Essai sur l’histoire de la formation et des progrès du Tiers-État/03

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ESSAI SUR L'HISTOIRE


DE LA


FORMATION ET DES PROGRES


DU TIERS-ETAT.




LES ETATS-GENERAUX DE 1614 ET LE MINISTERE DU CARDINAL DE RICHELIEU.[1]




Parmi les mesures fiscales qu’une impérieuse nécessité suggéra au gouvernement de Henri IV, il en est une qui eut pour le présent et dans la suite de graves conséquences : c’est le droit annuel mis sur tous les offices de judicature et de finance, et vulgairement nommé la paulette[2]. Au prix de cette espèce de taille, les magistrats des cours souveraines et les officiers royaux de tout grade obtinrent la jouissance de leurs charges en propriété héréditaire. Le premier résultat de cette innovation fut d’élever à des taux inconnus jusqu’alors, la valeur. Vénale des offices ; le second fut d’attirer sur les fonctionnaires civils un nouveau degré de considération, celui qui s’attache aux avantages de l’hérédité. Moins de dix ans après, on voyait des passions et des intérêts de classes soulevés et mis aux prises par les effets de ce simple expédient financier. Le haut prix des charges en écartait la noblesse dont une partie était pauvre, et dont l’autre était grevée de substitutions, et cela arrivait au moment même ou, plus éclairés, les nobles comprenaient la faute que leurs aïeux avaient faite en s’éloignant des offices par aversion pour l’étude, et en les abandonnant au tiers-état. De là entre les deux ordres ; de nouvelles causes d’ombrage et de rivalité, l’un s’irritant de voir l’autre grandir d’une façon imprévue dans des positions qu’il regrettait d’avoir autrefois dédaignées ; celui-ci commençant à puiser dans le droit héréditaire qui élevait des familles de robe à côté des familles d’épée ; l’esprit d’indépendance et de fierté, la haute opinion de soi-même, qui étaient auparavant le propre des gentilshommes.

Quelque remarquable qu’eût été, dans le cours du XVIe siècle, le progrès des classes bourgeoises, il avait pu s’opérer sans querelle d’amour-propre ou d’intérêt entre la noblesse et la roture ; la grande lutte religieuse dominait et atténuait toutes les rivalités sociales. Aucun procédé malveillant des deux ordres l’un envers l’autre ne parut aux états-généraux de 1576 et de 1588. Mais, après l’apaisement des passions soulevées par la dualité de croyance et de culte, d’autres passions assoupies fond des cœurs se réveillèrent ; et ainsi, par la force des choses, le premier quart du XVIIe siècle se trouva marqué pour recueillir et mettre au jour, avec les griefs récens, toute l’antipathie amassée de longue main entre le second ordre et le troisième. Cette collision éclata, en 1614, au sein des états convoqués ; à la majorité de Louis XIII, pour chercher un remède à ce qu’avaient produit de dilapidations et d’anarchie les quatre ans de régence écoulés depuis le dernier règne[3].

Ce fut le 14 octobre que l’assemblée se réunit en trois chambres distinctes au couvent des Augustins de Paris ; elle comptait quatre-cent-soixante-quatre députés, dont cent quarante du clergé, cent trente-deux de la noblesse, et cent quatre-vingt-douze du tiers-état. Parmi ces derniers, les membres du corps judiciaire et les autres officiers royaux dominaient par le nombre et par l’influence. Dès la séance d’ouverture, on put voir entre les deux ordres laïques des signes de jalousie et d’hostilité ; le tiers-état s’émut pour la première fois des différentes du cérémonial à son égard[4] ; l’orateur de la noblesse s’écria dans sa harangue : « Elle reprendra sa première splendeur cette noblesse tant abaissée maintenant par quelques-uns de l’ordre inférieur sous prétexte de quelques charges ; ils verront tantôt la différence qu’il y a d’eux à nous[5]. » La même affectation de morgue d’une part, la même susceptibilité de l’autre, accompagnèrent presque toutes les communications de la chambre noble avec la chambre bourgeoise quand il s’agit d’établir un ordre pour les travaux, le clergé et la noblesse s’accordèrent ensemble, mais le tiers-état, par défiance de ce qui venait d’eux, s’isola et fit tomber leur plan, quoique bon. Peu après, la noblesse tenta une agression contre la haute bourgeoisie ; elle résolut de demander au- roi la surséance et par suite la suppression du droit annuel dont le bail allait finir, et elle obtint pour cette requête l’assentiment du clergé. La proposition des deux ordres fut adressée au tiers-état ; qu’elle mit dans l’alternative, ou de se joindre à eux et de livrer ainsi les premiers de ses membres à la jalousie de leurs rivaux ou, s’il refusait son adhésion, d’encourir le blâme de défendre par égoïsme un privilège qui blessait la raison publique, et ajoutait un nouvel abus à la vénalité des charges.

Le tiers-état fit preuve d’abnégation. Il adhéra, contre son intérêt, à la demande de suspension de la taxe moyennant laquelle les offices étaient héréditaires, et, pour que cette demande eût toute sa portée logique, il la compléta par celle de l’abolition de la vénalité[6]. Mais, exigeant des deux autres ordres sacrifice pour sacrifice, il les requit de solliciter conjointement avec lui la surséance des pensions, dont le chiffre avait doublé en moins de quatre ans[7], et la réduction des tailles devenues accablantes pour le peuple. Sa réponse présentait comme connexes les trois propositions suivantes : supplier le roi, 1° de remettre pour l’année courante un quart de la taille ; 2° de suspendre la perception du droit annuel, et d’ordonner que les offices ne soient plus vénaux ; 3° de surseoir au paiement de toutes les pensions accordées sur le trésor ou sur le domaine. La noblesse, pour qui les pensions de cour étaient un supplément de patrimoine, fut aussi frappée par représailles ; mais, loin de se montrer généreuse et d’aller droit, comme ses adversaires, elle demanda que les propositions fussent disjointes, qu’on s’occupât uniquement du droit annuel, et qu’on remît à la discussion des cahiers l’affaire des pensions et celle des tailles. Le clergé fit la même demande, entourée de ménagemens et de paroles captieuses qui n’eurent pas plus de succès auprès du tiers-état que la franchise égoïste des gentilshommes[8]. Ayant délibéré de nouveau la chambre du tiers décida qu’elle ne séparerait point ses propositions l’une de l’autre, et elle fit porter ce refus par l’un de ses membres les plus considérables, Jean Savaron, lieutenant-général de la sénéchaussée d’Auvergne.

Cet homme d’un grand savoir et d’un caractère énergique parla deux fois devant le clergé et termina ainsi son second discours : « Quand vous vous buttez à l’extinction du droit annuel, ne donnez-vous : pas à connoître que votre intention n’est autre que d’attaquer les officiers qui possèdent les charges dans le royaume, puisque vous supprimez ce que vous devriez demander avec plus d’instance ; à savoir, l’abolition des pensions qui tirent bien d’autres conséquences que le droit annuel ? Vous voulez ôter des coffres du roi seize cent mille livres qui lui reviennent par chacun an de la paulette, et voulez surcharger de cinq millions l’état que le roi paye tous les ans pour acheter à deniers comptans la fidélité de ses sujets. Quel bien, quelle utilité peut produire au royaume l’abolition de la paulette, si vous supportez la vénalité des offices qui cause seule le dérèglement en la justice ?… C’est, messieurs, cette maudite racine qu’il faut arracher, c’est ce monstre qu’il faut combattre que la vénalité des offices qui éloigne et recule des charges les personnes de mérite et de savoir, procurant l’avancement de ceux qui, sans vertu bien souvent, se produisent sur le théâtre et le tribunal de la justice par la profusion d’un prix déréglé qui fait perdre l’espérance même d’y pouvoir atteindre à ceux que Dieu a institués en une honnête médiocrité. Par ainsi, messieurs, nous vous supplions humblement de ne nous refuser en si saintes demandes l’union de votre ordre. C’est pour le peuple que nous travaillons, c’est pour le bien du roi que nous nous portons, c’est contre nos propres intérêts que nous combattons. »

Devant la noblesse, Savaron s’exprima d’un ton haut et fier, et, sous ses argumens, il y eut de l’ironie et des menaces. Il dit que ce n’était point le droit annuel qui fermait aux gentilshommes l’accès des charges, mais leur peu d’aptitude pour elles, et la vénalité des offices ; que ce qu’ils devaient demander plutôt que l’abolition de ce droit, c’était celle de la vénalité ; que, du reste, la surséance de la paulette, la réduction des tailles et la suppression des pensions ne pouvaient être disjointes ; que l’abus des pensions était devenu tel, que le roi ne trouvait plus de serviteurs qu’en faisant des pensionnaires, ce qui allait à ruiner le trésor, à fouler et opprimer le peuple, et il ajouta en finissante : « Rentrez, messieurs, dans le mérite de vos prédécesseurs, et les portes vous seront ouvertes aux honneurs et aux charges. L’histoire nous apprend que les Romains mirent tant d’impositions sur les Français[9], que ces derniers enfin secouèrent le joug de leur obéissance, et par là jettèrent les premiers fondements de la monarchie. Le peuple est si chargé de tailles, qu’il est à craindre qu’il n’en arrive pareille chose. Dieu veuille que je sois mauvais prophète[10] ! » Singulières paroles, qui semblent retentir comme un présage lointain de révolution.

