Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre premier/Chapitre X

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CHAPITRE X.

Certains anatomistes attribuent à l’humanité des origines multiples.

Il faut interroger, d’abord, le mot race dans sa portée physiologique.

L’opinion d’un grand nombre d’observateurs, procédant de la première impression et jugeant sur les extrêmes (1)[1], déclare que les familles humaines sont marquées de différences tellement radicales, tellement essentielles, qu’on ne peut faire moins que de leur refuser l’identité d’origine. À côté de la descendance adamique, les érudits ralliés à ce système supposent plusieurs autres généalogies. Pour eux l’unité primordiale n’existe pas dans l’espèce, ou, pour mieux dire, il n’y a pas une seule espèce ; il y en a trois, quatre, et davantage, d’où sont issues des générations parfaitement distinctes, qui, par leurs mélanges, ont formé des hybrides.

Pour appuyer cette théorie, on s’empare assez aisément de la conviction commune en plaçant sous les yeux du critique les dissemblances évidentes, claires, frappantes des groupes humains. Lorsque l’observateur se voit mettre en face d’un sujet à carnation jaunâtre, à barbe et cheveux rares, à masque large, à crâne pyramidal, aux yeux fortement obliques, à la peau des paupières si étroitement tendue vers l’angle externe que l’œil s’ouvre à peine, à la stature assez humble et aux membres lourds (1)[2], cet observateur reconnaît un type bien caractérisé, bien marqué, et dont il est certainement facile de garder les principaux traits dans la mémoire.

Un autre individu paraît : c’est un nègre de la côte occidentale d’Afrique, grand, d’aspect vigoureux, aux membres lourds, avec une tendance marquée à l’obésité (2)[3]. La couleur n’est plus jaunâtre, mais entièrement noire ; les cheveux ne sont plus rares et effilés, mais, au contraire, épais, grossiers, laineux et poussant avec exubérance ; la mâchoire inférieure avance en saillie, le crâne affecte cette forme que l’on a appelée prognathe, et quant à la stature, elle n’est pas moins particulière. « Les os longs sont déjetés en dehors, le tibia et le péroné sont, en avant, plus convexes que chez les Européens, les mollets sont très hauts et atteignent jusqu’au jarret ; les pieds sont très plats, et le calcanéum, au lieu d’être arqué, se continue presque en ligne droite avec les autres os du pied, qui est remarquablement large. La main présente aussi, dans sa disposition générale, quelque chose d’analogue (3)[4]. »

Quand l’œil s’est fixé un instant sur un individu ainsi conformé, l’esprit se rappelle involontairement la structure du singe et se sent enclin à admettre que les races nègres de l’Afrique occidentale sont sorties d’une souche qui n’a rien de commun, sinon certains rapports généraux dans les formes, avec la famille mongole.

Viennent ensuite des tribus dont l’aspect flatte moins encore que celui du nègre congo l’amour-propre de l’humanité. C’est un mérite particulier de l’Océanie que de fournir les spécimens à peu près les plus dégradés, les plus hideux, les plus repoussants de ces êtres misérables, formés, en apparence, pour servir de transition entre l’homme et la brute pure et simple. Vis-à-vis de plusieurs tribus australiennes, le nègre africain, lui-même, se rehausse, prend de la valeur, semble trahir une meilleure descendance. Chez beaucoup des malheureuses populations de ce monde dernier trouvé, la grosseur de la tête, l’excessive maigreur des membres, la forme famélique du corps, présentent un aspect hideux. Les cheveux sont plats ou ondulés, plus souvent laineux, la carnation est noire, sur un fond gris (1)[5].

