Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/02

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CHAPITRE II.


Réflexions sur la dispersion des Juifs.


La dispersion des Juifs est un événement unique dans l’histoire des hommes. De grands peuples ont été engloutis par de grandes révolutions. Seulement les restes de quelques-uns forment encore aujourd’hui des classes isolées, mais peu nombreuses, & répandues dans leur ancienne patrie ou dans quelques coins de la terre. Les Cyganis ne sont que des hordes errantes dans les forêts de la Hongrie, de la Moldavie ou dans les Bourgades de l’Espagne ; on ne trouve des Breberes qu’en Barbarie ; des Banians & des Guebres, que dans quelques coins de l’Orient, au-lieu que le souffle de la colere divine a dispersé sur l’étendue du globe les enfans de Jacob. La sotte crédulité a parlé d’un Juif errant ; ils le sont tous. Vaincus par les Assyriens, les Perses, les Medes, les Grecs & les Romains, ces nations puissantes disparoissent, & le Juif, dont elles ont brisé le sceptre, survit avec ses loix aux débris de son Royaume, & à la destruction de ses vainqueurs.

Dépositaire des premieres archives du monde, & des oracles qu’il a méconnus, il va la bible en main vérifier les prédictions de ce livre, & rendre témoignage à la vérité d’une religion qu’il abhorre ; sans cesse il a les yeux tournés vers Jérusalem, ne desirant qu’elle pour patrie, & n’obtenant jamais cette Ville, possédée successivement par les Payens, les Chrétiens & les Turcs. Le sang de J. C. est retombé sur les Juifs comme ils l’ont desiré ; depuis la journée sanglante du Calvaire, ils sont en spectacle à toute la terre qu’ils parcourent, demandant un Messie qu’ils ont cherché jusques dans Cromwel(1). Voilà dix-sept siecles qu’ils se débattent, se soutiennent à travers les persécutions & le carnage : toutes les nations se sont vainement réunies, pour anéantir un peuple qui existe chez toutes les nations, sans ressembler à aucune, sans s’identifier avec aucune ; si les tribus sont confondues, la race ne l’est pas ; & dans tant de contrées, différentes par les religions, les idiomes & les usages, la race d’Abraham subsiste sans mélange, malgré les persécutions & le mépris, qui auroient dû la porter à se confondre : en un mot les Juifs, étrangers, chassés, persécutés par-tout, existent par-tout. Tel seroit un arbre qui n’auroit plus de tige, & dont les rameaux épars continueroient de végéter avec force(2).

Quelles réflexions présente donc le spectacle d’une nation répandue en tous lieux & fixée nulle part ? Humaine envers ses enfans, cruelle envers les autres hommes, souvent persécutée pour des crimes qu’elle n’avoit pas commis, & paroissant digne de l’être pour ceux dont elle étoit coupable ; tour-à-tour massacrée & massacrant par représailles(3), quand elle l’a pu ; payant par-tout le droit d’exister, & obtenant à peine celui de respirer un air impur ; abjurant son libérateur, & toujours dupée par des brigands qui usurpoient le titre de Messie(4) ; devenue méprisable par son insensibilité au mépris ; à l’étude de l’écriture sainte mêlant de rêveries pires que l’ignorance ; n’offrant plus gueres que des ames sans énergie, & sur qui les ressorts de l’honneur........ Pardon, enfans d’Israël, mes pleurs ont presque effacé ce tableau ! mais pouvois-je démentir tous les monumens de l’histoire ? Quand j’ai tracé ces affreuses antitheses, la douleur & la vérité conduisoient le crayon ; je m’empresse cependant de répéter que souvent la calomnie vous a supposé des crimes ; &, si l’on ne peut vous disculper sur tous, on verra qu’ils furent en grande partie notre ouvrage.



(1) Vie de Cromwel. Par Grég. Leti. On y trouve là députation des Juifs au Protecteur, qui, loin d’accepter la qualité de Messie, s’irrita contr’eux.

(2) On sait qu’ils ont pénétré en Amérique, et même dans les possessions Espagnoles de ce pays-là. Déja ils sont nombreux chez les Anglo-Américains (Voyez le voyage dans les Colonies, du milieu de l’Amérique septentrion. Par Burnaby. Lausan. 1778). Les Juifs, courbés par tout sous le joug, ont porté en tous lieux leurs larmes et leur désespoir. « S’ils eussent été tous convertis par Jesus-Christ (dit Paschal), nous n’aurions plus que des témoins suspects ; et, s’ils avoient été exterminés, nous n’en aurions point du tout. » ( Voyez ses pensées, art. 16.)

(3) Lorsque André se donna, sous Trajan, pour le Messie, et engagea ses adhérens à exterminer les infideles, les Juifs massacrerent plus de deux cent vingt mille personnes dans la Cyrénaïque et dans l’Isle de Chypre. Dion et Eusebe disent que non contens de les tuer, ils mangeoient leur chair, se faisoient des ceintures de leurs intestins, et se frottoient de leur sang,

(4) On compte plus de vingt faux Messies jusqu’à Zabbathai-Zevi, qui parut au siecle dernier. Les Rabbins n’osent plus marquer le moment de l’arrivée du libérateur ; mais il y a quelques siecles qu’ils se mêloient d’en déterminer l’époque. L’imposteur David Limlein l’avoit fixée à l’an 1500. Il obligea les Juifs de démolir les fours où ils cuisoient leur pain sans levain. Ces fours devenoient inutiles, puisqu’on devoit l’année suivante manger les azymes à Jérusalem.

C’est une chose assez singuliere, si toutefois elle est vraie, que ce Concile des Juifs en Hongrie, l’an 1650, auquel Samuel Bret prétend avoir assisté. Trois cents Rabbins assemblés camperent sous des tentes dans la plaine d’Ageda. Le premier jour se passa en complimens ; les jours suivans on discuta si le Messie étoit venu, ou s’il falloit encore l’attendre. La pluralité des voix fut qu’il n’étoit pas encore arrivé. Il fut ensuite question de la maniere dont il devoit paroître, et l’on décida qu’il se montreroit en conquérant, qu’il ne changeroit pas la loi de Moyse, et qu’il naîtroit d’une Vierge. Les Rabbins examinerent après si J. C. est le Messie, et ils déciderent que non.