Esprit des lois (1777)/L27/C1

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LIVRE XXVII.




CHAPITRE UNIQUE.

De l’origine & des révolutions des lois des Romains sur les successions.


Cette matiere tient à des établissemens d’une antiquité très reculée ; & pour la pénétrer à fond, qu’il me soit permis de chercher dans les premieres lois des Romains ce que je ne sache pas que l’on y ait vu jusqu’ici.

On sait que Romulus[1] partagea les terres de son petit état à ses citoyens ; il me semble que c’est de-là que dérivent les lois de Rome sur les successions.

La loi de la division des terres demanda que les biens d’une famille ne passassent pas dans une autre : de-là il suivit qu’il n’y eut que deux ordres d’héritiers établis par la loi[2] ; les enfans & tous les descendans qui vivoient sous la puissance du pere, qu’on appella héritier-siens ; & à leur défaut, les plus proches parens par mâles, qu’on appella agnats.

Il suivit encore que les parens par femmes, qu’on appella cognats, ne devoient point succéder ; ils auroient transporté les biens dans une autre famille ; & cela fut ainsi établi.

Il suivit encore de-là que les enfans ne devoient point succéder à leur mere, ni la mere à ses enfans ; cela auroit porté les biens d’une famille dans une autre. Aussi les voit-on exclus[3] dans la loi des douze tables ; elle n’appeloit à la succession que les agnats, & le fils & la mere ne l’étoient pas entr’eux.

Mais il étoit indifférent que l’héritier-sien, ou à son défaut, le plus proche agnat, fût male lui-même ou femelle ; parce que les parens du côté maternel ne succédant point, quoiqu’une femme héritiere se mariât, les biens rentroient toujours dans la famille dont ils étoient sortis. C’est pour cela que l’on ne distinguoit point dans la loi des douze tables, si la personne[4] qui succédoit étoit mâle ou femelle.

Cela fit que, quoique les petits-enfans par le fils succédassent au grand-pere, les petits-enfans par la fille ne lui succéderent point : car, pour que les biens ne passassent pas dans une autre famille, les agnats leur étoient préférés. Ainsi la fille succéda à son pere, & non pas ses enfans[5].

Ainsi, chez les premiers Romains, les femmes succédoient, lorsque cela s’accordoit avec la loi de la division des terres ; & elles ne succédoient point, lorsque cela pouvoit la choquer.

Telles furent les lois des successions chez les premiers Romains ; & comme elles étoient une dépendance naturelle de la constitution, & qu’elles dérivoient du partage des terres, on voit bien qu’elles n’eurent pas une origine étrangere, & ne furent point du nombre de celles que rapporterent les députés que l’on envoya dans les villes Grecques.

Denys d’Halicarnasse[6] nous dit que Servius Tullius, trouvant les lois de Romulus & de Numa, sur le partage des terres abolies, il les rétablit, & en fit de nouvelles pour donner aux anciennes un nouveau poids. Ainsi on ne peut douter que les lois dont nous venons de parler, faites en conséquence de ce partage, ne soient l’ouvrage de ces trois législateurs de Rome.

L’ordre de succession ayant été établi en conséquence d’une loi politique, un citoyen ne devoit pas le troubler par une volonté particuliere ; c’est-à-dire que, dans les premiers temps de Rome, il ne devoit pas être permis de faire un testament. Cependant il eût été dur qu’on eût été privé dans ses derniers momens, du commerce des bienfaits.

On trouva un moyen de concilier à cet égard les lois avec la volonté des particuliers. Il fut permis de disposer de ses biens dans une assemblée du peuple ; & chaque testament fut en quelque façon un acte de la puissance législative.