La noblesse ne répondit que par des murmures et des invectives à l’orateur du tiers-état ; le clergé avait loué son message en lui refusant tout concours ; resté seul pour soutenir ses propositions, le tiers résolut de les présenter au roi. Il en fit le premier article d’un mémoire qui contenait sur d’autres points des demandes de réforme, et-il envoya au Louvre, avec une députation de douze membres, Savaron, chargé encore une fois de porter la parole. L’homme qui avait donné aux ordres privilégiés des leçons de justice et de prudence fut, devant la royauté ; l’avocat ému et courageux du pauvre peuple : « Que diriez-vous, sire, si vous aviez vu, dans vos pays de Guyenne et d’Auvergne, les hommes paître l’herbe à la manière des bêtes ? Cette nouveauté et misère inouie en votre état ne produiront-elle pas dans votre ame royale un désir digne de votre majesté, pour subvenir à une calamité si grande ? Et, cependant, cela est tellement véritable, que je confisque à votre majesté mon bien et mes offices, si je suis convaincu de mensonge[11]. » C’est de là que partit Savaron pour demander, avec la réduction des tailles, le retranchement de tous les abus dénoncés dans le mémoire du tiers-état, et pour traiter de nouveau, avec une franchise mordante, les points d’où provenait le désaccord entre le tiers et les deux autres ordres : « Vos officiers, sire ; secondant l’intention du clergé et de la noblesse, se sont portés à requérir de votre majesté la surséance du droit annuel qui a causé un prix si excessif ès offices de votre royaume, qu’il est malaisé qu’autres y soient jamais reçus que ceux qui auront plus de biens et de richesses, et bien souvent moins de mérite, suffisance et capacité : considération à vrai dire très plausible, mais qui semble être excogitée pour donner une atteinte particulière à vos officiers, et non à dessein de procurer le bien de votre royaume. Car à quel sujet demander l’abolition de la paulette, si votre majesté ne supprime de tout point la vénalité des offices ?… Ce n’est pas le droit annuel qui a donné sujet à la noblesse de se priver et retrancher des honneurs de judicature ; mais l’opinion en laquelle elle a été depuis longues années que la science et l’étude affaiblissoit le courage, et rendoit la générosité lâche et poltronne… On vous demande, sire, que vous abolissiez la paulette, que vous retranchiez de vos coffres seize cent mille livres que vos officiers vous payent tous les ans, et on ne parle point que vous supprimez l’excès des pensions, qui sont tellement effrénées, qu’il y a de grands et puissants royaumes qui n’ont pas tant de revenu que celui que vous donnez à vos sujets pour acheter leur fidélité… Quelle pitié qu’il faille que votre majesté fournisse par chacun an, cinq millions six cent soixante mille livres à quoi se monte l’état des pensions qui sortent de vos coffres ! Si cette somme étoit employée au soulagement de vos peuples, n’auroient-ils pas de quoi bénir vos royales vertus ? Et, cependant, l’on ne parle rien moins que de cela, l’on en remet la modération aux cahiers, et veut-on à présent que votre majesté surseoye les quittances de la paulette. Le tiers-état accorde l’un, et demande très instamment l’autre[12].

Cette harangue fut un nouveau sujet d’irritation pour la noblesse, qui en éprouva un tel dépit qu’elle résolut de se plaindre au roi. Elle pria le clergé de se joindre à elle, mais celui-ci, se portant médiateur envoya l’un de ses membres vers l’assemblée du tiers-état lui exposer les griefs de la noblesse, et l’inviter, pour le bien de la paix, à faire quelque satisfaction. Quand le député eut parlé, Savaron se leva et dit fièrement : que ni de fait, ni de volonté, ni de paroles, il n’avait offensé messieurs de la noblesse que, du reste, avant de servir le roi comme officier de justice, il avait porté les armes, de sorte qu’il avait moyen de répondre à tout le monde, en l’une et en l’autre profession. Afin d’éviter une rupture qui eût rendu impossible tout le travail des états, le tiers, acceptant la médiation qui lui était offerte, consentit à faire porter à la noblesse des paroles d’accommodement ; et pour que toute cause d’aigreur ou de défiance, fût écartée, il choisit un nouvel orateur, le lieutenant civil de Mesmes. De Mesures eut pour mission de déclarer que ni le tiers-état en général, ni aucun de ses membres en particulier, n’avait eu envers l’ordre de la noblesse aucune intention offensante. Il prit un langage à la fois digne et pacifique ; mais le terrain était si brûlant, qu’au lieu d’apaiser la querelle, son discours l’envenima Il dit que les trois ordres étaient trois frères, enfans de leur mère commune la France ; que le clergé était l’aîné, la noblesse le puîné, et le tiers-état le cadet ; que le tiers-état avait toujours reconnu la noblesse comme élevée de quelques degrés au-dessus de lui, mais qu’aussi la noblesse, devait reconnaître le tiers-état comme son frère, et ne pas le mépriser au point de ne le compter pour rien ; qu’il se trouvait souvent dans les, familles que les aînés ruinaient les maisons et que les cadets les relevaient[13]. Non-seulement ces dernières paroles, mais la comparaison des trois ordres avec trois frères ; et l’idée d’une telle parenté entre le tiers-état et la noblesse, excitèrent chez celle-ci un orage de mécontentement. L’assemblée, en tumulte, fit des reproches aux députés ecclésiastiques présens à la séance, se plaignant que l’envoyé du tiers-état, venu sous leur garantie, eût apporté, au lieu de réparations, de nouvelles injures plus graves que les premières. Après de longs débats sur ce qu’il convenait de faire, il fut résolu qu’on irait sur-le-champ porter plainte au roi.

L’audience demandée ne fut obtenue qu’après deux jours ; la noblesse en corps s’y présenta. Son orateur, le baron de Senecey, termina un exorde verbeux par cette définition du tiers-état : « Ordre composé du peuple des villes et des champs : ces derniers quasy tous hommagers et justiciables des deux premiers ordres, ceux des villes, bourgeois, marchands, artisans, et quelques officiers ; » et il continua : « Ce sont ceux-ci qui, méconnoissant leur condition, sans l’aveu de ceux qu’ils représentent, veulent se comparer à nous. J’ai honte, sire, de vous dire les termes qui de nouveau nous ont offensés ; ils comparent votre état à une famille composée de trois frères ; ils disent l’ordre ecclésiastique être l’aîné, le nôtre le puîné, et eux les cadets, et qu’il advient souvent que les maisons ruinées par les aînés sont relevées par les cadets. En quelle misérable condition sommes-nous tombés, si cette parole est véritable ! Et, non contens de se dire nos frères, ils s’attribuent la restauration de l’état, à quoi comme la France sait assez qu’ils n’ont aucunement participé, aussi chacun connoit qu’ils ne peuvent en aucune façon se comparer à nous, et seroit insupportable une entreprise si mal fondée. Rendez-en, sire, le jugement, et, par une déclaration pleine de justice, faites-les mettre en leur devoir[14]. » A cet étrange discours, supplique de l’orgueil en délire, la foule des députés nobles qui accompagnaient l’orateur fit succéder, en se retirant, des marques d’adhésion unanime et des mots tels que ceux-ci : « Nous ne voulons pas que des fils de cordonniers et de savetiers nous appellent frères. Il y a de nous à eux autant de différence qu’entre le maître et le valet. »

Le tiers-état reçut avec un grand calme la nouvelle de cette audience et de ces propos ; il décida que son orateur serait non-seulement avoué, mais remercié ; qu’on n’irait point chez le roi pour récriminer contre la noblesse, et qu’on passerait au travail des cahiers sans s’arrêter à de pareilles disputes. Alors le clergé vint de nouveau s’entremettre pour la réconciliation, demandant que des avances fussent faites par le tiers-état, le tiers répondit que cette fois, comme la première, il n’y avait eu de sa part aucune intention blessante ; que messieurs du clergé pouvaient eux-mêmes le faire entendre à la noblesse, à laquelle il ne voulait donner aucune autre satisfaction ; désirant qu’on le laissât en paix travailler à son cahier, et s’occuper d’affaires plus importantes. Mais la brouillerie des deux ordres tenait tout en suspens ; le gouvernement, sans se porter juge, redoubla d’instances pour la paix ; il vint de la part du roi un commandement au tiers-état de faire quelque démarche qui pût contenter la noblesse ; et plusieurs jours se passèrent sans que cet ordre fût obéi. Pendant ce temps, le mémoire contenant les demandes du tiers passa à l’examen du conseil. La noblesse et le clergé en appuyèrent tous les articles, hors celui qui était l’objet de la dissidence ; et, quant à celui-là, il fut promis par le premier ministre que le chiffre des pensions serait annuellement réduit d’un quart, et que les plus inutiles seraient supprimées. Ce concours et cette victoire ouvrirent les voies au raccommodement. Le tiers état fit re mercier les deux premiers ordres de leur coopération bienveillante. Ses envoyés auprès de la noblesse ne désavouèrent que l’intention d’offense, et on leur répondit convenablement. Ainsi fut terminé ce différend, d’où ne pouvait sortir aucun résultat politique, mais qui est remarquable, parce que le tiers-état y eut le beau rôle, celui du désintéressement et de la dignité, et que là se montra au grand jour, en face de l’orgueil nobiliaire, un orgueil plébéien nourri au sein de l’étude et des professions qui s’exercent par le travail intellectuel.

Une querelle bien plus grave, et sans aucun mélange d’intérêts privés, survint presque aussitôt, et divisa de même les trois ordres, mettant d’un côté le tiers-état, et de l’autre le clergé et la noblesse. Elle eut pour sujet le principe de l’indépendance de la couronne vis-à-vis de l’église, principe qu’avaient proclamé, trois cent douze ans auparavant, les représentans de la bourgeoisie[15]. En compilant son cahier général sur les cahiers provinciaux, le tiers-état prit dans le cahier de l’Ile-de-France, et plaça en tête de tous les chapitres un article contenant ce qui suit : « Le roi sera supplié de faire arrêter en l’assemblée des états, pour loi fondamentale du royaume qui soit inviolable et notoire à tous, que, comme il est reconnu souverain en son état, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n’y a puissance en terre, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume pour en priver les personnes sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et obéissance qu’ils lui doivent, pour quelque cause ou prétexte que ce soit. Tous les sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, tiendront cette loi pour sainte et véritable, comme conforme à la parole de Dieu, sans distinction, équivoque ou limitation quelconque, laquelle sera jurée et signée par tous les députés des états, et dorénavant par tous les bénéficiers et officiers du royaume… Tous précepteurs, régens, docteurs et prédicateurs seront tenus de l’enseigner et publier. »

Ces fermes paroles, dont le sens était profondément national sous une couleur toute monarchique, consacraient le droit de l’état dans celui de la royauté, et déclaraient l’affranchissement de la société civile. Au seul bruit d’une pareille résolution, le clergé fut en alarme ; il fit demander au tiers-état et n’obtint de lui qu’avec peine communication de l’article qui, en même temps, fut communiqué à la noblesse. Celle-ci, en délaissant la cause commune des laïques et de l’état, rendit complaisance pour complaisance à la chambre ecclésiastique ; mais les démarches collectives des deux premiers ordres furent inutiles auprès du tiers ; il ne voulut ni retirer ni modifier son article, et repoussa comme elle le méritait la proposition de s’en tenir à une demande de publication du décret du concile de Constance., contre la doctrine du tyrannicide[16]. Il s’agissait, là de la grande question posée dans la guerre de la ligue entre les deux principes de la royauté légitime par son propre droit, et de la royauté légitime par l’orthodoxie ; le débat de cette question que le règne de Henri IV n’avait point résolue[17], et à laquelle sa fin tragique donnait un intérêt sombre et pénétrant, fut, par une sorte de coup d’état, enlevé à la discussion des ordres, et évoqué au conseil, ou plutôt à la personne du roi.

