Erotika Biblion/4

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NOTES SUR L’ANAGOGIE[1]



Lorsque du Créateur la parole féconde
Dans une heure fatale eut enfanté le monde,
  Des germes du chaos,
De son œuvre imparfaite il détourna sa face,
Et d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace,
  Rentra dans son repos.

Le mal dès lors régna dans son immense empire,
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
  Commença de souffrir ;
Et la terre, et le ciel, et l’âme et la matière,
Tout gémit ; et la voix de la nature entière
  Ne fut qu’un long soupir,

Alph. de Lamartine, Médit. 6.


« Le sens analogique, dit le révérend père Lamy[2], explique de la félicité éternelle ce qui est dans l’Écriture de la Terre promise ; c’est le ciel dans ce sens. La Jérusalem de la terre, c’est la Jérusalem céleste ; l’homme formé d’abord de la terre, animé ensuite du souffle de Dieu, est l’image de l’homme revêtu d’un corps corruptible, qui ressuscitera un jour immortel. Il faut remarquer ici que les prophètes n’ont pas moins prédit ce qui devait arriver à Jésus-Christ et à son Église par leurs actions que par leurs paroles. Le prophète Osée, en épousant une femme de mauvaise vie, représente Jésus-Christ, qui, par son union avec l’Église, l’a purifiée de toutes ses taches. Le serpent d’airain élevé dans le désert, était la figure du Sauveur élevé en croix. La loi de la circoncision n’ordonnait à la lettre que de circoncire la chair, mais dans un sens spirituel elle signifie cette circoncision du cœur par laquelle les chrétiens doivent retrancher et réprimer en eux les désirs qui pourraient être contraires à la loi de Dieu. »

D’après cette interprétation métaphorique, on doit s’apercevoir que tout l’Ancien Testament n’est qu’une figure, un clair-obscur : c’est pourquoi saint Augustin[3] a fort bien remarqué que les auteurs sacrés recourent aux mots figurés lorsqu’ils ne trouvent pas des mots propres pour exprimer leurs idées. Ils s’en servent comme de voiles pour cacher ce que la pudeur défend quelquefois de nommer. C’est ainsi, dit ce saint, que sous le mot de pied, l’Écriture comprend toutes les parties inférieures du corps ; témoin cet exemple : « Sephora prit une pierre tranchante ; elle coupa le prépuce de son fils et toucha ses pieds. » « Tulit illicô Sephora acutissimam petram, et circumcidit prœputium filii sui, tetigitque pedes ejus[4]. »

Dans ce passage, l’Écriture prend un mot honnête au lieu d’un mot qui ne l’est pas. Mais n’importe ! son style si simple et si sublime, l’élévation de ses pensées et le brillant des métaphores dont Dieu fait partout un si digne et fréquent usage, conviennent d’autant plus aux hommes que, créés à sa ressemblance, il fallait, pour s’en faire comprendre, qu’il appropriât son langage à celui de son peuple, et qu’il se conformât à ses idées et à sa manière de concevoir. C’est là sans doute la raison pourquoi la Bible, en parlant de Dieu, nous le représente sans cesse comme s’il avait un corps tout semblable au nôtre, avec nos passions, nos vices et nos vertus. Si donc elle lui attribue de la colère, de la pitié, de la fureur, et lui donne des yeux, une bouche, des mains et des pieds, il n’en suit pas qu’il faille le prendre au pied de la lettre, mais tel que notre imagination a l’habitude de se le figurer, malgré les lumières de notre faible raison et de la foi divine qui nous a été révélée de toute éternité. Si donc il est des personnes assez grossières pour se méprendre sur le sens anagogique de l’Écriture, il faut en avoir pitié et implorer pour elles l’infusion du Saint-Esprit.

Mais le lecteur est suffisamment éclairé sur l’explication d’un titre que Mirabeau, on ne sait pas pourquoi, a jugé à propos de laisser en grec ; et il comprendra sans doute la mysticité de cet ouvrage.


