATIONS DIVERSES SUR L’ÂME, L’INTELLIGENCE ET LE BIEN[1].

1.

I. « L’Intelligence, dit Platon, voit les idées comprises dans l’Animal qui est[2]. » Il ajoute : « Le Démiurge conçut que cet animal produit devait comprendre des essences semblables et en pareil nombre » à celles que l’Intelligence voit dans l’Animal qui est. Platon veut-il dire que les idées sont antérieures à l’Intelligence et qu’elles existent déjà quand l’Intelligence les pense ? Il faut chercher d’abord si l’Animal même est la même chose que l’Intelligence, ou bien s’il constitue une chose différente d’elle. Or, ce qui contemple est l’Intelligence ; l’Animal même doit donc être appelé, non l’Intelligence, mais plutôt l’Intelligible[3]. En conclurons-nous que l’Intelligence a hors d’elle les choses qu’elle contemple ? Dans ce cas, elle ne possède que des images au lieu de posséder les réalités elles-mêmes, si nous admettons que les réalités existent là-haut : car, suivant Platon, la réalité véritable est là-haut dans l’Être dans lequel chaque chose existe en soi.

[Il n’est pas nécessaire d’admettre cette conséquence.] Sans doute l’Intelligence et l’Intelligible sont différents ; ils ne sont cependant pas séparés. Rien n’empêche qu’on ne dise que tous deux ne font qu’un, et qu’ils ne sont divisés que par la pensée ; car l’Être est un, mais il est en partie la chose pensée, en partie la chose pensante. Quand Platon dit que l’Intelligence voit les idées, il entend par la qu’elle contemple les idées, non dans un autre principe, mais en elle-même, parce qu’elle possède en elle-même l’Intelligible. L’Intelligible peut être aussi l’Intelligence, mais l’Intelligence à l’état de repos, d’unité, de calme, tandis que l’Intelligence, qui aperçoit cette Intelligence demeurée en elle-même, est l’acte qui en naît et qui la contemple. En contemplant l’Intelligible, l’Intelligence lui devient semblable, et elle en est l’Intelligence parce qu’elle le pense[4]. En le pensant, elle est d’une manière l’Intelligence, et d’une autre manière l’Intelligible, parce qu’elle l’imite. C’est donc elle qui a conçu le dessein de produire dans l’univers les quatre genres d’animaux qu’elle voit là-haut. Ici cependant Platon semble présenter d’une manière mystérieuse le principe qui conçoit (τὸ διανοούμενον)[5] comme différent des deux autres principes, tandis que d’autres pensent que ces trois principes, l’Animal même, l’Intelligence et le Principe qui conçoit, ne font qu’une seule chose. Faut-il admettre qu’ici, comme ailleurs, les opinions sont partagées, et que chacun conçoit les trois principes à sa façon ?

Nous avons déjà fait connaître deux de ces principes [savoir, l’Intelligence et l’Intelligible, lequel est appelé ici l’Animal même]. Quel est le troisième ? C’est celui qui a résolu de produire, de former, de diviser les idées que l’Intelligence voit dans l’Animal. Est-il possible qu’en un sens l’Intelligence soit le principe qui divise, et qu’en un autre sens le principe qui divise ne soit pas l’Intelligence ? En tant que les choses divisées procèdent de l’Intelligence, l’Intelligence est le principe qui divise. En tant que l’Intelligence reste elle-même indivise, et que les choses qui

procèdent d’elle (c’est-à-dire les âmes) se trouvent divisées, l’Âme universelle est le principe de cette division en plusieurs âmes. C’est pour cette raison que Platon dit que la division est l’œuvre d’un troisième principe, qu’elle réside en un troisième principe qui a conçu ; or, concevoir n’est pas la fonction propre de l’Intellígence ; c’est celle de l’Âme qui a une action divisible dans une nature divisible.

2. Coment l’âme s’élève au monde intelligible[6].

II. La totalité d’une science se divise en propositions particulières, sans être cependant morcelée ni fragmentée : car chaque proposition contient en puissance toute la science, où le principe est identique à la fin[7]. De même, il faut se mettre dans une disposition telle que chacune des facultés qu’on possède en soi devienne aussi une fin et un tout ; il faut enfin ramener toutes les choses qu’on a en soi à ce qu’on a de meilleur dans sa nature [c’est-à-dire à l’intelligence]. Quand on y est parvenu, on habite là-haut : car, lorsqu’on possède l’intelligible, on le touche par ce qu’on a de meilleur en soi[8].

