Esprit des lois (1777)/L7/C13

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CHAPITRE XIII.

Des peines établies par les Empereurs contre les débauches des femmes.


La loi Julie établit une peine contre l’adultere. Mais bien loin que cette loi, & celle que l’on fit depuis là-dessus, fussent une marque de la bonté des mœurs, elles furent au contraire une marque de leur dépravation.

Tout le systême politique à l’égard des femmes changea dans la monarchie. Il ne fut plus question d’établir chez elles la pureté des mœurs, mais de punir leurs crimes. On ne faisoit de nouvelles lois pour punir ces crimes, que parce qu’on ne punissoit plus les violations, qui n’étoient point ces crimes.

L’affreux débordement des mœurs obligeoit bien les empereurs de faire des lois pour arrêter à un certain point l’impudicité : mais leur intention ne fut pas de corriger les mœurs en général. Des faits positifs rapportés par les historiens prouvent plus cela que toutes ces lois ne sauroient prouver le contraire. On peut voir dans Dion la conduite d’Auguste à cet égard ; & comment il éluda, & dans sa préture & dans sa censure, les demandes qui lui furent faites[1].

On trouve bien dans les historiens des jugemens rigides, rendus sous Auguste & sous Tibere, contre l’impudicité de quelques dames Romaines : mais en nous faisant connoître l’esprit de ces regnes, ils nous font connoître l’esprit de ces jugemens.

Auguste & Tibere songerent principalement à punir les débauches de leurs parentes. Ils ne punissoient point le déréglement des mœurs, mais un certain crime d’impiété ou de lese-majesté[2] qu’ils avoient inventé, utile pour le respect, utile pour leur vengeance. De-là vient que les auteurs Romains s’élevent si fort contre cette tyrannie.

La peine de la loi Julie étoit légere[3]. Les empereurs voulurent que dans les jugemens on augmentât la peine de la loi qu’ils avoient faite. Cela fut le sujet des invectives des historiens. Ils n’examinoient pas si les femmes méritoient d’être punies, mais si l’on avoit violé la loi pour les punir.

Une des principales tyrannies de Tibere[4] fut l’abus qu’il fit des anciennes lois. Quand il voulut punir quelque dame Romaine au-delà de la peine portée par la loi Julie, il rétablit contre elles le tribunal domestique[5].

Ces dispositions à l’égard des femmes ne regardoient que les familles des sénateurs, & non pas celles du peuple. On vouloit des prétextes aux accusations contre les grands, & les déportemens des femmes en pouvoient fournir sans nombre.

Enfin ce que j’ai dit, que la bonté des mœurs n’est pas le principe du gouvernement d’un seul, ne se vérifia jamais mieux que sous ces premiers empereurs ; & si l’on en doutoit, on n’auroit qu’à lire Tacite, Suétone, Juvenal & Martial.


  1. Comme on lui eut amené un jeune homme qui avoit épousé une femme, avec laquelle il avoit eu auparavant un mauvais commerce, il hésita longtemps, n’osant ni approuver, ni punir ces choses. Enfin reprenant ses esprits : « les séditions ont été cause de grands maux, dit-il, oublions-les ». Dion, liv. LIV. Les sénateurs lui ayant demandé des réglemens sur les mœurs des femmes, il éluda cette demande, en leur disant qu’ils corrigeassent leurs femmes, comme il corrigeoit la sienne : sur quoi ils le prierent de leur dire comment il en usoit avec sa femme : question, ce me semble, fort indiscrete.
  2. Culpam inter viros & feminas vulgatam gravi nomine lsarum religionum appeliando, clementiam majorum suasque ipse leges egrediebatur. Tacite, Annal. liv. III.
  3. Cette loi est rapportée au digeste ; mais on n’y a pas mis la peine. On juge qu’elle n’étoit que de la relégation, puisque celle de l’inceste n’étoit que de la déportation. Leg. si quis viduam, ss. de quest.
  4. Proprium id Tiberio suit, sceiera nuper reperto priscis verbis obtegere, Tacit.
  5. Adulterii graviorem pœnam deprecatus, ut exemplo majorum, propinquis suis ultra ducentesimum lapidem removeretus, suafit. Adultero Manlio Italiâ atque Africâ interdictum est. Tacite, Annal. liv. II.