Esprit des lois (1777)/L11/C12
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Du gouvernement des Rois de Rome, & comment les trois pouvoirs y furent distribués.
Le gouvernement des rois de Rome avoit quelque rapport à celui des rois des temps héroïques chez les Grecs. Il tomba comme les autres par son vice général ; quoiqu’en lui-même, & dans sa nature particuliere, il fût très-bon.
Pour faire connoître ce gouvernement, je distinguerai celui des cinq premiers rois, celui de Servius Tullius, & celui de Tarquin.
La couronne étoit élective ; & sous les cinq premiers rois, le sénat eut la plus grande part à l’élection.
Après la mort du roi, le sénat examinoit si l’on garderoit la forme du gouvernement qui étoit établie. S’il jugeoit à propos de la garder, il nommoit un magistrat[1], tiré de son corps, qui élisoit un roi ; le sénat devoit approuver l’élection ; le peuple, la confirmer ; les auspices, la garantir. Si une de ces trois conditions manquoit, il falloit faire une autre élection.
La constitution étoit monarchique, aristocratique & populaire ; & telle fut l’harmonie du pouvoir, qu’on ne vit ni jalousie, ni dispute, dans les premiers regnes. Le roi commandoit les armées, & avoit l’intendance des sacrifices ; il avoit la puissance de juger les affaires civiles[2] & criminelles[3] ; il convoquoit le sénat ; il assembloit le peuple ; il lui portoit de certaines affaires, & régloit les autres avec le sénat[4].
Le sénat avoit une grande autorité. Les rois prenoient souvent des sénateurs pour juger avec eux ; ils ne portoient point d’affaires au peuple, qu’elles n’eussent été délibérées[5] dans le sénat.
Le peuple avoit le droit d’élire[6] les magistrats, de consentir aux nouvelles lois ; & lorsque le roi le permettoit, celui de déclarer la guerre & de faire la paix. Il n’avoit point la puissance de juger. Quand Tullus Hostilius renvoya le jugement d’Horace au peuple, il eut des raisons particulieres, que l’on trouve dans Denys d’Halicarnasse[7].
La constitution changea sous[8] Servius Tullius. Le sénat n’eut point de part à son élection ; il se fit proclamer par le peuple. Il se dépouilla des jugemens[9] civils, & ne se réserva que les criminels ; il porta directement au peuple toutes les affaires ; il le soulagea des taxes, & en mit tout le fardeau sur les patriciens. Ainsi à mesure qu’il affoiblissoit la puissance royale & l’autorité du sénat, il augmentoit le pouvoir du peuple[10].
Tarquin ne se fit élire ni par le sénat ni par le peuple ; il regarda Servius Tullius comme un usurpateur, & prit la couronne comme un droit héréditaire ; il extermina la plupart des sénateurs ; il ne consulta plus ceux qui restoient, il ne les appela pas même à ses jugemens[11]. Sa puissance augmenta ; mais ce qu’il y avoit d’odieux dans cette puissance, devint plus odieux encore : il usurpa le pouvoir du peuple ; il fit des lois sans lui ; il en fit même contre lui[12]. Il auroit réuni les trois pouvoirs dans sa personne ; mais le peuple se souvint un moment qu’il étoit législateur, & Tarquin ne fut plus.
- ↑ Denys d’Halicarnasse, liv. II, pag. 120 ; & liv. IV, pag. 242 & 243.
- ↑ Voyez le discours de Tanaquil, dans Tite-Live, liv. I, premiere décade ; & le réglement de Servius Tullius, dans Denys d’Halicarnasse, liv. IV, p. 229
- ↑ Voyez Denys d’Halicarnasse, liv. II, p. 118 ; & liv. III, pag. 171.
- ↑ Ce fut par un sénatus-consulte, que Tullus Hostilius envoya détruire Albe ; Denys d’Halicarnasse, liv. III, pag. 167 & 172.
- ↑ Ibid. liv. IV, p. 276.
- ↑ Ibid. liv. II. Il falloit pourtant qu’il ne nommât pas à toutes les charges, puisque Valcrius Publicola fit la fameuse loi, qui défendoit à tout citoyen d’exercer aucun emploi, s’il ne l’avoit obtenu par le suffrage du peuple.
- ↑ Livre III, p. 159.
- ↑ Livre IV.
- ↑ Il se priva de la moitié de la puissance royale, dit Denys d’Halicarnasse, liv. IV, pag. 229.
- ↑ On croyoit que, s’il n’avoit pas été prévenu par Tarquin, il auroit établi le gouvernement populaire ; Denys d’Halicarnasse, liv. IV, p. 243.
- ↑ Livre IV.
- ↑ Ibid.