Sur l’invitation qui lui en fut faite, le tiers-état remit au roi le premier article de son cahier, et, quelques jours après, le président de la chambre et les douze présidens des bureaux furent mandés au Louvres. Quoique Louis XIII fût majeur, la reine-mère prit la parole et dit à la députation : que l’article concernant la souveraineté du roi et la sûreté de sa personne ayant été évoqué à lui, il n’était plus besoin de le remettre au cahier, que le roi le regardait comme présenté et reçu, et qu’il en déciderait au contentement du tiers-état. Cette violence faite à la liberté de l’assemblée y excita un grand tumulte ; elle comprit ce que signifiait et à quoi devait aboutir la radiation qui lui était prescrite. Durant trois jours, elle discuta si elle se conformerait aux ordres de la reine. Il y eut deux opinions : l’une qui voulait que I’article fût maintenu dans le cahier, et qu’on protestât contre les personnes qui circonvenaient le roi et forçaient sa volonté ; l’autre qui voulait qu’on se soumît en faisant de simples remontrances. La première avait pour elle la majorité numérique ; mais elle ne prévalut point, parce que le vote eut lieu par provinces, et non par bailliages[18]. Cent vingt députés, à la tête desquels étaient Savaron et de Mesmes ; se déclarèrent opposans contre la résolution de l’assemblée, comme prise par le moindre nombre. Ils demandaient à grands cris que leur opposition fût reçue et qu’il leur en fût donné acte. Le bruit et la confusion remplirent toute une séance, et, de guerre lasse, on s’accorda pour un moyen terme ; on convint que le texte de l’article ne serait point inséré dans le cahier général, mais que sa place y resterait formellement réservée. En effet, sur les copies authentiques du cahier, à la première page, et après, le titre : Des lois fondamentales de l’état, il y eut un espace vide, et cette note : « Le premier article extrait du procès-verbal de la chambre du tiers-état a été présenté au roi par avance du présent cahier, et par commandement de sa majesté, qui a promis de le répondre. »

Cette réponse donnée, et la faiblesse d’une reine que des étrangers gouvernaient fit ajourner la question d’indépendance pour la couronne et le pays. Ce ne fut qu’au bout de soixante-sept ans que les droits de l’état, proclamés cette fois dans une assemblée d’évêques, furent garantis par un acte solennel, obligatoire pour tout le clergé de France. Mais la célèbre déclaration de 1682 n’est, dans sa partie fondamentale, qu’une reproduction presque textuelle de l’article du cahier de 1615, et c’est au tiers-état que revient ici l’honneur de l’initiative[19]. Tout ce qu’il y avait de fort et d’éclairé dans l’opinion publique du temps lui rendit hommage et le vengea de sa défaite. Pendant que les ordres privilégiés recevaient de la cour de Rome des brefs de félicitation[20], à Paris des milliers de bouches répétaient ce quatrain, composé pour la circonstance, et qu’aujourd’hui l’on peut dire prophétique.

O noblesse, ô clergé, les aînés de la France,
Puisque l’honneur du roi si mal vous maintenez,
Puisque le tiers-état en ce point vous devance,
Il faut que vos cadets deviennent vos aînés[21].

À la demande de garanties pour la souveraineté et pour la sûreté du prince, le tiers joignit dans son cahier, sous le même titre : Des lois fondamentales de l’état, la demande d’une convocation des états-généraux tous les dix ans, et il fût le seul des trois ordres qui exprima ce voeu. Le cahier de 1615 rappelle par le mérite et dépasse en étendue celui de 1560[22]. Il a ce caractère d’abondance inspirée qui se montre aux grandes époques de notre histoire législative. Institutions politiques, civiles, ecclésiastiques, judiciaires, militaires, économiques, il embrasse tout, et, sous forme de requête, statue sur tout avec un sens et une décision admirables. On y trouve l’habileté prudente qui s’attache à ce qui est pratique et de larges tendances vers le progrès à venir, des matériaux pour une législation prochaine, et des vœux qui ne devaient être réalisés que par un ordre de choses tout nouveau. Je voudrais donner une idée complète de cette œuvre de patriotisme et de sagesse[23] ; mais il faut que je me borne à l’analyse de quelques points. Je choisirai parmi les demandes qui, appartenant au tiers-état seul, ne se rencontre dans le cahier d’aucun des deux autres ordres :

Que les archevêques et évêques soient nommés suivant la forme prescrite par l’ordonnance d’Orléans[24], c’est-à-dire sur une liste de trois candidats élus par les évêques de la province, le chapitre de l’église cathédrale et vingt-quatre notables, douze de la noblesse et douze de la bourgeoisie ; — que les crimes des ecclésiastiques soient jugés par les tribunaux ordinaires ; — que tous les curés, sous peine de saisie de leur temporel, soient tenus de porter chaque année, au greffe des tribunaux, les registres des baptêmes, mariages et décès, paraphés à chaque page et cotés ; — que les communautés religieuses ne puissent acquérir d’immeubles, si ce n’est pour accroître l’enclos de leurs maisons conventuelles ; — que les jésuites soient astreints aux mêmes lois civiles et politiques que les autres religieux établis en France, qu’ils se reconnaissent sujets du roi et ne puissent avoir de provinciaux que Français de naissance et élus par des jésuites français[25].

Que les gentilshommes et les ecclésiastiques ayant domicile ou maison dans les villes soient obligés de contribuer aux charges communales ; — que nul gentilhomme ou autre ne puisse exiger aucune corvée des habitans de ses domaines, s’il n’a pour cela un titre vérifié par les juges royaux ; — que défense soit faite à tous gentilshommes ou autres de contraindre personne d’aller moudre à leurs moulins, cuire à leurs fours ou pressurer à leurs pressoirs, ni d’user d’aucun autre droit de banalité, quelque jouissance et possession qu’ils allèguent, s’ils n’ont titre reconnu valable ; — que tous les seigneurs laïques ou ecclésiastiques soient tenus, dans un délai fixé, d’affranchir leurs main-mortables moyennant une indemnité arbitrée par les juges royaux, sinon que tous les sujets du roi, en quelque lieu qu’ils habitent, soient déclarés de plein droit capables d’acquérir, de posséder et de transmettre librement ce qu’ils possèdent[26].

Qu’il n’y ait plus, au-dessous des parlemens ; que deux degrés de juridiction ; — que les cours des aides soient réunies aux parlemens ; que les professions soumises depuis l’année 1576 au régime des maîtrises et jurandes puissent s’exercer librement ; — que tous les édits en vertu desquels on lève des deniers sur les artisans, à raison de leur industrie, soient révoqués, et que toutes lettres de maîtrise accordées comme faveurs de cour soient déclarées nulles ; — que les marchands et artisans, soit de métier formant corporation, soit de tout autre, ne paient aucun droit pour être reçus maîtres, lever boutique ou toute autre chose de leur profession ; — que tous les monopoles commerciaux ou industriels concédés à des particuliers soient abolis ; — que les douanes de province à province soient supprimées, et que tous les bureaux de perception soient transférés aux frontières[27].

Il y a là comme une aspiration vers l’égalité civile, l’unité judiciaire, l’unité commerciale et la liberté industrielle de nos jours. En même temps, le tiers-état de 1615 renouvelle les protestations de 1588 et de 1576 contre l’envahissement par l’état des anciens droits municipaux. Il demande que les magistrats des villes soient nommés par élection pure, sans l’intervention et hors de la présence des officiers royaux ; que la garde des clés des portes leur appartienne, et que partout où ils ont perdu cette prérogative, ils y soient rétablis ; enfin, que toutes les municipalités puissent, dans de certaines limites, s’imposer elles-mêmes, sans l’autorisation du gouvernement[28]. Si l’on cherche dans les cahiers des trois ordres en quoi leurs vœux s’accordent et en quoi ils différent, on trouvera qu’entre le tiers-état et le clergé la dissidence est beaucoup moins grande qu’entre le tiers-état et la noblesse. Le clergé, tiré d’un côté par l’esprit libéral de ses doctrines, et de l’autre par ses intérêts comme ordre privilégié, ne suit pas en politique une direction nette ; tantôt ses votes sont pour le droit commun, la cause plébéienne, le dégrèvement des classes pauvres et opprimées ; tantôt, lié à la cause nobiliaire, il demande le maintien de droits spéciaux et d’exemptions abusives. Dans les questions de bien-être général, d’unité administrative et de progrès économique, il montre que la tradition des réformes ne lui est pas étrangère, qu’il n’a rien d’hostile au grand mouvement qui, depuis le XIIIe siècle, poussait la France, par la main des rois unis au peuple, hors des institutions civiles du moyen-âge. En un mot, ses sympathies évangéliques, jointes à ses sympathies d’origine, le rapprochent du tiers-état dans tout ce qui n’affecte pas ses intérêts temporels ou l’intérêt spirituel et les prétentions de l’église. C’est sur ce dernier point, sur les questions du pouvoir papal, des libertés gallicanes, de la tolérance religieuse, du concile de Trente et des jésuites, et presque uniquement sur elles qu’un sérieux désaccord se rencontre dans les cahiers du tiers et de l’ordre ecclésiastique[29].

Mais, entre les deux ordres laïques a divergence est complète ; c’est un antagonisme qui ne se relâche qu’à de rares intervalles, et qui, vu du point où nous sommes placés aujourd’hui, présente dans les idées, les mœurs et les intérêts, la lutte du passé et de l’avenir. Le cahier du tiers-état de 1615 est un vaste programme de réformes dont les unes furent exécutées par les grands ministres du XVIIe siècle, et dont les autres se sont fait attendre jusqu’aux jours de 1789 ; le cahier de la noblesse, dans sa partie essentielle, n’est qu’une requête en faveur de tout ce qui périssait ou était destiné à périr par le progrès du temps et de la raison. Ce sont des choses déjà dites pour la plupart aux précédens états-généraux, mais accompagnées, cette fois, d’un emportement de haine jalouse contre les officiers royaux ; et, en général, contre la classe supérieure du tiers-état[30]. La noblesse ne se borne pas à défendre ce qui lui restait de privilèges et de pouvoir ; elle veut rompre les traditions administratives de la royauté française, replacer l’homme d’épée sur le banc du juge[31], et supplanter le tiers-état dans les cours souveraines et dans tous les postes honorables. Non-seulement elle revendique les emplois de la guerre et de la cour, mais elle demande que les parlemens se remplissent de gentilshommes, et qu’il y ait pour elle des places réservées à tous les degrés de la hiérarchie civile, depuis les hautes charges de l’état jusqu’aux fonctions municipales[32]. En outre, afin de s’ouvrir à elle-même les sources de richesse où la bourgeoisie seule puisait, elle demande de pouvoir faire le grand trafic sans déroger. Le tiers-état s’oppose à cette requête ; il veut que l’égalité soit maintenue dans les transactions commerciales[33].