3. De la descente de l’âme dans le corps.[9]

L’Âme universelle n’est venue en aucun lieu, ne s’est portée nulle part : car il n’y avait pas de lieu où elle pût se porter ; seulement, le corps qui était voisin de l’Âme a participé d’elle ; aussi, celle-ci n’est-elle pas dans un corps. Platon ne dit pas en effet que l’âme soit dans un corps ; il place au contraire le corps dans l’âme[10].

Quant aux âmes particulières, elles viennent de quelque part : car elles procèdent de l’Âme universelle[11] ; elles ont aussi un lieu où elles peuvent soit descendre, soit passer d’un corps dans un autre[12] ; elles peuvent également remonter de là au monde intelligible. L’Âme universelle, au contraire, habite toujours la région élevée où la retient sa nature ; et l’univers placé au-dessous d’elle participe d’elle comme participe du soleil l’objet qui en reçoit les rayons[13].

L’âme particulière est donc éclairée quand elle se tourne vers ce qui est supérieur : car alors elle rencontre l’Être ; au contraire, quand elle se tourne vers ce qui est inférieur, elle rencontre le non-être[14]. C’est ce qu’elle fait quand elle se tourne vers elle-même : en voulant s’appartenir à elle-même, elle tombe en quelque sorte dans le vide, devient indéterminée et produit ce qui est au-dessous d’elle, c’est-à-dire une image d’elle-même qui est le non-être [le corps]. Or l’image de cette image[15] [la matière] est indéterminée et tout à fait obscure : car elle est entièrement irraisonnable, inintelligible et aussi éloignée que possible de l’Être même[16]. L’âme occupe [entre l’intelligence et le corps] une région intermédiaire, qui est son domaine propre ; quand elle regarde la région inférieure, en y jetant un second coup d’œil, elle donne une forme à son image [au corps], et, charmée par cette image, elle y entre[17].

4. L’Un est partout par sa puissance[18].

III. Comment la multitude sort-elle de l’Un ? C’est que l’Un est partout : car il n’y a point de lieu où il ne soit pas ; il remplit donc tout. C’est par lui que la multitude existe, ou plutôt, c’est par lui que toutes choses existent. Si l’Un était seulement partout, il serait simplement toutes choses ; mais, comme en outre il n’est nulle part, toutes choses existent par lui, parce qu’il est partout, mais en même temps toutes choses sont distinctes de lui, parce qu’il n’est nulle part. Pourquoi donc l’Un est-il non-seulement partout, mais encore nulle part ? c’est que l’Un doit être au-dessus de toutes choses : il doit tout remplir, tout produire sans être tout ce qu’il produit[19].

5. L’âme recoit sa forme de l’intelligence[20].

L’âme est avec l’intelligence dans le même rapport que la vue avec l’objet visible ; mais elle est la vue indéterminée qui, avant de voir, est cependant disposée à voir, à penser ; ainsi elle est avec l’intelligence dans le rapport de la matière avec la forme[21].

6. En nous pensant nous-mêmes, nous pensons une nature intellectuelle[22].

Quand nous pensons, et que nous nous pensons nous-mêmes, nous voyons une nature pensante ; sinon, en croyant penser, nous serions dupes d’une illusion. Par conséquent, si nous pensons et si nous nous pensons nous-mêmes, en nous pensant nous-mêmes nous pensons une nature intellectuelle[23]. Cette pensée présuppose une pensée antérieure qui n’implique pas de mouvement. Or, comme ce sont l’essence et la vie qui sont les objets de la pensée, il doit y avoir, avant cette essence, une autre essence, et avant cette vie, une autre vie. Voilà ce que savent tous ceux qui sont des intelligences en acte[24]. Si les intelligences sont des actes qui consistent à se penser soi-même, nous sommes nous-mêmes l’intelligible par le fond véritable de notre être, et la pensée que nous avons de nous-mêmes nous en donne l’image.

