Essai historique et critique sur le duel/Avertissement préliminaire

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AVERTISSEMENT
PRÉLIMINAIRE.



Une question du plus haut intérêt a été, depuis peu de temps, présentée à l’attention des publicistes et des jurisconsultes. Elle a pris naissance à l’occasion de la nouvelle jurisprudence que quelques cours royales ont adoptée sur la matière du duel, et par le refus qu’a fait la Cour de cassation de donner son assentiment.

Il ne s’agit pas de décider si le duel est une chose bonne, licite, ou morale en soi ; quel est l’homme de bien qui n’a pas gémi sur les conséquences d’un préjugé si funeste au repos des familles ? mais seulement d’examiner si les faits qui constituent un duel sans déloyauté, sont qualifiés et punis par nos lois actuelles.

Cette question a donné lieu à une délibération intérieure et confidentielle des sections de la Cour de cassation, et la matière y a été traitée avec cette profondeur qu’on doit attendre d’une réunion nombreuse de magistrats d’une expérience consommée.

La réponse a été négative à la presque unanimité, et la section criminelle que cette décision ne liait point, s’y est cependant conformée dans son arrêt du 8 avril dernier, au rapport de M. Olivier.

Les réquisitions de M. le procureur général, et les dissertations de MM. Barris, Henrion de Pensey, Carnot, Olivier et Ratteau, ne laissèrent rien à désirer pour la solution considérée sous le rapport purement judiciaire.

Quoique l’ouvrage de M. le procureur général doive paraître dans le Journal de la Cour, je n’en ai pas moins été encouragé à rendre publique l’opinion que j’émis en cette occasion, parce que j’ai envisagé la question sous d’autres rapports, et que je l’ai traitée autant en publiciste qu’en magistrat.

D’ailleurs, il y a long-temps qu’on n’a rien écrit sur cette matière si importante et si usuelle, et puisque une académie en a fait l’objet d’une récompense littéraire, et que la Chambre des Députés doit bientôt s’en occuper, j’ai pensé qu’on pouvait encore faire sur le duel un ouvrage qui mériterait d’être lu.

Pour obtenir ce dernier avantage, j’ai dégagé de tout étalage superflu d’érudition un sujet qui en comportait beaucoup ; mais si j’ai économisé le temps de mes lecteurs, je n’ai pas épargné le mien. Les personnes instruites verront facilement que j’ai remonté aux sources, et me sauront gré d’avoir été sobre de citations : celles qui voudront elles-mêmes approfondir la matière pourront consulter les ouvrages suivans :

Grégoire de Tours.
Alcial, de sing. Certam.
Ferronius, Histor.
Guichardin.
La Colombière, Traité du Duel.
Savaron, Traité de l’Épée.
Muyard de Vouglans, Lois crim.
Montesquieu, Esprit des Lois.
Beaufort, Trib. de Maréch. de Fr.
Recueil des Ordonn. de nos Rois.
Merlin, Répert. de Jurisp.

Quand le lecteur sera parvenu à la partie polémique de cet ouvrage, il s’apercevra facilement que je n’ai pas prétendu répondre en détail à tous les raisonnemens qu’on pourrait faire contre mon opinion.

Les magistrats savent mieux que d’autres que la dialectique a assez de ressources pour qu’on puisse tout dire et tout soutenir avec quelque vraisemblance ; mais la vérité a des caractères particuliers que les gens de bonne foi saisissent facilement, et ceux-là sont heureusement le plus grand nombre.

Ainsi, quand j’aurai poussé la discussion au point au-delà duquel elle pourrait devenir fastidieuse, je m’arrêterai, et croirai avoir acquis le droit de supposer mes lecteurs, ou convaincus, ou volontairement endurcis.

Pour reposer l’attention, j’ai consacré un dernier chapitre à des notes et à quelques faits anecdotiques. Il servira à completter l’histoire des mœurs en cette partie ; et l’histoire des mœurs tient de plus près qu’on ne croit à l’histoire de la législation.

Là, j’ai cru pouvoir me permettre d’être moins sérieux en racontant ce que j’ai vu dans ma jeunesse ; et j’offre ainsi une espèce de compensation à ceux qui, n’étant législateurs ni de fait, ni de prétentions, auront cependant eu l’extrême complaisance de tout lire sans rien passer.

Je suis vieux ; deux générations ont déjà passé devant mes yeux. J’ai aussi voyagé, et ma position depuis trente ans m’a donné bien des facilités pour observer les hommes et les choses.