Enfin, si, après avoir examiné ces types pris dans tous les coins du globe, on revient aux habitants de l’Europe, du sud et de l’ouest de l’Asie, on leur trouve une telle supériorité de beauté, de justesse dans la proportion des membres, de régularité dans les traits du visage, que, tout de suite, on est tenté d’accepter la conclusion des partisans de la multiplicité des races. Non seulement, les derniers peuples que je viens de nommer sont plus beaux que le reste de l’humanité, compendium assez triste, il faut en convenir, de bien des laideurs (2)[6] ; non seulement ces peuples ont eu la gloire de fournir les modèles admirables de la Vénus, de l’Apollon et de l’Hercule Farnèse ; mais, de plus, entre eux, une hiérarchie visible est établie de toute antiquité, et, dans cette noblesse humaine, hmaine, les Européens sont les plus éminents par la beauté des formes et la vigueur du développement musculaire. Rien donc qui semble plus raisonnable que de déclarer les familles dont l’humanité se compose aussi étrangères, l’une à l’autre, que le sont, entre eux, les animaux d’espèces différentes.

Telle fut aussi la conclusion tirée des premières remarques, et, tant que l’on ne prononça que sur des faits généraux, il ne sembla pas que rien pût l’infirmer.

Camper, un des premiers, systématisa ces études. Il ne se contenta plus de décider uniquement d’après des témoignages superficiels ; il voulut asseoir ses démonstrations d’une manière mathématique, et chercha à préciser, anatomiquement, les différences caractéristiques des catégories humaines. En réussissant, il établissait une méthode stricte qui ne laissait plus de place aux doutes, et ses opinions acquéraient cette rigueur sans laquelle il n’y a point véritablement de science. Il imagina donc de prendre la face latérale de la tête osseuse, et de mesurer l’ouverture du profil au moyen de deux lignes appelées, par lui, lignes faciales. Leur intersection formait un angle, qui, par sa plus ou moins grande ouverture, devait donner la mesure du degré d’élévation de la race. L’une de ces lignes allait de la base du nez au méat auditif ; l’autre était tangente à la saillie du front par le haut, et par en bas à la partie la plus proéminente de la mâchoire inférieure. Au moyen de l’angle ainsi formé, on établissait, non seulement pour l’homme, mais pour toutes les classes d’animaux, une échelle dont l’Européen formait le sommet ; et plus l’angle était aigu, plus les sujets s’éloignaient du type qui, dans la pensée de Camper, résumait le plus de perfection. Ainsi, les oiseaux formaient avec les poissons, le plus petit angle. Les mammifères des différentes classes l’agrandissaient. Une certaine espèce de singe montait jusqu’à 42 degrés, même jusqu’à 50. Puis venait la tête du nègre d’Afrique, qui, ainsi que celle du Kalmouk, en présentait 70. L’Européen atteignait 80, et, pour citer les paroles mêmes de l’inventeur, paroles si flatteuses pour notre congénère : « C’est, dit-il, de cette différence de 10 degrés que dépend sa beauté plus grande, ce qu’on peut appeler sa beauté comparative. Quant à cette beauté absolue qui nous frappe à un si haut degré dans quelques œuvres de la statuaire antique, comme dans la tête de l’Apollon et dans la Méduse de Sosiclès, elle résulte d’une ouverture encore plus grande de l’angle, qui, dans ce cas, atteint jusqu’à 100 degrés (1)[7]. »

Cette méthode était séduisante par sa simplicité. Malheureusement, elle eut contre elle les faits, accident arrivé à bien des systèmes. Owen établit, par une série d’observations sans réplique, que Camper n’avait étudié la conformation de la tête osseuse des singes que sur de jeunes sujets, et que, chez les individus parvenus à l’âge adulte, la croissance des dents, l’élargissement des mâchoires et le développement de l’arcade zygomatique n’étant pas accompagnés d’un agrandissement correspondant du cerveau, les différences avec la tête humaine sont tout autres que celles dont Camper avait établi les chiffres, puisque l’angle facial de l’orang noir ou du chimpanzé le plus favorisé de la nature ne dépasse par 30 et 35 degrés au plus. De ce chiffre aux 70 degrés du nègre et du Kalmouk, il y a trop loin pour que la série imaginée par Camper demeure admissible.

