Esprit des lois (1777)/L20/C2

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CHAPITRE II.

De l’esprit du Commerce.


L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble, se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; & toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.

Mais si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays[1] où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, & de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.

L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, & de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, & qu’on peut les négliger pour ceux des autres.

La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manieres d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines vertus morales : par exemple, l’hospitalité, très-rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands.

C’est un sacrilege chez les Germains, dit Tacite, de fermer sa maison a quelqu’homme que ce soit, connu ou inconnu. Celui qui a exercé[2] l’hospitalité envers un étranger, va lui montrer une autre maison où on l’exerce encore, & il y est reçu avec la même humanité. Mais lorsque les Germains eurent fondé des royaumes, l’hospitalité leur devint à charge. Cela paroît par deux lois du code[3] des Bourguignons, dont l’une inflige une peine à tout barbare qui iroit montrer à un étranger la maison d’un Romain ; & l’autre regle que celui qui recevra un étranger, sera dédommagé par les habitans, chacun pour sa quote-part.


  1. La Hollande.
  2. Et qui modò hospes suerat, moastrator hospitti. De morib. Germ. Voyez aussi César, Guerres des Gaules, liv. VI.
  3. Tit. 38.