Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre premier/Chapitre XV

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CHAPITRE XV.

Les langues, inégales entre elles, sont dans un rapport parfait avec le mérite relatif des races.

S’il était possible que des peuples grossiers, placés au bas de l’échelle ethnique, ayant aussi peu marqué dans le développement mâle que dans l’action féminine de l’humanité, eussent cependant inventé des langages philosophiquement profonds, esthétiquement beaux et souples, riches d’expressions diverses et précises, de formes caractérisées et heureuses, également propres aux sublimités, aux grâces de la poésie, comme à la sévère précision de la politique et de la science, il est indubitable que ces peuples auraient été doués d’un génie bien inutile : celui d’inventer et de perfectionner un instrument sans emploi au milieu de facultés impuissantes.

Il faudrait croire alors que la nature a des caprices sans but, et avouer que certaines impasses de l’observation aboutissent non pas à l’inconnu, rencontre fréquente, non pas à l’indéchiffrable, mais tout simplement à l’absurde.

Le premier coup d’œil jeté sur la question semble favoriser cette solution fâcheuse. Car, en prenant les races dans leur état actuel, on est obligé de convenir que la perfection des idiomes est bien loin d’être partout proportionnelle au degré de civilisation. À ne considérer que les langues de l’Europe moderne, elles sont inégales entre elles, et les plus belles, les plus riches n’appartiennent pas nécessairement aux peuples les plus avancés. Si on compare, en outre, ces langues à plusieurs de celles qui ont été répandues dans le monde, à différentes époques, on les voit sans exception rester bien en arrière.

Spectacle plus singulier, des groupes entiers de nations arrêtées à des degrés de culture plus que médiocre sont en possession de langages dont la valeur n’est pas niable. De sorte que le réseau des langues, composé de mailles de différents prix, semblerait jeté au hasard sur l’humanité : la soie et l’or couvrant parfois de misérables êtres incultes et féroces ; la laine, le chanvre et le crin embarrassant des sociétés inspirées, savantes et sages. Heureusement, ce n’est là qu’une apparence et, en y appliquant la doctrine de la diversité des races, aidée du secours de l’histoire, on ne tarde pas à en avoir raison, de manière à fortifier encore les preuves données plus haut sur l’inégalité intellectuelle des types humains.

Les premiers philologues commirent une double erreur : la première, de supposer que, parallèlement à ce que racontent les Unitaires de l’identité d’origine de tous les groupes, toutes les langues se trouvent formées sur le même principe ; la seconde, d’assigner l’invention du langage à la pure influence des besoins matériels.

Pour les langues, le doute n’est même pas permis. Il y a diversité complète dans les modes de formation et, bien que les classifications proposées par la philologie puissent être encore susceptibles de révision, on ne saurait garder, une seule minute, l’idée que la famille altaïque, l’ariane, la sémitique ne procèdent pas de sources parfaitement étrangères les unes aux autres. Tout y diffère. La lexicologie a, dans ces différents milieux linguistiques, des formes parfaitement caractérisées à part. La modulation de la voix y est spéciale : ici, se servant surtout des lèvres pour créer les sons ; là, les rendant par la contraction de la gorge ; dans un autre système, les produisant par l’émission nasale et comme du haut de la tête. La composition des parties du discours n’offre pas des marques moins distinctes, réunissant ou séparant les nuances de la pensée, et présentant, surtout dans les flexions des substantifs et dans la nature du verbe, les preuves les plus frappantes de la différence de logique et de sensibilité qui existe entre les catégories humaines. Que résulte-t-il de là ? C’est que, lorsque le philosophe s’efforçant de se rendre compte, par des conjectures purement abstraites, de l’origine des langages, débute dans ce travail par se mettre en présence de l’homme idéalement conçu, de l’homme dépourvu de tous caractères spéciaux de race, de l’homme enfin, il commence par un véritable non-sens, et continue infailliblement de même. Il n’y a pas d’homme idéal, l’homme n’existe pas, et si je suis persuadé qu’on ne le découvre nulle part, c’est surtout lorsqu’il s’agit de langage. Sur ce terrain, je connais le possesseur de la langue finnoise, celui du système arian ou des combinaisons sémitiques ; mais l’homme absolu, je ne le connais pas. Ainsi, je ne puis pas raisonner d’après cette idée, que tel point de départ unique ait conduit l’humanité dans ses créations idiomatiques. Il y a eu plusieurs points de départ parce qu’il y avait plusieurs formes d’intelligence et de sensibilité[1].

Passant maintenant à la seconde opinion, je ne crois pas moins à sa fausseté. Suivant cette doctrine, il n’y aurait eu développement que dans la mesure où il y aurait eu nécessité. Il en résulterait que les races mâles posséderaient un langage plus précis, plus abondant, plus riche que les races femelles, et comme, en outre, les besoins matériels s’adressent à des objets qui tombent sous les sens et se manifestent surtout par des actes, la lexicologie serait la partie principale des idiomes.

Le mécanisme grammatical et la syntaxe n’auraient jamais eu occasion de dépasser les limites des combinaisons les plus élémentaires et les plus simples. Un enchaînement de sons bien ou mal liés suffit toujours pour exprimer un besoin, et le geste, commentaire facile, peut suppléer à ce que l’expression laisse d’obscur[2], comme le savent bien les Chinois. Et ce n’est pas seulement la synthèse du langage qui serait demeurée dans l’enfance. Il aurait fallu subir un autre genre de pauvreté non moins sensible, en se passant d’harmonie, de nombre et de rythme. Qu’importe, en effet, le mérite mélodique là où il s’agit seulement d’obtenir un résultat positif ? Les langues auraient été l’assemblage irréfléchi, fortuit, de sons indifféremment appliqués.

Cette théorie dispose de quelques arguments. Le chinois, langue d’une race masculine, semble, d’abord, n’avoir été conçu que dans un but utilitaire. Le mot ne s’y est pas élevé au-dessus du son. Il est resté monosyllabe. Là, point de développements lexicologiques. Pas de racine donnant naissance à des familles de dérivés. Tous les mots sont racines, ils ne se modifient pas par eux-mêmes, mais entre eux, et suivant un mode très grossier de juxtaposition. Là se rencontre une simplicité grammaticale d’où il résulte une extrême uniformité dans le discours, et qui exclut, pour des intelligences habituées aux formes riches, variées, abondantes, aux intarissables combinaisons d’idiomes plus heureux, jusqu’à l’idée même de la perfection esthétique. Il faut cependant ajouter que rien n’autorise à admettre que les Chinois eux-mêmes éprouvent cette dernière impression, et, par conséquent, puisque leur langage a un but de beauté pour ceux qui le parlent, puisqu’il est soumis à certaines règles propres à favoriser le développement mélodique des sons, s’il peut être taxé, au point de vue comparatif, d’atteindre à ces résultats moins bien que d’autres langues, on n’est pas en droit de méconnaître que, lui aussi, les poursuit. Dès lors, il y a dans les premiers éléments du chinois autre chose et plus qu’un simple amoncellement d’articulations utilitaires[3].

