Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/23

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CHAPITRE XXIII.


Faut-il laisser aux Juifs le droit d’autonomie, ou restreindre ce droit ?


On nous dispensera sans doute de répéter ce que nous avons dit & prouvé sur la nécessité de leur accorder la liberté de conscience avec les droits qui en dérivent directement. Le ministere veillera pour garantir à chacun la jouissance des droits naturels dans les affaires du salut ; conformément aux constitutions des Papes, on ne baptisera pas les enfans juifs au-dessous de l’âge de raison, sans l’aveu de ceux qui leur ont donné la vie. Nous exceptons de cette loi les illégitimes portés dans les hôpitaux. Lorsqu’en âge de choisir, un enfant embrassera le catholicisme, il ne sera pas soustrait à la puissance paternelle, à moins de sévices prouvés ou fortement présumés. Cette présomption bien établie, suffira pour qu’il devienne pupille de l’État. On pense bien que par menaces ou mauvais traitemens, des peres fanatiques enchaîneront la volonté des enfans qui pencheroientau christianisme, qu’ils tenteront de déshériter ceux qui se seroient convertis. Il faut donc qu’alors ceux-ci puissent se réfugier avec sûreté sous les aîles de la Justice, & que la tendresse de la patrie surveille leurs biens & leur vie.

Le Concile de Basle avoit ordonné qu’on formât d’habiles Professeurs pour travailler à la conversion des Juifs. Un politique du seizieme siecle vouloit que, pour opérer cette conversion, ils fussent reçus bourgeois de Paris, & obligés une fois la semaine d’assister à la Sorbonique(1), où l’on combattroit leurs erreurs. Dans le même siecle, en 1584, Grégoire XIII ordonna des instructions hebdomadaires pour les Juifs. Divers Souverains ont statué la même chose ; & cet usage de les prêcher, qui a cessé dans la Hesse, dans la Principauté de Colemberg & à Metz, se soutient en Italie. On sait avec quels succès le Pere Marin prêchoit la controverse aux Hébreux d’Avignon.

Obliger les Juifs à s’instruire, n’est pas les forcer à se convertir, & je pencherois à croire que les soumettre à l’audition de quelques discours, ce n’est pas contrarier les droits de l’humanité ; ou prouvez-moi que l’État ne peut obliger ses sujets à l’acquisition des lumieres. Peut-être même le gouvernement pourroit-il utilement employer cette voie pour instyler dans les esprits & les cœurs des principes raisonnés sur toutes les branches des devoirs du citoyen ; mais qu’alors rien n’annonce les duretés ni la contrainte, nous ne voulons que des conférences aussi amicales que celles de Limborch & d’Orobio.

Ici revient la question s’il faut laisser aux Juifs leurs loix & leurs usages, question agitée tant de fois, & en dernier lieu débattue avec feu dans l’affaire du Juif Peixotto qui vouloit répudier sa femme(2). Si on leur permet d’être Juifs, disoit le défenseur du mari, il faut aussi leur permettre de vivre selon les loix des Juifs. Après avoir contracté des mariages suivant le rit mosaïque, ne pourroient-ils les rompre en vertu du même rit ? & si on leur défend le divorce, il faut aussi leur défendre tout ce qui est de la religion judaïque. Cette conséquence est très-fausse, & l’Avocat adverse (M. Target) répliquoit : Si on leur permet de vivre selon leurs loix, il leur sera donc également permis d’avoir plusieurs épouses, de lapider les femmes adulteres, & les filles qui, &c. Cette réponse paroît victorieuse, Peixotto perdit, & le mariage fut confirmé.

Dans la Hesse on a défendu aux Rabbins la connoissance du divorce, quoique communément là, ainsi qu’ailleurs, on leur attribue pouvoir de juger les causes matrimoniales. Le divorce & le lévirat ne sont pas contraires à la loi naturelle ni à la loi mosaïque ; mais ces causes étant de nature à influer très-peu sur notre projet, nous dirons : Non nostrûm tantas componere lites. Seulement défendons aux Juifs le mariage dans les degrés prohibés par nos loix, le croisement des races étant au nombre des moyens requis pour régénérer un peuple dont le physique est dégradé.

