Erreurs et brutalités coloniales/II/II

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Éditions Montaigne (p. 89-105).


CHAPITRE II


Les opérations militaires dans le cercle de Fort-Dauphin. — Les hésitations du commandant Leblanc. — L’inquiétude à Tananarive. — La levée du siège de Manantenina. — Le siège (!) de Fort-Dauphin. — Les renforts. — La colonne Grammont. — Destruction du détachement Casalonga.


Nous avons suivi les progrès de la rébellion dans cette province de Fort-Dauphin, dont la situation avait, plus que celle de Farafangana, préoccupé le gouvernement général de Tananarive. Dès les premiers moments de l’insurrection, les communications par terre avec Fort-Dauphin avaient été interrompues ; sur les routes les rebelles ne laissaient plus circuler les tsimandoo[1] ; la ligne télégraphique avait été coupée. La voie maritime reliant Fort-Dauphin au nord de Madagascar, par la côte est, avec les escales de Farafangana, Mananjary, Vatomandry, Tamatave, Vohemar, Diego-Suarez, n’était desservie qu’une fois par mois par le bateau Pernambuco, des Messageries Maritimes. Un cyclone survenu les 15 et 16 décembre avait retardé de plusieurs jours, à Diego-Suarez, le départ du Pernambuco : et c’est à son retour seulement que ce navire pouvait rapporter des nouvelles de Fort-Dauphin.

Un bateau de guerre, vieux sabot, stationnaire à Diego, se trouvait hors d’état de prendre la mer, d’aller dans le sud, de transporter des renforts et chercher des nouvelles.

L’anxiété était d’autant plus grande à Tananarive que la confiance dans le chef de la province de Fort-Dauphin n’était pas sans restrictions.

Le commandant Leblanc, de l’Infanterie coloniale, était un obèse, sans activité physique, se déplaçant d’autant plus rarement et difficilement que les bourjanes succombaient sous le poids d’un filanjana chargé de 120 kilogs. Cette pesanteur physique retentissait sur l’activité de l’esprit.

Dès le 12 décembre, le gouvernement général télégraphiait au commandant Vache : « Situation très mauvaise est cercle Fort-Dauphin, y envoie par prochain Pernambuco deux compagnies sénégalaises. En attendant leur arrivée, nécessaire que puissiez plus rapidement possible porter vos forces vers Fort-Dauphin, pour éviter extension mouvement insurrectionnel. »

Le 16 décembre, ordre encore plus pressant : « Sans nouvelles de Fort-Dauphin depuis 10 décembre, date à laquelle ce poste était très menacé ; vous invite donc à envoyer, à marches forcées, partie imposante de vos forces directement sur Fort-Dauphin par voie plus courte pour éviter désastre : par exemple une compagnie sénégalaise avec approvisionnements suffisants vivres pour gagner Manantenina. Ce détachement devra continuer jusqu’à ce qu’il ait nouvelles certaines Fort-Dauphin en sécurité, soit par arrivée renforts, soit pour autre cause. Intérêt majeur envoi ce détachement même quand devriez négliger pendant son absence groupements rebelles plus au sud. Accuser réception et rendre compte. »

Que s’était-il donc passé à Fort-Dauphin, qui put représenter au gouvernement général la situation comme si critique ?

Le commandant Leblanc avait, cantonnées dans son cercle, six compagnies comptant six cent soixante-treize hommes, commandés par vingt officiers français et trente sous-officiers et caporaux, soit environ sept cents fusils modèle 1886.

C’était là une force importante, largement suffisante pour faire face aux bandes révoltées, armées de rares fusils 86, de vingt ou trente armes de type 74, et de fusils à pierres ; bandes sans cohésion, sans discipline, mal ou même non commandées.