Néanmoins, je ne repousse pas l’idée d’attribuer aux races masculines une infériorité esthétique assez marquée[4], qui se reproduirait dans la construction de leurs idiomes. J’en trouve l’indice, non seulement dans le chinois et son indigence relative, mais encore dans le soin avec lequel certaines races modernes de l’Occident ont dépouillé le latin de ses plus belles facultés rythmiques, et le gothique de sa sonorité. Le faible mérite de nos langues actuelles, même des plus belles, comparées au sanscrit, au grec, au latin même, n’a pas besoin d’être démontré, et concorde parfaitement avec la médiocrité de notre civilisation et de celle du Céleste Empire, en matière d’art et de littérature. Cependant, tout en admettant que cette différence puisse servir, avec d’autres traits, à caractériser les langues des races masculines, comme il existe pourtant dans ces langues un sentiment, moindre sans doute, cependant puissant encore, de l’eurythmie, et une tendance réelle à créer et à maintenir des lois d’enchaînement entre les sons et des conditions particulières de formes et de classes pour les modifications parlées de la pensée, j’en conclus que, même au sein des idiomes des races masculines, le sentiment du beau et de la logique, l’étincelle intellectuelle se fait encore apercevoir et préside donc partout à l’origine des langages, aussi bien que le besoin matériel.

Je disais, tout à l’heure, que, si cette dernière cause avait pu régner seule, un fond d’articulations formées au hasard aurait suffi aux nécessités humaines, dans les premiers temps de l’existence de l’espèce. Il paraît établi que cette hypothèse n’est pas soutenable.

Les sons ne se sont pas appliqués fortuitement à des idées. Le choix en a été dirigé par la reconnaissance instinctive d’un certain rapport logique entre des bruits extérieurs recueillis par l’oreille de l’homme, et une idée que son gosier ou sa langue voulait rendre. Dans le dernier siècle, on avait été frappé de cette vérité. Par malheur, l’exagération étymologique, dont on usait alors, s’en empara, et l’on ne tarda pas à se heurter contre des résultats tellement absurdes, qu’une juste impopularité vint les frapper et en faire justice. Pendant longtemps, ce terrain, si follement exploité par ses premiers explorateurs, a effrayé les bons esprits. Maintenant, on y revient, et, en profitant des sévères leçons de l’expérience pour se montrer prudent et retenu, on pourra y recueillir des observations très dignes d’être enregistrées. Sans pousser des remarques, vraies en elles-mêmes, jusqu’au domaine des chimères, on peut admettre, en effet, que le langage primitif a su, autant que possible, profiter des impressions de l’ouïe pour former quelques catégories de mots, et que, dans la création des autres, il a été guidé par le sentiment de rapports mystérieux entre certaines notions de nature abstraite et certains bruits particuliers. C’est ainsi, par exemple, que le son de l’i semble propre à exprimer la dissolution ; celui du w, le vague physique et moral, le vent, les vœux ; celui de l’m, la condition de la maternité[5]. Cette doctrine, contenue dans de très prudentes limites, trouve assez fréquemment son application pour qu’on soit contraint de lui reconnaître quelque réalité. Mais, certes, on ne saurait en user avec trop de réserve, sous peine de s’aventurer dans des sentiers sans clarté, où le bon sens se fourvoie bientôt.

Ces indications, si faibles qu’elles soient, démontrent que le besoin matériel n’a pas seul présidé à la formation des langages, et que les hommes y ont mis en jeu leurs plus belles facultés. Ils n’ont pas appliqué arbitrairement les sons aux choses et aux idées. Ils n’ont procédé, en cette matière, qu’en vertu d’un ordre préétabli dons ils trouvaient en eux-mêmes la révélation. Dès lors, tel de ces premiers langages, si rude, si pauvre et si grossier qu’on se le représente, n’en contenait pas moins tous les éléments nécessaires pour que ses rameaux futurs pussent se développer un jour dans un sens logique, raisonnable et nécessaire.

M. Guillaume de Humboldt a remarqué, avec sa perspicacité ordinaire, que chaque langue existe dans une grande indépendance de la volonté des hommes qui la parlent. Se nouant étroitement à leur état intellectuel, elle est, tout à fait, au-dessus de la puissance de leurs caprices, et il n’est pas en leur pouvoir de l’altérer arbitrairement, Des essais dans ce genre en fournissent de curieux témoignages.

Les tribus des Boschismans ont inventé un système d’altération de leur langage, destiné à le rendre inintelligible à tous ceux qui ne sont pas initiés au procédé modificateur. Quelques peuplades du Caucase pratiquent la même coutume. Malgré tous les efforts, le résultat obtenu ne dépasse pas la simple adjonction ou intercalation d’une syllabe subsidiaire au commencement, au milieu ou à la fin des mots. À part cet élément parasite, la langue est demeurée la même, aussi peu altérée dans le fond que dans les formes.

Une tentative plus complète a été relevée par M. Sylvestre de Sacy, à propos de la langue balaïbalan. Ce bizarre idiome avait été composé par les Soufis, à l’usage de leurs livres mystiques, et comme moyen d’entourer de plus de mystères les rêveries de leurs théologiens. Ils avaient inventé, au hasard, les mots qui leur paraissaient résonner le plus étrangement à l’oreille. Cependant, si cette prétendue langue n’appartenait à aucune souche, si le sens attribué aux vocables était entièrement factice, la valeur eurythmique des sons, la grammaire, la syntaxe, tout ce qui donne le caractère typique fut invinciblement le calque exact de l’arabe et du persan. Les Soufis produisirent donc un jargon sémitique et arian tout à la fois, un chiffre, et rien de plus. Les dévots confrères de Djelat-Eddin-Roumi n’avaient pas pu inventer une langue. Ce pouvoir, évidemment, n’a pas été donné à la créature[6].

J’en tire cette conséquence, que le fait du langage se trouve intimement lié à la forme de l’intelligence des races, et, dès sa première manifestation, a possédé, ne fût-ce qu’en germe, les moyens nécessaires de répercuter les traits divers de cette intelligence à ses différents degrés[7].

Mais, là où l’intelligence des races a rencontré des impasses et éprouvé des lacunes, la langue en a eu aussi. C’est ce que démontrent le chinois, le sanscrit, le grec, le groupe sémitique. J’ai déjà relevé, pour le chinois, une tendance plus particulièrement utilitaire conforme à la voie où chemine l’esprit de la variété. La plantureuse abondance d’expressions philosophiques et ethnologiques du sanscrit, sa richesse et sa beauté eurythmiques sont encore parallèles au génie de la nation. Il en est de même dans le grec, tandis que le défaut de précision des idiomes parlés par les peuples sémites s’accorde parfaitement avec le naturel de ces familles.

Si, quittant les hauteurs un peu vaporeuses des âges reculés, nous descendons sur des collines historiques plus rapprochées de nos temps, nous assistons, cette fois, à la naissance même d’une multitude d’idiomes, et ce grand phénomène nous fait voir plus nettement encore avec quelle fidélité le génie ethnique se mire dans les langages.

Aussitôt qu’a lieu le mélange des peuples, les langues respectives subissent une révolution, tantôt lente, tantôt subite, toujours inévitable. Elles s’altèrent, et, au bout de peu de temps, meurent. L’idiome nouveau qui les remplace est un compromis entre les types disparus, et chaque race y apporte une part d’autant plus forte qu’elle a fourni plus d’individus à la société naissante[8]. C’est ainsi que, dans nos populations occidentales, depuis le XIIIe siècle, les dialectes germaniques ont dû céder, non pas devant le latin, mais devant le roman[9], à mesure que renaquit la puissance gallo-romaine. Quant au celtique, il n’avait point reculé devant la civilisation italienne, c’est devant la colonisation qu’il avait fui, et encore peut-on dire avec vérité qu’il avait remporté en fin de compte, grâce au nombre de ceux qui le parlaient, plus qu’une demi-victoire puisqu’il lui avait été donné, quand la fusion des Galls, des Romains et des hommes du Nord s’était opérée définitivement, de préparer à la langue moderne sa syntaxe, d’éteindre en elle les accentuations rudes venues de la Germanie et les plus vives sonorités apportées de la Péninsule, et de faire triompher l’eurythmie assez terne qu’il possédait lui-même. Le développement graduel de notre français n’est que l’effet de ce travail latent, patient et sûr. Les causes qui ont dépouillé l’allemand moderne des formes assez éclatantes remarquées dans le gothique de l’évêque Ulphila, ne sont pas autres, non plus, que la présence d’une épaisse population kymrique sous le petit nombre d’éléments germaniques demeurés au delà du Rhin[10], après les grandes migrations qui suivirent le Ve siècle de notre ère.