Pendant les quatre premiers siecles, les Juifs ont joui en plusieurs pays du droit d’autonomie, sur-tout à la faveur de la politique romaine qui s’attachoit les peuples vaincus, les municipes, en leur laissant leurs loix & leurs usages. Le Digeste loue les Rescrits de Severe & d’Antonin qui admettaient les Hébreux aux emplois publics. À Antioche, leur chef de magistrature portoit le nom d’Archonte ; en Égypte, ils avoient des Ethnacques ; leur Sénat d’Alexandrie composé de quarante-huit membres, étoit présidé par l’Alabarque également Juif, & l’on voit ceux de Berenice en Afrique, composant avec les autres citoyens une magistrature réguliere, & formant des décrets publics(3).

Actuellement encore en diverses contrées, ils ont droit de premiere instance pour les difficultés qui s’élevent entr’eux. À Bordeaux, à Metz, &c. ils ont des Syndics, des assemblées d’anciens qui reglent leur régime intérieur, & dont les statuts sont sanctionnés par l’autorité publique. On leur a laissé la plupart de leurs usages, parce qu’on a vu que chez eux la religion s’étend à toutes les branches de législation jusqu’aux moindres détails de police. Leur Sanhédrin jugeoit les causes ecclésiastiques & civiles.

Mais distinguons dans la loi mosaïque ce qui tient essentiellement à l’exercice du culte, de ce qui n’est qu’objet de jurisprudence civile & criminelle, ce sont des choses séparables. Accordons aux Juifs entiere liberté sur le premier article, & dans tout ce qui n’intéresse pas les biens, la liberté, & l’honneur du citoyen, mais qu’en tout le reste ils soient soumis aux loix nationales. Laissons donc aux Rabbins droit de sentence dans les choses qui concernent purement le rit religieux, sans aucune relation à l’état civil. Un Arrêt du Parlement de Metz, rendu en 1749, leur défend de prononcer l’excommunication, & aux Juifs de la stipuler dans leurs compromis. Si cependant on leur laisse le droit de la lancer, il faut que, bornée aux effets nuement religieux, elle n’en ait aucun dans la société politique, & ne puisse jamais infâmer un citoyen comme fit la Synagogue d’Amsterdam envers Uriel Acosta. Pour obvier aux inconvéniens, il y aura toujours appel à nos Tribunaux.

C’est très-abusivement qu’en Alsace & dans quelques États d’Allemagne on permet aux Rabbins d’exercer les fonctions de Notaire, de juger les causes pécuniaires, testamentaires. On ne leur interdira pas la voie paisible de l’arbitrage ; mais dans toutes les affaires qui peuvent intéresser l’état civil, leurs judicatures seront supprimées, & leurs procès renvoyés aux Tribunaux ordinaires : telle est la loi de Joseph II. On ne prétendra pas sans doute que parce que notre Roi Henri II a reçu les Juifs portugais sans restriction, & que ses successeurs ont confirmé leurs privileges, le Souverain ait les mains liées quand il s’agira de statuer sur leur état civil, ni qu’ils puissent être citoyens, & cependant dispensés de l’obéissance aux loix, en vertu desquelles ils jouissent des avantages de citoyens ; eux-mêmes n’aspirent pas à cette exemption, & suivent sans remords, comme nous l’avons démontré, des réglemens nouveaux.

Les Juifs seront donc soumis à la jurisprudence respective des nations chez lesquelles ils résident, & l’on se dispensera de rédiger pour eux des coutumes particulieres comme on l’a fait à Metz. Les femmes qui chez eux n’héritent qu’à défaut de mâles, seront appellées aux successions d’une maniere plus favorable à leur sexe ; la majorité fixée aux mêmes époques que chez nous, entraînera moins d’inconvéniens. Nos Tribunaux ne retentiront plus de procès entre les Juifs & les Gens du Roi, pour création de tutelle, pour confection d’inventaire. Une police vigilante doit détruire un abus général chez eux, ce sont les inhumations précipitées.