Cette rivalité passionnée, qui donne tant d’intérêt à l’histoire des états généraux de 1614 fut pour eux une cause d’impuissance. La coalition des deux premiers ordres contre le troisième, et les ressentimens qui en furent la suite, empêchèrent ou énervèrent toute résolution commune, et rendirent nulle l’action de l’assemblée sur la marche et l’esprit du gouvernement. Au reste, quand bien même la cour du jeune roi, composée des favoris de sa mère, aurait eu quelque amour du bien public, l’incompatibilité de vœux entre les ordres l’eût contrainte à rester inerte, car le choix d’une direction précise était trop difficile et trop hasardeux pour elle. Il eût fallu, pour tirer la lumière de ce chaos d’idées, un roi digne de ce nom, ou un grand ministre. Loin de chercher sincèrement une meilleure voie, la cour de Louis XIII n’eut à cœur que de profiter de la mésintelligence des états pour le maintien des abus et la continuation du désordre. De crainte qu’il ne survînt une circonstance qui fit sentir à l’assemblée la nécessité du bon accord, elle pressa de tout son pouvoir la remise des cahiers, promettant d’y répondre avant que le congé de départ fût donné aux députés. Ceux-ci demandèrent qu’on leur reconnût le droit de rester unis en corps d’états jusqu’à ce qu’ils eussent reçu la réponse du roi à leurs cahiers. C’était poser la question, encore indécise après trois siècles, du pouvoir des états-généraux ; la cour répondit d’une façon évasive, et, le 23 février 1615, quatre mois après l’ouverture des états, les cahiers des trois ordres furent présentés au roi, en séance solennelle, dans la grande salle de l’hôtel de Bourbon.

Le lendemain, les députés du tiers-état se rendirent au couvent des Augustins, lieu ordinaire de leurs séances ; ils trouvèrent la salle démeublée de bancs et de tapisseries, et leur président annonça que le roi et le chancelier lui avaient fait défense de tenir désormais aucune assemblée. Plus étonnés qu’ils n’auraient dû l’être, ils se répandirent en plaintes et en invectives contre le ministre et la cour ; ils s’accusaient eux-mêmes d’indolence et de faiblesse dans l’exécution de leur mandat ; ils se reprochaient d’avoir été quatre mois comme assoupis, au lieu de tenir tête au pouvoir et d’agir résolûment contre ceux qui pillaient et ruinaient le royaume. Un témoin et acteur de cette scène l’a décrite avec des expressions pleines de tristesse et de colère patriotique : « L’un, dit-il, se frappe la poitrine, avouant sa lâcheté, et voudroit chèrement racheter un voyage si infructueux, si pernicieux à l’état, et dommageable au royaume d’un jeune prince duquel il a craint la censure, quand l’âge lui aura donné une parfaite connoissance des désordres que les états n’ont pas retranchés, mais accrus, fomentés et approuvés. L’autre minute son retour, abhorre le séjour de Paris, désire sa maison, voir sa femme et ses amis pour noyer dans la douceur de si tendres gages la mémoire de la douleur que sa liberté mourante lui cause… Quoi, disions-nous, quelle honte, quelle confusion à toute la France, de voir ceux qui la représentent en si peu d’estime et si avilis, qu’on ignore s’ils sont François, tant s’en faut qu’on les reconnoisse pour députés !… Sommes-nous autres que ceux qui entrèrent hier dans la salle de Bourbon[34] ? » Cette question, qui était la question même de la souveraineté nationale, revint pour une autre assemblée cent soixante-quatorze ans plus tard, et alors une voix répondit : « Nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier, délibérons[35]. »

Mais rien n’était mûr en 1615 pour les choses que fit le tiers-état de 1789 ; les députés, à qui toute délibération était interdite, restèrent sous le poids de leur découragement. Chaque jour, suivant le récit de l’un d’entre eux[36] ils allaient battre le pavé du cloître des Augustins, pour se voir et apprendre ce qu’on voulait faire d’eux. Ils se demandaient l’un à l’autre des nouvelles de la cour. Ce qu’ils souhaitaient d’elle, c’était d’être congédiés ; et tous en cherchaient moyen, pressés qu’ils étaient de quitter une ville où ils se trouvaient, dit le même récit, errans et oisifs, sans affaires, ni publiques, ni privées. Le sentiment de leur devoir les tira de cette langueur. Ils songèrent que le conseil du roi étant à l’œuvre pour la préparation des réponses à faire aux cahiers, s’il arrivait que quelque décision y fût prise au détriment du peuple, on ne manquerait pas de rejeter le mal sur leur impatience de partir, et que d’ailleurs la noblesse et le clergé profiteraient de leur absence pour obtenir, à force de sollicitations, toute sorte d’avantages. Par ce double motif, les députés du tiers-état résolurent de ne demander aucun congé séparément, et d’attendre, pour se retirer, que le conseil eût décidé sur les points essentiels. Ils restèrent donc, et se réunirent plusieurs fois, en différens lieux, soutenant avec une certaine vigueur contre le premier ministre ; leur qualité de députés. Enfin, le 24 mars, les présidens des trois ordres furent mandés au Louvre. On leur dit que la multitude des articles contenus dans les cahiers ne permettait pas au roi d’y répondre aussi vite qu’il l’eût désiré, mais que, pour donner aux états une marque de sa bonne volonté, il accueillait d’avance leurs principales demandes, et leur faisait savoir qu’il avait résolu d’abolir la vénalité des charges, de réduire les pensions, et d’établir une chambre de justice contre les malversations des financiers ; qu’on pourvoirait à tout le reste le plus tôt possible, et que les députés pouvaient partir.

Ces trois points des cahiers étaient choisis avec adresse, comme touchant à la fois aux passions des trois ordres. La noblesse voyait dans l’abolition de l’hérédité et de la vénalité des offices un grand intérêt pour elle-même ; le tiers état voyait un grand intérêt pour le peuple dans le retranchement des pensions ; et l’assemblée avait été unanime pour maudire les financiers et réclamer l’établissement d’une juridiction spéciale contre leurs gains illicites. On pouvait même dire que la suppression de la paulette et de la vénalité était une demande commune des états, bien que chaque ordre eût fait cette demande par des motifs différens : la noblesse, pour son propre avantage ; le clergé, par sympathie pour la noblesse ; et le tiers-état en vue du bien public contre son intérêt particulier. Et quant à l’article des pensions qui avait fait éclater la division entre le tiers et les deux autres ordres, les trois cahiers en étaient venus à son égard à un accord, plus franc, il est vrai, du côté du clergé que du côté de la noblesse[37]. Ainsi, par une circonstance bizarre, sous des votes conformes, il y avait des passions contraires, et les promesses du roi satisfaisaient du même coup des désirs généreux et des mentions égoïstes. Ces promesses, la seule bonne nouvelle que les membres des états eussent à emporter dans leurs provinces, ne furent jamais tenues, et la réponse aux cahiers par une ordonnance royale n’arriva qu’après quinze ans.

Telle fut la fin des états-généraux convoqués en 1614 et dissous en 1615. Ils font époque dans notre histoire nationale, comme fermant la série des grandes assemblées tenues sous la monarchie ancienne ; ils font époque dans l’histoire du tiers-état ; dont ils signalèrent, au commencement du XVIIe siècle, l’importance croissante, les passions, les lumières, la puissance morale et l’impuissance politique. Leur réunion n’aboutit qu’à un antagonisme stérile, et avec eux cessa d’agir et délire ce vieux système représentatif qui s’était mêlé à la monarchie, sans règles ni conditions précises, et où la bourgeoisie avait pris place non par droit, non par conquête, mais à l’appel du pouvoir royal. Entrée aux états du royaume sans lutte, sans cette fougue de désir et de travail qui l’avait conduite à l’affranchissement des communes, elle y était venue, en général avec plus de défiance que de joie, parfois hardie, souvent contrainte, toujours apportant avec elle une masse d’idées neuves, qui, de son cahier de doléances, passaient plus ou moins promptement, plus ou moins complètement, dans les ordonnances des rois. À cette initiative, dont le fruit était lent et incertain, se bornait le rôle effectif du tiers-état dans les assemblées nationales ; toute action immédiate lui était rendue impossible par la double action contraire ou divergente des ordres privilégiés. C’est ce qu’on vit plus clairement que jamais aux états de 1615, et il semble que l’ordre plébéien, frappé d’une telle expérience, ait dès-lors fait peu de cas de ses droits politiques. Cent soixante-quatorze ans s’écoulèrent sans que les états-généraux fussent une seule fois réunis par la couronne, et sans que l’oponin publique usât de ce qu’elle avait de forces pour amener cette réunion[38]. Espérant tout de ce pouvoir, qui avait tiré du peuple et mis en œuvre par des mains plébéiennes les élémens de l’ordre civil moderne ; l’opinion se donna un siècle et demi, sans réserve, à la royauté. Elle embrassa la monarchie pure ; symbole d’unité sociale, jusqu’à ce que cette unité, dont le peuple sentait profondément le besoin, apparut aux esprits sous de meilleures formes.

Ici commence une nouvelle phase de l’histoire du tiers-état ; le vide que laisse dans cette histoire la disparition des états-généraux se trouve rempli par les tentatives d’intervention directe du parlement de Paris dans les affaires du royaume. Ce corps judiciaire, appelé dans certains cas par la royauté à jouer un rôle politique, se prévalut, dès le XVIe siècle, de cet usage pour soutenir qu’il représentait les états, qu’il avait en leur absence, le même pouvoir qu’eux[39], et, quand l’issue de leur dernière : assemblée eut trompé toutes les espérances de réforme, l’attente publique se tourna vers lui pour ne plus s’en détacher qu’au jour où devait finir l’ancien régime. Recruté depuis plus de trois siècles dans l’élite des classes roturières, placé au premier rang des dignitaires du royaume, donnant l’exemple de l’intégrité et de toutes les vertus civiques, honoré pour son patriotisme, son lustre, ses richesses, son orgueil même, le parlement avait tout ce qu’il fallait pour attirer les sympathies et la confiance du tiers-état. Sans examiner si ses prétentions au rôle d’arbitre de la législation et de modérateur du pouvoir royal étaient fondées sur de véritables titres, on l’aimait pour son esprit de résistance à l’ambition des favoris, et des ministres, pour son hostilité perpétuelle contre la noblesse, pour son zèle à maintenir les traditions nationales, à garantir l’état de toute influence étrangère, et à conserver intactes les libertés de l’église gallicane. On lui donnait les noms de corps auguste de sénat auguste, de tuteur des rois, de père de l’état, et l’on regardait ses droits et son pouvoir comme aussi sacrés, aussi incontestables que les droits mêmes et le pouvoir de la couronne.