Les mélanges de peuples présentant sur chaque point des caractères particuliers issus du quantum des éléments ethniques, les résultats linguistiques sont également nuancés. On peut poser en thèse générale qu’aucun idiome ne demeure pur après un contact intime avec un idiome différent ; que même, lorsque les principes respectifs offrent le plus de dissemblances, l’altération se fait au moins sentir dans la lexicologie ; que, si la langue parasite a quelque force, elle ne manque pas d’attaquer le mode d’eurythmie, et même les côtés les plus faibles du système grammatical, d’où il résulte que le langage est une des parties les plus délicates et les plus fragiles de l’individualité des peuples. On aura donc souvent le singulier spectacle d’une langue noble et très cultivée passant, par son union avec un idiome barbare, à une sorte de barbarie relative, se dépouillant par degrés de ses plus belles facultés, s’appauvrissant de mots, se desséchant de formes, et témoignant ainsi d’un irrésistible penchant à s’assimiler, de plus en plus, au compagnon de mérite inférieur que l’accouplement des races lui aura donné. C’est ce qui est arrivé au valaque et au rhétien, au kawi et au birman. L’un et l’autre de ces derniers idiomes sont imprégnés d’éléments sanscrits, et, malgré la noblesse de cette alliance, les juges compétents les déclarent inférieurs en mérite au delaware (1)[11].

Issue du tronc des Lenni-Lénapes, l’association de tribus qui parle ce dialecte vaut primitivement plus que les deux groupes jaunes remorqués par la civilisation hindoue, et si, malgré cette prérogative, elle est au-dessous d’eux, c’est que les Asiatiques en question vivent sous l’impression des inventions sociales d’une race noble, et profitent de ces mérites, tout en étant peu de chose par eux-mêmes. Le contact sanscrit a suffi pour les élever assez haut, tandis que les Lénapes, que rien de semblable n’a fécondés jamais, n’ont pu monter, en civilisation, au-dessus de la valeur qu’on leur voit. C’est ainsi, pour me servir d’une comparaison facile à apprécier, que les jeunes mulâtres élevés dans les collèges de Londres et de Paris, peuvent, tout en restant mulâtres et très mulâtres, présenter, sous certains rapports, une apparence de culture plus satisfaisante que tels habitants de l’Italie méridionale dont la valeur intime est incontestablement plus grande. Il faut donc, lorsqu’on rencontre un peuple sauvage en possession d’un idiome supérieur à celui de nations plus civilisées, distinguer soigneusement si la civilisation de ces dernières leur appartient en propre, ou si elle ne provient que d’une infiltration de sang étranger. Dans ce dernier cas, l’imperfection du langage primitif et l’abâtardissement du langage importé s’accordent parfaitement avec l’existence d’un certain degré de culture sociale (1)[12].

J’ai dit ailleurs que, chaque civilisation ayant une portée particulière, il ne fallait pas s’étonner si le sens poétique et philosophique était plus développé chez les Hindous sanscrits et chez les Grecs que chez nous, tandis que l’esprit pratique, critique, érudit, distingue davantage nos sociétés. Pris en masse, nous sommes doués d’une vertu active plus énergique que les illustres dominateurs de l’Asie méridionale et de l’Hellade. En revanche, il nous faut leur céder le pas sur le terrain du beau, et il est, dès lors, naturel que nos idiomes tiennent l’humble rang de nos esprits. Un essor plus puissant vers les sphères idéales se reflète naturellement dans la parole dont les écrivains de l’Inde et de l’Ionie ont fait usage, de sorte que le langage, tout en étant, je le crois, je l’admets, un très bon critérium de l’élévation générale des races, l’est pourtant, d’une manière plus spéciale, de leur élévation esthétique, et il prend surtout ce caractère lorsqu’il s’applique à la comparaison des civilisations respectives.

Pour ne pas laisser ce point douteux, je me permettrai de discuter une opinion émise par M. le baron Guillaume de Humboldt, au sujet de la supériorité du mexicain sur le péruvien (2)[13], supériorité évidente, dit-il, bien que la civilisation des Incas ait été fort au-dessus de celle des habitants de l’Anahuac.

Les mœurs des Péruviens se montraient, sans doute, plus douces, leurs idées religieuses aussi inoffensives qu’étaient féroces celles des sujets de Montézuma. Malgré tout cela, l’ensemble de leur état social était loin de présenter autant d’énergie, autant de variété. Tandis que leur despotisme, assez grossier, ne réalisait qu’une sorte de communisme hébétant, la civilisation aztèque avait essayé des formes de gouvernement très raffinées. L’état militaire y était beaucoup plus vigoureux, et, bien que les deux empires ignorassent également l’usage de l’écriture, il semblerait que la poésie, l’histoire et la morale, fort cultivées au moment où apparut Cortez, auraient joué un plus grand rôle au Mexique qu’au Pérou, dont les institutions penchaient vers un épicuréisme nonchalant peu favorable aux travaux de l’intelligence. Il devient alors tout simple d’avoir à constater la supériorité du peuple le plus actif sur le peuple le plus modeste.

Au reste, l’opinion de M. Guillaume de Humboldt est, ici, conséquente à la manière dont il définit la civilisation (1)[14]. Sans renouveler la controverse, il m’était indispensable de ne pas laisser ce point dans l’ombre ; car, si deux civilisations avaient pu se développer jamais parallèlement à des langues en contradiction avec leurs mérites respectifs, il faudrait abandonner l’idée de toute solidarité entre la valeur des idiomes et celle des intelligences. Ce fait est impossible à concéder dans une mesure différente de ce que j’ai dit plus haut pour le sanscrit et le grec comparés à l’anglais, au français, à l’allemand.

D’ailleurs, en suivant cette voie, ce ne serait pas une médiocre difficulté que de déterminer pour les populations métisses les causes de l’état idiomatique où on les trouve. On ne possède pas toujours, sur la quotité des mélanges ou sur leur qualité, des lumières suffisantes pour pouvoir en examiner le travail organisateur. Cependant l’influence de ces causes premières persiste, et, si elle n’est pas démasquée, elle peut aisément conduire à des conclusions erronées. Précisément parce que le rapport de l’idiome à la race est assez étroit, il se conserve beaucoup plus longtemps que les peuples ne gardent leurs corps d’État. Il se fait reconnaître après que les peuples ont changé de nom. Seulement, s’altérant comme leur sang, il ne disparaît, il ne meurt qu’avec la dernière parcelle de leur nationalité (1)[15]. Le grec moderne est dans ce cas ; mutilé autant que possible, dépouillé de la meilleure part de ses richesses grammaticales, troublé et souillé dans sa lexicologie, appauvri même, à ce qu’il semble, quant au nombre de ses sons, il n’en a pas moins conservé son empreinte originelle (2)[16]. C’est, en quelque sorte, dans l’univers intellectuel, ce qu’est, sur la terre, ce Parthénon si dégradé, qui, après avoir servi d’église aux popes, puis, devenu poudrière, avoir éclaté, en mille endroits de son fronton et de ses colonnes, sous les boulets vénitiens de Morosini, présente encore à l’admiration des siècles l’adorable modèle de la grâce sérieuse et de la majesté simple.

