Esprit des lois (1777)/L29/C11

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CHAPITRE XI.

De quelle maniere deux lois diverses peuvent être comparées.


En France, la peine contre les faux témoins est capitale ; en Angleterre, elle ne l’est point. Pour juger laquelle de ces deux lois est la meilleure, il faut ajouter : En France, la question contre les criminels est pratiquée, en Angleterre elle ne l’est point ; & dire encore : En France, l’accusé ne produit point ses témoins, & il est très-rare qu’on y admette ce que l’on appelle les faits justificatifs : en Angleterre, l’on reçoit les témoignages de part & d’autre. Les trois lois Françoises forment un systême très-lié & très-suivi ; les trois lois Angloises en forment un qui ne l’est pas moins. La loi d’Angleterre, qui ne connoît point la question contre les criminels, n’a que peu d’espérance de tirer de l’accusé la confession de son crime ; elle appelle donc de tous côtés les témoignages étrangers, & elle n’ose les décourager par la crainte d’une peine capitale. La loi Françoise, qui a une ressource de plus, ne craint pas tant d’intimider les témoins ; au contraire, la raison demande qu’elle les intimide : elle n’écoute que les témoins d’une part[1] ; ce sont ceux que produit la partie publique ; & le destin de l’accusé dépend de leur seul témoignage. Mais en Angleterre on reçoit les témoins des deux parts ; & l’affaire est, pour ainsi dire, discutée entr’eux ; le faux témoignage y peut donc être moins dangereux ; l’accusé y a une ressource contre le faux témoignage, au lieu de la loi Françoise n’en donne point. Ainsi, pour juger lesquelles de ces deux lois sont plus conformes à la raison, il ne faut pas comparer chacune de ces lois à chacune ; il faut les prendre toutes ensemble, & les comparer toutes ensemble.


  1. Par l’ancienne jurisprudence Françoise, les témoins étoient ouis des deux parts. Aussi voit-on, dans les établissemens de Saint Louis, liv. I, chap. vii, que la peine contre les faux témoins en justice étoit pécuniaire.