Esprit des lois (1777)/D11

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Première partie
Défense de l’esprit des lois I
Première objection
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I.


Quoique l’esprit des lois soit un ouvrage de pure politique & de pure jurisprudence, l’auteur a eu souvent occasion d’y parler de la religion chrétienne : il l’a fait de maniere à en faire sentir toute la grandeur ; & s’il n’a pas eu pour objet de travailler à la faire croire, il a cherché à la faire aimer.

Cependant, dans deux feuilles périodiques[1] qui ont paru coup sur coup, on lui a fait les plus affreuses imputations. Il ne s’agit pas moins que de savoir s’il est spinosiste & déiste ; & quoique ces deux accusations soient pas elles-mêmes contradictoires, on le mene sans cesse de l’une à l’autre. Toutes les deux étant incompatibles, ne peuvent pas le rendre plus coupable qu’une seule, mais toutes les deux peuvent le rendre plus odieux.

Il est donc spinosiste, lui qui, dès le premier article de son livre, a distingué le monde matériel d’avec les intelligences spirituelles.

Il est donc spinosiste, lui qui, dans le second article, a attaqué l’athéisme. Ceux qui ont dit qu’une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité : car, quelle plus grande absurdité, qu’une fatalité aveugle qui a produit des êtres intelligens ?

Il est donc spinosiste, lui qui a continué par ces paroles : Dieu a du rapport à l’univers comme créateur & comme conservateur[2] : les lois selon lesquelles il a créé, sont celles selon lesquelles il conserve. Il agit selon ces regles, parce qu’il les connoît ; il les connoît, parce qu’il les a faites ; il les a faites, parce qu’elles ont du rapport avec sa sagesse & sa puissance.

Il est donc spinosiste, lui qui a ajouté : Comme nous voyons que le monde[3] formé par le mouvement de la matiere, & privé d’intelligence, subsiste toujours, &c.

Il est donc spinosiste, lui qui a démontré[4] contre Hobbes & Spinosa, que les rapports de justice & d’équité étoient antérieurs à toutes les lois positives.

Il est donc spinosiste, lui qui a dit, au commencement du chapitre second : Cette loi qui, en imprimant dans nous-même l’idée d’un créateur, nous porte vers lui, est la premiere des lois naturelles par son importance.

Il est donc spinosiste, lui qui a combattu de toutes ses forces le paradoxe de Bayle, qu’il vaut mieux être athée qu’idolâtre ? Paradoxe dont les athées tireroient les plus dangereuses conséquences.

Que dit-on, après des passages si formels ? Et l’équité naturelle demande que le degré de preuve soit proportionné à la grandeur de l’accusation.


  1. L’une du 9 octobre 1749, l’autre du 16 du même mois.
  2. Livre I, chap.I.
  3. Ibid.
  4. Ibid.