Mais le commandant de Fort-Dauphin avait commis la faute grave de disséminer ses forces entre vingt-cinq postes, dont certains étaient garnis de neuf, huit, six, cinq et même quatre tirailleurs. À Fort-Dauphin, chef-lieu du cercle, siège du commandement militaire, d’où, en cas de nécessité, devaient partir les renforts destinés aux postes menacés, le commandant Leblanc n’avait gardé que quarante-quatre hommes. Encore, au point de vue effectif militaire utile, fallait-il défalquer de ce chiffre, au moins comme non utilisables rapidement, tous les comptables, tous les employés.

D’autre part, ainsi que nous l’avons déjà constaté à Ranomafana, les postes n’étaient pas tous en état de défense : pas de parapet, pas de fossé, pas de palissade, pas de réduit central, des munitions en quantité insuffisante. Dès le début des événements, le commandant Leblanc ne prit pas les mesures efficaces. Il négligea de porter à la connaissance de tous les postes les événements d’Amparihy ; ainsi, nous l’avons vu, à Esira, le sergent Pietri ignorait ce que savaient tous les indigènes autour de lui. Ranomafana ne reçut pas les munitions demandées.

La première mesure de défense prise par le commandant Leblanc, fut l’envoi au secours d’Amparihy du lieutenant Barbassat, à la tête d’un peloton de tirailleurs, de Bahara. De même que de Midongy le capitaine Quinque avait de prime-saut, sans connaissance de la situation, envoyé Baguet sur Ampariby, le commandant Leblanc expédia le lieutenant Barbassat vers le nord.

La mission imposée au lieutenant Barbassat était moins justifiée que celle prescrite au lieutenant Baguet. Baguet commandait à Bafotaka depuis près de deux ans, le lieutenant Barbassat venait d’arriver, pour la première fois, à Madagascar.

On sait comment cet officier se heurta à un ennemi très supérieur en nombre, et dut se laisser assiéger dans Manantenina, après la mort de M. Hartmann, avec 30 tirailleurs environ.

Le 26 novembre, le commandant Leblanc, voulant renforcer la garnison de Manantenina de quelques sénégalais, prescrivait au capitaine Duchan, à Ambovombe, de diriger sur Manantenina un sergent européen Casolonga, un gradé et huit tirailleurs sénégalais.

Jeter dans la masse indigène révoltée une faible troupe armée de dix fusils, lui imposer d’Ambovombe à Manantenina une marche de 145 kilomètres, c’était défier le destin. La marche de la petite colonne de Casalonga fut un martyre, terminé par un désastre. Harcelée par des bandes sans cesse renaissantes, la troupe allait de position en position, faisant le coup de feu, ou s’ouvrant un passage à la baïonnette.

Après cinq jours de luttes incessantes, Casalonga arriva à Ampasimena, où se dressaient les bâtiments d’une mission dont les habitants avait fui devant la révolte. Casalonga s’enferma dans l’Église avec ce qui lui restait de tirailleurs, et s’y défendit pendant quarante-huit heures. De nouveaux vides s’étaient produits dans sa petite troupe, les vivres manquaient, il résolut de sortir et s’engagea, pensant gagner Manantenina, dans la vallée du Mandreré. L’un après l’autre, les tirailleurs furent tués par les révoltés au milieu desquels ils étaient submergés. Casalonga tomba à son tour : de la colonne pas un tirailleur n’échappa à la mort.

Le commandant Leblanc prétendit avoir envoyé à Pietri l’ordre d’évacuer Esira et de rallier Ranamafana : cet ordre ne parvint pas à destination.

Au-devant de Mlle B… et du R. P. Coindart étaient allés quelques hommes, dirigés par l’administrateur Pouperon et le capitaine Grammont. Les échappés de Ranomafana une fois arrivés, ce dernier officier fut mis à la tête d’un détachement comprenant un sergent européen (Babin), quatre soldats européens et quinze tirailleurs malgaches, et dirigé vers Ranomafana et Manantenina.

Le détachement se heurta à des bandes d’insurgés venus du Nord, trouva toutes les routes coupées, les ponts détruits, les rivières, grossies par les pluies, infranchissables ; le commandant Leblanc envoya à ce détachement l’ordre de rentrer à Fort-Dauphin.

