Esprit des lois (1777)/L26/C3

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CHAPITRE III.

Des lois civiles qui sont contraires à la loi naturelle.


Si un esclave, dit Platon[1], se défend & tue un homme libre, il doit être traité comme un parricide. Voilà une loi civile qui punit la défense naturelle.

La loi qui, sous Henri VIII, condamnoit un homme sans que les témoins lui eussent été confrontés, étoit contraire à la défense naturelle : en effet, pour qu’on puisse condamner, il faut bien que les témoins sachent que l’homme contre qui ils déposent, est celui que l’on accuse, & que celui-ci puisse dire, ce n’est pas moi dont vous parlez.

La loi passée sous le même regne, qui condamnoit toute fille qui, ayant eu un mauvais commerce avec quelqu’un, ne le déclareroit point au roi, avant de l’épouser, violoit la défense de la pudeur naturelle : il est aussi déraisonnable d’exiger d’une fille qu’elle fasse cette déclaration, que de demander d’un homme qu’il ne cherche pas à défendre sa vie.

La loi de Henri II, qui condamne à mort une fille dont l’enfant a péri, en cas qu’elle n’ait point déclaré au magistrat sa grossesse, n’est pas moins contraire à la défense naturelle. Il suffisoit de l’obliger d’en instruire une de ses plus proches parentes, qui veillât à la conservation de l’enfant.

Quel autre aveu pourroit-elle faire, dans ce supplice de la pudeur naturelle ? L’éducation a augmenté en elle l’idée de la conservation de cette pudeur ; & à peine dans ces momens est-il resté en elle une idée de la perte de la vie.

On a beaucoup parlé d’une loi d’Angleterre[2], qui permettoit à une fille de sept ans de se choisir un mari. Cette loi étoit révoltante de deux manieres : elle n’avoit aucun égard au temps de la maturité que la nature a donné à l’esprit, ni au temps de la maturité qu’elle a donné au corps.

Un pere pouvoit, chez les Romains, obliger sa fille à répudier[3] son mari, quoiqu’il eût lui-même consenti au mariage. Mais il est contre la nature que le divorce soit mis entre les mains d’un tiers.

Si le divorce est conforme à la nature, il ne l’est que lorsque les deux parties, ou au moins une d’elles, y consentent ; & lorsque ni l’une ni l’autre n’y consentent, c’est un monstre que le divorce. Enfin la faculté du divorce ne peut être donnée qu’à ceux qui ont les incommodités du mariage, & qui sentent le moment où ils ont intérêt de les faire cesser.


  1. Liv. IX, des lois.
  2. M. Bayle, dans sa critique de l’histoire du Calvinisme, parle de cette loi, p. 293.
  3. Voyez la loi V, au code de repudiis & judicio de moribus sublato.