Esprit des lois (1777)/L10/C4

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CHAPITRE IV.

Quelques avantages du peuple conquis.


Au lieu de tirer du droit de conquête des conséquences si fatales, les politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce droit peut quelquefois apporter au peuple vaincu. Ils les auroient mieux sentis, si notre droit des gens étoit exactement suivi, & s’il étoit établi dans toute la terre.

Les états que l’on conquiert ne sont pas ordinairement dans la force de leur institution. La corruption s’y est introduite ; les lois y ont cessé d’être exécutées ; le gouvernement est devenu oppresseur. Qui peut douter qu’un état pareil ne gagnât & ne tirât quelques avantages de la conquête même, si elle n’étoit pas destructrice ? Un gouvernement parvenu au point où il ne peut plus se réformer lui-même, que perdroit-il à être refondu ? Un conquérant qui entre chez un peuple, où par mille ruses & mille artifices, le riche s’est insensiblement pratiqué une infinité de moyens d’usurper ; où le malheureux qui gémit, voyant ce qu’il croyoit des abus, devenir des lois, est dans l’oppression, & croit avoir tort de la sentir ; un conquérant, dis-je, peut dérouter tout, & la tyrannie sourde est la premiere chose qui souffre la violence.

On a vu par exemple, des états opprimés par les traitans, être soulagés par le conquérant, qui n’avoit ni les engagemens ni les besoins qu’avoit le prince légitime. Les abus se trouvoient corrigés, sans même que le conquérant les corrigeât.

Quelquefois la frugalité de la nation conquérante, l’a mise en état de laisser aux vaincus le nécessaire, qui leur étoit ôté sous le prince légitime.

Une conquête peut détruire les préjugés jugés nuisibles ; & mettre, si j’ose parler ainsi, une nation sous un meilleur génie.

Quel bien les Espagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Mexicains ? Ils avoient à leur donner une religion douce ; ils leur apporterent une superstition furieuse. Ils auroient pu rendre libres les esclaves, & ils rendirent esclaves les hommes libres. Ils pouvoient les éclairer sur l’abus des sacrifices humains ; au lieu de cela, ils les exterminerent. Je n’aurois jamais fini, si je voulois raconter tous les biens qu’ils ne firent pas, & tous les maux qu’ils firent.

C’est à un conquérant à réparer une partie des maux qu’il a faits. Je définis ainsi le droit de conquête ; un droit nécessaire, légitime & malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense, pour s’acquitter envers la nature humaine.