La loi des douze tables permit à celui qui faisoit son testament, de choisir pour son héritier le citoyen qu’il vouloit. La raison qui fit que les lois romaines restreignirent si fort le nombre de ceux qui pouvoient succéder ab intestat, fut la loi du partage des terres ; & la raison pourquoi elles étendirent si fort la faculté de tester, fut que le pere pouvant vendre ses enfans[7], il pouvoit à plus forte raison les priver des ses biens. C’étoient donc des effets différens, puisqu’ils couloient de principes divers, & c’est l’esprit des lois Romaines à cet égard.

Les anciennes lois d’Athenes ne permirent point au citoyen de faire de testament. Solon[8] le permit, excepté à ceux qui avoient des enfans : & les législateurs de Rome, pénétrés de l’idée de la puissance paternelle, permirent de tester au préjudice même des enfans. Il faut avouer que les anciennes lois d’Athenes furent plus conséquentes que les lois de Rome. La permission indéfinie de tester, accordée chez les Romains, ruina peu à peu la disposition politique sur le partage des terres ; elle introduisit, plus que toute autre chose, la funeste différence entre les richesses & la pauvreté ; plusieurs partages furent assemblés sur une même tête ; des citoyens eurent trop, une infinité d’autres n’eurent rien. Aussi le peuple, continuellement privé de son partage, demanda-t-il sans cesse une nouvelle distribution des terres. Il la demanda dans le temps où la frugalité, la parcimonie & la pauvreté, faisoient le caractere distinctif des Romains, comme dans les temps où leur luxe fut porté à l’excès.

Les testamens étant proprement une loi faite dans l’assemblée du peuple, ceux qui étoient à l’armée se trouvoient privés de la faculté de tester. Le peuple donna aux soldats le pouvoir[9] de faire devant quelques-uns de leurs compagnons, les dispositions[10] qu’ils auroient faites devant lui.

Les grandes assemblées du peuple ne se faisoient que deux fois l’an ; d’ailleurs le peuple s’étoit augmenté & les affaires aussi ; on jugea qu’il convenoit de permettre à tous les citoyens de faire[11] leur testament devant quelques citoyens Romains puberes, qui représentassent le corps du peuple ; on prit cinq[12] citoyens, devant lesquels l’héritier[13] achetoit du testateur sa famille, c’est-à-dire, son hérédité ; un autre citoyen portoit une balance pour en peser le prix ; car les Romains[14] n’avoient pas encore de monnoie.

Il y a apparence que ces cinq citoyens représentoient les cinq classes du peuple ; & qu’on ne comptoit pas la sixieme, composée de gens qui n’avoient rien.

Il ne faut pas dire, avec Justinien, que ces ventes étoient imaginaires ; elles le devinrent ; mais au commencement elles ne l’étoient pas. La plupart des lois qui réglerent dans la suite des testamens, tirent leur origine de la réalité de ces ventes ; on en trouve bien la preuve dans les Fragmens d’Ulpien[15]. Le sourd, le muet, le prodigue, ne pouvoient faire de testament ; le sourd, parce qu’il ne pouvoit pas entendre les paroles de l’acheteur de la famille ; le muet, parce qu’il ne pouvoit pas prononcer les termes de la nomination : le prodigue, parce que toute gestion d’affaires lui étant interdite, il ne pouvoit pas vendre sa famille. Je passe les autres exemples.

Les testamens se faisant dans l’assemblée du peuple, ils étoient plutôt des actes du droit politique que du droit civil, du droit public plutôt que du droit privé : de-là il suivit que le pere ne pouvoit permettre à son fils qui étoit dans sa puissance, de faire un testament.

Chez la plupart des peuples, les testamens ne sont pas soumis à de plus grandes formalités que les contrats ordinaires, parce que les uns & les autres ne sont que des expressions de la volonté de celui qui contracte, qui appartiennent également au droit privé. Mais chez les Romains, où les testamens dérivoient du droit public, ils eurent de plus grandes formalités[16] que les autres actes ; & cela subsiste encore aujourd’hui dans les pays de France qui se régissent par le droit Romain.