La phrénologie avait marié beaucoup de ses démonstrations à la théorie du savant hollandais. On aimait à reconnaître, dans la série ascendante des animaux vers l’homme, des développements correspondants dans les instincts. Cependant les faits furent encore contraires à ce point de vue. On objecta, entre autres que l’éléphant, dont l’intelligence est incontestablement supérieure à celle des orangs-outangs, présente un angle facial beaucoup plus aigu que le leur, et, parmi les singes eux-mêmes, il s’en faut que les plus intelligents, les plus susceptibles de recevoir une sorte d’éducation domestique, appartiennent aux plus grandes espèces.

Outre ces deux graves défauts, la méthode de Camper présentait encore un côté très attaquable. Elle ne s’appliquait pas à toutes les variétés de la race humaine. Elle laissait en dehors de ses catégories les tribus à tête pyramidale, et c’est là cependant un caractère assez frappant.

Blumenbach, ayant beau jeu contre son prédécesseur, proposa, à son tour, un système : c’était d’étudier la tête de l’homme par en haut. Il appela son invention, norma verticalis, la méthode verticale. Il assurait que la comparaison de la largeur supérieure des têtes faisait ressortir les principales différences dans la configuration générale du crâne. Suivant lui, l’étude de cette partie du corps soulève tant de remarques, surtout quant aux points déterminant le caractère national, qu’il est impossible de soumettre toutes ces diversités à une mesure unique de lignes et d’angles, et que, pour parvenir à une classification satisfaisante, il faut considérer les têtes sous l’aspect qui peut embrasser, d’un seul coup d’œil, le plus grand nombre de variétés. Or, son idée devait présenter cet avantage. Elle se résumait ainsi : « Placer la série des crânes que l’on veut comparer de manière à ce que les os malaires se trouvent sur une même ligne horizontale, comme cela a lieu quand ces crânes reposent sur la mâchoire inférieure ; puis se placer derrière en amenant l’œil successivement au-dessus du vertex de chacun ; de ce point, en effet, on saisira les variétés dans la forme des parties qui contribuent le plus au caractère national, soit qu’elles consistent dans la direction des os maxillaires et malaires, soit qu’elles dépendent de la largeur ou de l’étroitesse du contour « ovale présenté par le vertex ; soit, enfin, qu’elles se trouvent dans la « configuration aplatie ou bombée de l’os frontal (1)[8]. »

La conséquence de ce système fut, pour Blumenbach, une division de l’humanité en cinq grandes catégories, partagées à leur tour en un certain nombre de genres et de types.

Plusieurs doutes s’attachèrent à cette classification. On put lui reprocher, avec raison, comme à celle de Camper, de négliger plusieurs caractères importants, et ce fut, en partie, pour en éviter les objections principales qu’Owen proposa d’examiner les crânes non plus par leur sommet, mais par leur base. Un des résultats principaux de cette nouvelle façon de procéder était de trouver définitivement une ligne de démarcation si nette et si forte entre l’homme et l’orang, qu’il devenait à jamais impossible de retrouver entre les deux espèces le lien imaginé par Camper. En effet, le premier coup d’œil jeté sur deux crânes, l’un d’orang, l’autre d’homme, examinés par leurs bases, suffit pour faire apercevoir des différences capitales. Le diamètre antéro-postérieur est plus allongé chez l’orang que chez l’homme ; l’arcade zygomatique, au lieu de se trouver comprise dans la moitié antérieure de la base crânienne, forme, dans la région moyenne, juste un tiers de la longueur totale du diamètre ; enfin, la position du trou occipital, si intéressante par ses rapports avec le caractère général des formes de l’individu, et surtout par l’influence qu’elle exerce sur les habitudes, n’est nullement la même. Chez l’homme, elle occupe presque le milieu de la base du crâne ; chez l’orang, elle se trouve repoussée au milieu du tiers postérieur (1)[9].