Renonçant à secourir Manantenina par la voie de terre, le commandant Leblanc embarqua à Fort-Dauphin, sur une goëlette, des vivres, des munitions, et un sergent européen (Maurière), à la tête de quatre soldats européens, de dix tirailleurs sénégalais appelés de Tsiombe, ainsi que le médecin aide-major Lescure. La goëlette, soulevée par une mer démontée, repoussée par des vents contraires, dut rentrer à Fort-Dauphin sans avoir pu atteindre le but de son voyage.

Le 15 décembre, départ d’une deuxième goëlette. Celle-ci atteignit Manantenina le lendemain, dans les conditions relatées par la dépêche suivante, émanant du lieutenant Barbassat assiégé dans le poste.

« Goëlette Ninette arrivée 16 décembre par mer complètement démontée ; est venue s’échouer à l’entrée rivière après s’être fortement endommagée sur les récifs. Équipage et détachements européens et sénégalais ont pu se sauver avec armes et munitions. La plus grande partie du ravitaillement est perdue dans les eaux et entre autres tout l’approvisionnement de riz pour trente jours, mais farine et pas mal de conserves sauvées ainsi que neuf caisses de munitions rentrées au poste. Ai encore approvisionnement de riz pour quatorze jours environ. Je fais couper autour du poste quelques rizières mûres, mais je crains que les pluies continuelles ne détériorent le paddy récolté faute de séchage ».

Le 10 décembre, Manantenina assiégé avait été attaqué par une bande nombreuse d’insurgés. L’attaque avait été repoussée : l’ennemi laissait sur place sept morts, un fusil 74, soixante-dix sagaies, autant d’angadys[2] et soixante cartouches 74.Le combat avait duré de 4 h. 30 à 8 h. 30 : les assaillants avaient brûlé cinq cents cartouches, dont les étuis furent recueillis sur le terrain.

Les défenseurs de Manantenina avaient eu deux tués : le tirailleur sénégalais Gabira-Conati et l’agent de police Faralahy. Un autre tirailleur, Taomba, avait reçu une blessure sans gravité.

Le commandant Leblanc, au 26 décembre, paraissait quelque peu affolé. Il écrivait au gouvernement général : « Je n’ai aucune communication avec le poste de Manantenina ; les routes sont bien gardées, les courriers ne passent que très difficilement. J’ai signalé la situation critique de Manantenina au commandant Vache de Farafangana. J’ai essayé de lui faire parvenir un télégramme par Behara, mais la ligne télégraphique ayant été détruite entre Fort-Dauphin et ce poste, je l’ai expédié par une barque dirigée sur Farafangana. Cette embarcation n’est pas arrivée à destination. Manantenina a actuellement une garnison de soixante fusils et quatorze jours de vivres. Je vais chercher à le ravitailler par tous les moyens possibles, en attendant les secours d’une colonne, etc… Mahaly évacué par sa garnison a été brûlé par les rebelles ; Behara est entouré de rôdeurs, qui menacent le poste. Ampasipolaka est dans la même situation. Les derniers renseignements me font connaître que Ranomainty est passablement agité ».

Sans que Fort-Dauphin ait été attaqué, la population de la ville remuait. Des rassemblements indigènes circulaient dans les environs, hurlant, brandissant des sagaies. L’indiscipline se manifestait dans la ville même où le commandant Leblanc n’avait pas su acquérir d’autorité ; des vols nombreux, l’incendie d’une maison faisaient sentir la rébellion latente.

Le commandant Leblanc entassa dans le vieux rowa construit par de Flacourt au xviiie siècle, — véritable forteresse aux murs cyclopéens —, toute la population blanche ou créole et la garnison. Une soixantaine de femmes furent cantonnées dans un vieux magasin, pêle-mêle, religieuses et diaconesses des missions, femmes blanches d’administrateurs, d’officiers et sous-officiers, Réunionnaises et Mauriciennes plus ou moins teintées.

