Esprit des lois (1777)/L29/C14

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CHAPITRE XIV.

Qu’il ne faut point séparer les lois des circonstances dans lesquelles elles ont été faites.


Une loi d’Athenes vouloit que, lorsque la ville étoit assiégée, on fît mourir tous les gens inutiles[1]. C’étoit une abominable loi politique, qui étoit une suite d’un abominable droit des gens. Chez les Grecs, les habitans d’une ville prise perdoient la liberté civile, & étoient vendus comme esclaves. La prise d’une ville emportoit son entiere destruction ; & c’est l’origine non-seulement de ces défenses opiniâtres & de ces actions dénaturées, mais encore de ces lois atroces que l’on fit quelquefois.

Les lois Romaines[2] vouloient que les médecins pussent être punis pour leur négligence ou pour leur impéritie. Dans ces cas, elles condamnoient à la déportation le médecin d’une condition un peu relevée, & à la mort celui qui étoit d’une condition plus basse. Par nos lois, il en est autrement. Les lois de Rome n’avoient pas été faites dans les mêmes circonstances que les nôtres : à Rome, s’ingéroit de la médecine qui vouloit ; mais parmi nous les médecins sont obligés de faire des études, & de prendre certains grades ; ils sont donc censés connoître leur art.


  1. Inutilis ætas occidatur, Syrian in Hermog.
  2. La loi Cornelia, de sicariis ; institut. liv. IV. tit. 3, de lege Aquiliâ, §. 7.