Le mérite des observations d’Owen est grand, sans doute ; je préférerais cependant le plus récent des systèmes cranioscopiques, qui en est, en même temps, le plus ingénieux, à bien des égards, celui du savant américain M. Morton, adopté par M. Carus (2)[10]. Voici en quoi il consiste :

Pour démontrer la différence des races, les deux savants que je cite sont partis de cette idée, que plus les crânes sont vastes, plus, en thèse générale, les individus auxquels appartiennent ces crânes se montrent supérieurs (3)[11]. La question posée est donc celle-ci : Le développement du crâne est-il égal chez toutes les catégories humaines ?

Pour obtenir la solution voulue, M. Morton a pris un certain nombre de têtes appartenant à des blancs, à des Mongols, à des nègres, à des Peaux-Rouges de l’Amérique du Nord, et, bouchant avec du coton toutes les ouvertures, sauf le foramen magnum, il a rempli complètement l’intérieur de grains de poivre soigneusement séchés ; puis il a comparé les quantités ainsi contenues. Cet examen lui a fourni le tableau suivant (1)[12] :

Nombres de crânes mesurés Moyenne du chiffre de capacité Maximum du chiffre de capacité Minimum du chiffre de capacité
Peuples blancs 52 87 109 75
Peuples jaunes Mongols 10 83 93 69
Malais 18 81 89 64
Peaux-rouges 147 82 100 60
Nègres 29 78 94 65

Les résultats inscrits dans les deux premières colonnes sont certainement très curieux. En revanche, j’attache peu de prix à ceux des deux dernières ; car pour que la violente perturbation qu’elles semblent apporter dans les observations de la seconde colonne fût réelle, il faudrait, d’abord, que M. Morton eût opéré sur un nombre beaucoup plus considérable de crânes, et, ensuite, qu’il eût spécifié la position sociale des personnes auxquelles les crânes auraient appartenu. Ainsi il a pu avoir d’assez beaux sujets pour les blancs et les Peaux-Rouges : il s’est procuré là des têtes ayant appartenu à des hommes au-dessus du niveau tout à fait vulgaire ; tandis que, pour les noirs, il n’est pas probable qu’il ait eu à sa disposition des crânes de chefs de peuplades, et, pour les jaunes, des têtes de mandarins. C’est ce qui m’explique comment il a pu attribuer le chiffre 100 à un indigène américain, tandis que le Mongol le plus intelligent qu’il ait examiné ne dépasse pas 93, et se laisse ainsi primer par le nègre même, qui atteint 94. De tels résultats sont tout à fait incomplets, fortuits et sans valeur scientifique et, dans de telles questions, on ne saurait éviter avec trop de soin des jugements fondés sur l’examen des individualités. Je serais donc porté à rejeter tout à fait la seconde moitié des calculs de M. Morton.

Je me sens également disposé à contester un détail des autres. Ainsi, dans la seconde colonne, entre les chiffres 87, indicatif de la capacité du crâne blanc, 83 du jaune et 78 du noir, il y a gradation claire et évidente. Mais les mesures de 83, 81 et 82, données pour les Mongols, les Malais et les Peaux-Rouges, sont des moyennes qui, évidemment, se confondent, et d’autant mieux que M. Carus n’hésite pas à comprendre les Mongols et les Malais dans une seule et même race, c’est-à-dire, à réunir les chiffres 83 et 81. Pourquoi, dès lors, prendre 82 pour caractéristique d’une race distincte, et créer ainsi tout à fait arbitrairement, une quatrième grande subdivision humaine ?

Cette anomalie soutient d’ailleurs la partie faible du système de M. Carus. Le savant saxon aime à supposer que, ainsi que l’on voit notre planète passer par les quatre états de jour, de nuit, de crépuscule du soir et de crépuscule du matin, de même, il faut qu’il y ait dans l’espèce humaine, quatre subdivisions correspondantes à ces variations de la lumière. Il aperçoit là un symbole (1)[13], tentation toujours bien dangereuse pour un esprit raffiné M. Carus y a cédé, comme beaucoup de ses savants compatriotes l’eussent fait à sa place. Les peuples blancs sont les peuples du jour ; les noirs, ceux de la nuit ; les jaunes, ceux du matin ou du crépuscule d’orient ; les rouges, ceux du soir ou du crépuscule d’occident. On devine assez tous les rapprochements ingénieux qui viennent se rattacher à ce tableau. Ainsi, les nations européennes, par l’éclat de leurs sciences et la netteté de leur civilisation, ont les rapports les plus évidents avec l’état lumineux, et, tandis que les noirs dorment dans les ténèbres de l’ignorance, les Chinois vivent dans un demi-jour qui leur donne une existence sociale incomplète, cependant puissante. Pour les Peaux-Rouges, disparaissant peu à peu de ce monde, où trouver une plus belle image de leur sort que le soleil qui se couche !