Et jamais Fort-Dauphin ne fut attaqué. Le 17 décembre le capitaine Grammont, le 19, le lieutenant Verrier dirigèrent des reconnaissances qui ne rencontrèrent aucun ennemi, n’eurent pas à employer leurs armes. Les rebelles, véritablement bien peu terribles, élargirent le cercle autour de la place, puis se retirèrent, soit vers Soanirana et Manambaro qu’ils achevèrent de piller, soit dans la vallée du Fanjahira, où dominait le chef Rabefanakika.

Fort-Dauphin passait toujours pour assiégé…

Sans avoir une connaissance exacte de cette situation, mais alarmé, autant par les premiers télégrammes venus de Fort-Dauphin que par une intuition de ce qui pouvait se passer dans un territoire sous les ordres du commandant Leblanc, le gouvernement général avait adressé au commandant Vache, de Farafangana, l’ordre rapporté plus haut, de voler au secours de Manantenina et au besoin de Fort-Dauphin.

Un détachement commandé par le capitaine Fleuriot de Langle, qui était parti vers le sud par Midongy, recevait l’ordre de se porter le plus rapidement possible sur Fort-Dauphin.

Le 21 décembre, ce détachement s’engageait violemment avec un fort rassemblement d’insurgés. Ils avaient été chassés d’Anosivé par le commandant Vache et étaient remontés vers le nord. Trente insurgés, dont 9 vêtus en miliciens, restèrent sur le terrain. Du côté français, un caporal et un tirailleur furent blessés.

À ce moment le capitaine Fleuriot de l’Angle reçut du commandant Leblanc, de Fort-Dauphin, des renseignements lui annonçant que Casalonga était assiégé dans l’Église d’Ampasimena. Il s’y rendit en hâte, mais il n’y trouva que les ruines de la mission et de l’Église ; Casalonga et sa troupe étaient allés se faire exterminer plus loin.

Fleuriot de Langle entra à Manantenina le 24 décembre, où il trouva « empilés dans le poste, comme sardines dans leur boîte, blancs, jaunes, noirs, tous sous le même toit ».

Désormais la situation allait s’améliorer rapidement.

Le 20 décembre arrivait à Fort-Dauphin le paquebot Corsica, venant de Majunga et amenant deux compagnies sénégalaises comptant ensemble trois cent treize hommes. Le jour suivant, le matériel était débarqué et, la sécurité revenue, les réfugiés du rowa évacués. Les différents services reprenaient place dans leurs locaux habituels. Des détachements étaient formés, une colonne volante constituée (capitaine Grammont). Cette colonne comprenait l’effectif destiné à reconstituer le poste de Ranomafana, deux sous-officiers européens, quarante tirailleurs sous les ordres du lieutenant Garenne et une compagnie sénégalaise comptant cent soixante-huit tirailleurs, plus vingt et un tirailleurs malgaches commandés par le capitaine Gressard, les lieutenants Lefranc et Bournique. Soixante-cinq Sénégalais commandés par le lieutenant Lemoigne étaient maintenus à Fort-Dauphin, où ils assureraient la sécurité du chef-lieu et de ses environs, en opérant dans un rayon restreint. Cette troupe était une réserve susceptible, si le besoin s’en présentait, de renforcer d’autres groupements.

Enfin le capitaine Jenot, emmenant les comptables, les employés, était dirigé sur Behara avec cinquante tirailleurs sénégalais et cinq malgaches. Ce détachement mettrait Behara et Ampasipolaka à l’abri des insultes des insurgés.

D’autre part, le commandant de Tsiombé, capitaine Gremillet, avait reçu de la région Mahafaly un renfort de quarante Sénégalais avec lesquels il patrouillait dans l’Ouest du cercle.

Le capitaine Grammont devait marcher sur Ranomafana, Manantenina, Amparihy, pacifier la région, rétablir le poste de Ranomafana où la fraction Garenne tiendrait garnison.

