Esprit des lois (1777)/L6/C9

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CHAPITRE IX.

De la sévérité des peines dans les divers gouvernemens.


La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu’à la monarchie & à la république, qui ont pour ressort l’honneur & la vertu.

Dans les états modérés, l’amour de la patrie, la honte & la crainte du blâme, sont des motifs réprimans, qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d’une mauvaise action, sera d’en être convaincu. Les lois civiles y corrigeront donc plus aisément, & n’auront pas besoin de tant de force.

Dans ces états, un bon législateur s’attachera moins à punir les crimes, qu’à les prévenir ; il s’appliquera plus à donner des mœurs, qu’à infliger des supplices.

C’est une remarque perpétuelle des auteurs Chinois[1], que plus dans leur empire on voyoit augmenter les supplices, plus la révolution étoit prochaine. C’est qu’on augmentoit les supplices à mesure qu’on manquoit de mœurs.

Il seroit aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les états d’Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu’on s’est plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays despotiques, on est si malheureux, que l’on y craint plus la mort qu’on ne regrette la vie ; les supplices y doivent donc être plus rigoureux. Dans les états modérés, on craint plus de perdre la vie qu’on ne redoute la mort en elle-même ; les supplices qui ôtent simplement la vie y sont donc suffisans.

Les hommes extrêmement heureux, & les hommes extrêmement malheureux, sont également portés à la dureté ; témoins les moines & les conquérans. Il n’y a que la médiocrité & le mélange de la bonne & de la mauvaise fortune, qui donnent de la douceur & de la pitié.

Ce que l’on voit dans les hommes en particulier, se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages qui menent une vie très-dure, & chez les peuples des gouvernemens despotiques où il n’y a qu’un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel. La douceur regne dans les gouvernemens modérés.

Lorsque nous lisons dans les histoires les exemples de la justice atroce des sultans, nous sentons avec une espece de douleur les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernemens modérés, tout pour un bon législateur, peut servir à former des peines. N’est-il pas bien extraordinaire qu’à Sparte, une des principales fût de ne pouvoir prêter sa femme à un autre, ni recevoir celle d’un autre, de n’être jamais dans sa maison qu’avec des vierges ? En un mot, tout ce que la loi appelle une peine, est effectivement une peine.


  1. Je ferai voir dans la suite que la Chine, à cet égard, est dans le cas d’une république, ou d’une monarchie.