Les testamens étant, comme je l’ai dit, une loi du peuple, ils devoient être faits avec la force du commandement, & par des paroles que l’on appella directes & impératives. De-là il se forma une regle, que l’on ne pourroit donner ni transmettre son hérédité que par des paroles de commandement[17] : d’où il suivit que l’on pouvoit bien, dans de certains cas, faire une substitution[18], & ordonner que l’hérédité passât à un autre héritier ; mais qu’on ne pouvoit jamais faire de fidéicommis[19], c’est-à-dire, charger quelqu’un en forme de priere, de remettre à un autre l’hérédité, ou une partie de l’hérédité.

Lorsque le pere n’instituoit ni exhérédoit son fils, le testament étoit rompu ; mais il étoit valable, quoiqu’il n’exhérédât ni instituât sa fille. J’en vois la raison. Quand il n’instituoit ni exhérédoit son fils, il faisoit tort à son petit-fils, qui auroit succédé ab intestat à son pere ; mais en instituant ni exhéré dans sa fille, il ne faisoit aucun tort aux enfans de sa fille, qui n’auroient point succédé ab intestat à leur mere[20], parce qu’ils n’étoient héritiers siens ni agnats.

Les lois des premiers Romains sur les successions, n’ayant pensé qu’à suivre l’esprit du partage des terres, elles ne restreignirent pas assez les richesses des femmes, & elles laisserent par-là une porte ouverte au luxe, qui est toujours inséparable de ces richesses. Entre la seconde & la troisieme guerre Punique, on commença à sentir le mal ; on fit la loi Voconienne[21] ; & comme de très-grandes considérations la firent taire, qu’il ne nous en reste que peu de monumens, & qu’on n’en a jusqu’ici parlé que d’une maniere très-confuse, je vais l’éclaircir.

Cicéron nous en a conservé un fragment, qui défend d’instituer une femme héritiere[22], soit qu’elle fût mariée, soit qu’elle ne le fût pas.

L’épitome de Tite-Live, où il est parlé de cette loi, n’en dit[23] pas davantage. Il paroît par Cicéron[24] & par S. Augustin[25], que la fille, & même la fille unique, étoient comprises dans la prohibition.

Caton l’ancien[26] contribua de tout son pouvoir à faire recevoir cette loi. Aulugelle cite un fragment[27] de la harangue qu’il fit dans cette occasion. En empêchant les femmes de succéder, il voulut prévenir les causes de luxe ; comme, en prenant la défense de la loi Oppienne, il voulut arrêter le luxe même.

Dans les institutes de Justinien[28] & de Téophile[29], on parle d’un chapitre de la loi Voconienne, qui restreignoit la faculté de léguer. En lisant ces auteurs, il n’y a personne qui ne pense que ce chapitre fut fait pour éviter que la succession ne fût tellement épuisée par des legs, que l’héritier refusât de l’accepter. Mais ce n’étoit point là l’esprit de la loi Voconienne. Nous venons de voir qu’elle avoit pour objet d’empêcher les femmes de recevoir aucune succession. Le chapitre de cette loi qui mettoit des bornes à la faculté de léguer, entroit dans cet objet : car si on avoit pu léguer autant que l’on auroit voulu, les femmes auroient pu recevoir comme legs ce qu’elles ne pouvoient obtenir comme succession.

La loi Voconienne fut faite pour prévenir les trop grandes richesses des femmes. Ce fut donc des successions considérables dont il fallut les priver, & non par ce celles qui ne pouvoient entretenir le luxe. La loi fixoit une certaine somme, qui devoit être donnée aux femmes qu’elles privoit de la succession. Cicéron[30], qui nous apprend ce fait, ne nous dit point quelle étoit cette somme ; mais Dion[31] dit qu’elle étoit de cent mille sesterces.

La loi Voconienne étoit faite pour régler les richesses, & non pas pour régler la pauvreté : aussi Cicéron nous dit-il[32] qu’elle ne statuoit que sur ceux qui étoient inscrits dans le cens.

