Esprit des lois (1777)/L19/C2

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CHAPITRE II.

Combien, pour les meilleures lois, il est nécessaire que les esprits soient préparés.


Rien ne parut plus insupportable aux Germains[1] que le tribunal de Varus. Celui que Justinien érigea[2] chez les Laziens, pour faire le procès au meurtrier de leur Roi, leur parut une chose horrible & barbare. Mithridate[3] haranguant contre les Romains, leur reproche sur-tout les formalités[4] de leur justice. Les Parthes ne purent supporter ce Roi, qui ayant été élevé à Rome, se rendit affable[5] & accessible à tout le monde. La liberté même a paru insupportable à des peuples qui n’étoient pas accoutumés à en jouir. C’est ainsi qu’un air pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans des pays marécageux.

Un Vénitien nommé Baldi, étant au[6] Pégu, fut introduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu’il n’y avoit point de roi à Venise, il fit un si grand éclat de rire, qu’une toux le prit, & qu’il eut beaucoup de peine à parler à ses courtisans. Quel est le législateur qui pourroit proposer le gouvernement populaire à des peuples pareils ?


  1. Ils coupoient la langue aux avocats, & disoient : Vipere, cesse de siffler. Tacite.
  2. Agathias, liv. IV.
  3. Justin, liv. XXXVIII.
  4. Columnias litium. Ibid.
  5. Prompti aditus, nova comitas, ingnotæ Parthis virtutes, nova vitia. Tacite.
  6. Il en a fait la description en 1596. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, Tom. III. part. I. p. 33.