Ce qu’il y avait d’aristocratique dans l’existence faite aux cours de judicature par l’hérédité des charges, loin de diminuer leur crédit auprès des classes moyenne et inférieure de la nation, n’était aux yeux de celles-ci qu’une force de plus pour la défense des droits et des intérêts de tous. Cette puissance effective et permanente, transmise du père au fils, conservée intacte par l’esprit de corps joint à l’esprit de famille, paraissait pour la cause des faibles et des opprimés une protection plus solide que les prérogatives incertaines et temporaires des états-généraux. En réalité, l’esprit politique des compagnies judiciaire était moins large et moins désintéressé que celui dont se montraient animés, dans l’exercice de leurs pouvoirs, les représentans élus du tiers-état[40]. Si le parlement tenait de ces derniers sous et certains rapports, il en différait sous d’autres ; son opposition la plus courageuse était parfois égoïste ; il avait quelques-uns des vices de la noblesse, à laquelle il confinait. Mais, malgré ses travers et ses faiblesses, ceux qui souffraient des abus ne se lassaient point de croire à lui et de compter sur lui. Il semble qu’au fond des consciences populaires une rois se fît entendre qui disait : Ce sont nos gens, ils ne sauraient vouloir que le bien du peuple.

Les faits restèrent, dans toute occasion, fort au-dessous des espérances, et il n’en pouvait être autrement. Si les cours souveraines avaient le mérite de parler haut, leur parole manquait de sanction. Instituées les rois pour administrer la justice ; elles n’avaient pas même l’ombre de ce mandat national qui, donné ou présumé, confère, dans telle ou telle mesure, le droit d’agir contre la volonté du monarque. Dès que venait le moment de faire succéder l’action aux remontrances, d’opposer des moyens de contrainte à l’obstination du pouvoir, le parlement se trouvait sans titre et sans force ; il devait s’arrêter ou recourir à des auxiliaires plus puissans que lui, aux princes du sang, aux factieux de la cour, à l’aristocratie mécontente. Quand il avait refusé au nom de l’intérêt public l’enregistrement d’un édit ou la suppression d’un arrêt, et conservé une attitude libre et fière malgré l’exil ou l’emprisonnement de ses membres, son rôle était fini, à moins qu’il n’eût fait alliance avec des ambitions étrangères à la cause du peuple et au bien du royaume. Ainsi les plus solennelles manifestations de patriotisme et d’indépendance n’aboutissaient qu’à des procédures sans issue, ou à la guerre civile pour l’intérêt ou les passions des grands. De nobles commencemens et des suites mesquines ou détestables, le courage civique réduit, par le sentiment de son impuissance, à se mettre au service des intrigues et des factions nobiliaires, telle est, en somme, l’histoire des tentatives politiques du parlement. La première de toutes, qui fut, sinon la plus éclatante, au moins l’une des plus hardies, présenta ce caractère qu’on retrouve sur une plus grande échelle et avec de nombreuses complications dans les événemens de la fronde.

Le 28 mars 1615, quatre jours après la dissolution des états-généraux, le parlement, toutes les chambres assemblées, rendit un arrêt qui invitait les princes, ducs, pairs et officiers de la couronne, ayant séance et voix délibérative en la cour à s’y rendre, pour aviser sur les choses qui seraient proposées pour le service du roi, le bien de l’état et le soulagement du peuple. Cette convocation, faite sans commandement royal, était un acte inoui jusqu’alors ; elle excita dans le public une grande attente, l’espérance de voir s’exécuter par les compagnies souveraines ce qu’on s’était vainement promis de la réunion des états. Le conseil du roi s’en émut comme d’une nouveauté menaçante, et, cassant l’arrêt du parlement par un contre-arrêt, il lui défendit de passer outre, et aux princes et pairs de se rendre à son invitation. Le parlement obéit ; mais aussitôt il se mit en devoir de rédiger des remontrances : un nouvel arrêt du conseil lui ordonna de s’arrêter ; cette fois, il n’obéit point et continua la rédaction commencée. Les remontrances prêtes, le parlement demanda audience pour qu’elles fussent lues devant le roi, et sa ténacité, soutenue par l’opinion publique, intimida les ministres ; durant près d’un mois, ils négocièrent pour que cette lecture n’eût pas lieu, mais le parlement fut inébranlable, et sa persévérance l’emporta Le 22 mai, il eut audience au Louvre et fit entendre au roi en conseil, ces remontrances, dont voici quelques passages :

« Sire, cette assemblée des grands de votre royaume n’a été proposée en votre cour de parlement que sous le bon plaisir de votre majesté, pour lui représenter au vrai, par l’avis de ceux qui en doivent avoir le plus de connoissance, le désordre qui s’augmente et multiplie de jour en jour, étant du devoir des officiers de votre couronne, en telles occasions, vous toucher le mal, afin d’en atteindre le remède a par le moyen de votre prudence et autorité royale, ce qui n’est, sire, ni sans exemple ni sans raison… Ceux qui veulent affoiblir et déprimer l’autorité de cette compagnie s’efforcent, de lui ôter la liberté que vos prédécesseurs lui avoient perpétuellement accordée de vous remontrer fidèlement ce qu’elle jugeroit utile pour le bien de votre état. Nous osons dire à votre majesté que c’est un mauvais conseil qu’on lui donne de commencer l’année de sa majorité par tant de commandemens de puissance absolue, et de l’accoutumer à des actions dont les bons rois comme vous, sire, n’usent jamais que fort rarement[41]. »

Après avoir présenté à sa manière les faits de son histoire, dit qu’il tenait la place du conseil des grands barons de France, et qu’à ce titre il était de tout temps intervenu dans les affaires publiques, le parlement proposait un cahier de réformes à l’instar de ceux des états-généraux. Il demandait au roi de reprendre à l’intérieur et à l’extérieur les erremens politiques de son père, d’entretenir les mêmes alliances et de pratiquer les mêmes règles de gouvernement, de pourvoir à ce que sa souveraineté fût garantie contre les doctrines ultramontaines, et à ce que l’intérêt étranger ne s’insinuât par aucune voie dans la gestion des affaires d’état. Il passait en revue tous les désordres de l’administration la ruine des finances, les prodigalités, les dons excessifs et les pensions de faveur, les entraves mises à la justice par la cour et la haute noblesse, la connivence des officiers royaux avec les traitans, et l’avidité insatiable des ministres ; il montrait en perspective le soulèvement du peuple réduit au désespoir, et concluait par ces mots d’une fierté calme : « Sire, nous supplions très humblement votre majesté de nous permettre l’exécution si nécessaire de l’arrêt du mois de mars dernier. : . Et au cas que ces remontrances, par les mauvais conseils et artifices de ceux qui y sont intéressés, ne puissent avoir lieu et l’arrêt être exécuté, votre majesté trouvera bon, s’il lui plaît, que les officiers de son parlement fassent cette protestation solennelle, que, pour la décharge de leurs consciences envers Dieu et les hommes, pour le bien de votre service et la conservation de l’état, ils seront obligés de nommer ci-après en toute liberté les auteurs de tous ces désordres, et faire voir au public leurs déportements[42]. »

Le lendemain, 23 mai, un arrêt du conseil, ordonna de biffer ces remontrances des registres du parlement, et défendit à la compagnie de s’entremettre des affaires d’état sans l’ordre du roi. Le parlement demanda une nouvelle audience, elle lui fut refusée, et des ordres réitérés lui enjoignirent d’exécuter l’arrêt du conseil ; il résista, employant avec art tous les moyens dilatoires que sa procédure lui fournissait ; mais, tandis qu’il soutenait pied à pied la lutte légale, ceux qu’il avait convoqués à ses délibérations quittaient Paris et préparaient tout pour une prise d’armes. Le prince de Condé, le duc de Vendôme, les ducs de Bouillon, de Mayenne, de Longueville et d’autres grands seigneurs soulevèrent les provinces dont ils avaient le gouvernement, publièrent un manifeste contre la cour et levèrent des soldats au nom du jeune roi, violenté, disaient-ils, par ses ministres. Profitant des inquiétudes causées par les complaisances du gouvernement pour la coure de Rome, et par ses liaisons avec l’Espagne, ils entraînèrent dans leur parti les chefs des calvinistes[43], et la cause de la religion réformée, une fois associée à celle de la rébellion aristocratique, resta compromise par cette alliance. Ainsi commença, pour les protestans, la série de la Rochelle, leur fit perdre successivement toutes les garanties politiques et militaires dont les avait dotés l’édit de Nantes.

La guerre civile, dont les remontrances du parlement étaient le prétexte, se termina sans autre fait d’armes que des marches de troupes et de grands pillages commis par les soldats des princes révoltés. Dans le traité de paix conclu à Loudun et publié sous la forme d’un édit, il fut statué que l’arrêt de suppression des remontrances demeurerait sans effet, que les droits des cours souveraines seraient fixés par un accord entre le conseil du roi et le parlement, que le roi répondrait sous trois mois aux cahiers des états-généraux, et dans le même délai au fameux article du tiers-état sur l’indépendance de la couronne[44]. Mais toutes ces stipulations d’intérêt public restèrent en paroles, il n’y eut d’exécuté que les clauses secrètes qui accordaient aux chefs de la révolte des places de sûreté, des honneurs et six millions à partager entre eux. Ainsi satisfaits, les mécontens se réconcilièrent avec leurs ennemis de la cour, et les choses reprirent le même train de désordre et d’anarchie qu’auparavant. Le pouvoir divisé et annulé par les cabales qui se le disputaient ; une sorte de complot pour ramener la France en arrière au-delà du règne de Henri IV ; des tentatives qui faisaient dire aux uns avec une joie folle, aux autres avec une profonde affliction, que le temps des rois était passé, et que celui des grands était venu[45] ; la menace toujours présente d’une dissolution administrative et d’un démembrement du royaume par les intrigues des ambitieux unies à celles de l’étranger : voilà le spectacle qu’offrit au milieu de ses variations, le gouvernement de Louis XIII, jusqu’au jour où un homme d’état marqué dans les destinées de la France pour reprendre et achever l’œuvre politique de Henri-le-Grand, après s’être glissé au pouvoir à l’ombre d’un patronage, s’empara de la direction des affaires de haute lutte, par le droit du génie.

Le cardinal de Richelieu fut moins un ministre, dans le sens exact de ce mot, qu’un fondé de pouvoir universel de la royauté. Sa prépondérance au conseil suspendit l’exercice de la puissance héréditaire, sans que la monarchie cessât d’exister, et il semble que cela ait eu lieu pour que le progrès social, arrêté violemment depuis le dernier règne, reprît sa marche par l’impulsion d’une sorte de dictateur dont l’esprit fût libre des influences qu’exerce sur les personnes royales l’intérêt de famille et de dynastie. Par un étrange concours de circonstances, il se trouva que le prince faible, dont la destinée devait être de prêter son nom au règne du grand ministre, avait dans son caractère, ses instincts, ses qualités bonnes ou mauvaises, tout ce qui peut répondre aux conditions d’un pareil rôle. Louis XIII, ame sans ressort mais non sans intelligence, ne pouvait se passer d’un maître ; après en avoir accepté et quitté plusieurs, il prit et garda celui qu’il reconnut capable de mener la France au but que lui-même entrevoyait, et où il aspirait vaguement dans ses rêveries mélancoliques. On dirait qu’obsédé par la pensée des grandes choses qu’avait faites et voulues son père, il se sentît sous le poids d’immenses devoirs qu’il ne pouvait remplir que par le sacrifice de sa liberté d’homme et de roi. Souffrant parfois de ce joug, il était tenté de s’en affranchir, et aussitôt il venait le reprendre, vaincu par la conscience qu’il avait du bien public et par son admiration pour le génie dont les plans magnifiques promettaient l’ordre et la prospérité au dedans, la force et la gloire au dehors[46].

