Esprit des lois (1777)/L21/C17

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CHAPITRE XVII.

Du commerce, après la destruction des Romains en Occident.


L’empire Romain fut envahi ; & l’un des effets de la calamité générale, fut la destruction du commerce. Les barbares ne le regarderent d’abord que comme un objet de leurs brigandages; & quand ils furent établis, ils ne l’honorerent pas plus que l’agriculture & les autres professions du peuple vaincu.

Bientôt il n’y eut presque plus de commerce en Europe ; la noblesse qui régnoit par-tout, ne s’en mettoit point en peine.

La loi[1] des Wisigoths permettoit aux particuliers d’occuper la moitié du lit des grands fleuves, pourvu que l’autre restât libre pour les filets & pour les bateaux ; il falloit qu’il y eût bien peu de commerce dans les pays qu’ils avoient conquis.

Dans ce temps-là s’établirent les droits insensés d’aubaine & de naufrage : les hommes penserent que les étrangers ne leur étant unis par aucune communication du droit civil, ils ne leur devoient d’un côté aucune sorte de justice, & de l’autre aucune sorte de pitié.

Dans les bornes étroites où se trouvoient les peuples du nord, tout leur étoit étranger : dans leur pauvreté, tout étoit pour eux un objet de richesses. Établis avant leurs conquêtes sur les côtes d’une mer resserrée & pleine d’écueils, ils avoient tiré parti de ces écueils mêmes.

Mais les Romains qui faisoient des lois pour tout l’univers, en avoient fait de très-humaines[2] sur les naufrages : ils réprimerent à cet égard les brigandages de ceux qui habitoient les côtes, & ce qui étoit plus encore, la rapacité de leur fisc[3].


  1. Liv. VIII, tit. 4. §. 9.
  2. Toto titulo, ff. de incend. ruin. naufrag. & cod. de naufragiis ; & leg. III, ff. de leg. Comel. de sicariis.
  3. Leg. I, cod. de naufragiis.