Il arrive aussi qu’une parfaite fidélité à la langue des aïeux n’est pas dans le caractère de toutes les races. C’est encore là une difficulté de plus quand on cherche à démêler, à l’aide de la philologie, soit l’origine, soit le mérite relatif des types humains. Non seulement il arrive aux idiomes de subir des altérations dont il n’est pas toujours facile de retrouver la cause ethnique ; il se rencontre encore des nations qui, pressées par le contact des langues étrangères, abandonnent la leur. C’est ce qui est advenu, après les conquêtes d’Alexandre, à la partie éclairée des populations de l’Asie occidentale, telles que les Cariens, les Cappadociens et les Arméniens, et c’est ce que j’ai signalé aussi pour nos Gaulois. Les uns et les autres ont cependant inculqué dans les langues victorieuses un principe étranger qui les a, à la fin, transfigurées à leur tour. Mais, tandis que ces peuples maintenaient encore, bien que d’une manière imparfaite, leur propre instrument intellectuel ; que d’autres, beaucoup plus tenaces, tels que les Basques, les Berbères de l’Atlas, les Ekkhilis de l’Arabie méridionale, parlent jusqu’à nos jours comme parlaient leurs plus anciens parents, il est des groupes, les Juifs par exemple, qui semblent n’y avoir jamais tenu, et cette indifférence éclate dès les premiers pas de la migration des favoris de Dieu. Tharé, venant d’Ur des Chaldéens, n’avait certainement pas appris, dans le pays de sa parenté, la langue chananéenne qui devint nationale pour les enfants d’Israël. Ceux-ci s’étaient donc dépouillés de leur idiome natif pour en accepter un autre différent, et qui, subissant, quelque peu, je le veux croire, l’influence des souvenirs premiers, devint, dans leur bouche, un dialecte particulier de cette langue très ancienne, mère de l’arabe le plus ancien, héritage légitime des tribus alliées, de fort près, aux Chamites noirs (1)[17]. Cette langue, les Juifs ne devaient pas s’y montrer plus fidèles qu’à la première. Au retour de la captivité, les bandes de Zorobabel l’avaient oubliée sur les bords des fleuves de Babylone, pendant leur séjour, pourtant bien court, de soixante et dix ans. Le patriotisme, fort contre l’exil, avait conservé sa chaleur : le reste avait été abandonné avec une bizarre facilité par ce peuple tout à la fois jaloux de lui-même et cosmopolite à l’excès. Dans Jérusalem reconstruite, la multitude reparut, parlant un jargon araméen ou chaldéen qui, d’ailleurs, n’était peut-être pas sans ressemblance avec l’idiome des pères d’Abraham.

Aux temps de Jésus-Christ, ce dialecte résistait avec peine à l’invasion d’un patois grec qui, de tous côtés, pénétrait l’intelligence juive. Ce n’était plus guère que sous ce nouveau costume, plus ou moins élégant, affichant plus ou moins de prétentions attiques, que les écrivains juifs d’alors produisaient leurs ouvrages. Les derniers livres canoniques de l’Ancien Testament, comme les écrits de Philon et de Josèphe, sont des œuvres hellénistiques.

Lorsque la destruction de la ville sainte eut dispersé la nation désormais déshéritée des bontés de l’Éternel, l’Orient ressaisit l’intelligence de ses fils. La culture hébraïque rompit avec Athènes comme avec Alexandrie, et la langue, les idées du Talmud, les enseignements de l’école de Tibériade furent de nouveau sémitiques, quelquefois arabes et souvent chananéens, pour employer l’expression d’Isaïe. Je parle de la langue désormais sacrée, de celle des rabbins, de la religion, de celle dès lors considérée comme nationale. Mais pour le commerce de la vie, les Juifs usèrent des idiomes des pays où ils se trouvèrent transportés. Il est encore à noter que partout ces exilés se firent remarquer par leur accent particulier. Le langage qu’ils avaient adopté et appris dès la première enfance ne réussit jamais à assouplir leur organe vocal. Cette observation confirmerait ce que dit M. Guillaume de Humboldt d’un rapport si intime de la race avec la langue, qu’à son avis, les générations ne s’accoutument pas à bien prononcer les mots que ne savaient pas leurs ancêtres (1)[18].

Quoi qu’il en soit, voilà, dans les Juifs, une preuve remarquable de cette vérité, qu’on ne doit pas toujours, à première vue, établir une concordance exacte entre une race et la langue dont elle est en possession, attendu que cette langue peut ne pas lui appartenir originairement. Après les Juifs, je pourrais citer encore l’exemple des Tsiganes et de bien d’autres peuples (1)[19].

On voit avec quelle prudence il convient d’user de l’affinité et même de la similitude des langues pour conclure à l’identité des races, puisque, non seulement des nations nombreuses n’emploient que des langages altérés dont les principaux éléments n’ont pas été fournis par elles, témoin la plupart des populations de l’Asie occidentale et presque toutes celles de l’Europe méridionale, mais encore que plusieurs autres en ont adopté de complètement étrangers, à la confection desquels elles n’ont presque pas contribué. Ce dernier fait est sans doute plus rare. Il se présente même comme une anomalie. Il suffit cependant qu’il puisse avoir lieu pour qu’on ait à se tenir en garde contre un genre de preuves qui souffre de telles déviations. Toutefois, puisque le fait est anormal, puisqu’il ne se rencontre pas aussi fréquemment que son opposite, c’est-à-dire la conservation séculaire d’idiomes nationaux par de très faibles groupes humains ; puisque l’on voit aussi combien les langues ressemblent au génie particulier du peuple qui les crée, et combien elles s’altèrent justement dans la mesure où le sang de ce peuple se modifie ; puisque le rôle qu’elles jouent dans la formation de leurs dérivées est proportionnel à l’influence numérique de la race qui les apporte dans le nouveau mélange, tout donne le droit de conclure qu’un peuple ne saurait avoir une langue valant mieux que lui-même, à moins de raisons spéciales. Comme on ne saurait trop insister sur ce point, je vais en faire ressortir l’évidence par une nouvelle espèce de démonstration.

On a vu déjà que, dans une nation d’essence composite, la civilisation n’existe pas pour toutes les couches successives (1)[20]. En même temps que les anciennes causes ethniques poursuivent leur travail dans le bas de l’échelle sociale, elles n’y admettent, elles n’y laissent pénétrer que faiblement, et d’une façon tout à fait transitoire, les influences du génie national dirigeant. J’appliquais naguère ce principe à la France, et je disais que, sur ses 36 millions d’habitants, il y en avait, au moins, 20 qui ne prenaient qu’une part forcée, passive, temporaire, au développement civilisateur de l’Europe moderne. Excepté la Grande-Bretagne, servie par une plus grande unité dans ses types, conséquence de son isolement insulaire, cette triste proportion est plus considérable encore sur le reste du continent. Puisqu’une fois déjà j’ai choisi la France pour exemple, je m’y tiens, et crois trouver que mon opinion sur l’état ethnique de ce pays, et celle que je viens d’exprimer à l’instant pour toutes les races en général, quant à la parfaite concordance du type et de la langue, s’y confirment l’une l’autre d’une manière frappante.

