Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/14

La bibliothèque libre.
◄  Chap. XIII
Chap. XV  ►


CHAPITRE XIV.


Nouveaux moyens proposés pour réprimer les usures des Juifs.


Qu’est-ce que l’usure ? L’acception de ce terme n’est point encore fixée par une définition admise universellement, & c’est un grand vuide dans notre code moral ; c’est ce qui éternise le combat de la plupart des Théologiens avec les politiques. Cependant plusieurs Casuistes, dont le nombre se multiplie journellement, & dont la logique est pressante, autorisent l’intérêt sur prêt pécuniaire, tel qu’il est fixé par le Souverain, d’autant plus que l’église n’a pas prononcé dogmatiquement sur cet objet. Ce n’est point ici le lieu de traiter cette question que divers auteurs viennent d’approfondir ; mais on peut prédire qu’en moins d’un demi-siecle tous penseront à l’unisson. Desirons que ce moment arrive, ce sera une forte barriere contre l’usure ; la facilité légitime d’un prêt lucratif multipliera les ressources du besoin. On a observé que les usures étoient plus fréquentes, spécialement en Alsace, depuis la défense faite aux gens de main-morte, de prêter à constitution ; & quel avantage n’obtiendra-t-on pas des maisons religieuses, lorsqu’elles croiront pouvoir, sans blesser la conscience, percevoir des rentes sur des sommes prêtées pour un temps limité ? Le Chrétien trouvant alors des secours dans la bourse du Chrétien, sera moins exposé à devenir victime de la rapacité judaïque.

Un autre moyen qui, en obviant au prêt usuraire des Juifs, soulageroit les malheureux, seroit d’établir dans toutes les villes un peu considérables, des Lombards ou Mont-de-Piété qui jouiroient de la confiance publique. On y prêteroit sur des nantissemens sans intérêts, ou du moins l’intérêt seroit très-modique, & les Campagnards comme les Citadins, les Juifs même y auroient accès. On sait combien l’Italie se loue de ces établissemens créés par les Papes, pour réfréner l’usure hébraïque, comme le porte l’inscription même de celui de Bologne(1), & l’on n’en peut assez prôner les avantages.

Mais ces moyens accessoires ne frappent qu’indirectement sur l’usure, & l’on demande que nous attaquions ce monstre dans son repaire.

Réduisez les Juifs à ne vendre qu’à prix comptant, annullez toutes les créances(2) qu’ils pourroient avoir à l’avenir sur les Chrétiens ; voilà, peut-être l’arme la plus sûre qu’on puisse opposer aux fripponneries usuraires. Les créances n’ont pour objet que de garantir le paiement des dettes, & lorsque l’usure n’aura plus d’autre garant que la bonne foi des débiteurs, il est douteux que pour commettre une injustice, le Juif veuille se livrer à la discrétion de ses victimes. Ainsi prêter sur parole, vendre à crédit sur parole, ne sera jamais de son goût, car il augure d’autant plus mal de la probité des hommes, que la sienne lui sert de point de comparaison pour en juger. Prêter ou vendre devant témoins ne le rassurera pas, en eût-il cent, parce que n’ayant jamais action pour dette contre un Chrétien, il ne pourra réclamer l’appui de la Justice, au cas que le débiteur niât la dette. On n’est pas tenté de convertir en argent comptant, des billets dont on ne peut faire aucun usage après les avoir achetés ; voilà donc encore par la même loi l’agiotage usuraire des Juifs anéanti. Une clause essentielle de cette loi, seroit de fixer un temps, à dater du jour de la promulgation, pendant lequel tout Juif ayant des billets sur un Chrétien, seroit obligé de les faire enrégistrer au Greffe de la juridiction dont il ressortiroit. Son titre seroit invalidé par sa négligence. Le motif de cette clause n’est pas difficile à saisir. On empêcheroit par là le Juif de venir dans dix ans, dans vingt ans, présenter des créances récemment fabriquées, mais antidatées de maniere à éluder la loi.