Une goëlette, remorquée par le paquebot Pernambuco, arriva le 26 à Fort-Dauphin, amenant le capitaine Vacher (dont la destination était Tsivory), le sous-lieutenant Boulay, quatre sergents d’infanterie coloniale, une pièce de canon. La goëlette reprit la mer le 25, emportant soixante jours de vivres, pour le ravitaillement de la colonne volante, et des instructions pour le capitaine Fleuriot de l’Angle. Après avoir visité Ampasimena, ce dernier devait attendre la colonne Grammont.

La colonne volante fut divisée en deux détachements. Le premier détachement comprenait le 1er peloton de la 12e compagnie sénégalaise (lieutenant Lefranc) auquel furent joints quarante-trois fusils de la 6e compagnie malgache. Il marchait sous les ordres directs du capitaine Grammont, et comptait cent vingt fusils avec un convoi de soixante porteurs. Il partit de Fort-Dauphin le 23 décembre à 9 heures du matin.

Un deuxième détachement, (capitaine Gressard) fut constitué par le 2e peloton de la 12e compagnie sénégalaise et vingt-trois tirailleurs de la 6e. Il quitta Fort-Dauphin le 24 décembre à 14 h. 30 : cent cinq fusils, cent douze porteurs.

L’ensemble de ces deux troupes, sous le commandement du capitaine Grammont, formait la « colonne volante de Manantenina ». L’objectif était le dégagement de Manantenina, et du lieutenant Barbassat assiégé.

Ainsi, la troupe Grammont, divisée en ces deux groupes, remonte les deux rives de la Fanjahira, grossie par les pluies. Le passage fut difficile pour le détachement ayant suivi la rive gauche. Au soir, les deux groupes se réunissent à Ifosantsa, après avoir vu quelques rebelles, qui prennent la fuite sitôt aperçus et dont deux sont tués.

Le 24 et 25 décembre, les troupes souffrent de la pluie torrentielle, traversent avec difficultés les cours d’eau débordés, les régions inondées. De loin en loin on aperçoit des troupes d’indigènes, qui fuient devant la colonne, poussant leurs bœufs vers les hauteurs boisées. On fait un prisonnier, on prend quelques bœufs, les feux de salve laissent cinq ou six indigènes sur le terrain.

Le 26, au col de Magasoha, la troupe rencontre une certaine résistance. Le chef Rabefanatrica occupe une pente du col : un sergent européen et deux tirailleurs sont blessés par des sagaies et les quartiers de roche qui roulent des sommets occupés par les indigènes. Des balles de fusils Lebel et Gras, tirées sur la troupe française, n’atteignent personne : les fahavalos s’enfuient en abandonnant trois cadavres.

Le lendemain la colonne, au passage du Montyfily, est attaquée par un groupe d’insurgés. Quelques feux de salve les mettent en fuite ; ils laissent sur place six tués et trois blessés.

Le 28 décembre, le détachement Grammont arrivait à Ranomafana, sur l’emplacement du poste détruit. Le 29, il était rejoint par le groupe du capitaine Gressard.

Du 1er au 29 janvier la colonne Grammont poussa de nombreuses reconnaissances autour de Renomafana ; elle reconstruisait le poste. Le 29 janvier, le capitaine Grammont se porta sur Tantsara, où était signalés quelques rebelles. Il y trouva une reconnaissance partie de Fort-Dauphin, commandée par le lieutenant Verrier. Cet officier avait, la veille, surpris dans la forêt voisine un fort campement de rebelles. Sans subir aucune perte, la reconnaissance Verrier avait tué douze fahavalos : les survivants s’étaient dispersés.

