Esprit des lois (1777)/L28/C26

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CHAPITRE XXVI.

Du combat judiciaire entre une des parties & un des témoins.


Beaumanoir[1] dit qu’un homme qui voyoit qu’un témoin alloit déposer contre lui, pouvoit éluder le second, en disant[2] aux juges que sa partie produisoit un témoin faux & calomniateur ; & si le témoin vouloit soutenir la querelle, il donnoit les gages de bataille. Il n’étoit plus question de l’enquête ; car si le témoin étoit vaincu, il étoit décidé que la partie avoit produit un faux témoin, & elle perdoit son procès.

Il ne falloit pas laisser jurer le second témoin ; car il auroit prononcé son témoignage, & l’affaire auroit été finie par la déposition de deux témoins. Mais en arrêtant le second, la déposition du premier devenoit inutile.

Le second témoin étant ainsi rejeté, la partie ne pouvoit en faire ouir d’autres, & elle perdoit son procès : mais, dans le cas où il n’y avoit point de gages de bataille[3], on pouvoit produire d’autres témoins.

Beaumanoir dit[4] que le témoin pouvoit dire à sa partie avant de déposer : « Je ne me bée pas à combattre pour votre querelle, ne à entrer en plet au mien ; mais se vous me voulez défendre, volontiers dirai ma vérité. » La partie se trouvoit obligée à combattre pour le témoin ; & si elle étoit vaincue, elle ne perdoit point le corps[5], mais le témoin étoit rejeté.

Je crois que ceci étoit une modification de l’ancienne coutume ; & ce qui me le fait penser, c’est que cet usage d’appeller les témoins, se trouve établi dans la loi des Bavarois[6], & dans celle des Bourguignons[7], sans aucune restriction.

J’ai déjà parlé de la constitution de Gondebaud, contre laquelle Agobard[8] & Saint Avit[9] se récrierent tant. « Quand l’accusé, dit ce prince, présente des témoins pour jurer qu’il n’a pas commis le crime, l’accusateur pourra appeller au combat un des témoins ; car il est juste que celui qui a offert de jurer, & qui a déclaré qu’il savoit la vérité, ne fasse point de difficulté de combattre pour la soutenir. » Ce Roi ne laissait aux témoins aucun subterfuge pour éviter le combat.


  1. Ch. lxi, page 315.
  2. Leur doit-on demander, avant qu’ils fassent nul serment, pour qui ils veulent témoigner ; car l’enques gist li point d’aus lever de faux témoignage. Beaumanoir, ch. xxxix, page 218.
  3. Ibid. ch. lxi, page 316.
  4. Ch. vi, pages 39 & 40.
  5. Mais si le combat se faisoit par champions, le champion vaincu avoit le poing coupé.
  6. Tit. 16, §. 2.
  7. Tit. 45.
  8. Lettre à Louis le débonnaire.
  9. Vie de S. Avit.