Esprit des lois (1777)/D11/1

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I
Défense de l’esprit des lois I
Seconde objection
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Première objection.


L’auteur tombe dès le premier pas. Les lois, dans la signification la plus étendue, dit-il, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. Les lois des rapports ! cela se conçoit-il ? … Cependant l’auteur n’a pas changé la définition ordinaire des lois sans dessein. Quel est donc sont but ? le voici. Selon le nouveau systême, il y a entre tous les êtres qui forment ce que Pope appelle le grand tout, un enchaînement si nécessaire, que le moindre dérangement porteroit la confusion jusqu’au trône du premier être. C’est ce qui fait dire à Pope, que les choses n’ont pu être autrement qu’elles ne sont, & que tout est bien comme il est dit. Cela posé, on entend la signification de ce langage nouveau, que les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. À quoi l’on ajoute que, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois ; la divinité a ses lois ; le monde matériel a ses lois ; les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois ; les bêtes ont leurs lois ; l’homme a ses lois.


Réponse.


Les tenebres mêmes ne sont pas plus obscures que ceci. Le critique a oui dire, que Spinosa admettoit un principe aveugle & nécessaire qui gouvernoit l’univers ; il ne lui en faut pas davantage : dès qu’il trouvera le mot nécessaire, ce sera du spinosisme. L’auteur a dit que les lois étoient un rapport nécessaire ; voilà donc du spinosisme, parce que voilà du nécessaire. Et ce qu’il y a de surprenant, c’est que l’auteur, chez le critique, se trouve spinosiste à cause de cet article, quoique cet article combatte expressément les systêmes dangereux. L’auteur a eu en vue d’attaquer le systême de Hobbes ; systême terrible qui, faisant dépendre toutes les vertus & tous les vices de l’établissement des lois que les hommes se sont faites ; & voulant prouver que les hommes naissent tous en état de guerre, & que la premiere loi naturelle est la guerre de tous contre tous, renverse, comme Spinosa, & tout religion & toute morale. Sur cela, l’auteur a établi, premiérement, qu’il y avoit des lois de justice & d’équité avant l’établissement des lois positives : il a prouvé que tous les êtres avoient des lois ; que, même avant leur création, ils avoient des lois possibles ; que Dieu lui-même avoit des lois, c’est-à-dire, les lois qu’il s’étoit faites. Il a démontré[1], qu’il étoit faux que les hommes naquissent en état de guerre ; il a fait voir que l’état de guerre n’avoit commencé qu’après l’établissement des sociétés ; il a donné là-dessus des principes clairs. Mais il en résulte toujours que l’auteur a attaqué les erreurs de Hobbes, & les conséquences de celles de Spinosa ; & qu’il lui est arrivé qu’on l’a si peu entendu, que l’on n’a pris pour des opinions de Spinosa les objections qu’il fait contre le spinosisme. Avant d’entrer en dispute, il faudroit commencer par se mettre au fait de l’état de la question ; & savoir du moins si celui qu’on attaque est ami ou ennemi.


  1. Livre I, chap. II.