Page 6. — « Des anus d’or guérissaient les hémorrhoïdes. »

En l’an du monde 2860, Ophni et Phinées, deux fils du grand-prêtre Heli, couchaient avec toutes les femmes qui venaient à la porte du Tabernacle : « dormiebant cum mulieribus quæ observabant ad ostium Tabernaculi[5]. »

Le vieillard, instruit de ces désordres, réprimanda paternellement ses fils, et malgré les sages conseils qu’il leur donna sur les devoirs des prêtres qu’ils violaient, ils n’écoutèrent point la voix de leur père, « non audierunt vocem patris sui ; » ce qui était inutile, ce me semble, puisque d’avance le Seigneur avait déjà résolu de les tuer, « quia voluit Dominus occidere eos[6]. » Or, le Dieu d’Israël, colère et jaloux, se fâcha un beau matin du bloc de peccadilles qu’avaient commises ces fils, et pour les punir, voici ce qu’il imagina. Il engage son peuple, qu’il aime tant, dans une terrible bataille, où, vainqueurs par ses ordres, les Philistins passent au fil de l’épée 30 000 Juifs qui n’avaient couché avec personne, prennent l’arche d’alliance et tuent les deux fils d’Heli, pour apprendre aux autres, sans doute, qu’il est dangereux d’interpréter trop littéralement le précepte divin : « Croissez et multipliez. »

Mais voyez cet enchaînement de justice divine : après ce bel exploit, marqué au coin de l’humanité, et les corrections toutes paternelles qu’il vient d’administrer à son peuple chéri, ne voilà-t-il pas que ce Dieu, si drôle dans ses lubies, cherche maintenant une querelle d’Allemand à ces pauvres Philistins, qu’il déteste, parce qu’ils retiennent son arche, qu’il n’a pas daigné défendre lui-même au jour du péril, et les punit d’affreuses hémorrhoïdes, dont il frappe les parties les plus secrètes et les plus honteuses de leurs corps, et leur fait ainsi pourrir le derrière !!!… « Percutiebantur in secretiori parte natium[7]. »

Grande était certes la consternation de ces idolâtres ! Mais que font-ils, pensez-vous, pour se délivrer de cette horrible maladie ?… Ils assemblent tout bonnement leurs prêtres et leurs prophètes, et, selon le conseil de ces devins, ils entrent en composition avec le Père éternel, qui, moyennant le renvoi de sa boîte carrée et d’un cadeau de cinq anus d’or, apaise son courroux et les délivre de ce fléau. « Hi sunt autem ani aurei, quos reddiderunt Philistiim pro delicto, Domino : Azotus unum, Gaza unum, Ascalon unum, Geth unum, Accaron unum[8]. »

Grâce aux progrès des sciences et à l’habileté de nos médecins, nous sommes dispensés, si pareil accident nous afflige, de recourir à ce coûteux, mais efficace moyen, comme chacun sait ; mais si une offrande de cette espèce est tombée en désuétude aujourd’hui, nos Esculapes n’oublient cependant point de formuler quelquefois leurs mémoires sur le prix que peuvent valoir cinq anus d’or :

Auri sacra fames !…

Cette anagogie doit nous apprendre, dit le prieur de Sombreval, qu’il ne suffit pas à un père d’être bon lui-même, s’il ne travaille encore à rendre bons ses enfants ; que Dieu, par les voies les plus inconcevables, venge l’injure faite aux choses saintes par l’abandon même de ce qu’il y a de plus saint ; que rien ne l’irrite tant que les péchés des prêtres ; qu’il ne protège enfin que ceux qui l’honorent, et ne fait éclater sa gloire que pour ceux qui se rendent dignes de lui.


Page 7. — « La bête de l’Apocalypse, qui a 666 … sur le front. »

La science des nombres n’est point une rêverie. Écoutez plutôt ce que dit saint Jean dans l’Apocalypse[9], verset 18, nombre ignoble, chapitre 13, nombre fatal :

« Qui habet intellectum computet numerum bestiæ ; numerus enim hominis est, et numerus ejus sexcenti sexaginta-sex. » — « Que celui qui a de l’intelligence suppute le nombre de la bête, car son nombre est le nombre d’un homme. »

Les catholiques et les protestants, dit Voltaire[10], ont tous expliqué l’Apocalypse en leur faveur ; et chacun y a trouvé tout juste ce qui convenait à ses intérêts. Ils ont surtout fait de merveilleux commentaires sur la grande bête à sept têtes et à dix cornes, ayant le poil d’un léopard, les pieds d’un ours, la gueule d’un lion, la force d’un dragon ; et il fallait, pour vendre et acheter, avoir le caractère et le nombre de la bête, et ce nombre était 666.

Bossuet trouve que cette bête était évidemment l’empereur Dioclétien, en faisant un acrostiche de son nom. Grotius croyait que c’était Trajan. Un curé de Saint-Sulpice, nommé La Chétardie, connu par d’étranges aventures, prouve que la bête était Julien l’Apostat. Jurieu prouve que la bête est le pape. Un prédicant a démontré que c’est Louis XIV. Un bon catholique a démontré que c’est le roi d’Angleterre, Guillaume.