7. L’Un est supérieur au repos et au mouvement[25].

Le Premier [l’Un] est la puissance du mouvement et du repos ; aussi est-il supérieur à ces deux choses[26]. Le second principe se rapporte au Premier par son mouvement et par son repos : il est l’Intelligence, parce que, différent du Premier, il dirige vers lui sa pensée, tandis que le Premier ne pense pas[27]. Le principe pensant est double [parce qu’il comprend la chose pensante et la chose pensée] ; il se pense lui-même, et, par cela même, il est défectueux, parce que son bien consiste à penser, non à subsister (οὐϰ ἐν τῇ ὑποστάσει).

8. De ce qui est en acte et de ce qui est en puissance[28].

De ce qui est en acte se rapproche ce qui passe de la puissance à l’acte et reste toujours le même tant qu’il subsiste[29] ; c’est de cette manière que les corps tels que le feu peuvent posséder la perfection. Mais ce qui passe de la puissance à l’acte ne peut exister toujours, parce qu’il contient de la matière. Au contraire, ce qui est en acte et qui est simple existe toujours. D’ailleurs ce qui est en acte peut être aussi en puissance[30] sous un certain rapport.

9. le Bien est supérieur à la pensée[31].

Les dieux qui occupent le rang le plus élevé[32] ne sont cependant pas le Premier[33] : car l’Intelligence [dont procèdent les dieux du rang le plus élevé, c’est-à-dire les intelligences parfaites] est tous les êtres intelligibles, et, par conséquent, renferme à la fois le Mouvement et le Repos[34]. Rien de tel dans le Premier. Il ne se rapporte à nulle autre chose, tandis que les autres choses subsistent en lui dans leur repos, et dirigent vers lui leur mouvement. Le mouvement est une aspiration, et le Premier n’aspire à rien. À quoi en effet aspirerait-il ? Il ne se pense pas lui-même ; si l’on dit qu’il se pense, c’est en ce sens qu’il se possède. Mais, quand on dit qu’une chose pense, ce n’est pas parce qu’elle se possède, c’est parce qu’elle contemple le Premier ; c’est là le premier acte, la Pensée même, la Pensée première, à laquelle nulle autre ne doit être antérieure ; seulement, elle est inférieure au principe de qui elle tient l’existence et elle occupe le second rang après lui. La pensée n’est donc pas ce qu’il y a de plus saint ; par conséquent, toute pensée n’est pas sainte ; il n’y a de pensée sainte que celle du Bien, et celui-ci est supérieur à la pensée[35].

Mais le Bien n’aura-t-il pas conscience de lui-même ? — Quoi ? le Bien ne sera-t-il le Bien que s’il a conscience de lui-même ? S’il est le Bien, il est le Bien avant d’avoir conscience de lui-même. Si le Bien n’est le Bien que parce qu’il a conscience de lui-même, il n’était donc pas le Bien avant d’avoir eu conscience de lui-même ; mais, d’un autre côté, si le Bien n’est pas, il n’y a pas de conscience possible du Bien.

Le Premier [demandera-t-on encore] ne vit-il pas ? — On ne peut dire qu’il vit, puisqu’il donne lui-même la vie.

Ainsi le principe qui a conscience de lui-même, qui se pense lui-même [c’est-à-dire l’Intelligence], n’occupe que le second rang. En effet, si ce principe a conscience de lui-même, c’est pour s’unir à lui-même par cet acte de conscience ; mais s’il s’étudie, c’est qu’il s’ignore, c’est qu’il est défectueux par sa nature et qu’il ne devient parfait que par la pensée. Il ne faut donc pas attribuer au Premier la pensée : car, lui attribuer quelque chose, c’est supposer qu’il en est privé et qu’il en a besoin[36].

    qui motus quidam est a potentia intelligendi ad verum intelligibile tanquam bonum. » (Ficin.)

