Esprit des lois (1777)/L28/C2

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CHAPITRE II.

Que les lois des barbares furent toutes personnelles.


C’est un caractere particulier de ces lois des barbares, qu’elles ne furent point attachées à un certain territoire : le Franc étoit jugé par la loi des Francs, l’Allemand par la loi des Allemands, le Bourguignon par la loi des Bourguignons, le Romain par la loi Romaine : & bien loin qu’on songeât dans ces temps-là à rendre uniformes les lois des peuples conquérans, on en pensa pas même à se faire législateur du peuple vaincu.

Je trouve l’origine de cela dans les mœurs des peuples Germains. Ces nations étoient partagées par des marais, des lacs & des forêts ; on voit même dans César[1] qu’elles aimoient à se séparer. La frayeur qu’elles eurent des Romains, fit qu’elles se réunirent ; chaque homme, dans ces nations mêlées, dut être jugé par les usages & les coutumes de sa propre nation. Tous ces peuples dans leur particulier étoient libres & indépendans ; & quand ils furent mêlés, l’indépendance resta encore : la patrie étoit commune, & la république particuliere ; le territoire étoit le même, & les nations diverses. L’esprit des lois personnelles étoit donc chez ces peuples avant qu’ils partissent de chez eux, & ils le porterent dans leurs conqûetes.

On trouve cet usage établi dans les formules[2] de Marculfe, dans les codes des lois des barbares, sur-tout dans la loi des Ripuaires[3], dans les[4] décrets des rois de la premiere race, d’où dériverent les capitulaires que l’on fit là-dessus dans la seconde[5]. Les enfans[6] suivoient la loi de leur pere, les femmes[7] celle de leur mari ; les veuves[8] revenoient à leur loi, les affranchis[9] avoient celle de leur patron. Ce n’est pas tout : chacun pouvoit prendre la loi qu’il vouloit ; la constitution de Lothaire I[10] exigea que ce choix fût rendu public.


  1. De bello Gallico, liv. VI.
  2. Liv. I, form. 8.
  3. Chap. xxxi.
  4. Celui de Clotaire de l’an 560, dans l’édition des capitulaires de Baluze, tome I, arr. 4 ; ibid. in fine.
  5. Capitul. Ajoutés à la loi des Lombards, liv. I, tit. 25. ch. lxxi ; liv. II, tit. 41, ch. vii ; & tit. 56, chap. i & ii.
  6. Ibid. liv. II, tit. 5.
  7. Ibid. liv. II, tit. 7, ch. i.
  8. Ibid. ch. ii.
  9. Ibid. liv. II, tit. 35, ch. ii.
  10. Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. 57.