Essai sur la police générale des grains/Avertissement

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Cet Essai n’étoit point destiné à paroître dans le public : la première Partie ayant été imprimée à l’insçu de l’Auteur, il s’est déterminé à la retoucher ; & à y ajouter quelques réflexions sur le prix des grains, et sur l’Agriculture.

Depuis l’Arrêt du Conseil du 17 Septembre 1754, qui permet le commerce des grains dans le Royaume, & leur sortie par quelques portes du Languedoc, il auroit été inutile de s’étendre encore sur cette liberté, si quelques personnes ne la regardoient comme dangereuse ; & s’il n’étoit pas nécessaire, que le public ne perdît point de vûe les motifs de ce nouveau Réglement, & sentît les avantages qui peuvent résulter d’un commerce plus étendu. L’on a quelquefois besoin du suffrage des peuples, pour concourir au bien général ; & il s’opère, plus aisément, quand il est plus connu.

Accoutumés à craindre toutes sortes de transports de grains, il n’y a pas longtems que leur communication, même dans le Royaume, ne se faisoit qu’avec difficulté, et paroissoit nuisible dans la plupart de nos Provinces. L’Arrêt qui vient d’être rendu a levé le bandeau & nous sommes surpris, de n’avoir pas vû plutôt, que leur commerce intérieur est utile & même indispensable. Examinons aujourd’hui sans prévention, si leur commerce extérieur peut s’exercer sans risques et s’il peut être avantageux aux sujets & à l’État.

Ce n’est pas la première fois, que cette question a été agitée en France. On en trouve les principes dans un Traité donné par un Auteur François,[1] qui a avancé, que plus nous vendrions de grains au dehors, plus notre culture seroit abondante, et le Royaume florissant. Cette opinion fondée sur des raisons assez probables, a sans doute été regardée comme un paradoxe. Ni les Mémoires donnés en 1739, par un Magistrat célèbre ; ni le Mémoire imprimé en 1748, pour prouver les avantages de l’exportation des grains ; ni les Livres Économiques qui en ont parlé depuis peu, n’ont pû vaincre notre répugnance pour la sortie de nos bleds. La proposition seule nous allarme elle est aussitôt écrasée sous l’autorité de la loi et de l’habitude ; on y oppose des difficultés effrayantes ; elle n’est ni écoutée, ni examinée.

L’exemple de nos voisins doit au moins nous engager à péser mûrement les raisons pour & contre, sans nous arrêter toujours à des allégations peu réfléchies. Nous vendions beaucoup de grains au dehors, avant que nous eussions pensé que ce commerce pouvoit être préjudiciable ; les Nations qui entendent le mieux leurs intérêts, s’en sont emparées à notre préjudice. Il est visible, qu’il a relevé leur culture, & contribué à augmenter leurs richesses & leur Marine. Considérations assez puissantes pour réveiller le zéle du bien public, & l’attention du Gouvernement.

Au surplus les réflexions de cet Essai ne sont point le fruit de la nouveauté, ou de l’imagination. Les routes de la force & de l’opulence des Etats sont tracées depuis long-tems ; pourquoi en chercher des nouvelles, dans lesquelles on peut s’égarer ? Choisissons les plus certaines & les moins éloignées. L’attention, l’expérience, & le bon sens, nous conduiront plus sûrement, que l’esprit d’invention.

L’on a dit cent fois que l’Agriculture est le soutien des États, & la base du commerce & de l’aisance. Vérités si vulgaires, qu’on les oublie aisément, pour courir après des objets plus brillans & moins solides. Il importe cependant d’avoir toujours devant les yeux ce principe simple, mais universel. Que la terre bien ou mal employée, & les travaux des sujets bien où mal dirigés, décident de la richesse & de l’indigence des États. Le Physique du climat obéit aux précautions du Législateur l’industrie des Habitans se plie à sa volonté ; la terre et l’ouvrier s’animent à sa voix bienfaisante.

Que ne devons-nous point attendre de l’attention de notre Monarque, & des Ministres qui s’occupent de l’utilité publique, & qui cherchent à encourager les connoissances économiques. Plus elles se répandront, plus nous nous empresserons, comme sujets bien intentionnés, à concourir au bien de l’État. La subsistance des peuples & la culture y contribuent si essentiellement, qu’on ne peut se dispenser d’en examiner les causes & les effets. Il faut les envisager sous différens aspects, pour en connoître toute l’étendue ; et l’on ne sauroit y réfléchir trop souvent. Sur un objet aussi intéressant, invitons les bons Citoyens à donner leurs observations, et à relever les erreurs dans lesquelles on pouvoit être tombé. Maxima sibi lætitiæ esse prædicavit, quod aliquos Patria sua se meliores haberet. Val. Max. L. 6. Gap. 4.


  1. Il se trouve dans le détail de la France, imprimé pour la première fois en 1695.