  1. Ce livre peut être considéré, par le sujet qui s’y trouve traité, comme le complément du précédent. Pour les Remarques générales auxquelles il donne lieu, Voy. les Éclaircissements à la fin du volume.
  2. Voy. Platon, Timée, p. 39 : ᾗπερ οὖν νοῦς ἐνούσας ἰδέας τῷ ὅ ἐστι ζῶον, οἶαι τε ἔνεισι ϰαὶ ὅςαι, ϰαθορᾷ, τοιάυτας ϰαὶ τοσάυτας διενοήθη δεῖν ϰαὶ τόδε σχεῖν. La discussion à laquelle se livre ici Plotin a pour but d’expliquer en quoi consistent l’Intelligence, νοῦς, l’Animal qui est, τῷ ὅ ἐστι ζῶον, et le principe qui a conçu, διενοήθη.
  3. Voy. dans les Éclaircissements sur ce livre la citation que Proclus a faite de ce passage.
  4. Voici comment M. Steinhart commente ce passage de Plotin, si important pour l’intelligence de la doctrine de Platon : « Jam plenam Platonici effati vim dum studet expiscari, primum quærit quid sit primum istud et verum in Mente creatoris Animal, quod τὸ παντελὲς ζῶον supra dixerat Plato, in quo simplices cunctæ rerum creandarum notiones lateant, tum, quomodo Mens has notiones modo inspicere, modo de iis cogitare dicatur. Ita autem quæstionem propositam solvit, ut primum quidam confiteatur. Animal illud intelligible videri esse aliquid a Mente diversum, quum Mens quasi extrinsecus ideas et insitas dicatur perspicere, mox vero addat vere non diversum esse posse a Mente, quod, quæcunque Mens videat, non possit non in seipsa et tanquam sui aliquam partem videre. Sic ex Platonico dicto ei emergit verissima sententia, Mentem non diversam esse a cogitato, quam jam a Parmenide indicatam (v. 40, 93), expositam et subtiliter enuntiatam ab Aristotele invenerat. Mens igitur ipsa, quatenus se suasque cogitationes cogitat, erat secundum Plotinum primarium istud Animal, quo ideæ cunctæ continentur. Simul vero etiam hoc sibi cognovisse videtur, quid inter visum Mentis et cogitation intersit : quod enim Plato primum Mentem ideas suas inspicere dicat, his verbis censet eum indicare velle quietum Mentis suæ sibi consciæ statum ; tum quod Mens divina cogitaverit quomodo ad sensibile hoc universum formas rerum in ipsa latentes transferre possit, hac re putat æternam illam Mentis efficaciam significari, quæ et ipsa non sit à Mente diverse, ita ut ternionem illum, quem in Mente divina et humana inesse cognoverat, mentis, cogitati, cogitationis, jam Plato ei verbis suis spectasse videatur. » (Meletemata plotiniana, p. 10.) Pour les rapports de la théorie de Plotin sur l’Intelligence avec celle d’Aristote, Voy. le tome I, p. 260, note 3.
  5. Plotin a dit ci-dessus : « Suivant Platon, le Démiurge conçut que cet animal produit [savoir le monde sensible] devait comprendre des essences semblables et en pareil nombre à celles que l’Intelligence voit dans l’Animal qui est [savoir le monde intelligible]. »
  6. « Hactenus consideratio prima, quæ Intellectum mundi opificem declaravit. Secunda vero consideratio tractat quomodo anima in universum hunc Intellectum transferre se possit, videlicet, si anima, quemadmodum multiplices sensus colligit in unum imaginationis sensum, sic imaginationes inter se longe diversas in unam colligat communem regulam rationis ; deinde varios rationis nostræ discursus ad stabilem redigat intelligentiæ normam, intellectu pro viribus tota formetur suo, per quem universo formabitur Intellectu totius opifice mundi. Potest autem id in gradibus vitæ fieri, quandoquidem fit idem in ipsis scientiæ gradibus. » (Ficin.)
  7. Porphyre attribue cette comparaison à Nicolas de Damas. Voy. Des Facultés de l’âme, t. I, p. XCII. Voy. aussi l’Enn. IV, liv. IX, § 5.
  8. Pour le développement de cette pensée, Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XLIV, t. I, p. LXXXIV.
