Essai de psychologie/Chapitre 5

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Chapitre 5

De la réminiscence.


La réminiscence par laquelle l’ame distingue les perceptions qui l’ont déjà affectée des perceptions nouvelles, paroit d’abord n’être point comme le rappel & l’imagination, une faculté, pour ainsi dire, mixte , une faculté qui tienne autant au corps qu’à l’ame ou à l’exercice de laquelle le corps concoure directement. Il semble que ce soit une faculté purement spirituelle ou qui n’appartienne qu’à l’ame. On est porté à penser que l’ame conservant le sentiment de toutes ses modifications, ce sentiment est plus ou moins vif, plus ou moins distinct suivant que les ébranlemens ont été plus ou moins forts ou plus ou moins répétés. Mais si l’on approfondit davantage ce sujet, on reconnoitra que la réminiscence n’est pas d’une autre nature que le rappel & l’imagination et que toutes ces opérations de notre ame peuvent s’expliquer d’une façon également méchanique. Pour le concevoir, il n’y a qu’à supposer que l’impression que font sur l’ame des fibres qui sont mues pour la premiere fois n’est pas précisément la même que celle qu’y produisent ces fibres lorsqu’elles sont mues de la même maniere pour la seconde, la troisieme ou la quatrieme fois. Le sentiment que produit cette diversité d’impression est la réminiscence. On imaginera, si l’on veut, que les fibres qui n’ont point encore été mues, & qu’on pourroit nommer des fibres vierges , sont par rapport à l’ame dans un état analogue à celui d’un membre qui seroit paralytique dès avant la naissance. L’ame n’a point le sentiment de l’effet de ces fibres. Elle l’acquiert au moment qu’elles sont mises en action. Alors l’espece de paralysie cesse & l’ame est affectée d’une perception nouvelle. La souplesse ou la mobilité de ces fibres augmente par le retour des mêmes ébranlemens. Le sentiment attaché à cette augmentation de souplesse ou de mobilité constitue la réminiscence, qui acquiert d’autant plus de vivacité que les fibres deviennent plus souples ou plus mobiles. Des fibres, auparavant mues, mais dans lesquelles il s’opere de nouveaux mouvemens ou une nouvelle suite de mouvemens, font naître dans l’ame de nouvelles perceptions. La répétition plus facile de ces mouvemens retrace à l’ame les mêmes perceptions & y excite la réminiscence de ces perceptions. L’ame est presque toujours affectée à la fois de plusieurs idées. Lorsqu’une de ces idées reparoît, elle réveille ordinairement quelques-unes de celles qui l’accompagnoient, & c’est là une autre source de la reminiscence.