Nous savons peu, ou, pour mieux dire, nous ne savons pas, preuves en main, par quelles phases le celtique et le latin rustique (2)[21] ont d’abord dû passer avant de se rapprocher et de finir par se confondre. Saint Jérôme et son contemporain Sulpice Sévère nous apprennent pourtant, le premier dans ses Commentaires sur l’Épître de saint Paul aux Galates, le second dans son Dialogue sur les mérites des moines d’Orient, que, de leur temps, on parlait au moins deux langues vulgaires dans la Gaule : le celtique, conservé si pur sur les bords du Rhin, que le langage des Gallo-Grecs, éloignés de la mère patrie depuis six cents ans, y ressemblait de tous points (1)[22] ; puis ce qu’on appelait le gaulois, et qui, de l’avis d’un commentateur, ne pouvait être qu’un romain déjà altéré. Mais ce gaulois, différent de ce qui se parlait à Trèves, n’était pas non plus la langue de l’ouest ni celle de l’Aquitaine. Ce dialecte du IVe siècle, probablement partagé lui-même en deux grandes divisions, ne trouve donc de place que dans le centre et le midi de la France actuelle. C’est à cette source commune qu’il faut reporter les courants, différemment latinisés, qui ont formé plus tard, avec d’autres mélanges, et dans des proportions diverses, la langue d’oïl et le roman proprement dit. Je parlerai d’abord de ce dernier.

Pour lui donner naissance, il ne s’agissait que de créer une altération assez facile de la terminologie latine, modifiée par un certain nombre d’idées grammaticales empruntées au celtique et à d’autres langues jadis inconnues dans l’ouest de l’Europe. Les colonies impériales avaient apporté bon nombre d’éléments italiens, africains, asiatiques. Les invasions bourguignonnes, et, surtout les gothiques, fournirent un nouvel apport doué d’une grande vivacité d’harmonie, de sons larges et brillants. Les irruptions sarrasines en renforcèrent la puissance. De sorte que le roman, se distinguant tout à fait du gaulois, quant à son mode d’eurythmie, revêtit bientôt un cachet très spécial. Sans doute, nous ne le trouvons pas, dans la formule de serment des fils de Louis le Débonnaire, arrivé à sa perfection, comme plus tard, dans les poésies de Raimbaud de Vachères ou de Bertrand de Born. Cependant on le reconnaît déjà pour ce qu’il est, ses caractères principaux lui sont acquis, sa direction lui est nettement indiquée. C’était bien, dès lors, dans ses différents dialectes, limousin, provençal, auvergnat, la langue d’une population aussi mélangée d’origine qu’il y en ait jamais eu au monde. Cette langue souple, fine, spirituelle, railleuse, pleine d’éclat, mais sans profondeur, sans philosophie, clinquant et non pas or, n’avait pu, dans aucune des mines opulentes qui lui avaient été ouvertes, que glaner à la surface. Elle était sans principes sérieux  : elle devait rester un instrument d’universelle indifférence, partant, de scepticisme et de moquerie. Elle ne manqua pas à cette vocation. La race ne tenait à rien qu’aux plaisirs et aux brillantes apparences. Brave à l’excès, joyeuse avec autant d’emportement, passionnée sans sujet et vive sans conviction, elle eut un instrument tout propre à servir ses tendances, et qui d’ailleurs, objet de l’admiration du Dante, ne servit jamais, en poésie, qu’à rimer des satires, des chansons d’amour, des défis de guerre, et, en religion, à soutenir des hérésies comme celle des Albigeois, manichéisme licencieux, dénué de valeur même littéraire, dont un auteur anglais, peu catholique, félicite la papauté d’avoir délivré le moyen âge (1)[23]. Telle fut, jadis, la langue romane, telle on la trouve encore aujourd’hui. Elle est jolie, non pas belle, et il suffit de l’examiner pour voir combien peu elle est apte à servir une grande civilisation.

La langue d’oil se forma-t-elle dans des conditions semblables ? L’examen va prouver que non, et, de quelque manière que la fusion des éléments celtique, latin, germanique, se soit faite, ce qu’on ne peut parfaitement apprécier (2)[24], faute de monuments appartenant à la période de création, il est du moins certain qu’elle naissait d’un antagonisme décidé entre trois idiomes différents, et que le produit représenté par elle devait être pourvu d’un caractère et d’un fond d’énergie tout à fait étranger aux nombreux compromis, aux transactions assez molles d’où était sorti le roman. Cette langue d’oïl fut, à un moment de sa vie, assez rapprochée des principes germaniques. On y découvre, dans les restes écrits parvenus jusqu’à nous, un des meilleurs caractères des langues arianes : c’est le pouvoir, limité, il est vrai, moins grand que dans le sanscrit, le grec et l’allemand, mais considérable encore, de former des mots composés. On y reconnaît, pour les noms, des flexions indiquées par des affixes, et, comme conséquence, une facilité d’inversion perdue pour nous, et dont la langue française du XVIe siècle, ayant imparfaitement hérité, ne jouissait qu’aux dépens de la clarté du discours. Sa lexicologie contenait également de nombreux éléments apportés par la race franque (1)[25]. Ainsi, la langue d’oïl débutait par être presque autant germanique que gauloise, et le celtique y apparaissait au second plan, comme décidant peut-être des raisons mélodiques du langage. Le plus bel éloge qu’on puisse en faire se trouve dans la réussite de l’ingénieux essai de M. Littré, qui a pu traduire littéralement et vers pour vers, en français du XIIIe siècle, le premier chant de l’Iliade, tour de force impraticable dans notre français d’aujourd’hui (2)[26].

Cette langue ainsi dessinée appartenait évidemment à un peuple qui faisait grandement contraste avec les habitants du sud de la Gaule. Plus profondément attaché aux idées catholiques, portant dans la politique des notions vives d’indépendance, de liberté, de dignité, et dans toutes ses institutions une recherche très caractérisée de l’utile, la littérature populaire de cette race eut pour mission de recueillir, non pas les fantaisies de l’esprit ou du cœur, les boutades d’un scepticisme universel, mais bien les annales nationales, telles qu’on les comprenait alors et qu’on les jugeait vraies. Nous devons à cette glorieuse disposition de la nation et de la langue les grandes compositions rimées, surtout Garin le Loherain, témoignage, renié depuis, de la prédominance du Nord. Malheureusement, comme les compilateurs de ces traditions, et même leurs premiers auteurs, avaient, avant tout, l’intention de conserver des faits historiques ou de servir des passions positives, la poésie proprement dite, l’amour de la forme et la recherche du beau ne tiennent pas toujours assez de place dans leurs grands récits. La littérature de la langue d’oïl eut, avant tout, la prétention d’être utilitaire. C’est ainsi que les races, le langage et les écrits se trouvent ici en accord parfait.

Mais il était naturel que l’élément germanique, beaucoup moins abondant que le fond gaulois et que la mixture romaine, perdît peu à peu du terrain dans le sang. En même temps, il en perdit dans la langue et, d’une part, le celtique, d’autre part, le latin gagnèrent à mesure qu’il se retira. Cette belle et forte langue, dont nous ne connaissons guère que l’apogée, et qui se serait encore perfectionnée en suivant sa voie, commença à déchoir et à se corrompre vers la fin du XIIIe siècle. Au XVe, ce n’était plus qu’un patois d’où les éléments germaniques avaient complètement disparu. Ce qui restait de ce trésor dépensé, n’apparaissant désormais que comme une anomalie au milieu des progrès du celtique et du latin, n’offrait plus qu’un aspect illogique et barbare. Au XVIe siècle, le retour des études classiques trouva le français dans ce délabrement, et voulut s’en emparer pour le perfectionner dans le sens des langues anciennes. Tel fut le but avoué des littérateurs de cette belle époque. Ils ne réussirent guère, et le XVIIe siècle, plus sage, ou s’apercevant qu’il ne pouvait maîtriser la puissance irrésistible des choses, ne s’occupa qu’à améliorer, par elle-même, une langue qui se précipitait chaque jour davantage vers les formes les plus naturelles à la race prédominante, c’est-à-dire vers celles qui avaient autrefois constitué la vie grammaticale du celtique.

