Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/13

La bibliothèque libre.
◄  Chap. XII
Chap. XIV  ►


CHAPITRE XIII.


Moyens employés jusqu’à présent, pour réprimer les usures des Juifs. Insuffisance de ces moyens.


J’ai lu quelque part, sans pouvoir me rappeller où, un acte législatif, de je ne sais quel pays, pour recommander tout bonnement aux Juifs de ne pas acheter des effets volés. L’avis doit paroître étrange, d’autant plus qu’il n’ajoute rien à l’obligation imposée par la loi naturelle, puisqu’il n’inflige aucune peine aux contrevenans. Autant vaudroit, comme certain auteur qui a écrit sur les feux d’artifices, recommander de ne pas incendier les magasins à poudre. Mais une chose plus étrange peut-être, c’est qu’en d’autres pays, les Juifs ayent eu le droit de ne rendre les choses volées, qu’on ne leur rendît le prix. Nous l’apprenons par divers témoignages, & sur-tout d’un Évêque d’Olmutz(1). Un droit encore très-singulier, c’est la permission accordée aux Juifs par les Empereurs Charles V & Ferdinand I(2), & par divers Tribunaux, entr’autres le Parlement de Metz, de percevoir des intérêts plus forts que les Chrétiens(3), tandis que tous les autres Codes législatifs attestent les efforts des deux Puissances pour réprimer leurs usures.

Le quatrieme Concile de Latran, en 1215, voulant les obliger à réparer le tort causé par leurs vexations, leur défend, jusqu’à ce qu’ils ayent satisfait à cette loi, d’avoir aucune communication avec les Chrétiens. D’autres Conciles(4) renouvellerent ces Ordonnances, trop vagues pour être applicables. Un Concile d’Albi, en 1254, un autre de Montpellier, quatre ans après(5), furent beaucoup plus séveres ; ils dispenserent les Chrétiens de payer, pourvu qu’ils jurassent qu’il y avoit usure. On n’étoit pas assez éclairé en ce temps-là, pour sentir qu’un tel decret livroit les Juifs à la cupidité de leurs débiteurs, & fournissoit des armes à la fripponnerie. Une Assemblée tenue à Melun, sous S. Louis, défendoit absolument d’emprunter des Juifs(6), & le Souverain Pontife, Paul IV, renouvellant un statut d’un Concile de Frisingue(7), leur ôta la liberté de tirer aucun intérêt. On sent combien il étoit facile d’éluder ces deux loix, la premiere en traduisant les emprunts sous le nom de vente, & la seconde en stipulant les intérêts comme partie du capital.

Un Edit de l’an 1228, sous la minorité de S. Louis, avoit déja ordonné que pour dettes contractées envers les Juifs, on dresseroit trois exemplaires du billet obligatoire, dont l’un seroit remis aux Officiers royaux, un autre au débiteur, & le troisieme au Juif créancier(8). En Normandie, il fut un temps où les dettes contractées envers les Juifs n’étoient censées légitimes que lorsqu’elles avoient été enrégistrées par le Bailli, devant lequel les créanciers étoient obligés de citer leurs emprunteurs.

En Hesse, on leur a défendu (Édits de 1728 & 1748) de prêter, sous seing privé, une somme excédant vingt florins. Dans les terres de Darmstad, on a exigé que l’emprunteur marié, fût accompagné de sa femme ; il est défendu, en outre, aux Juifs, sous peine de perdre l’intérêt, de prêter pour un laps de temps plus long que deux ans(9). Toutes ces formalités prescrites ont eu l’effet qu’on en devoit attendre ; elles ont approché du but, sans jamais l’atteindre.

Une loi impériale a défendu aux Juifs qui autoient des créances sur des Chrétiens, de les transférer à qui que ce soit, sous peine de perdre la somme. L’auteur, déja cité(10), regrette de voir en désuétude un Édit qu’il appelle fort sage, je ne sais pourquoi, car tout ce qu’il pouvoit produire, étoit de réduire le Juif à faire l’usure pour son compte particulier ; & certainement ce n’est pas là enchaîner sa rapacité.