Soumis à la même répartition d’impôts & de charges publiques, ils participeront aux mêmes avantages, parce qu’ils auront tous les attribus de citoyens. Mais en supposant que quelques-uns soient devenus corvéables des Seigneurs, il ne sera pas loisible à ceux-ci de rançonner des malheureux, de lever sur eux aucuns deniers, de les admettre ou de les renvoyer à leur gré. Quelques feudataires alsaciens prétendroient inutilement avoir ce droit par la nature de leurs fiefs qui sont immédiats, ou par une possession immémoriale. L’autorité souveraine ne peut être limitée par des usages contraires au bonheur national, & qui, pour être consacrés par le temps, n’en sont que plus abusifs.

Le plan que nous développons entraîne la dissolution des communautés juives ; mais sera-t-il aisé d’applanir la difficulté suivante ? Plusieurs de ces corporations ont des propriétés & des dettes ; on disposera de ces propriétés de maniere que les Juifs apportent leur contingent proportionnel dans les communautés chrétiennes dont par l’hypothese ils seront devenus membres, & le surplus sera réparti à leur profit. Mais les dettes, comment les éteindre ? sera-ce par de nouveaux impôts, tandis que les Juifs suffisent à peine au paiement des taxes qui les grevent, ou en ouvrant des emprunts qui ne seroient qu’un mal pour remplacer un autre ?

1°. La nation pauvre en général, a cependant des Crésus chez qui le pactole roule à grands flots ; & si leur générosité égaloit leur opulence, ils pourroient prêter sans intérêts aux communautés juives, qui par-là éteindroient sur le champ, les rentes de leurs dettes, & emploieroient désormais à l’acquit des capitaux, les deniers levés pour rente.

2°. La réunion des Juifs à la grande société fera supprimer nombre de présens Offerts & acceptés par l’honnêteté, ou offerts par la crainte à la rapacité qui recolte sur des malheureux, en leur vendant cher un crédit meurtrier(4), & qui sont un tribut que la foiblesse & la crainte payent à la force & à la terreur ; par-là même on verra s’anéantir des pensions accordées par la reconnoissance ou par d’autres motifs, telle est celle de vingt mille francs que les Juifs de Metz payent annuellement aux Brancas, c’est, dit-on, une concession accordée par le Roi à cette famille. Cette grace doit finir avec ou peu après le siecle, & la pension est substituée à un hôpital. Cette subrogation peut être révoquée, pour peu qu’on sente l’inconvénient de doter un asyle de misere en pressurant des malheureux.

3°. À défaut de ces moyens, il n’en reste qu’un. La réforme des Juifs importe à la Nation entiere, au sein de laquelle ils vivent. Il faut donc que la Nation fasse des sacrifices. Les Juifs enveloppés dans la même forme d’impôts que les Chrétiens, seront cotisés sur les mêmes rôles ; mais on fera distraction de la quotité levée sur eux pour éteindre leurs dettes, en payant annuellement une partie du capital avec les rentes, & cette forme d’annuité amenera dans peu l’entiere liquidation. J’avoue que dans la crise actuelle des finances, ce n’est gueres le moment de proposer des sacrifices ; mais les dettes des Juifs en France, sont un très-mince objet, comparativement à celles de la Nation ; & Necker est au timon du gouvernement.

Ainsi point de syndic pour la gestion des affaires des communautés juives, point de communautés juives, ils seront membres des nôtres ; lorsque pour des affaires indispensables de leur religion, ils seront obligés de tenir conseil & de voter, un Commissaire royal surveillera ces assemblées où tout sera traité en langue vulgaire ; car les Juifs seront obligés de savoir l’idiôme national, & astreints à s’en servir pour leurs contrats, registres, bilans, testamens, calandriers, &c, & pour l’exercice public de leur culte, ou au moins tous leurs livres liturgiques seront traduits. L’usage de la langue vulgaire pour les rits religieux, n’en contredit pas les principes, puisqu’encore actuellement quelques synagogues font leurs offices en espagnol, quoique leur expulsion d’Espagne date déja de trois siecles.

