Esprit des lois (1777)/L31/C34

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CHAPITRE XXXIV.

Continuation du même sujet.


Quand les fiefs étoient amovibles ou à vie, ils n’appartenoient guere qu’aux lois politiques ; c’est pour cela que, dans les lois civiles de ces temps-là, il est fait si peu de mention des lois des fiefs. Mais, lorsqu’ils devinrent héréditaires, qu’ils purent se donner, se vendre, se léguer, ils appartinrent & aux lois politiques & aux lois civiles. Le fief, considéré comme une obligation au service militaire, tenoit au droit politique ; considéré comme un genre de bien qui étoit dans le commerce, il tenoit au droit civil. Cela donna naissance aux lois civiles sur les fiefs.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les lois concernant l’ordre des successions durent être relatives à la perpétuité des fiefs. Ainsi s’établit, malgré la disposition du droit Romain & de la loi salique[1], cette regle du droit François, propres ne remontent point[2]. Il falloit que le fief fût servi ; mais un aïeul, un grand-oncle, auroient été de mauvais vassaux à donner au seigneur : aussi cette regle n’eut-elle d’abord lieu que pour les fiefs, comme nous l’apprenons de Boutillier[3].

Les fiefs étant devenus héreditaires, les seigneurs qui devoient veiller à ce que le fief fût servi, exigerent que les filles[4] qui devoient succéder au fief, & je crois, quelquefois les mâles, ne pussent se marier dans leur consentement ; de sorte que les contrats de mariages devinrent, pour les nobles, une disposition féodale & une disposition civile. Dans un acte pareil, fait sous les yeux du seigneur, on fit des dispositions pour la succession future, dans la vue que le fief pût être servi par les héritiers : aussi les seuls nobles eurent-ils d’abord la liberté de disposer des successions futures par contrat de mariage, comme l’ont remarqué Boyer[5] & Aufrerius[6].

Il est inutile de dire que le retrait lignager, fondé sur l’ancien droit des parens, qui est un mystere de notre ancienne jurisprudence Françoise que je n’ai pas le temps de développer, ne put avoir lieu à l’égard des fiefs, que lorsqu’ils devinrent perpétuels.


Italiam, Italiam[7]. Je finis le traité des fiefs où la plupart des auteurs l’ont commencé.


Fin de l’Esprit des Lois.

  1. Au titre des alleus.
  2. Livre IV, de feudis, tit. 59.
  3. Somme rurale, liv. I, tit. 76, pag. 447.
  4. Suivant une ordonnance de S. Louis, de l’an 1246, pour constater les coutumes d’Anjou & du Maine, ceux qui auront le bail d’une fille héritiere d’un fief donneront assurance au seigneur qu’elle ne sera mariée que de son consentement.
  5. Décis. 155, n°. 8 ; & 210, n°. 38.
  6. In capell. Thol. décision 453.
  7. Enéide, liv. III, vers 523.