Malheureusement, comparaison n’est pas raison, et, pour s’être abandonné indûment à ce courant poétique, M. Carus a gâté quelque peu sa belle théorie. Du reste, il faut avouer encore ici ce que j’ai dit pour toutes les autres doctrines ethnologiques, celles de Camper, de Blumenbach, d’Owen : M. Carus ne parvient pas à systématiser régulièrement l’ensemble des diversités physiologiques remarquées dans les races (1)[14].

Les partisans de l’unité ethnique n’ont pas manqué de s’emparer de cette impuissance, et de prétendre que, du moment où les observations sur la conformation de la tête osseuse semblent ne pouvoir être classées de manière à formuler un système démonstratif de la séparation originelle des types, il faut en considérer les divergences, non plus comme de grands traits radicalement distinctifs, mais comme les simples résultats de causes secondes indépendantes, tout à fait destituées du caractère spécifique.

C’est chanter victoire un peu vite. La difficulté de trouver une méthode n’autorise pas toujours à conclure à l’impossibilité de la découvrir. Les unitaires cependant n’ont pas admis cette réserve. Pour étayer leur opinion, ils ont fait remarquer que certaines tribus appartenant à une même race, loin de présenter le même type physique, s’en écartent, au contraire, assez notablement. Pour exemple, sans tenir compte de la quotité des éléments dans chaque mélange, ils ont cité les différentes branches de la famille métisse malayo-polynésienne, et ils ont ajouté que, si des groupes dont l’origine est commune (2)[15] peuvent cependant revêtir des formes crâniennes et faciales totalement différentes, il en résulte que les plus grandes diversités dans ce genre ne prouvent pas la multiplicité première des origines ; que, dès lors, si étranges que puissent paraître, à des yeux européens, les types nègres ou mongols, ce n’est pas une démonstration de cette multiplicité d’origines, et que les causes de la séparation des familles humaines devant être cherchées moins haut et moins loin, on peut considérer les déviations physiologiques comme les simples résultats de certaines causes locales agissant pendant un laps de temps plus ou moins long[16].

Poursuivis par tant d’objections bonnes et mauvaises, les partisans de la multiplicité des races ont cherché à agrandir le cercle de leurs arguments ; et, cessant de s’en tenir à la seule étude des crânes, ils ont passé à celle de l’individu humain tout entier. Pour montrer, ce qui est vrai, que les différences n’existent pas uniquement dans l’aspect de la face et dans la construction osseuse des têtes, ils ont allégué des faits non moins graves, comme la forme du bassin, la proportion relative des membres, la couleur de la peau, la nature du système pileux.

Camper et d’autres anatomistes avaient reconnu, depuis longtemps, que le bassin du nègre présentait quelques particularités. Le docteur Vrolik, étendant plus loin ses recherches, a observé que, pour les Européens, les différences entre le bassin de l’homme et celui de la femme sont beaucoup moins marquées, et dans la race nègre il voit, chez les deux sexes, un caractère très saillant d’animalité. Le savant d’Amsterdam, partant de l’idée que la conformation du bassin influe nécessairement sur celle du fœtus, conclut à des différences originelles (1)[17].