C’est ainsi que s’en explique le grand homme. Mais cela ne prouve rien contre ces messieurs ; car un savant moderne a prétendu, dans le temps, que cette bête de l’Apocalypse n’était autre que Louis XVIII, en décomposant le nombre six cent soixante-six de la manière suivante :

L ..... 50
V ..... 5
D ..... 500
O ..... 0
V ..... 5
I ..... 1
C ..... 100
V ..... 5
    _____
Summa ..... 666

Les chiffres romains forment, dit-il, un mot dont les chiffres arabes sont la désignation numérique et mystique ; car, additionnés, ils donnent le nombre 18, et de front, le nombre de la bête.


Page 15. — « Quoique les phénomènes de l’électricité ne fussent point connus dans ces temps reculés. »

Ce fut Thaïes, de Milet, ville d’Ionie, où il naquit vers l’an 640 avant l’ère vulgaire, qui remarqua le premier les effets merveilleux de l’aimant et de l’ambre ou succin sur les corps légers, qu’ils attirent lorsqu’ils en sont frottés. Ce phénomène extraordinaire ne fixa point l’attention des anciens ; ils étaient loin de soupçonner qu’il résultât d’une puissance très-répandue et très-remarquable, et il s’écoula plus de deux mille ans avant qu’il devînt le sujet d’une sérieuse méditation. Ce ne fut qu’au dix-septième siècle que l’expérience d’un médecin anglais prouva que le soufre, toutes les résines et une foule d’autres substances possèdent aussi la propriété de la répulsion et de l’attraction.

Au commencement du dix-huitième siècle, Hawsbie reconnut cette vertu à un globe de verre creux, qu’il faisait tourner autour de son axe, tandis que le physicien Gray appliqua ses expériences aux hommes, au moyen de cordes de soie, sur lesquelles il les suspendait, et d’un tube de verre électrisé qu’il tenait près de leurs pieds.

Plusieurs savants français, allemands et anglais, ont agrandi le domaine de l’électricité par une foule d’expériences curieuses et étonnantes, et les recherches sur cette matière ont été poussées si loin que l’on est parvenu à connaître que la secousse électrique peut, sans éprouver le moindre retardement, être menée jusqu’à plus de 12 000 pieds, avec plus de rapidité que ne mettrait le son à parcourir cette même distance.

Le fluide électrique est d’une subtilité bien grande ; il pénètre entièrement les corps, et son action sur eux est si vigoureuse, qu’il est capable d’anéantir les animaux.

Ces phénomènes, et tant d’autres de la même nature, ont partagé les physiciens de toutes les époques sur la question de savoir s’il fallait les attribuer à une matière effluente, qui sort du conducteur et du verre frotté, ou bien à une matière affluente, répandue dans l’atmosphère qui répare les pertes de ces deux agents. Enfin, vers le milieu du siècle dernier, parut un homme qui, par ses méditations profondément philosophiques, démontra clairement la distinction de ces deux espèces d’électricité, et les désigna sous les dénominations de positive, ou de la condensation du fluide électrique dans un corps ou à ses surfaces, et de négative, qui est dans tous les corps la raréfaction de ce même fluide qu’ils contiennent naturellement. Ses expériences savantes lui firent concevoir l’idée que le tonnerre est un phénomène électrique, et c’est encore à lui que nous devons l’immortelle découverte des paratonnerres. Homme doublement célèbre, et par la force de son génie, et par son amour sacré pour l’indépendance de son pays, qu’il eut la gloire d’allier à la France, et sur le buste duquel ses concitoyens reconnaissants gravèrent ce vers si sublime, dû au philosophe économiste Turgot :

Eripuit cœlo fulmen, sceptrumque tyrannis.
  1. Anagogie, recherche du sens mystique des Écritures, ravissement ou élévation de l’esprit vers les choses divines ; du grec Άναγωγἡ), formé de άνα, en haut, et de ἃγω, je conduis.
  2. Introduction à l’Écriture sainte, liv. II, chap. II.
  3. De Trin., lib. I, cap. II.
  4. Exod., cap. IV, v. 25.
  5. Reg., lib. I, cap. 2, v. 22.
  6. Rois, liv. I, ch. 2, v. 25.
  7. Rois, liv. I, ch. 5, v. 12.
  8. Ibid., liv. I, ch. 6, v 17.
  9. Άποκάλυυψις, mot inventé par les Septante, suivant saint Jérôme, pour désigner les Révélations de saint Jean.
  10. Dictionnaire philosophique, art. Apocalypse, sect. II.