Ceci fournit un prétexte pour éluder la loi. On sait que les Romains étoient extrêmement formalistes, & nous avons dit ci-dessus que l’esprit de la république étoit de suivre la lettre de la loi. Il y eut des peres qui ne se firent point inscrire dans le cens, pour pouvoir laisser leur succession à leur fille : & les préteurs jugerent qu’on ne violoit point la loi Voconienne, puisqu’on n’en violoit point la lettre.

Un certain Anius Asellus avoit institué sa fille, unique héritiere. Il le pouvoit, dit Cicéron[33], la loi Voconienne ne l’en empêchoit pas, parce qu’il n’étoit point dans le cens. Verrès, étant prêteur, avoit privé la fille de la succession : Cicéron soutient que Verrès avoit été corrompu, parce que, sans cela, il n’auroit point interverti un ordre que les autres préteurs avoient suivi.

Qu’étoient donc ces citoyens qui n’étoient point dans le cens qui comprenoit tous les citoyens ? Mais, selon l’institution de Servius Tullius, rapportée par Denys d’Halicarnasse[34], tout citoyen qui ne se faisoit point inscrire dans le cens étoit fait esclave : Cicéron lui-même[35] dit qu’un tel homme perdoit la liberté : Zonare dit la même chose. Il falloit donc qu’il y eût de la différence entre n’être point dans le cens selon l’esprit de la loi Voconienne, & n’être point dans le cens selon l’esprit des institutions de Servius Tullius.

Ceux qui ne s’étoient point fait inscrire dans les cinq premieres classes, où l’on étoit placé selon la proportion de ses biens, n’étoient point dans le cens[36] selon l’esprit de la loi Voconienne : ceux qui n’étoient point inscrits dans le nombre des six classes, ou qui n’étoient point mis par les censeurs au nombre de ceux que l’on appelloit ærarii, n’étoient point dans le cens suivant les institutions de Servius Tullius. Telle étoit la force de la nature, que des peres, pour éluder la loi Voconienne, consentoient à souffrir la honte d’être confondus dans la sixieme classe avec les prolétaires & ceux qui étoient taxés pour leur tête, ou peut-être même à être renvoyés dans les tables[37] des Cérites.

Nous avons dit que la jurisprudence des Romains n’admettoit point les fidéicommis. L’espérance d’éluder la loi Voconienne les introduisit : on instituoit un héritier capable de recevoir par la loi, & on le prioit de remettre la succession à une personne que la loi en avoit exclue. Cette nouvelle maniere de disposer eut des effets biens différens. Les uns rendirent l’hérédité ; & l’action de Sexus Peduceus[38] fut remarquable. On lui donna une grande succession ; il n’y avoit personne dans le monde que lui qui sût qu’il étoit prié de la remettre. Il alla trouver la veuve du testateur, & lui donna tout le bien de son mari.

Les autres garderent pour eux la succession ; & l’exemple de P. Sextilius Rufus fut célebre encore, parce que Cicéron[39] l’emploie dans ses disputes contre les Épicuriens. « Dans ma jeunesse, dit-il, je fus prié par Sextilius de l’accompagner chez ses amis, pour savoir d’eux s’il devoit remettre l’hérédité de Quintus Fadius Gallus à Fadia sa fille. Il avoit assemblé plusieurs jeunes gens, avec de très-graves personnages ; & aucun ne fut d’avis qu’il donnât plus à Fadia que ce qu’elle devoit avoir par la loi Voconienne. Sextilius eut là une grande succession, dont il n’auroit pas retenu un sesterce, s’il avoit préféré ce qui étoit juste & honnête à ce qui étoit utile. Je puis croire, ajouta-t-il, que vous auriez rendu l’hérédité ; je puis croire même qu’Épicure l’auroit rendue : mais vous n’auriez pas suivi vos principes. » Je ferai ici quelques réflexions.