Sans doute on parviendra quelques jours à extirper cette espece d’argot, ce jargon tudesco-hébraïco-rabbinique dont se servent les Juifs allemands, qui n’est intelligible que pour eux, & ne sert qu’à épaissir l’ignorance ou à masquer la fourberie. En Europe, & nulle part que je sache sur le globe, aucune langue nationale n’est universellement usitée par la nation. La France a dans son sein peut-être huit millions de sujets, dont les uns peuvent à peine balbutier quelques mots estropiés quelques phrases disloquées de notre idiome ; les autres l’ignorent complettement. On sait qu’en basse Bretagne, & par-delà la Loire, en beaucoup de lieux, le Clergé est encore obligé de prêcher en patois local, sous peine de n’être pas compris s’il parloit françois. Les gouvernemens ignorent ou ne sentent pas assez combien l’anéantissement des patois importe à l’expansion des lumieres, à la connoissance épurée de la religion, à l’exécution facile des loix, au bonheur national, & à la tranquillité politique.



(1) Vues d’un politique du seizième siecle, tirées du recueil de Raoul Spifame. Par M. Auffray, de l’Académie de Metz.

(2) V. causes célebres, par M. des Essarts. T. 64. Paris. 1780. Cause 171.

(3) V. de la religion chrétienne, par Addisson, traduite par M. de Correvon, avec des dissertations, &c. T. 3, pag. 85 et suiv., et Scipionis Massei epistola, in quâ tres eximiæ ac nunquam vulgatæ inscriptiones exhibentur. Veronæ 1772.

(4) C’est une chose qui excite la curiosité, l’indignation et la douleur, de voir en divers endroits tous les présens qu’au nouvel an sur-tout, les Juifs font à des hommes en place, ou à leurs subalternes, pour acheter une protection flétrissante. Ces tributs de la foiblesse à la force, sont considérés comme des redevances annuelles. Où prendront, pour y subvenir, des malheureux, déja grévés d’impôts, dont les bras sont liés, et les moyens d’acquérir si bornés ? Dans son triste galetas le pauvre Israélite étouffant les soupirs d’une ame consternée, et condamné à vivre, pourroit invoquer la mort avec plus de sincérité, que le bûcheron harassé. Communément sobre, il se retranche avec résignation ; communément bon pere, il retranche à ses enfans avec déchirement de cœur quelques bouchées d’une chétive nourriture, recout quelques lambeaux de plus à son vêtement délabré, économise quelques deniers de misere pour fournir à l’avidité des harpies qui pourroient manger jusqu’à sa table.

Dans une de nos villes de France un Juif est saisi exerçant un métier, on le traîne devant le juge : « J’ai, dit-il, six enfans couchés sur l’ordure, mourans de faim et de froid ; on va pendre mon frere pour un vol commis dans le désespoir. Je demande de partager son supplice avant que je devienne criminel ».

Ne nous lassons pas de le répéter ; c’est nous...... nous-mêmes qui forçons le Juif à devenir pervers ; si quelque chose a droit de nous surprendre, c’est qu’il ne le soit pas davantage. Ce qui chez d’autres seroit vertu, chez lui est souvent héroïsme de vertu. Nos ancêtres ont subordonné la loi naturelle à leur vengeance. Quand acquitterons-nous leurs dettes et la nôtre ? Est-ce en éternisant les malheurs des Juifs que nous acquerrons des droits sur les bénédictions de la postérité ? Quand rendrons-nous à l’humanité ce peuple outragé par nos préjugés, considéré par la haine, comme intermédiaire entre nous et la brute, sans rang dans la société ? ne voyant autour de soi que l’opprobre, et traînant par-tout des fers baignés de ses larmes ?