Un Recès de l’Empire, en 1441, ordonne que les actes entre Juifs & Chrétiens seront passés devant le Magistrat ; il défend aux premiers les actes sous seing privé, excepté en temps de foire, parce qu’on a supposé qu’en public, la fraude étoit plus difficile : plusieurs Souverains ont adopté cette loi. Ainsi a-t-on vu Louis XV, par une Déclaration de 1733, défendre aux Juifs les billets sous seing privé contre les Chrétiens ; ainsi en Lorraine, le bon Prince Léopold, par son Édit du 30 Décembre 1728, défend de commercer avec les Juifs, par billets de cette nature ; ordonne que pour ventes & emprunts on ne s’engagera que par des actes passés devant Notaires, à la vue desquels se fera la tradition des deniers ; en cas d’emprunts défend de cumuler l’intérêt avec le capital, &c. En différens pays, ces Ordonnances ont été réitérées cent fois, & violées cent mille fois. L’expérience a réfuté tous ces moyens ; & telle que l’hydre de la fable, l’usure renaissoit sans cesse pour faire de nouveaux ravages.

Voilà les principales loix portées en différens pays, en différens siecles, contre l’usure judaïque. Les Princes & les Conciles en ont encore fait de moins importantes, dont l’énumération seroit aussi fastidieuse qu’inutile, & dont l’insuffisance en laisse desirer d’autres. Basnage est choqué que des Conciles reglent des objets qui paroissent hors de leur compétence. Il auroit dû remarquer que dès la seconde race de nos Rois, & en général dans le moyen âge, beaucoup de Conciles, tant en France qu’en Allemagne, étoient des especes d’Assemblées parlementaires où l’on statuoit par le concours des deux Puissances ; & d’ailleurs les Princes s’empressoient de confirmer les décrets ecclésiastiques, pour en garantir l’exécution. C’est ainsi que Clotaire II avoit confirmé celui du cinquieme Concile de Paris en 615, qui défendoit aux Juifs d’intenter aucune action contre les Chrétiens(11). Cette loi, préférable à toutes celles qui l’ont suivie, auroit, en grande partie, extirpé l’usure, si on l’avoit exécutée à la rigueur. Le Sénat de Basle, par un règlement du 11 Décembre 1768, interdit aux Juifs tout trafic de chevaux & de bestiaux, excepté aux seuls jours de marché de la ville, & aux foires du canton ; il leur défend, en outre, de faire, en ces jours même, aucun marché à crédit. Le projet qu’on va développer, se rapproche de l’esprit du Concile de Paris, qu’on vient de citer, & de la loi du Magistrat de Basle. Puisqu’en cette matiere il est permis de hasarder ses idées, nous allons exposer les nôtres.



(1) In relation, de Alemaniâ, ad Papam Gregorium, apud Raynald. Annales eccles. ad an. 1273, n°. 18.

De banno Judæorum, secundum leges Mœno-franco furtenses, quo res amissæ vel furto ablatæ restituto pretio recuperantur.

(2) Tractatus juris germanici de Judæorum in Hassiâ, &c. Par Gatzert. Gissæ, 1771.

(3) À Metz, il est de douze pour cent.

(4) Concil. Lateran. 4. an. 1215. ch. LXIII. Concil. Bitterense, anni 1246, ch. XXXVII, &c.

(5) Concilium Albiense, an. 1254, ch. LXIII. Concil. Montispel. an. 1248, ch. V, &c.

(6) Stabilimentum apud Melend. d’Acherii spicileg. T. 6.

(7) Concilium Frising. anno 1440, ch. XXI. Vita Pauli quarti, an. 1555.

(8) Martene. Thesaurus novus anecdotorum, T. 1, p. 1222, stabilimentum Judæorum factum Parisiis, &c.

(9) Tractatus juris germa. de Judeæ in Hassiâ, &c. p. 35 et 37.

(10) Ibid.

(11) Concilium Parisiense quint. an. 625, ch. XV. Edict. Clotari II. regis in supra synodo. Concil. T. 5.