Dans ses tentatives d’innovation, Richelieu, simple ministre, dépassa de beaucoup en hardiesse le grand roi qui l’avait précédé. Il entreprit d’accélérer si fort le mouvement vers l’unité et l’égalité civiles, et de le porter si loin, que désormais il fût impossible de rétrograder. Après le règne de Philippe-le-Bel, la royauté avait reculé dans sa tâche révolutionnaire et fléchi sous une réaction de l’aristocratie féodale, après Charles V, il s’était fait de même un retour en arrière ; l’œuvre de Louis XI avait été près de s’abîmer dans les troubles du XVIe siècle, et celle de Henri IV se trouvait compromise par quinze ans de désordre et de faiblesse. Pour qu’elle ne pérît pas, il fallait trois choses : que la haute noblesse fût définitivement contrainte à l’obéissance au roi et à la loi, que le protestantisme cessât d’être un parti armé dans l’état, que la France pût choisir ses alliés librement dans son intérêt et dans celui de l’indépendance européenne. C’est à ce triple objet que le ministre-roi employa sa puissance d’esprit, son infatigable activité, des passions ardentes et une force d’ame héroïque[47]. Sa vie de tous les jours fut une lutte acharnée contre les grands, la famille royale, les cours souveraines, tout ce qu’il y avait de hautes existences et de corps constitués dans le pays. Pour tout réduire au même niveau de soumission et d’ordre ; il éleva la royauté au-dessus des liens de famille et du lien des précédens ; il l’isola dans sa sphère comme une pure idée, l’idée vivante du salut public et de l’intérêt national[48].

Des hauteurs de ce principe, il fit descendre dans l’exercice de l’autorité suprême une logique impassible et des rigueurs impitoyables. Il fut sans merci comme il était sans crainte, et mit sous ses pieds le respect des formes et des traditions judiciaires. Il fit prononcer des sentences de mort par des commissaires de son choix, frappa, jusque sur les marches du trône, les ennemis de la chose publique, ennemis en même temps de sa fortune, et confondit ses haines personnelles avec la vindicte de l’état. Nul ne peut dire s’il y eut ou non, du mensonge dans la sécurité de conscience qu’il fit voir à ses derniers momens[49] ; Dieu seul a connu le fond de sa pensée. Nous qui avons recueilli le fruit lointain de ses veilles et de son dévouement patriotique, nous ne pouvons que nous incliner devant cet homme de révolution par qui ont été préparées les voies de la société nouvelle. Mais quelque chose de triste demeure attaché à sa gloire ; il a tout sacrifié au succès de son entreprise ; il a étouffé en lui-même et refoulé dans de nobles ames les principes éternels de la morale et de l’humanité[50]. À la vue des grandes choses qu’il a faites, on l’admire avec gratitude, on voudrait, on ne saurait l’aimer.

Les novateurs les plus intrépides sentent qu’ils ont besoin de l’opinion ; avant d’exécuter ses plans politiques, Richelieu voulut les soumettre à l’épreuve d’un débat solennel, pour qu’ils lui revinssent confirmés par une sorte d’adhésion nationale. Il ne pouvait songer aux états généraux ; membre de ceux de 1614, il les avait vus à l’œuvre, et d’ailleurs son génie absolu répugnait à ces grandes réunions ; l’appui moral qu’il désirait, il le chercha dans une assemblée de notables. Il convoqua au mois de novembre 1626 cinquante-cinq personnes de son choix, douze membres du clergé, quatorze de la noblesse et vingt-sept des cours souveraines, avec un trésorier de France et le prévôt des marchands de Paris. Gaston, frère du roi, fut président et les maréchaux de la Force et de Bassompierre vice-présidens de l’assemblée ; mais les nobles qui y siégèrent, conseillers d’état pour la plupart, appartenaient à l’administration plutôt qu’à la cour ; il ne s’y trouva ni un duc et pair, ni un gouverneur de province[51].

Devant cette réunion d’élite, dont les hommes du tiers-état formaient plus de la moitie, Richelieu développa lui-même tout le plan de sa politique intérieure[52]. L’initiative des propositions partit du gouvernement, non de l’assemblée ; une même pensée pénétra tout, les demandes comme les réponses, et, dans le travail d’où résulta le cahier des votes, on ne saurait distinguer ce qui fut la part du ministre et ce qui fut celle des notables. Des principes d’administration conformes au génie social et à l’avenir de la France furent posés d’un commun accord : l’assiette de l’impôt doit être telle que les classes qui produisent et qui souffrent n’en soient pas grevées ; — c’est dans l’industrie et le commerce qu’est le ressort de la prospérité nationale, on doit faire en sorte que cette carrière soit de plus en plus considérable et tenue à honneur ; — il faut que la puissance de l’état ait pour base une armée permanente où les grades soient accessibles à tous, et qui répande l’esprit militaire dans les classes non nobles de la nation. Quant aux mesures promises ou réclamées, les principales eurent pour objet l’abaissement des dépenses de l’état au niveau des recettes, et la réduction des dépenses improductives au profit des dépenses productives ; l’augmentation des forces maritimes en vue du trafic lointain ; l’établissement de grandes compagnies de commerce et la reprise à l’intérieur des grands projets de canalisation ; la sécurité des gens de travail garantie contre l’indiscipline des gens de guerre par la sévérité de la police et la régularité de la solde ; enfin, la démolition, dans toutes les provinces, des forteresses et châteaux inutiles à la défense du royaume.

L’assemblée des notables se sépara le 24 février 1627, et aussitôt une commission fut nommée pour rédiger en un même corps de lois les réformes nouvellement promises et celles qui devaient répondre aux cahiers des états de 1614. En même temps la plus matérielle, et la moins populaire de ses réformes, la démolition des forteresses, cantonnemens de la noblesse factieuse et de la soldatesque des guerres civiles, commença de s’exécuter. À chaque époque décisive du progrès vers l’unité nationale, ce genre de destruction avait eu lieu par l’autorité des rois ; Charles V, Louis XI et Henri IV s’attaquèrent aux donjons pour mater l’esprit féodal ; en cela comme en tout, Richelieu fit faire un pas immense à l’œuvre de ses devanciers. Les mesures à prendre pour ce qu’on pourrait nommer l’aplanissement politique du sol français furent confiées par lui à la diligence des provinces et des municipalités, et, d’un bout à l’autre du royaume, les masses plébéiennes se levèrent pour abattre de leurs mains les murs crénelés, repaires de tyrannie ou de brigandage, que, de génération en génération, les enfans apprenaient à maudire. Selon la vive expression d’un historien patriote, « les villes coururent aux citadelles, les campagnes aux châteaux, chacun à sa haine[53]. » Mais l’ordre, qui souvent marque la profondeur des sentimens populaires, présida à cette grande exécution que le pays faisait sur lui-même ; aucune dévastation inutile ne fut commise, on combla les fossés, on rasa les forts, les bastions, tout ce qui était un moyen de résistance militaire ; on laissa debout ce qui ne pouvait être qu’un monument du passé.

Pendant ce temps, la commission de réforme législative poursuivait son travail sous la présidence du garde-des-sceaux, Marillac. Il en résulta l’ordonnance de janvier 1629, égale en mérite et supérieure en étendue aux grandes ordonnances du XVIe siècle. Ce nouveau code n’avait pas moins de quatre cent soixante et un articles. Il touche à toutes les parties de la législation : droit civil, droit criminel, police générale, affaires ecclésiastiques, instruction publique, justice, finances, commerce, armée, marine. Inspiré à la fois par le vœu national et par la pensée de Richelieu, il est empreint de cette pensée quoique le grand ministre ait dédaigné d’y prétendre aucune part, et que l’opposition du parlement, soulevée contre cette œuvre de haute sagesse, ait, dans un sobriquet burlesque, attaché un autre nom que le sien[54].

L’ordonnance ; ou plutôt le code de 1629, eut pour but de répondre à la fois aux demandes des derniers états-généraux et à celles de deux assemblées de notables[55]. Parmi les dispositions prises d’après les cahiers de 1615, la plupart furent puisées dans celui du tiers-état ; je n’en ferai point l’analyse, j’observerai seulement qu’en beaucoup de cas la réponse donnée reste en arrière ou s’écarte un peu de la demande. On sent que le législateur s’étudie à concilier les intérêts divergens des ordres, et qu’il veut borner la réforme à de certaines limites. Si la suppression des banalités sans titre et des corvées abusives est accordée au tiers, il n’est point répondu à son vœu pour l’affranchissement des main-mortables[56]. Le temps des campagnes libres n’était pas venu, celui des villes libres, était passé. Ce n’est qu’en termes évasifs que l’ordonnance répond à la demande d’émancipation du régime municipal, et elle décrète spontanément l’uniformité de ce régime ; elle veut que tous les corps de ville soient réduits, autant que possible, au modèle de celui de Paris[57]. À ces tendances vers l’unité, elle en joint d’autres non moins fécondes pour le développement national. Elle introduit dans l’armée le principe démocratique par la faculté donnée à tous, de s’élever à tous les grades ; elle relâche pour la noblesse les liens qui, sous peine de déchéance, l’attachaient à la vie oisive ; elle attire la haute bourgeoisie de l’ambition des offices vers le commerce ; elle invite la nation tout entière à s’élancer dans les voies de l’activité :

« Le soldat par ses services pourra monter aux charges et offices des « compagnies, de degré en degré, jusques à celui de capitaine ; et plus avant s’il s’en rend digne.