Le 4 janvier, pendant que le gros de la troupe reconstruisait le blockhaus de Ranomafana, vingt tirailleurs, sous les ordres du sergent Pontramont, escortaient dans la forêt une centaine de bourjanes, chargés de récolter des bois de construction. Tout à coup Pontramont fut attaqué par plus de deux cents insurgés ; sa petite troupe engagea une lutte corps à corps, pendant que les bourjanes s’enfuyaient en désordre. Le lieutenant Lefranc sortit du poste au bruit de la fusillade avec trente soldats, dégagea Pontramont ; les fahavalos s’enfuirent laissant onze cadavres et six prisonniers. Les Français eurent un seul blessé, d’un coup de sagaie reçu à la main. Il fallut disperser des renforts amenés aux insurgés par Mahavelo, les poursuivre par des feux de salve tirés de cent mètres en cent mètres. L’engagement dura de 10 h. 30 à 14 heures ; les rebelles avaient eu trente-deux morts.

De nombreuses soumissions furent reçues pendant le mois de janvier. Toutefois, les chefs des rebelles du Manambolo, du Mandrare, ceux qui avaient déterminé la révolte des gens de Ranomafana, de Manantenina, d’Esira, n’avaient pas désarmé. Mahavelo, l’âme des premiers mouvements insurrectionnels, Reheva, chef d’Antoloka, armurier des révoltés, Rainhina, Lehimbala, Andrianjoany, étaient campés à Vohimasy à la tête d’une troupe nombreuse, dans une position élevée et fortifiée. Ils possédaient dix fusils à tir rapide et une trentaine de fusils à pierre.

Un émissaire, ami de Reheva et Rainhina, entra en pourparlers avec les insurgés ; ils répondirent : « Nous ne voulons pas payer l’impôt, ni faire de corvées, ni travailler sur les routes. Nous méprisons les Français et sommes plus forts qu’eux ».

Le capitaine Grammont se décida à attaquer le repaire de Vohimasy. Une première colonne, commandée par le lieutenant Lefranc, se heurta, le 14 février au matin, à une position extrêmement forte. Les rebelles étaient retranchés sur un mamelon rocheux, auquel on n’accédait que par une étroite crête. L’accès de la plateforme occupée par les insurgés était défendu par un large fossé et une solide palissade. De 5 heures du matin à 16 heures, le lieutenant Lefranc tâta successivement tous les abords du repaire, sans pouvoir trouver le moyen d’y pénétrer. Blessé dès le début de l’action, avec un courage, une ténacité admirables, il maintint sa troupe aux abords du mamelon, se cramponna au terrain, sous un feu violent dès qu’un tirailleur se montrait, jusqu’au moment où, avec le capitaine Grammont, arriva une colonne de secours : cinquante tirailleurs, dix partisans suivis d’un convoi de vivres et de munitions.

L’adjudant Pouxviel réussit à pénétrer dans le repaire, dont les occupants s’enfuirent à la vue de nouveaux assaillants. Il était 6 heures du soir. Le lendemain les défenses furent détruites, soixante bœufs furent pris dans le campement rebelle, ainsi qu’un fusil 74, des cartouches, des vivres, — notamment du riz, des outils de forgeron et deux vieilles femmes. Nous avions eu un tirailleur tué, un autre blessé grièvement. Les insurgés avaient perdu des tués, parmi lesquels le fils de Reheva, et dix à quinze blessés, entre autres les chefs Rainhina et Tsiranoha.

Le 16 janvier, le capitaine Grammont quittait le poste de Ranomafana reconstitué et y laissait un adjudant à la tête de quarante-cinq tirailleurs ; il projetait de rejoindre le commandant Vache vers Amdriambe, où de nombreux fahavalos étaient, croyait-on, rassemblés.