Je ne vois qu’un moyen de l’éluder, c’est par l’usage des billets au porteur ; on sait que le créancier n’y est pas désigné. Dans un moment de crise, vous emprunterez cent écus d’un Juif, vous lui passerez un billet au porteur de cent cinquante, il le vendra pour cent trente ; & voilà son gain. D’anciens réglemens avoient défendu ces actes en France ; Louis XV les avoit abolis de nouveau en 1716 ; mais, par une Déclaration du 21 Janvier 1721, il en rétablit l’usage. Les inconvéniens de ces billets en ont assez constamment balancé les avantages ; & si l’on veut créer un peuple, si l’on desire que les Juifs deviennent citoyens, la proscription de ces billets doit entrer peut-être dans le plan que l’on suivra pour réaliser ce vœu ; au moins pourroit-on en revêtir l’usage de formalités qui serviroient de digue à l’abus. Telle seroit celle d’exiger, lorsqu’il y auroit soupçon d’usure, qu’on déclarât, qu’on prouvât de qui on tient les billets, quoique divers Arrêts ayent décidé qu’on n’y est pas obligé. Telle seroit encore celle d’assujettir ces billets à un contrôle qui indiquât, d’une maniere sûre, le premier propriétaire du billet, afin qu’au moindre doute, on pût consulter un registre qui éclairciroit le fait.

Lorsqu’on a soumis à quelques formalités les actes sous seing privé, on a presque toujours dispensé de cette loi les lettres de change, les billets à ordre & au porteur, comme constituant une classe à part ; c’est ce que portent & l’Édit d’Octobre 1705, & avant cela la Déclaration du 15 Mai 1703, qui les exceptent de la disposition de l’Édit de Décembre 1684. La nécessité des formalités que nous proposons pour les billets au porteur, retarderoit un peu la circulation des effets ; mais ce léger inconvénient seroit abondamment compensé par d’heureux fruits. Cependant, quand même on n’adopteroit pas le parti de proscrire entièrement ces billets, quand même on contesteroit l’utilité des formalités auxquelles nous proposons de les soumettre, l’Édit qui annulleroit les créances des Juifs, obtiendroit encore presque toujours son effet ; voici comment. Le Juif constitué dans l’impossibilité de faire valoir personnellement ses billets, ne pourroit frauder qu’en se fiant à des Chrétiens, juifs de caractere, à qui il vendroit sourdement ses billets au porteur, ou qui lui serviroient de prête-noms pour les billets d’une autre sorte. Mais le frippon capable de contrevenir aux loix de l’État, en se prêtant à cette manœuvre, seroit également capable de déférer le Juif comme violant ces loix, ou de frauder le commettant qui n’auroit jamais action contre son commis. D’ailleurs il faut payer des prête-noms, & les billets qu’on commerce ne rendent pas au vendeur le total de la somme portée par son écrit. La diminution du gain, dans l’un & l’autre cas, & la crainte d’encourir des peines très-séveres qui seroient infligées aux délinquans, diminueront, anéantiront même le desir de faire une fourberie qui ne pourroit se consommer de part & d’autre qu’en courant de très-grands risques. La loi ne pourra donc jamais s’éluder que par des voies très-obliques, très-difficiles, pour ne pas dire impossibles.

Cette loi ne contredit qu’en apparence les principes de la liberté civile, dont nous voulons étendre les avantages à toute la nation. Quoiqu’on emploie du corrosif contre un mal invétéré, & qui ne peut céder qu’à des remedes violens, toujours il est vrai de dire qu’on tend au bien du malade. D’ailleurs les Juifs ne constituent qu’une foible portion d’une nation quelconque, qui a le plus grand intérêt à ce qu’on empêche les brigandages ; ainsi le gouvernement qui en prendra les moyens, tendra également à son but, qui est la félicité du plus grand nombre.

Il est sans doute inutile de remarquer que tous les réglemens proposés cesseroient d’être en vigueur, dès que les circonstances les rendroient inutiles : on sent bien qu’un Édit ne détruira pas tout à coup l’usure dans son principe, car ce vice est trop enraciné chez le peuple hébreu, & l’on ne change pas le caractere national comme l’uniforme d’un corps militaire. Ce changement ne pourra s’opérer qu’à la longue, & nous déduirons les moyens qui doivent y concourir. On a vu (chap. XII) que le penchant des Juifs à l’usure, étoit une suite de leur position malheureuse dans les différens pays ; dès-lors il est évident qu’une révolution dans leur état, en produira une autre dans leur conduite. Devenus citoyens, & livrés à d’autres fonctions que le commerce, l’usure ne sera pas plus commune chez eux que chez les autres sujets de l’état, auxquels ils seront assimilés en tout. En attendant que le cœur soit converti, nous arrêtons les ravages de l’usure, nous la réduisons à l’inaction, & l’on sait que le feu s’éteint quand on ne l’alimente pas.



(1) Lorsqu’en 1643 Louis XIV donna une Déclaration pour établir des Monts-de-piété, son but étoit d’anéantir l’usure.

(2) Créance signifie également et la somme due et l’acte par écrit qui donne action au créancier contre le débiteur ; c’est dans cette derniere acception que j’emploie constamment ce terme.