Esprit des lois (1777)/L5/C16

La bibliothèque libre.
◄  Livre V
Chapitre XV
Livre V Livre V
Chapitre XVII
  ►


CHAPITRE XVI.

De la communication du pouvoir.


Dans le gouvernement despotique, le pouvoir passe tout entier dans les mains de celui à qui on le confie. Le vizir est le despote lui-même ; & chaque officier particulier est le vizir. Dans le gouvernement monarchique, le pouvoir s’applique moins immédiatement ; le monarque en le donnant le tempere[1]. Il fait une telle distribution de son autorité, qu’il n’en donne jamais une partie, qu’il n’en retienne une plus grande.

Ainsi, dans les états monarchiques, les gouverneurs particuliers des villes ne relevent pas tellement du gouverneur de la province, qu’ils ne relevent du prince encore davantage ; & les officiers particuliers des corps militaires ne dépendent pas tellement du général, qu’ils ne dépendent du prince encore plus.

Dans la plupart des états monarchiques, on a sagement établi, que ceux qui ont un commandement un peu étendu, ne soient attachés à aucun corps de milice ; de sorte que n’ayant de commandement que par une volonté particuliere du prince, pouvant être employés & ne l’être pas, ils sont en quelque façon dans le service, & en quelque façon dehors.

Ceci est incompatible avec le gouvernement despotique. Car si ceux qui n’ont pas un emploi actuel, avoient néanmoins des prérogatives & des titres, il y auroit dans l’état des hommes grands par eux-mêmes ; ce qui choqueroit la nature de ce gouvernement.

Que si le gouverneur d’une ville étoit indépendant du bacha, il faudroit tous les jours des tempéramens pour les accommoder ; chose absurde dans un gouvernement despotique. Et de plus, le gouverneur particulier pouvant ne pas obéir, comment l’autre pourroit-il répondre de sa province sur sa tête ?

Dans ce gouvernement, l’autorité ne peut être balancée ; celle du moindre magistrat ne l’est pas plus que celle du despote. Dans les pays modérés, la loi est par-tout sage, elle est par-tout connue, & les plus petits magistrats peuvent la suivre. Mais dans le despotisme, où la loi n’est que la volonté du prince, quand le prince seroit sage, comment un magistrat pourroit-il suivre une volonté qu’il ne connoît pas ? Il faut qu’il suive la sienne.

Il y a plus : c’est que la loi n’étant que ce que le prince veut, & le prince ne pouvant vouloir que ce qu’il connoît, il faut bien qu’il y ait une infinité de gens qui veuillent pour lui & comme lui.

Enfin, la loi étant la volonté momentanée du prince, il est nécessaire que ceux qui veulent pour lui, veuillent subitement comme lui.


  1. Ut esse Phoebi dulcius lumen folet iamjam cadentis.