M. Weber est venu attaquer cette théorie ; toutefois, avec peu d’avantages. Il lui a fallu reconnaître que certaines formes de bassin se rencontraient plus fréquemment dans une race que dans une autre, et tout ce qu’il a pu faire, c’est de montrer que la règle n’est pas sans exception, et que tels sujets américains, africains, mongols, présentent des formes ordinaires aux Européens. Ce n’est pas là prouver beaucoup, d’autant que M. Weber, en parlant de ces exceptions, ne paraît pas avoir été préoccupé de l’idée que leur conformation particulière pouvait n’être que le résultat d’un mélange de sang.

Pour ce qui est de la dimension des membres, les adversaires de l’unité de l’espèce prétendent que l’Européen est mieux proportionné. On leur répond que la maigreur des extrémités, chez les nations qui se nourrissent particulièrement de végétaux, ou dont l’alimentation est imparfaite, n’a rien qui doive surprendre ; et cette réplique est bonne assurément. Mais lorsqu’on objecte, en outre, le développement extraordinaire du buste chez les Quichuas, les critiques, décidés à ne pas le reconnaître comme caractère spécifique, réfutent l’argument d’une manière moins concluante : car prétendre, ainsi qu’ils le font, que cette ampleur de la poitrine s’explique, chez les montagnards du Pérou, par l’élévation de la chaîne des Andes, ce n’est pas donner une raison bien sérieuse (1)[18]. Il est dans le monde nombre de populations de montagnes, et qui sont constituées tout différemment que les Quichuas (2)[19].

Viennent ensuite les observations sur la couleur de la peau. Les Unitaires soutiennent que là ne peut se trouver aucun caractère spécifique : d’abord, parce que cette coloration tient à des circonstances climatériques, et n’est pas permanente, assertion plus que hardie ; ensuite, parce que la couleur se prête à l’établissement de gradations infinies, par lesquelles on passe insensiblement du blanc au jaune, du jaune au noir, sans pouvoir découvrir une ligne de démarcation suffisamment tranchée. Ce fait prouve simplement l’existence d’innombrables hybrides, observation à laquelle les Unitaires ont le tort fondamental d’être constamment inattentifs. Sur le caractère spécifique des cheveux, M. Flourens apporte sa grande autorité en faveur de l’unité originelle des races.

Après avoir passé rapidement en revue les arguments inconsistants, j’arrive à la véritable citadelle scientifique des Unitaires. Ils possèdent un argument d’une grande force, et je l’ai réservé pour le dernier : je veux dire la facilité avec laquelle les différents rameaux de l’espèce humaine produisent des hybrides, et la fécondité de ces mêmes hybrides.

Les observations des naturalistes semblent avoir démontré que, dans le monde animal ou végétal, les métis ne peuvent naître que d’espèces assez parentes, et que, même dans ce cas, leurs produits sont condamnés d’avance à la stérilité. On a observé, en outre, qu’entre les espèces rapprochées, bien que la fécondation soit possible, l’accouplement est répugnant et ne s’obtient, en général, que par la ruse ou la force ; ce qui indiquerait que, dans l’état libre, le nombre des hybrides est encore plus limité que l’intervention de l’homme n’est parvenue à le faire. On en a conclu qu’il fallait mettre au nombre des caractères spécifiques la faculté de produire des individus féconds.

Comme rien n’autorise à croire que l’espèce humaine soit exempte de cette règle, rien non plus, jusqu’ici, n’a pu ébranler la force de l’objection qui, plus que toutes les autres, tient en échec le système des adversaires de l’unité. On affirme, il est vrai, que, dans certaines parties de l’Océanie, les femmes indigènes, devenues mères de métis européens, ne sont plus aptes à être fécondées par leurs compatriotes. En admettant ce renseignement comme exact il serait digne de servir de point de départ à des investigations plus approfondies ; mais, quant à présent, on ne saurait encore s’en servir pour infirmer les principes admis sur la génération des hybrides. Il ne prouve rien contre les déductions qu’on en tire.