Le 21 janvier, le capitaine Grammont opérait sa jonction, à Amdriambé, avec le commandant Vache. Sur la route, il n’avait trouvé aucune résistance et reçu de nombreuses soumissions de villages de la région insurgée. La marche avait été laborieuse, pénible, retardée par la pluie incessante et la traversée difficile des rivières. Un coup de fusil unique avait été tiré sur la troupe à Ampasimena. D’Amdriambé la colonne Grammont se dirigea sur Manantenina où elle arriva le 22 janvier et séjourna jusqu’au 29. Le 27 une reconnaissance se porta sur Ampasimena et Tavitsora, où les émissaires signalaient une concentration des rebelles. Mais à Tavitsora aucun rebelle ne fut rencontré. Une reconnaissance rapporta que Mahavelo, chassé de Vohimasy, avait rassemblé ses partisans à l’est de cette position. Il y fut attaqué le 18 février par l’adjudant Pouxviel, à la tête de quarante-cinq tirailleurs. À 12 h. 30, le campement de Mahavelo est surpris ; les occupants s’enfuient après avoir tiré une dizaine de coups de fusil, abandonnent cinq cadavres, dont celui du chef Rehaivo, et cinq prisonniers, dix femmes, onze enfants, deux fusils, des sagaies, une grande quantité de riz en paille.

Les jours suivants de nombreux indigènes viennent faire leur soumission à Ranomafana, restituent des objets pillés et quarante-cinq bœufs pris à la concession l’Émeraude.

Le 24 février une section traverse le Mandraré et va dans la vallée de Revara recueillir les squelettes de Casalonga et de ses tirailleurs. Quatre squelettes de tirailleurs et celui du sergent sont retrouvés dans une fissure de rocher ; trois autres gisent sur un petit mamelon à l’ouest : ce sont ceux des derniers survivants. Casalonga, dans sa marche jusqu’à Ankazoaka, point où il trouva la mort, avait donc perdu un seul de ses tirailleurs.

Les soumissions se précipitent. Dans la région ne demeurait insurgé qu’un groupe d’indigènes entre Ranomafana et Esira, celui au sein duquel avait débuté l’insurrection, à l’appel de Mahavelo et Resobiry.

Le capitaine Grammont établit un poste sur un mamelon à l’ouest de Tsifahira, afin de surveiller le Mandraré supérieur. Ce poste, à la limite de la forêt, était entouré de rebelles agressifs. Mahavelo fit annoncer sa décision d’attaquer. Le 2 mars, à minuit, il exécuta sa menace ; une vive fusillade fut dirigée sur le poste. Le lieutenant Lefranc y répondit par des feux de salve et vingt minutes après, l’attaque cessa. Mais à 15 heures, nouvelle alerte. Une balle blesse grièvement à l’épaule une sentinelle. On riposte. L’ennemi se retire.

Esira est occupé par le capitaine Bieau, qui reçoit les soumissions des gens de Fiela. Les opérations militaires dans ce secteur sont terminées le 10 mars.

Le chef Regaki, chassé de Fort-Dauphin, s’est établi, suivi par un millier d’indigènes, au confluent de la Mandratsara et de l’Isoanala.

Il fut décidé qu’avant d’essayer de disperser ce dernier rassemblement, on reconnaîtrait son importance et sa position. Des reconnaissances devaient partir à cet effet de Betroky et de Benenitra. En effet, le 12 mars 1905, deux reconnaissances étaient sorties du poste de Benenitra pour visiter la vallée de l’Hazofotsy.

Ces deux reconnaissances se rejoignirent au village d’Ikoloky, abandonné par ses habitants ; elles remontèrent la rive gauche de l’Hazofotsy et se heurtèrent à des rebelles retranchés derrière des rochers. Le soldat Clauss fut tué en tête de l’avant-garde ; le tirailleur Rapapaha, voulant enlever le corps de Clauss fut blessé : le sergent Mornet, quittant le gros de la reconnaissance, s’avance alors pour emporter le cadavre de Clauss ; il est blessé mortellement. Ces morts rendent les tirailleurs hésitants : le sergent Zuber, qui a pris le commandement, rétrograde, ramène la troupe à Isoanala-Ambany. Il a abandonné le corps de Clause, deux mousquetons, cinquante cartouches.

Zuber ne rencontra pas, en raison de la rapidité de sa retraite, la reconnaissance partie de Betroky.

  1. Tsimandoo, porteur de dépêches.
  2. Sorte de bêche.