Bien que la langue d’oïl d’abord, la française ensuite aient, dû à la simplicité plus grande des mélanges de races et d’idiomes d’où elles sont issues un plus grand caractère d’unité que le roman, elles ont eu cependant des dialectes qui ont vécu et se maintiennent. Ce n’est pas trop d’honneur pour ces formes que de les appeler des dialectes, et non pas des patois. Leur raison d’être ne se trouve pas dans la corruption du type dominant dont elles ont toujours été au moins les contemporaines. Elle réside dans la proportion différente des éléments celtique, romain et germanique qui ont constitué ou constituent encore notre nationalité. En deçà de la Seine, le dialecte picard est, par l’eurythmie et la lexicologie, tout près du flamand, dont les affinités germaniques sont si évidentes qu’il n’est pas besoin de les relever. En cela, le flamand est resté fidèle aux prédilections de la langue d’oïl, qui put, à un certain moment, sans cesser d’être elle-même, admettre, dans les vers d’un poème, les formes et les expressions presque pures du langage parlé à Arras (1)[27].

À mesure qu’on s’avance au delà de la Seine et en deçà de la Loire, les idiomes provinciaux tiennent, de plus en plus, de la nature celtique. Dans le bourguignon, dans les dialectes du Pays de Vaud et de la Savoie, la lexicologie même, chose bien digne de remarque, en a gardé de nombreuses traces, qui ne se trouvent pas dans le français, où généralement le latin rustique domine (2)[28].

Je relevais ailleurs (3)[29] comment, à dater du XVe siècle, l’influence du nord de la France avait cédé devant la prépondérance croissante des races d’outre-Loire. Il n’y a qu’à rapprocher ce que je dis ici, touchant le langage, de ce qu’alors je disais du sang, pour voir combien est serrée la relation entre l’élément physique et l’instrument phonétique de l’individualité d’une population (4)[30].

Je me suis un peu étendu sur un fait particulier à la France. Si l’on veut le généraliser à toute l’Europe, on ne lui trouvera guère de démentis. Partout on verra que les modifications et les changements successifs d’un idiome ne sont pas, comme on le dit communément, l’œuvre des siècles : s’il en était ainsi, l’ekkhili, le berbère, l’euskara, le bas-breton, auraient depuis longtemps disparu, et ils vivent. Modifications et changements sont amenés, avec un parallélisme bien frappant, par les révolutions survenues dans le sang des générations successives.

Je ne passerai pas, non plus, sous silence un détail qui doit trouver ici son explication. J’ai dit comment certains groupes ethniques pouvaient, sous l’empire d’une aptitude et de nécessités particulières, renoncer à leur idiome naturel pour en accepter un qui leur était plus ou moins étranger. J’ai cité les Juifs, j’ai cité les Parsis. Il existe encore des exemples plus singuliers de cet abandon. Nous voyons des peuples sauvages en possession de langages supérieurs à eux-mêmes, et c’est l’Amérique qui nous offre ce spectacle.

Ce continent a eu cette singulière destinée, que ses populations les plus actives se sont développées, pour ainsi dire, en secret. L’art de l’écriture a fait défaut à ses civilisations. Les temps historiques n’y commencent que très tard, pour rester presque toujours obscurs. Le sol du nouveau monde possède un grand nombre de tribus qui, voisines à voisines, se ressemblent peu, bien qu’appartenant toutes à des origines communes diversement combinées (1)[31].

M. d’Orbigny nous apprend que, dans l’Amérique centrale, le groupe qu’il appelle rameau chiquitéen, est un composé de nations comptant, pour la plus nombreuse, environ quinze mille âmes, et pour celles qui le sont moins, entre trois cents et cinquante membres, et que toutes ces nations, même les infiniment petites, possèdent des idiomes distincts. Un tel état de choses ne peut résulter que d’une immense anarchie ethnique.

Dans cette hypothèse, je ne m’étonne nullement de voir plusieurs d’entre ces peuplades, comme les Chiquitos, maîtresses d’une langue compliquée et, à ce qu’il semble, assez savante. Chez ces indigènes, les mots dont l’homme se sert ne sont pas toujours les mêmes que ceux dont use la femme. En tous cas, l’homme, lorsqu’il emploie les expressions de la femme, en modifie les désinences. Ceci est assurément fort raffiné. Malheureusement, à côté de ce luxe lexicologique, le système de numération se présente restreint aux nombres les plus élémentaires. Très probablement, dans une langue en apparence si travaillée, ce trait d’indigence n’est que l’effet de l’injure des siècles, servie par la barbarie des possesseurs actuels. On se rappelle involontairement, en contemplant de telles bizarreries, ces palais somptueux, merveilles de la Renaissance, que les effets des révolutions ont adjugés définitivement à de grossiers villageois. L’œil y admire encore des colonnettes délicates, des rinceaux élégants, des porches sculptés, des escaliers hardis, des arêtes imposantes, luxe inutile à la misère qui les habite ; tandis que les toits crevés laissent entrer la pluie, que les planchers s’effondrent et que la pariétaire disjoint les murs qu’elle envahit.

Je puis établir désormais que la philologie, dans ses rapports avec la nature particulière des races, confirme toutes les observations de la physiologie et de l’histoire. Seulement, ses assertions se font remarquer par une extrême délicatesse, et lorsqu’on ne peut s’appuyer que sur elles, rien de plus hasardé que de s’en contenter pour conclure. Sans doute, sans nul doute, l’état d’un langage répond à l’état intellectuel du groupe qui le parle, mais non pas toujours à sa valeur intime. Pour obtenir ce rapport, il faut considérer uniquement la race par laquelle et pour laquelle ce langage a été primitivement créé. Or l’histoire ne paraît nous adresser, à part la famille noire et quelques peuplades jaunes, qu’à des races quartenaires, tout au plus. En conséquence, elle ne nous conduit que devant des idiomes dérivés, dont on ne peut préciser nettement la loi de formation que lorsque ces idiomes appartiennent à des époques comparativement récentes. Il s’ensuit que des résultats ainsi obtenus, et qui ont besoin constamment de la confirmation historique, ne sauraient fournir une classe de preuves bien infaillibles. À mesure qu’on s’enfonce dans l’antiquité et que la lumière vacille davantage, les arguments philologiques deviennent plus hypothétiques encore. Il est fâcheux de s’y voir réduit lorsqu’on cherche à éclairer la marche d’une famille humaine et à reconnaître les éléments ethniques qui la composent. Nous savons que le sanscrit, le zend, sont des langues parentes. C’est un grand point. Quant à leur racine commune, rien ne nous est révélé. De même pour les autres langues très anciennes. De l’euskara, nous ne connaissons rien que lui-même. Comme il n’a pas, jusqu’à présent, d’analogue, nous ignorons sa généalogie, nous ignorons s’il doit être considéré comme tout à fait primitif, ou bien s’il ne faut voir en lui qu’un dérivé. Il ne saurait donc rien nous apprendre de positif sur la nature simple ou composite du groupe qui le parle.

En matière d’ethnologie, il est bon d’accepter avec gratitude les secours philologiques. Pourtant il ne faut les recevoir que sous réserve, et, autant que possible, ne rien fonder sur eux seuls (1)[32].

