Esprit des lois (1777)/L31/C17

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CHAPITRE XVII.

Chose particuliere dans l’élection des Rois de la seconde race.


On voit dans la formule[1] de la consécration de Pépin, que Charles & Carloman furent aussi oints & bénits ; & que les seigneurs François s’obligerent, sous peine d’interdiction & d’excommunication, de n’élire[2] jamais personne d’une autre race.

Il paroît par les testamens de Charlemagne et de Louis le débonnaire, que les Francs choisissent entre les enfans des rois ; ce qui se rapporte très-bien à la clause ci-dessus. Et lorsque l’empire passa dans une autre maison que celle de Charlemagne, la faculté d’élire, qui étoit restreinte & conditionnelle, devint pure & simple ; & on s’éloigna de l’ancienne constitution.

Pépin, se sentant près de la fin, convoqua les seigneurs[3] ecclésiastiques & laïques à S. Denys ; & partagea son royaume à ses deux fils, Charles & Carloman. Nous n’avons point les actes de cette assemblée : mais on trouve ce qui s’y passa, dans l’auteur de l’ancienne collection historique mise au jour par Canisius[4], & celui des annales de Metz, comme l’a remarqué M. Baluze[5]. Et j’y vois deux choses en quelque façon contraires : qu’il fit le partage du consentement des grands ; & ensuite, qu’il le fit par un droit paternel. Cela prouve ce que j’ai dit, que le droit du peuple dans cette race étoit d’élire dans la famille ; c’étoit à proprement parler, plutôt un droit d’exclure, qu’un droit d’élire.

Cette espece de droit d’élection se trouve confirmée par les monumens de la seconde race. Tel est ce capitulaire de la division de l’empire que Charlemagne fait entre ses trois enfans, où, après avoir formé leur partage, il dit[6] que : « Si un des trois freres a un fils, tel que le peuple veuille l’élire pour qu’il succede au royaume de son pere, ses oncles y consentiront. »

Cette même disposition se trouve dans le partage[7] que Louis le débonnaire fit entre ses trois enfans, Pépin, Louis & Charles, l’an 837, dans l’assemblée d’Aix-la-Chapelle ; & encore dans un autre partage[8] du même empereur, fait vingt ans auparavant, entre Lothaire, Pépin & Louis. On peut voir encore le serment que Louis le begue fit à Compiegne, lorsqu’il y fut couronné. « Moi Louis[9], constitué roi par la miséricorde de Dieu & l’élection du peuple, je promets… » Ce que je dis est confirmé par les actes du concile de Valence[10], tenu l’an 890 pour l’élection de Louis, fils de Boson, au royaume d’Arles. On y élit Louis ; & on donne pour principales raisons de son élection, qu’il étoit de la famille impériale[11], que Charles le gros lui avoit donné la dignité de roi, & que l’empereur Arnoul l’avoit investi par le sceptre & par le ministere de ses ambassadeurs. Le royaume d’Arles, comme les autres, démembrés ou dépendans de l’empire de Charlemagne, étoit électif & héréditaire.


  1. Tome V, des historiens de France par les PP. Bénédictins, page 9.
  2. Ut numquàm de alterius lumbis regem in œvo præsumant eligere, sed ex ipsorum. Ibid. page 10.
  3. L’an 768.
  4. Tome II, Lectionis antiquæ.
  5. Edition des capitulaires, tome I, p. 188.
  6. Dans le capitulaire I, de l’an 806, édition de Baluze, page 439, art. 5.
  7. Dans Goldaste, contitutions impériales, tome II, page 19.
  8. Edition de Baluze, page 574, art. 14. Si verà aliquis illorum decedens, legitimos filios reliquerit, non inter eos potestas ipsa dividatur ; sed potiùs populas, pariter conveniens, unum ex eis, quem Dominus viluerit, eligat ; & hunc senior frater in loco fratris & filii suscipiat.
  9. Capitulaire de l’an 877, édition de Baluze, page 272.
  10. Dans Dumont, corps diplomatique, tome I, article 36.
  11. Par femmes.