Esprit des lois (1777)/L26/C2

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CHAPITRE II.

Des lois divines & des lois humaines.


On ne doit point statuer par les lois divines ce qui doit l’être par les lois humaines, ni régler par les lois humaines ce qui doit l’être par les lois divines.

Ces deux sortes de lois different par leur origine, par leur objet, & par leur nature.

Tout le monde convient bien que les lois humaines sont d’une autre nature que les lois de la religion, & c’est un grand principe : mais ce principe lui-même est soumis à d’autres, qu’il faut chercher.

I°. La nature des lois humaines est d’être soumise à tous les accidens qui arrivent, & de varier à mesure que les volontés des hommes changent : au contraire, la nature des lois de la religion est de ne varier jamais. Les lois humaines statuent sur le bien ; la religion sur le meilleur. Le bien peut avoir un autre objet, parce qu’il y a plusieurs biens ; mais le meilleur n’est qu’un, il ne peut donc pas changer. On peut bien changer les lois, parce qu’elles ne sont censées qu’être bonnes : mais les institutions de la religion sont toujours supposées être les meilleures.

2°. Il y a des états où les lois ne sont rien, ou ne sont qu’une volonté capricieuse & transitoire du souverain. Si, dans ces états, les lois de la religion étoient de la nature des lois humaines, les lois de la religion ne seroient rien non plus : il est pourtant nécessaire à la société qu’il y ait quelque chose de fixe ; & c’est cette religion qui est quelque chose de fixe.

3°. La force principale de la religion vient de ce qu’on la croit ; la force des lois humaines vient de ce qu’on les craint. L’antiquité convient à la religion, parce que souvent nous croyons plus les choses à mesure qu’elles sont plus reculées : car nous n’avons pas dans la tête des idées accessoires tirées de ces temps-là, qui puissent les contredire. Les lois humaines au contraire, tirent avantage de leur nouveauté, qui annonce une attention particuliere & actuelle du législateur, pour les faire observer.