Cette règle est commandée par une nécessaire prudence. Cependant tous les faits qui viennent d’être passés en revue établissent que l’identité est originairement entière entre le mérite intellectuel d’une race et celui de sa langue naturelle et propre ; que les langues sont, par conséquent, inégales en valeur et en portée, dissemblables dans les formes et dans le fond, comme les races ; que leurs modifications ne proviennent que de mélanges avec d’autres idiomes, comme les modifications des races ; que leurs qualités et leurs mérites s’absorbent et disparaissent, absolument comme le sang des races, dans une immersion trop considérable d’éléments hétérogènes ; enfin que, lorsqu’une langue de caste supérieure se trouve chez un groupe humain indigne d’elle, elle ne manque pas de dépérir et de se mutiler. Si donc il est souvent difficile, dans un cas particulier, de conclure, de prime abord, de la valeur de la langue à celle du peuple qui s’en sert, il n’en reste pas moins incontestable qu’en principe on le peut faire. Je pose donc cet axiome général : La hiérarchie des langues correspond rigoureusement à la hiérarchie des races.



  1. M. Guillaume de Humboldt, dans un de ses plus brillants opuscules, a exprimé, d’une manière admirable, la partie essentielle de cette vérité : « Partout, dit ce penseur de génie, l’œuvre du temps s’unit dans les langages à l’œuvre de l’originalité nationale, et ce qui caractérise les idiomes des hordes guerrières de l’Amérique et de l’Asie septentrionale, n’a pas nécessairement appartenu aux races primitives de l’Inde et de la Grèce. Il n’est pas possible d’attribuer une marche parfaitement pareille et, en quelque sorte, imposée par la nature, au développement, soit d’une langue appartenant à une nation prise isolément, soit d’une autre qui aura servi à plusieurs peuples. » (W. v. Humboldt’s, Ueber das entstehen der grammatischen Formen, und ihren Einfluss auf die Ideenentwickelung.)
  2. W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache. Einl.
  3. Je serais porté à croire que la nature monosyllabique du chinois ne constitue pas un caractère linguistique spécifique, et, malgré ce que cette particularité offre de saillant, elle ne me paraît pas essentielle. Si cela était, le chinois serait une langue isolée et se rattacherait, tout au plus, aux idiomes qui peuvent offrir la même structure. On sait qu’il n’en est rien. Le chinois fait partie du système tatare ou finnois, qui possède des branches parfaitement polysyllabiques. Puis, dans des groupes de toute autre origine, on retrouve des spécimens de la même nature. Je n’insisterai pas trop sur l’othomi. Cet idiome mexicain, suivant du Ponceau, présente, à la vérité, les traces que je relève ici dans le chinois, et cependant, placé au milieu des dialectes américains, comme le chinois parmi les langues tatares, l’othomi n’en fait pas moins partie de leur réseau. (Voir Morton, An Inquiry into the distinctive characteristics of the aboriginal race of America, Philadelphia, 1844; voir aussi Prescott, History of the conquest of Mejico, t. III, p. 245.) Ce qui m’empêcherait d’attacher à ce fait toute l’importance qu’il semble comporter, c’est qu’on pourrait alléguer que les langues américaines, langues ultra-polysyllabiques, puisque, seules au monde avec l’euskara, elles poussent la faculté de combiner les sons et les idées jusqu’au polysynthétisme, seront peut-être un jour reconnues comme ne formant qu’un vaste rameau de la famille tatare, et qu’en conséquence l’argument que j’en tirerais se trouverait corroborer seulement ce que j’ai dit de la parenté du chinois avec les idiomes ambiants, parenté que ne dément, en aucune façon, la nature particulière de la langue du Céleste Empire. Je trouve donc un exemple plus concluant dans le copte, qu’on supposera difficilement allié au chinois. Là, également, toutes les syllabes sont des racines et des racines qui se modifient par de simples affixes tellement mobiles, que, même pour marquer les temps du verbe, la particule déterminante ne reste pas toujours annexée au mot. Par exemple : hôn veut dire ordonner ; a-hôn, il ordonna ; Moïse ordonna, se dit : a Moyses hôn. (Voir E. Meier’s, hebraeisches Wurzelwœrterbuch, in-8o; Mannheim, 1845.) Il me paraît donc que le monosyllabisme peut se présenter chez toutes les familles d’idiomes. C’est une sorte d’infirmité déterminée par des accidents d’une nature encore inconnue, mais point un trait spécifique propre à séparer le langage qui en est revêtu du reste des langages humains, en lui constituant une individualité spéciale.
  4. Gœthe a dit dans son roman de Wilhelm Meister : « Peu d’Allemands et peut-être peu d’hommes, dans les nations modernes, possèdent le sens d’un ensemble esthétique. Nous ne savons louer et blâmer que par morceaux, nous ne sommes ravis que d’une façon fragmentaire. »
  5. W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, Einleit., p. XCV : « Man kann hernach eine dreifache Bezeichnung der Begriffe unterscheiden : … 2). Die nicht unmittelbar, sondern in einer dritten, dem Laute und dem Gegenstande gemeinschaftlichen Beschaffenheit nachahmende Bezeichnung. Man Kann diese, obgleich der Begriff des Symbols in der Sprache viel weiter geht, die Symbolische nennen. Sie waehlt für die zu bezeichnenden Gegenstaende Laute aus, welche, theils an sich, theils in Vergleichung mit anderen, für das Ohr einen dem des Gegenstandes auf die Seele aehnlichen Eindruk hervorbringen, wie stehen, staetig, starr, den Eindruck des Festen, das sanskritische li, schmelzen, auseinandergehen, der des Zerfliessenden, nicht, nagen, Neid den des fein und scharf Abschneidenden. Auf diese Weise erhalten aehnliche Eindruck hervorbringender Gegenstaende Wœrter mit vorherrschend gleichen Lauten, wie Wehen, Wind, Wolke, Wirren, Wunsch, in welchen allen die schwankende, unruhige, vor den Sinnen undeutlich durch einandergehende Bewegung durch das aus dem, an sich schon dumpfen und hohlen u verhaertete w ausgedrückt wird. Diese Art der Bezeichnung, die auf einer gewissen Bedeutsamkeit jedes einzelnen Buchstaben und ganzer Gattungen derselben ruht, hat unstreitig aof die primitive Wortbezeichnung, eine grosse, vielleicht ausschliessliche Herrschaft ausgeübt. »
  6. Un jargon semblable au balaïbalan est probablement cette langue nommée afnskoë qui se parle entre les maquignons et colporteurs de la Grande-Russie, surtout dans le gouvernement de Wladimir. Il n’y a que les hommes qui s’en servent. Les racines sont étrangères au russe ; mais la grammaire est entièrement de cet idiome. (Voir Pott, Encyclopædie Ersch und Gruber, Indogerman. Sprachstamm, p. 110.)
  7. Je ne résiste pas à la tentation de copier ici une admirable page de C. O. Müller, où cet érudit, plein de sentiment et de tact, a précisé, d’une manière rare, la véritable nature du langage. « Notre temps, dit-il, a appris par l’étude des langues hindoues, et plus encore par celle des langues germaniques, que les idiomes obéissent à des lois aussi nécessaires que le font les êtres organiques eux-mêmes. Il a appris qu’entre les différents dialectes, qui, une fois séparés, se développent indépendamment l’un de l’autre, des rapports mystérieux continuent à subsister, au moyen desquels les sons et la liaison des sons se déterminent réciproquement. Il sait de plus, désormais, que la littérature et la science, tout en modérant et en contenant, il est vrai, le bel et riche développement de cette croissance, ne peuvent lui imposer aucune règle supérieure à celle que la nature, mère de toutes choses, lui a imposée dès le principe. Ce n’est pas que les langues, longtemps avant les époques de fantaisie et de mauvais goût, ne puissent succomber à des causes internes et externes de maladie et souffrir de profondes perturbations ; mais, aussi longtemps que la vie réside en elles, leur virtualité intime suffit à guérir leurs blessures, à réparer leurs maux, à réunir leurs membres lacérés, à rétablir une unité, une régularité suffisante, alors même que la beauté et la perfection de ces nobles plantes a déjà presque entièrement disparu. » (C. O. Müller, die Etrusker, p. 65.)