C’est un malheur de la condition humaine, que les législateurs soient obligés de faire des lois qui combattent les sentimens naturels mêmes : telle fut la loi Voconienne. C’est que les législateurs statuent plus sur la société que sur le citoyen, & sur le citoyen que sur l’homme. La loi sacrifoit & le citoyen & l’homme, & ne pensoit qu’à la république. Un homme prioit son ami de remettre sa succession à sa fille : la loi méprisoit dans le testateur, les sentimens de la nature ; elle méprisoit dans la fille, la piété filiale ; elle n’avoit aucun égard pour celui qui étoit chargé de remettre l’hérédité, qui se trouvoit dans de terribles circonstances. La remettoit-il ? il étoit un mauvais citoyen : la gardoit-il ? il étoit un mal-honnête homme. Il n’y avoit que les gens d’un bon naturel qui pensassent à éluder la loi ; il n’y avoit que les honnêtes gens qu’on pût choisir pour l’éluder : car c’est toujours un triomphe à remporter sur l’avarice & les voluptés, & il n’y a que les honnêtes gens qui obtiennent ces sortes de triomphes. Peut-être même y auroit-il de la rigueur à les regarder en cela comme de mauvais citoyens. Il n’est pas impossible que le législateur eût obtenu une grande partie de son objet, lorsque sa foi étoit telle, qu’elle ne forçoit que les honnêtes gens à l’éluder.

Dans le temps que l’on fit la loi Voconienne, les mœurs avoient conservé quelque chose de leur ancienne pureté. On intéressa quelquefois la conscience publique en faveur de la loi, & l’on fit jurer[40] qu’on l’observeroit : de sorte que la probité faisoit, pour ainsi dire, la guerre à la probité. Mais dans les derniers temps, les mœurs se corrompirent au point, que les fidéicommis durent avoir moins de force pour éluder la loi Voconienne, que cette loi n’en avoit pour se faire suivre.

Les guerres civiles firent périr un nombre infini de citoyens. Rome, sous Auguste, se trouva presque déserte ; il falloit la repeupler. On fit les lois Papiennes, où l’on n’omit rien de ce qui pouvoit encourager[41] les citoyens à se marier & à avoir des enfans. Un des principaux moyens fut d’augmenter, pour ceux qui se prêtoient aux vues de la loi, les espérances de succéder, & de les diminuer pour ceux qui s’y refusoient ; & comme la loi Voconienne avoit rendu les femmes incapables de succéder, la loi Pappienne fit dans de certains cas cesser cette prohibition.

Les femmes[42], sur-tout celles qui avoient des enfans, furent rendues capables de recevoir en vertu du testament de leurs maris ; elles purent, quand elles avoient des enfans, recevoir en vertu du testament des étrangers, tout cela contre la disposition de la loi Voconienne : & il est remarquable qu’on n’abandonna pas entiérement l’esprit de cette loi. Par exemple, la loi Pappienne[43] permettoit à un homme qui avoit un enfant[44], de recevoir toute l’hérédité par le testament d’un étranger ; elle n’accordoit la même grace à la femme, que lorsqu’elle avoit trois[45] enfans.

Il faut remarquer que la loi Pappienne ne rendit les femmes qui avoient trois enfans, capables de succéder, qu’en vertu du testament des étrangers ; & qu’à l’égard de la succession des parens, elle laissa les anciennes lois & la loi Voconienne[46] dans toute leur force. Mais cela ne subsista pas.

Rome abymée par les richesses de toutes les nations, avoit changé de mœurs ; il ne fut plus question d’arrêter le luxe des femmes. Aulugelle, qui vivoit sous Adrien[47], nous dit que de son temps la loi Voconienne étoit presque anéantie ; elle fut couverte par l’opulence de la cité. Aussi trouvons-nous dans les sentences de Paul[48] qui vivoit sous Niger, & dans les fragmens d’Ulpien[49] qui étoit du temps d’Alexandre Sévere, que les sœurs du côté du pere pouvoient succéder, & qu’il n’y avoit que les parens d’un degré plus éloigné, qui fussent dans le cas de la prohibition de la loi Voconienne.