« Pour convier nos sujets de quelque qualité et condition qu’ils soient de s’adonner au commerce et trafic par mer, et faire connoître que notre intention est de relever et faire honorer ceux qui s’y occuperont, nous ordonnons que tous gentilshommes, qui, par eux ou par personnes interposées, entreront en part et société dans les vaisseaux, denrées et marchandises d’iceux, ne dérogeront point à noblesse… et que ceux qui ne seront nobles, après avoir entretenu cinq ans un vaisseau de deux à trois cents tonneaux, jouiront des privilèges de noblesse, tant et si longuement qu’ils continueront l’entretien dudit vaisseau dans le commerce, pourvu qu’ils l’ayent fait bastir en notre royaume et non autrement : et en cas qu’ils meurent dans le trafic, après l’avoir continué quinze ans durant, nous voulons que les veuves jouissent du même privilège durant leur viduité, comme aussi leurs enfants, pourvu que l’un d’entre eux continue la négociation dudit commerce et, l’entretien d’un vaisseau par l’espace de dix ans. Voulons en outre que les marchands grossiers qui tiennent magasins sans vendre en détail ou autres marchands qui auront esté eschevins, consuls ou gardes de leurs corps, puissent prendre la qualité de nobles, et tenir rang et séance en toutes les assemblées publiques et particulières immédiatement après nos lieutenans-généraux, conseillers des siéges présidiaux, et nos procureurs-généraux esdits siéges, et autres juges royaux qui seront sur les lieux.

« Exhortons nos sujets qui en ont le moyen et l’industrie de se lier et unir ensemble pour former de bonnes et fortes compagnies et sociétez de trafic, navigation et marchandise, en la manière qu’ils verront bon estre. Promettons les protéger et desfendre, les accroître de privilèges et faveurs spéciales, et les maintenir en toutes les matières qu’ils désireront pour la bonne conduite et succès de leur commerce[58]. »

Tout ce qui était possible en fait d’améliorations sociales au temps de Richelieu fut exécuté par cet homme dont l’intelligence comprenait tout, dont le génie pratique n’omettait rien, qui allait de l’ensemble aux détails, de l’idée à l’action avec une merveilleuse habileté. Maniant une foule d’affaires grandes et petites en même temps et avec la même ardeur, partout présent de sa personne ou de sa pensée, il eut à un degré unique l’universalité et la liberté d’esprit. Prince de l’église romaine, il voulut que le clergé fût national ; vainqueur des calvinistes, il ne frappa que la rébellion, et respecta les droits de la conscience[59] ; enfant de la noblesse et imbu de son orgueil ; il agit comme s’il eût reçu mission de préparer le règne du tiers-état. La fin dernière de sa politique intérieure fut ce qui faisait grandir et tendait à déclasser la bourgeoisie, ce fut le progrès du commerce et le progrès des lettres, le travail, soit de l’esprit, soit de la main. Richelieu ne reconnaissait au-dessous du trône qu’une dignité égale à la sienne, celle de l’écrivain et du penseur ; il voulait qu’un homme du nom de Chapelain ou de Gombauld lui parlât couvert. Mais, tandis que par de grandes mesures commerciales et une grande institution littéraire[60], il multipliait pour la roture, en dehors des offices, les places d’honneur dans l’état, il comprimait, sous le niveau d’un pouvoir sans bornes les vieilles libertés des villes et des provinces. États particuliers, constitutions municipales, tout ce qu’avaient stipulé comme droits les pays agrégés à la couronne ; tout ce qu’avait créé la bourgeoisie dans son âge héroïque, fut refoulé par lui plus bas que jamais. Il y eut là des souffrances plébéiennes, souffrances malheureusement nécessaires, mais que cette nécessité ne rendait pas moins vives, et qui accompagnèrent de crise en crise l’enfantement de la centralisation moderne.

Quant à la politique extérieure du grand ministre, cette partie de son œuvre, non moins admirable que l’autre, a de plus le singulier mérite de n’avoir rien perdu par le cours du temps et les révolutions de l’Europe, d’être pour nous, après deux siècles, aussi vivante, aussi nationale qu’au premier jour. C’est la politique même qui, depuis la chute de l’empire et la résurrection de la France libérale, n’a cessé de former, pour ainsi dire, une part de la conscience du pays ; c’est celle que la nation demandait avec instance et avec menace à deux régimes qu’elle a brisés, celle que, dans sa pleine liberté d’action, elle veut pratiquer désormais. Le maintien des nationalités indépendantes, l’affranchissement des nationalités opprimées, le respect des liens naturels, que forme la communauté de race et de langue, la paix et l’amitié pour les faibles, la guerre contre les oppresseurs de la liberté et de la civilisation générales tous ces devoirs que s’impose notre libéralisme démocratique furent implicitement compris dans le plan de conduite au dehors dicté à un roi par homme d’état dont l’idéal au-dedans était le pouvoir absolu[61]. Sur la question des droits de la France à un agrandissement qui lui donne ses frontières définitives, question souvent posée depuis trois siècles et aujourd’hui encore pendante, Henri IV disait : « Je veux bien que la langue espagnole demeure à l’Espagnol, l’allemande à l’Allemand, mais toute la françoise doit être à moi[62]. » Un contemporain de Richelieu, peut-être l’un de ses confidens, lui fait dire : « Le but de mon ministère a été celui-ci : rétablir les limites naturelles de la Gaule, identifier la Gaule avec la France, et partout où fut l’ancienne Gaule constituer la nouvelle[63]. » De ces deux principes combinés ensemble et se modérant l’un l’autre, sortira, quand les temps seront venus, la fixation dernière du sol français possédé par nous à titre légitime et perpétuel, au nom du double droit de la nature et de l’histoire.

La conception d’un nouveau système politique de l’Europe fondé sur l’équilibre des forces rivales, et où la France exerçât, non à son profit, mais pour le maintien de l’indépendance commune, l’ascendant ravi à l’Espagne, cette conception de Henri-le-Grand, évanouie à sa mort comme un rêve, fut exécutée par Richelieu à force de négociations et de victoires. Quand le ministre de Louis XIII mourut épuisé de veilles patriotique[64], l’ouvrage était presque à sa fin ; une habile persévérance, jointe à d’éclatans faits d’armes[65], amena, en moins de cinq ans, l’acte fondamental de la réorganisation européenne, le glorieux traité de Westphalie[66]. Cette partie de l’œuvre du grand homme d’état, sa politique extérieure, voilà ce qui, de son temps, fut le mieux compris, ce qui parut aux esprits élevés beau sans mélange[67] ; pour le reste, il y eut doute ou répugnance. Comme après le règne de Louis XI, l’opinion publique réagit contre l’action révolutionnaire du pouvoir. Les classes mêmes à qui devaient profiter le nivellement des existences nobiliaires et l’ordre imposé à tous furent moins frappées de l’avenir prépare pour elles, moins sensibles à l’excellence du but qu’indignés de la violence des moyens, et choquées, par l’excès de l’arbitraire. Cette réaction du tiers-état contre la dictature ministérielle, c’est-à-dire contre ce qu’il y avait eu de plus hardiment novateur dans l’action du pouvoir royal, fut le principe et l’aliment des guerres civiles de la fronde.


AUGUSTIN THIERRY.