  9. « In tertia consideratione Plotinus existimat mundi Animam, quia semel atque potentissime animalem vitæ formam in se complexa sit totum, et inde totum corpus locumque penitus occupaverit, non posse vel in se mutare vitæ formam, vel extra se corpora permutare. Animas vero particulares, particularem nactas provídentiæ modum, quales sunt dæmonum plurimorum atque hominum, vicissiludine quadam explere quodammodo perpetuam illam providentiam supernorum ; et quatenus in se ipsis de hac vitæ forma mutantur in aliam, eatenus corpora sedesque mutare ; unde videntur ad corpus locumque accedere, mutatione videlicet prius in se facta… Dicuntur autem et particulares anime descenderie quandoque ab Anima mundi : quoniam ab universali providentia formaque vitæ, quam simul cum mundi Anima quandoque possident, labuntur in propriam : non enim firmiter possederunt. » (Ficin.) Voy. Enn. IV, liv. III, § 9-17, et liv. VIII.
  10. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 360-361.
  11. Voy. Enn. IV, liv. III, § 1-8, et liv. IX.
  12. Voy. Enn. IV, liv. III, § 24.
  13. Voy. Enn. II, liv. IX, § 2, 3, 7 ; t. I, p. 262-264, 275-276.
  14. Pour le développement des idées que Plotin se borne ici à indiquer, Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XLIV, t. I, p. LXXXIV.
  15. Nous n’admettons pas la correction de M. Kirchhoff qui lit τοῦτο τὸ εἴδωλον au lieu de τούτου τὸ εἴδωλον.
  16. Voy. Enn. II, liv. IV, § 10 ; t. I, p. 208.
  17. Voy. Enn. IV, liv. III, § 12 p. 289.
  18. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XLIII, t. I, p. LXXXIII. Voy. aussi les extraits de saint Denys l’Aréopagite qui se trouvent ci-dessus, p. 226, note 1, et p. 228, note 5.
  19. On peut rapprocher de ce passage les lignes suivantes de saint Augustin : « Dieu est la cause véritable et universelle : Dieu. dis-je, en tant qu’il est tout entier partout, sans être enfermé dans aucun lieu ni retenu par aucun obstacle, indivisible, immuable. emplissant le ciel et la terre, non de sa nature, mais de sa puissance. Si en effet il gouverne tout ce qu’il a créé, c’est de telle façon qu’il laisse à chaque créature son action et son mouvement propres : aucune ne peut être sans lui, mais aucune n’est lui. » (Cité de Dieu, VII, 30 ; t. II, p. 58 de la trad. de M. Saisset.) Voy. aussi les Lettres de ce Père, CXXXVII, De Prœsentia Dei, § 5 et 6.
  20. « Divina Mens suo lumine rationalem generat animam, implet que illam perpetuo lumine : quo anima sempertum seipsam intelligit a Mente illuminatam, tum Mentem semper illuminantem. Id autem agit perpetuo intellect us noster, animœ caput ; rationalis vero facultas ad hunc quoque se habet, quasi visus ad lumen, non quidem semper, sed quando rationaliter intellectum. » (Ficin.)
  21. Voy. ci-dessus liv. VIII, § 10, p. 234.
  22. Quando homo per rationem quodammodo seipsum intelligit, si modo perfecte intelligit, agnoscit interea se intelligentem esse : ergo et intellectualem, qua sic intelligat se habere naturam. Hæc ipsa intellectualitas est intelligentia quædam, non tam in motu posita manifeste quam in statu nobis occulto. » (Ficin.)
  23. Cette phrase fait penser à cette célèbre définition de Descartes : « Qu’est-ce que je suis ? une chose qui pense. » (Méditations, II.)
  24. Philopon, dans son Commentaire sur le Traité de l’âme d’Aristote (fol. 1), fait allusion à ce passage de Plotin, qu’il cite en ces termes : « l’intelligence est en quelque sorte l’habitude la plus parfaite de l’âme. De là vient que Plotin dit, en parlant de l’intelligence : Quiconque a réalisé l’acte intellectuel (ὅστις ἐνεργήσεν) sait ce que je dis. Il paraît donc penser qu’un pareil état ne saurait être décrit par le langage. »
  25. Septima consideratio probat in primo omnium Principio nullum esse motum : non enim tendit in aliud, quod est primum penitus atque ultimum. Probat nec ibi esse statum, scilicet quietem, ad quam tendit motus, oppositam motioni. Unitas igitur ipsa et motum antecedit et statum. Antecedit ergo et actum intelligentiæ,