Les anciennes lois de Rome avoient commencé à paroître dures ; & les préteurs ne furent plus touchés que des raisons d’équité, de modération & de bienséance.

Nous avons vu que, par les anciennes lois de Rome, les meres n’avoient point de part à la succession de leurs enfans. La loi Voconienne fut une nouvelle raison pour les en exclure. Mais l’empereur Claude donna à la mere la succession de ses enfans, comme une consolation de leur perte ; le senatus-consulte Tertullien fait sous Adrien[50] la leur donna lorsqu’elles avoient trois enfans, si elles étoient ingénues ; ou quatre, si elles étoient affranchies. Il est clair que ce sénatus-consulte n’étoit qu’une extension de la loi Pappienne, qui, dans le même cas, avoit accordé aux femmes les successions qui leur étoient déférées par les étrangers. Enfin Justinien[51] leur accorda la succession, indépendamment du nombre de leurs enfans.

Les mêmes causes qui firent restreindre la loi qui empêchoit les femmes de succéder, firent renverser peu à peu celle qui avoit gêné la succession des parens par femmes. Ces lois étoient très-conformes à l’esprit d’une bonne république, où l’on doit faire en sorte que ce sexe ne puisse se prévaloir pour le luxe, ni de ses richesses, ni de l’espérance de ses richesses. Au contraire, le luxe d’une monarchie rendant le mariage à charge & coûteux, il faut y être invité, & par les richesses que les femmes peuvent donner, & par l’espérance des successions qu’elles peuvent procurer. Ainsi, lorsque la monarchie s’établit à Rome, tout le systême fut changé sur les successions. Les préteurs appellerent les parens par femmes au défaut des parens par mâles : au lieu que, par les anciennes lois, les parens par femmes n’étoient jamais appellés. Le sénatus-consulte Orphitien appella les enfans à la succession de leur mere ; & les empereurs Valentinien[52], Théodose & Arcadius appellerent les petits-enfans par la fille à la succession du grand-pere. Enfin l’empereur Justinien[53] ôta jusqu’au moindre vestige du droit ancien sur les successions : il établit trois ordres d’héritiers, les descendans, les ascendans, les collatéraux, sans aucune distinction entre les mâles & les femelles, entre les parens par femmes & les parens par mâles ; & abrogea toutes celles qui restoient à cet égard. Il crut suivre la nature même, en s’écartant de ce qu’il appella les embarras de l’ancienne jurisprudence.