  8. Pott, Encycl. Ersch und Gruber, Indo-german. Sprachst., p. 74.
  9. Le mélange des idiomes, proportionnel au mélange des races dans une nation, avait déjà été observé lorsque la science philologique n’existait, pour ainsi dire, pas encore. J’en citerai le témoignage que voici : « On peut poser comme une règle constante qu’à proportion du nombre des étrangers qui s’établiront dans un pays, les mots de la langue qu’ils parlent entreront dans le langage de ce pays-là, et par degrés s’y naturaliseront, pour ainsi dire, et deviendront aussi familiers aux habitants que s'ils étaient de leur cru. » (Kaempfer, Histoire du Japon, in-fol., La Haye, 1729, liv. Ier, p. 73.)
  10. Keferstein (Ansichten über die keltischen Alterthümer, Halle, 1846-1851 ; Einleit., 1, XXXVIII) prouve que l’allemand n’est qu’une langue métisse composée de celtique et de gothique. Grimm exprime le même avis.
  11. (1) W. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, Einl., p. XXXIV : « Angeblich rohe und ungebildete Sprachen kœnnen hervorstechende Trefflichkeiten in ihrem Baue besitzen und besitzen dieselben wirklich, und es waere nicht unmoeglich dass sie darin hoeher gebildete übertraefen. Schon die Vergleichung der Barmanischen, in welche das Pâli unläugbar einen Theil indischer Kultur verwebt hat, mit der Delaware-Sprache, geschweige denn mit der Mexicanischen, dürfte das Urtheil über den Vorzug der letzteren kaum zweifelhaft lassen. »
  12. (1) C'est cette différence de niveau qui, se marquant entre l'intelligence du conquérant et celle des peuples soumis, a donné cours, au début des nouveaux empires, à l'usage des langues sacrées. On en a vu dans toutes les parties du monde. Les Égyptiens avaient la leur, les Incas du Pérou de même. Cette langue sacrée, objet d'un superstitieux respect, propriété exclusive des hautes classes et souvent du groupe sacerdotal, à l'exclusion de tous les autres, est toujours la preuve la plus forte que l'on puisse donner de l'existence d'une race étrangère dominant sur le sol où on la trouve.
  13. M. de Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache, Einl., XXXIV.
  14. (1) Voir p. 82.
  15. (1) Une observation intéressante, c’est de voir, dans les langues issues d’une langue moyenne, certains dérivés se présenter sous une forme bien plus rapprochée de la racine primitive que le mot d’où, en général, on les suppose formés ou que celui qui, dans la langue la plus voisine, exprime la même idée. Ainsi fureur : all. Wuth, angl. mad, sanscrit mada ; désir, comme expression de la passion : all. Begierde, franç. rage, sanscrit raga ; devoir : all. Pflicht, angl. Duty, sanscrit dutia ; ruisseau : all. rinnen, lat. rivus, sanscrit arivi, grec ῥέω. (Voir Klaproth, Asia polyglotta, in-4o.) On pourrait induire de ce fait que quelques races, après avoir subi un certain nombre de mélanges, sont partiellement ramenées à une pureté plus grande, à une vigueur blanche plus prononcée que d’autres qui les ont devancées dans l’ordre des temps.
  16. (2) La Grèce antique, qui possédait de nombreux dialectes, n’en avait cependant pas autant que celle du XVIe siècle, lorsque Siméon Kavasila en comptait soixante et dix ; et, remarque à rattacher à ce qui va suivre, au XVIIIe siècle, on parlait le français dans toute l’Hellade et surtout dans l’Attique. (Heilmayer, cité par Pott, Encycl. v, Ersch u. Gruber, indo-germanischer Sprachstamm, p. 73.)
  17. Les Hébreux eux-mêmes ne nommaient pas leur langue l’hébreu ; ils l'appelaient très justement la langue de Chanaan, rendant ainsi hommage à la vérité. (Isaïe, 19, 18). Voir, à ce sujet, les observations de Rœdiger sur la Grammaire hébraïque de Gésénius, 16e édition, Leipzig, 1851, p. 7 et passim.
  18. (1) C'est aussi le sentiment de M. W. Edwards, Caractères physiques des races humaines, p. 101 et passim.
  19. (1) Il est encore un cas qui peut se présenter, c'est celui où une population parle deux langues. Dans les Grisons, presque tous les paysans de l'Engadine emploient avec une égale facilité le romanche dans leurs rapports entre compatriotes, l'allemand quand ils s'adressent à des étrangers. En Courlande, il est un district où les paysans, pour s'entretenir entre eux, se servent de l'esthonien, dialecte finnois. Avec toute autre personne, ils parlent letton. (Voir Pott, Encycl. Ersch und Gruber, indo-germanischer Sprachstamm, p. 104.)
  20. (1) Voir p. 96-98.
  21. (2) La route n'était pas si longue du latin rustique, lingua rustica Romanorum, lingua romana, du roman, en un mot, à la corruption, que de la langue élégante, dont les formes précises et cultivées présentaient plus de résistance. Il est aussi à remarquer que, chaque légionnaire étranger apportant dans les colonies de la Gaule le patois de ses provinces, l'avènement d'un dialecte général et mitoyen était hâté, non seulement par les Celtes, mais par les émigrants eux-mêmes.
  22. (1) Sulpitii Severi dial. 1, de Virt. monach. orient., Elzevir ; in-12, 1665, p. 528, not.
  23. (1) Macaulay, History of England, t. I, p. 18, éd. de Paris. Les Albigeois sont l’objet d’une prédilection toute spéciale de la part des écrivains révolutionnaires, surtout en Allemagne (voir à ce sujet le poème de Lenau, die Albigenser). Cependant les sectaires du Languedoc se recrutaient surtout dans les classes chevaleresques et chez les dignitaires ecclésiastiques. Mais leurs doctrines étaient antisociales : c’est de quoi leur faire beaucoup pardonner.
  24. (2) La préface de la Chanson de Roland, par M. Génin, contient, à ce sujet, des observations assez curieuses. (Chanson de Roland, in-8o, Imprimerie nationale, Paris, 1851.)
  25. Consulter le Fœmina, cité par Hickes dans son Thesaurus litteraturæ septentrionalis et par l’Histoire littéraire de France, t. XVII, p. 633.(1)
  26. (2) Revue des Deux Mondes.
  27. (1) P. Pâris, Garin le Loherain, préface.
  28. (2) Il est toutefois à remarquer que l’accent vaudois et savoyard a quelque chose de méridional qui rappelle fortement la colonie d’Aventicum.
  29. (3) Voir p. 70.
  30. (4) Pott exprime très bien comment les dialectes sont les modifications parlées qui maintiennent l’accord entre l’état de composition du sang et celui de la langue, lorsqu’il dit : « Les dialectes sont la diversité dans l’unité, les sections chromatiques de l’Un primordial et de la lumière unicolore. » (Pott, Encycl. Erchs. und Grüber, p. 66.) – C’est, sans doute, une phraséologie obscure ; mais ici elle indique assez ce qu’elle entend.
  31. (1) Voir au second volume.
  32. On ne doit pas perdre de vue que les précautions ici indiquées ne s'appliquent qu'à la détermination de la généalogie d'un peuple, et non pas d'une famille de peuples. Si une nation change quelquefois de langue, jamais ce fait ne s'est produit et ne pourrait se produire pour tout un faisceau de nationalités, ethniquement identiques, politiquement indépendantes. Les juifs ont abandonné leur idiome ; l'ensemble des nations sémitiques n'a jamais pu perdre ses dialectes natifs et ne saurait en avoir d'autres.