  26. Le Mouvement et le Repos sont pour Plotin deux Genres de l’être. Voy. ci-dessus, p. 174.
  27. Le P. Thomassin cite cet alinéa dans ses Dogmata theologica (t. I, p. 96). Il ajoute que toute cette théorie de Plotin sur les Genres de l’être, et sur l’Un supérieur à l’Intelligence divine, a été introduite pour la première fois dans l’enseignement de la théologie chrétienne, avec les corrections nécessaires, par Euloge, archevêque d’Alexandrie, dont Photius a analysé les homélies dans sa Bibliothèque (230) : « Ne quis tamen nobis succenseat quod hæc philosophica dogmata hic narrare aggressi simus. Proferendus nobis est Eulogius Alexandrinus archiepiscopus, idemque priscæ Græcorum Patrum Theologiæ callentissimus, qui hæc omnia Christianæ scholæ intulit et consecravit. Sic enim ille Deum unum trinumque, Patrem et Filium et Spiritum sanctum, jubet a nobis, qua tas est cogitari, ut sit supra ipsum esse : « Aliud est esse supremæ Trinitatis, aliud nostrum. In Trinitate ens est supra esse, τὸ ὄν ὕπερ τὸ εἶναι. At nostrum esse neque proprie ens est. » Rursus ubi Theologi aiunt Deitatem unam esse, ut Mentem, id accomodate ab iis dici ad generationem Verbi quoquo modo declarandam. Nam accuratior sententia est Deum esse supra montem : « Quando autem Theologi divinam naturam unum quid esse prædicant, ut mentem, id propter solam divinam impatibilemque Verbi generationem feciunt. Nam recta piaque sententiu Divinitatem supra naturam mentis collocatam pie asserit. Quibus autem ducti rationibus Theologi supra naturam mentis constituant, id Eulogius statim aperit : quod identitas, alteritas, motus et status naturam mentis seu corollaria quædam consequantur, quæ ab unitate et simplicitate Dei aliena sunt : « Identitas enim in mente spectatur, itemque alteritas, motus et status. Nec enim omnino caret duplicitate. Et status quidem propter essentiæ identitatem spectatur in ea ; alteritas autem et motus propter spontaneam vim et operationem, etc. Quod noscitur a seipso, jam non unum, sed veluti duplex consideratur, etc. »
  28. « In octava consideratione notabis conditionem actus formalis potentiæque formabilis inter se opponi ; adeo ut potentia hæc accipiat actum, actus vero, qua ratione actus est, potentiam non recipiat. Ubi ergo actus est solus, ut in Primo, sempi terna res est, quoniam nulla ibi ad aliam formant potentia latet. Item ubi potentia tota formabllis translata est in naturam formæ, adeo ut forma illic nullo modo ad naturam potentiæ retrahatur, res etiam est sempiterna : præsertim quia potentia illic totum habet actum quantumcunque potest cupitque habere : quales sunt intellectuales essentiæ ignisque cœlestis. » (Ficin.)
  29. M. Steinhart, dans ses Meletemata plotiniana (p. 54), propose de lire : τὸ ἐνεργείᾳ πᾶν τῷ ἐϰ’ δυνάμεως εἰς ἐνεργειάν ἐστι ταὐτὸν, au lieu de τὸ ἐνεργείᾳ παντὶ τῷ ἐϰ’ δυνάμεως εἰς ἐνεργειαν ὅ ἐστι ταὐτὸν ἀεὶ. Voici comment il essaie du justifier cette correction. « Hæc duplex illa Mentis natura, ut primum ex Deo, qui est omnium rerum potentia, perpetuo progrediatur, tum omnia efficiat (quod est omnia actu), sed simul eadem sempersit, nunquam vero divisa. Il est évident que M. Steinhart n’a pas fait attention qu’ici commence une nouvelle question et qu’il ne s’agit plus de l’Intelligence divine. Du reste son erreur est excusable parce que la distinction des questions n’est indiquée que dans l’édition de M. Kirchhoff.
  30. Voy. Enn. II, liv. V, § 2 ; t. I, p. 227-228.
  31. « Nona consideratione memineris ipsam intelligentsia non esse Bonum ipsum simpliciter, primum atque ultimum ; item ipsum Bonum non habere sui ipsius agnitionem. » (Ficin.)