  1. Ce morceau fait partie de l’Introduction du Recueil des Monumens inédits de l’Histoire du Tiers-État, dont le premier volume paraîtra bientôt. La Revue a déjà publié deux chapitres de ce travail. Voyez les livraisons du 15 mai et du 1er juin 1846.
  2. Du nom du traitant Paulet, qui en prit la ferme ; ce droit était d’un soixantième de la finance, à laquelle on évaluait l’office
  3. Voyez le rapport de mon frère Amédée Thierry sur le concours du prix d’histoire, décerné en, 1844 par l’Académie des sciences morales et politiques. (Mémoires de l’Académie, t. V, p. 826.)
  4. « Je remarquai que mondit sieur le chancelier, parlant en sa harangue à messieurs du clergé et de la noblesse, mettoit la main à son bonnet carré, et se découvroit, ce qu’il ne fit point lorsqu’il parloit au tiers-état. » (Relation des états-généraux de 1614, par Florimond Rapine, député du tiers-état de Nivernais, Des États-Généraux, etc ? n Recueil de Mayer, t. XVI, p. 102.)
  5. Mercure françois, troisième continuation, t. III, année 1614, p. 32.
  6. Voyez le discours du lieutenant-général de Saintes, Relation des États de 1614 par Florimond Rapine, p. 167.
  7. Depuis la mort de Henri IV.
  8. « Quelques belles paroles qu’il pût prononcer (l’archevêque d’Aix), si ne put-il jamais faire départir notre compagnie de sa résolution de demander conjointement lesdites propositions, parce qu’on voyoit clairement qu’il y avoit de l’artifice, et que le clergé et la noblesse s’entendoient à la ruine des officiers et à la continuation de la charge et oppression du pauvre peuple, et ne vouloient point qu’on demandât le retranchement de leurs pensions, tant ils faisoient marcher leurs intérêts avant tout. » ( Relation de Florimond Rapine, p. 182).
  9. C’est-à-dire les Francs. Le soin de distinguer ces deux noms est une précaution de la science moderne ; ici, leur confusion involontaire donnait encore plus de force au discours.
  10. Procès-verbal et cahier, de la noblesse ès états de l’an 1615, manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 283, fol. 523, verso.
  11. Relation de Florimond Rapine, p. 198.
  12. Relation de Florimond Rapine, p. 199 et suiv.
  13. Procès-verbal et cahier de la noblesse ès états de l’an 1615, manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 283, fol. 61, verso. (Relation de Florimond Rapine, p. 226.)
  14. procès-verbal et cahier de la noblesse, manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 283, fol. 63, verso.
  15. Aux états-généraux de 1302.
  16. Voyez, dans la Relation de Florimond Rapine, des états-généraux, etc., t. XVI, 2e partie, p. 112-164, le discours du cardinal du Perron, orateur du clergé, et la réplique de Robert Miron, président du tiers-état.
  17. Henri IV n’avait régné qu’en vertu d’une transaction avec ses sujets catholiques.
  18. Les provinces étaient très inégales en nombre de représentans ; mais le vote par bailliages, qui, dans cette occasion, fut réclamé inutilement, répondait presque au vote par tête.
  19. « Nous déclarons, en conséquence, que les rois et les souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique, par l’ordre de Dieu, dans les choses temporelles ; qu’ils ne peuvent être déposés ni directement ni indirectement par l’autorité des clés de l’église ; que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l’obéissance qu’ils leur doivent, ni absous du serment de fidélité ; et que cette doctrine, nécessaire pour la tranquillité publique, et non moins avantageuse à l’église qu’à l’état, doit être inviolablement suivie comme conforme à la parole de Dieu, à la tradition des saints pères et aux exemples des saints. » (Déclaration du 19 mars 1682, Manuel du droit public ecclésiastique français, par M. Dupin, p. 126.)
  20. Voyez procès-verbal et cahier de la noblesse, manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 2833, fol. 172.
  21. Manuscrit de la Bibliothèque du roi, collection Fontanieu. (Pièces, lettres et négociations). P. 187.
  22. On y compte 659 articles formant neuf chapitres intitulés : Des lois fondamentales de l’état de l’église, des hôpitaux, de l’Université, de la noblesse, de la justice, des finances et domaines, des suppressions et révocations, police et marchandise.
  23. Ce que je dis s’applique à l’ensemble et non à tous les articles du cahier ; plusieurs d’entre eux portent la trace inévitable des préjugés qui dominaient alors, tels que le système prohibitif, l’utilité des lois somptuaires et la nécessité de la censure.
  24. Ce mode d’élection mitigée ; s’il fut jamais suivi régulièrement, ne put l’être que de 1561 à 1579 ; l’ordonnance de Blois, rendue à cette dernière date, laisse au roi la faculté de nomination pure et simple.
  25. Cahier du tiers-état de 1615, art. 7, 53, 33, 62 et 41. (Manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 284.)
  26. Cahier du tiers-état, art. 532 ; 165, 167 et 309.
  27. Cahier du tiers-état, art. 239, 549, 614, 615, 616, 387 et 389.
  28. Cahier du tiers-état, art. 593, 594 et 528.
  29. Les concessions faites là-dessus par la noblesse furent ce qui lui gagna l’alliance du clergé dans sa querelle avec le tiers-état.
  30. « Sa majesté n’aura, s’il lui plaint, aucun égard à tous tes articles qui lui seront présentés dans les cahiers du tiers-état, au préjudice des justices des gentilshommes,… attendu que ladite chambre s’étant trouvée composée pour la plus grande partie de lieutenans-généraux et officiers aux bailliages, leur principal dessein n’a été que d’accroître leur autorité et augmenter leur profit au préjudice de ce que la noblesse a si dignement mérité… » (Cahier de la noblesse de 1615, fol. 233, 254, 229, 262 et 256).
  31. Voyez dans le cahier de la noblesse l’article relatif à l’état des baillis et sénéchaux, fol. 234.
  32. Cahier de la noblesse, fol. 229, 232, 233, 234, 278 et 229.
  33. L’interdiction réclamée par lui atteint non-seulement les gentilshommes, à cause de leur privilège, mais encore les officiers royaux, à cause de l’influence attachée à leur position. Voyez le cahier du tiers-état, art. 161, et le cahier de la noblesse, fol. 232.
  34. Relation de Florimond Rapine, IIIe partie, p. 119.
  35. C’est ce mot de Sieyès qui amena le serment du jeu de paume.
  36. Florimond Rapine, député du tiers-état de Nivernais.
  37. Voyez le cahier du tiers-état, art. 491 et 493 ; celui du clergé, art. 158 ; et celui de la noblesse, fol. 314, verso. (Manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 282, 283 et 284).
  38. Durant les troubles de la fronde, les états-généraux furent convoqués à deux reprises ; d’abord spontanément par la cour an lutte avec la bourgeoisie ; ensuite sur les instances de la noblesse unie au clergé. Des philanthropes, joints au parti aristocratique, les réclamèrent au déclin du règne de Louis XIV. Le régent y songea pour étayer son pouvoir, et il n’en fut point question sous le règne de Louis XV. Leur souvenir, presque éteint pour la masse nationale, ne se raviva qu’à l’heure où ils se présentèrent à elle comme la clé d’une révolution.
  39. Le parlement disait de lui-même qu’il était les états-généraux au petit pied.
  40. On en vit un exemple en 1615 à propos du droit annuel d’où provenait l’hérédité des charges. La chambre du tiers-état en avait demandé l’abolition, quoique la plupart de ses membres fussent officiers de judicature. Le parlement, dès que les cahiers eurent été remis au roi, s’assembla pour protester contre cette réforme et pour dénoncer en même temps les abus de l’administration, faisant ainsi un mélange bizarre de l’intérêt public et de son intérêt particulier. (Voyez la Relation de Florimond Rapine, IIIe part., p. 130, 131 et 137.)
  41. Des États Généraux, etc., t. XVII, deuxième partie, p. 141 et 144.
  42. Des États-Généraux, etc., t. XVII, deuxième partie, p. 174 et suiv.
  43. Les ducs de Rohan, de Soubise et de La Trémouille, et même le duc de Sully.
  44. Voyez l’édit donné à Blois au moi de mai 1616. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 82).
  45. Mémoires de Sully, collection Michaud, deuxième série, t. II, p. 388.
  46. Voyez le Testament politique du cardinal de Richelieu.
  47. « Lorsque votre majesté se résolut de me donner en même temps et l’entrée de ses conseils et grande part en sa confiance pour la direction de ses affaires, je puis dire avec vérité que les huguenots partageoient l’état avec elle ; que les grands se conduisoient comme s’il n’eussent pas été ses sujets ; et les plus puissans gouverneurs des provinces comme s’ils eussent été souverains en leurs charges… Je puis encore dire que les alliances étrangères étoient méprisées ; les intérêts particuliers préférez aux publics ; en un mot la dignité de la majesté royale étoient tellement ravallée et si différente de ce qu’elle devoit être, par le défaut de ceux qui avoient lors la principale conduite de nos affaires, qu’il étoit presque impossible de la reconnoitre. » (Testament politique de Richelieu, première partie, p. 5 ; Amsterdam, 1788.)
  48. « Les intérêts publics doivent être l’unique fin du prince et de ses conseillers. » (Test., deuxième partie, p. 222.) - « Croire que, pour être fils ou frère du roi ou prince du sang, on puisse impunément troubler le royaume, c’est se tromper. Il est plus raisonnable d’assurer le royaume et la royauté que d’avoir égard à leurs qualités… Les fils, frères et autres parens des rois sont sujets aux lois comme les autres, et principalement quand il est question du crime de lèse-majesté. » (Mémoires du cardinal de Richelieu, collection Michaud, deuxième série, t. VIII, p. 407.)
  49. « Le curé lui demandant s’il ne pardonnoit point à ses ennemis, il répondit qu’il n’en avoit point que ceux de l’état. » (Mémoires de Montglat, collection Michaud, troisième série, t. V, p. 133.) - Voyez aussi Mémoires de Montchal, Rotterdam, 1718, p. 268.
  50. « Le cardinal de Richelieu a fait des crimes de ce qui faisoit dans le siècle passé les vertus des Miron, des Harlay, des Marillac, des Pibrac et des Faye. Ces martyrs de l’estat, qui, par leurs bonnes et saintes maximes, ont plus dissipé de factions que l’or d’Espagne et d’Angleterre n’en a faict naistre, ont esté les défenseurs de la doctrine pour la conservation de laquelle le cardinal de Richelieu confina M. le président Barillon à Amboise ; et c’est lui qui a commencé à punir les magistrats pour avoir advancé des vérités pour lesquelles leur serment les oblige d’exposer leur propre vie. » (Mémoires du cardinal de Raiz, collection Michaud et Poujoulat, p. 50.)
  51. La séance d’ouverture eut lieu le 2 décembre, dans la grande salle des Tuileries.
  52. Voyez son discours et celui du garde-des-sceaux Marillac, dans le procès-verbal de l’assemblée de 1626. (Des États-Généraux, etc., t. XIII, p. 207 et suiv.)
  53. M. Henri Martin, Histoire de France, t. XII, p. 527.
  54. Les gens de robe affectèrent de ridiculiser l’ordonnance de 1629 en l’appelant Code Michaud, du prénom de son rédacteur, le garde-des-sceaux Michel de Marillac.
  55. Celle de 1617, dont je n’ai pas fait mention, et celle de 1626. — Ordonnance sur les plaintes des états assemblés à Paris en 1614, et de l’assemblée des notables réunis à Rouen et à Paris en 1617 et 1626. (Recueil des anciennes Lois françaises, t. XVI, p. 223 et suivante.)
  56. Odonnance de 1629, art. 206 et 207 – Voyez plus haut l’analyse du cahier de 1615.
  57. Ordonanance de 1629, art. 412.
  58. Ordonnance de 1899, art. 453 et 439.
  59. Aux termes du traité d’Alais, 28 juin 1639, l’édit de Nantes fut confirmé et juré solennellement par le roi.
  60. Voyez les lettres patentes de janvier 1635 pour l’établissement de l’Académie française ; les lettres de création de la charge de surintendant de la marine et de la navigation, octobre 1626 ; les lettres de juillet et novembre 1634, et l’édit de mars 1642, pour la formation et le soutien d’une compagnie des Indes occidentales. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI ; p. 418, 194, 409, 415 et 540.)
  61. Il est curieux de voir dans quels termes de dévouement à la cause de l’émancipation européenne lui-même parle de son intervention dans les affaires de l’Italie ; de l’Allemagne et des Pays-Bas.A chaque événement militaire ou diplomatique, il s’agit d’affranchir un prince ou un peuple de l’oppression des Espagnols, de la tyrannie de la maison d’Autriche ; de la terreur causée par l’avidité insatiable de cette maison ennemie du repos de la chrétienté, d’arrêter ses usurpations, de lui faire rendre ce qu’elle a usurpé en Suisse ou en Italie, de garantir toute l’Italie de son injuste oppression, de veiller au salut de toute l’Italie, de sauver et d’assurer contre l’Autriche les droits des princes de l’empire. (Testament politique du cardinal de Richelieu, première partie, chapitre Ier, p. 9, 10, 14, 15, 18, 24, 25 et 26.)
  62. Histoire du règne de Henri-le-Grand, par Mathieu, t. II, p. 444.
  63. « Hic ministerii mei scopus, restituere Galliae limites, quos natura praefixit… confundere Galliam cum Francià, et ubicumque fuit antiqua Gallia, ibi restaurare novem. » Testamentum politicum, ap. Petri Labbe Elogia sacra, etc. Ed. 1706, p. 253 et suiv.) – La pièce qui renferme ces mots remarquables, et qui parut moins d’un an après la mort lu cardinal est une amplification incrustée, selon toute apparence, de paroles, textuellement recueillies de sa bouche. Richelieu aimait à s’épancher avec ses amis ; il dictait beaucoup à ceux qui l’entouraient, et, comme on l’a vu de Napoléon, des personnes curieuses prenaient note de ses entretiens.
  64. Le 4 décembre 1642.
  65. Les victoires de Rocroi, de Nordlingen et de Lens.
  66. Signé à Munster le 24 octobre 1648.
  67. Voiture, dans l’une de ses lettres, se place, pour juger Richelieu encore visant, au point de vue de la postérité : « Lorsque, dans deux cents ans, ceux qui viendront après nous liront en notre histoire que le cardinal de Richelieu… s’ils ont quelque goutte de sang François dans les veines et quelque amour pour la gloire de leur pays, pourront-ils lire ces choses sans s’affectionner à lui ; et, à votre avis, l’aimeront-ils ou l’estimeront-ils moins à cause que, de son temps, les rentes sur l’hôtel-de-ville se seront payées un peu plus tard, ou que l’on aura mis quelques nouveaux officiers dans la chambre des comptes ? Toutes les grandes choses coûtent beaucoup !… » (Lettre LXXIV édition de 1701, p. 179.)