  1. M. Flourens, Éloge de Blumenbach, Mémoires de l’Académie des sciences, Paris, 1847, in-4o, p. XIII. Ce savant se prononce, avec raison, contre cette méthode.
  2. Prichard, Histoire nat. de l'homme, t. I, p 133, 146, 192.
  3. Id., ibid, t. I, p 108, 134, 174.
  4. Id., ibid, passim.
  5. Prichard, ouvrage cité, t. II, p. 71
  6. (2) C'est parce que Meiners était extrêmement frappé de cet aspect repoussant de la plus grande partie des variétés humaines, qu'il avait imaginé une classification des plus simples ; elle n'était composée que de deux catégories : la belle, c'est-à-dire la race blanche, et la laide, qui renfermait toutes les autres. (Meiners, Grundriss der Geschichte der Menschheit.) On s'apercevra que je n'ai pas cru devoir passer en revue tous les systèmes ethnologiques. Je ne me suis arrêté qu'aux plus importants.
  7. Prichard, ouvrage cité, p. 152
  8. Prichard, ouvrage cité, p.157.
  9. Prichard, ouvrage cité, t. I, p; 60.
  10. Carus, Ueber ungleiche Befaehigng etc., p. 19
  11. Id., ibid, p 20.
  12. Ouvrage cité, p. 19.
  13. Carus, ouvrage cité, p. 12.
  14. (1) Il en est de légères qui sont pourtant fort caractéristiques. Je mettrais de ce nombre un certain renflement des chairs aux côtés de la lèvre inférieure qui se rencontre chez les Allemands et les Anglais, je retrouve aussi cet indice d'une origine germanique dans quelques figures de l'école flamande, dans la Madone de Rubens du musée de Dresde, dans les Satyres et Nymphes de la même collection, dans une joueuse de luth de Miéris, etc. Aucune méthode craniascopique n'est en état de relever de tels détails, qui ont cependant leur valeur dans nos races si mélangées.
  15. (2) Prichard, ouvrage cité, t. II, p. 35.
  16. Job Ludolf, dont les données sur cette matière étaient nécessairement fort incomplètes et inférieures à celles que nous possédons aujourd'hui, n'en combat pas moins, en termes très piquants, et avec des raisons sans réplique pour ce qui concerne les nègres, l'opinion acceptée par M. Prichard. Je ne résiste pas au plaisir de citer : « De nigredine Ethiopum hic agere nostri non est instituti, plerique ardoribus solis atque zonæ torridæ id tribuant. Verum etiam intra solis orbitam populi dantur, si non plane albi, saltem non prorsus nigri. Multi extra utrumque tropicum a media mundi linea longius obsunt quam Persæ aut Syri, veluti promontorii Bonæ Spei habitantes, et tamen isti surit nigerrimi. Si Africæ tantum et Chami posteris id inspectare velis, Malabares et Ceilonii aliique remotiores Asiæ populi æque nigri excipiendi erunt. Quod si causam ad cœli solique naturam referas, non homines albi in illis regionibus renascentes non nigrescunt ? Aut qui ad occultas qualitates confugiunt, melius fecerint si sese nescire, fateantur. – Jobus Ludolfus, Commentarium ad Historiam Æthiopicam, in-fol., Norimb., p. 56. – J'ajouterai encore un passage de M. Pickering ; ce passage est court et concluant. Parlant des séjours de la race noire, le voyageur américain s'exprime ainsi : « Excluding the northern and southern extremes with the tableland of Abyssinia, it holds all the more temperate, and fertile parts of the Continent. » Ainsi, là où il se trouve moins de noirs purs, c'est là qu'il fait le moins chaud... Pickering, The Races of Man, and their geographical distribution, dans l'ouvrage intitulé : United States exploring Expedition during the years 1838, 1839, 1840, 1841 and 1842, under the command of Charles Wilkes, U. S. N. ; Philadelphia, 1848, in-4o, vol. IX.
  17. Prichard, Histoire natur. de l'homme, t. 1, p. 166.
  18. (1) Prichard, Histoire naturelle de l'homme, t. II, p. 180 et passim.
  19. (2) Ni les Suisses ni les Tyroliens, ni les Highlanders de l'Écosse, ni les Slaves des Balkans, ni les tribus de l'Hymalaya n'offrent l'aspect monstrueux des Quichuas.