  32. Selon S. Augustin, les intelligences parfaites que Plotin appelle des dieux ne sont autres que les anges : « Les anges ne sont pas seulement éternels, mais bienheureux ; et le bien qui les rend heureux, c’est Dieu même leur créateur, qui leur donne par la contemplation et la participation de son essence une félicité sans fin… Si les Platoniciens aiment mieux donner aux anges le nom de dieux que celui de démons et les mettre au rang de ces dieux qui, suivant Platon, ont été créés par le Dieu suprême, à la bonne heure, je ne veux point disputer sur les mots. En effet, s’ils disent que ces êtres sont immortels, mais cependant créés de Dieu, et qu’ils sont bienheureux, mais par leur union avec le Créateur, et non par eux-mêmes, ils disent ce que nous disons, de quelque nom qu’ils veuillent se servir. Or que ce soit là l’opinion des Platoniciens, sinon de tous, du moins des plus habiles, c’est ce dont leurs ouvrages font foi. Pourquoi donc leur contesterions-nous le droit d’appeler dieux des créatures immortelles et heureuses ? Il ne peut y avoir aucun sérieux débat sur ce point du moment que nous lisons dans les saintes Écritures : Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé. » (Cité de Dieu, IX, 22, 23 ; t. II, p. 173-174 de la trad. de M. Saisset.)
  33. M. Kirchhoff retranche à tort la négation dans cette phrase.
  34. Voy. ci-dessus, liv. VII, § 2, p. 174.
  35. Voy. ci-dessus p. 246, note 2.
  36. Voici les réflexions que le P. Thomassin fait sur cette théorie : « Et quidem in promptu est ratio cur primo Principio vix tribui debeat intelligentsia. Nempe ipsa natura et vis intelligentiæ tota pertinet ad vestigandam contemplandamque veritatem ; at non est persona et dignitatis primi Principii ut quærat appetatque aliquid, et ne seipsum quidem ; ne absens quodammodo a se et redux in se esse videatur, suamque felicitatem intelligendo magis quam essendo degustet. Decantatissimæ et passim obviæ sunt apud istos philosophos hujusmodi ratiocinationes. At hæret nihilo minus scrupules, qui possit summum Bonum primumque Principium sui cognitione et intelligentsia destitui. Extricari forsan poterat hic nodus axiomate illo his philosophies perquam familiari : de Deo cautius certiusque per negationes quam per affirmationes sermonem fieri ; at negationes id genus non id valere ut aliqua perfectionis ornementa Deo adimantur ; sed ut, dum ei adimuntur, qualia naturis mentibusque creatis vel convenire possunt vel innotescere, eidem rursus alio eminentissimo et incomprehensibili modo competere intelligantur. Ita ergo, dum summum Bonum vita et intelligentsia orbatur, illa nimirum ei vita adjudicatur et intelligentia, qualis a nobis capitur, non paucis nævis aspersa ; at simul et semel id intus dictat conscientia alterius generis vitam et intelligentiam ei competere nobis ignotam, ininvestigabilem, incomprehensibilem. » (Dogmata theologica, t. I, p. 74.) Les réflexions que fait ici le P. Thomassin sont tout à fait conformes à la doctrine de saint Denys l’Aréopagite, qui s’exprima en ces termes : « Dieu ne se nomme pas et ne s’explique pas ; sa majesté est tout à fait inaccessible… De là vient que les théologiens ont préféré s’élever à Dieu par la voie des locutions négatives, parce qu’ainsi l’âme se dégage des choses matérielles qui l’étreignent ; qu’elle pénètre à travers les pures notions qu’on peut avoir de la Divinité, et par delà desquelles réside Celui qui dépasse tout nom, toute raison, toute connaissance, et qu’enfin elle s’unit intimement à lui, autant qu’il peut se communiquer et que nous sommes capables de le recevoir. » (Des Noms divins, ch. XIII, p. 461 de la trad. de M. l’abbé Darboy.) D’ailleurs, pour juger sur ce point la théorie de Plotin, il faut lire le livre VIII de l’Ennéade VI, le seul où notre auteur ait exposé complètement sa pensée sur la première hypostase. C’est le point culminant de sa métaphysique.