  1. Denys d’Halicarnasse, liv. II. chap. III. Plutarque, dans sa comparaison de Numa & de Lycurgue.
  2. Ast si intestato moritur, cui suus hæres nec extabit, agnatus proximus familiam habeto. Fragm. de la loi des douze tables, dans Ulpien, titre dernier.
  3. Voyez les Fragmens d’Ulpien, §. 8, tot. 26, inst. tit. 3, in proæmio ad Sen. Conf. Tertullianum.
  4. Paul, liv. IV. de sent. tit. 8. §. 3.
  5. Instit. liv. III. tit. I, §. 15.
  6. Livre IV, page 276.
  7. Denys d’Halicarnasse prouve, par une loi de Numa, que la loi qui permettoit au pere de vendre son fils trois fois, étoit une loi de Romulus, non pas des décemvirs, livre II.
  8. Voyez Plutarque, vie de Solon.
  9. Ce testament appellé in procinctu, étoit différent de celui qu’on appella militaire, qui ne fut établi que par les constitutions des empereurs, leg I. ff. de militari testamento : ce fut une de leurs cajoleries envers les soldats.
  10. Ce testament n’étoit point écrit, & étoit sans formalités, sine librâ & tabulis, comme dit Cicéron, livre I. de l’orateur.
  11. Inst. liv. II. tit. 10, §. I ; Aulugelle, liv. XV. chap. xxvii. On appella cette sorte de testament, per as & libram.
  12. Ulpien, tit. 10, §. 2.
  13. Théophile, instit. liv. II. tit. 30.
  14. Ils n’en eurent qu’au temps de la guerre de Pyrrhus. Tite-Live, parlant du siege de Veïes, dit : Nondum argentum signatum erat, liv. IV.
  15. Titre 20, §. 13.
  16. Instit. liv. II. tit. 10, §. I.
  17. Titius, sois mon héritier.
  18. La vulgaire, la puprilaire, l’exemplaire.
  19. Auguste, par des raisons particulieres, commença à autoriser les fidéicommis. Instit. livre II. tit. 23. §. I.
  20. Ad liberos matris intestatæ hæreditas, leg. XII. Tab. non pertinebat, quia fæminæ suos hæredes non habent. Ulp. fragm. tit. 26. §. 7.
  21. Quintus Voconius, tribun du peuple, la proposa. Voyez Cicéron, seconde harangue contre Verrès. Dans l’épitome de Tite-Live, livre XLI, il faut lire Voconius¸au lieu de Volumnius.
  22. Sanxit… ne quis hæredem virginem neve me lierem faceret. Cicéron, seconde harangue contre Verrès.
  23. Legem tuliy, ne quis hæredem mulierem institue ret, liv. XLI.
  24. Seconde harangue contre Verrès.
  25. Livre III de la cité de Dieu.
  26. Epitome de Tite-Live, liv. XLI.
  27. Livre XVII. chap. vi.
  28. Instit. liv. II. tit. 22.
  29. Livre II. tit. 22.
  30. Nemo censuit plus Fadiæ dandum, quam posses ad eam lege Voconianâ pervenire. De finibus boni & mali, liv. II.
  31. Cum lege Voconianâ mulieribus prohiberetur ne quæ majorem centum millibus nummorum hæreditatem posset adire, liv. LVI.
  32. Qui census esset. Harangue seconde contre Verrès.
  33. Census non erat. Ibid.
  34. Livre IV.
  35. In oratione pro Cæcinnâ.
  36. Ces cinq premieres classes étoient si considérables, que quelquefois les auteurs n’en rapportent que cinq.
  37. In Cæritum tabulas referri, ærarius fieri.
  38. Cicéron, de finib. boni & mali, liv. II.
  39. Cicéron, de finib. boni & mali, liv. II.
  40. Sextilius disoit qu’il avoit juré de l’observer. Cicéron, de finib. boni & mali, liv. II.
  41. Voyez ce que j’en ai dit au liv. XXIII. ch. xxi.
  42. Voyez sur ceci les fragmens d’Ulpien, tit. 15. §. 16.
  43. La même différence se trouve dans plusieurs dispositions de la loi Pappienne. Voyez les fragmens d’Ulpien¸§. 4 & 5, tit. dernier ; & le même au même titre, §. 6.
  44. Quod tibi filiolus, vel filia, nascitur ex me,
    Jura parentis habes, propter me scriberis hæres
    Juvenal, sat. IX.
  45. Voyez la loi IX, cod. Théod. de bonis proscriptorum ; & Dion. liv. LV ; voyez les fragmens d’Ulpien, tit. derni. §. 6 ; & tit. 29, §. 3.
  46. Fragm. d’Ulpien, tit. 16, §. I ; Sozom. liv. I. chap xix.
  47. Liv. XX, chap. i.
  48. Liv. IV, tit. 8. §. 3.
  49. Tit. 26. 6. 6.
  50. C’est-à-dire, l’empereur Pie, qui prit le nom d’Adrien par adoption.
  51. Leg. II, cod. de jure liberorum, instit. liv. III. tit. 3. §. 4. de senatus consult. Tertull.
  52. Lege IX, cod. de suis & legitimis liberis.
  53. Lege XII, cod. ibid. & les novelles 118 & 127.