Essais moraux et politiques (Hume)/La Polygamie & le Divorce

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DIX-HUITIÈME ESSAI.

La Polygamie & le Divorce.

Le mariage étant un contrat qui suppose un consentement réciproque, & ayant pour but la propagation de l’espece, il est clair que les conditions du mariage peuvent varier, comme dans tous les autres contrats où le consentement est requis, pourvu qu’il n’y entre rien de contraire au but de son institution.

Tout homme qui s’associe à une femme est lié par la teneur de son contrat ; lorsqu’il lui naît des enfans, les loix de la nature & de l’humanité l’oblige à pourvoir à leur subsistance & à leur éducation : quand il a rempli ces deux devoirs, il a satisfait à tout ce que la justice exigeoit de lui ; & il est irréprochable. & comme les termes du contrat aussi bien que la maniere de faire subsister les enfants peuvent varier à l'infini, c’est une superstition, de s’imaginer que le mariage doive être entiérement uniforme, & n’admettre qu’une seule méthode. Si la liberté naturelle n’étoit pas restreinte par les loix humaines, il y auroit entre les mariages autant de différence, qu'il y en a entre toutes les autres sortes de marchés & de contrats.

Nous voyons que les conditions de cet important engagement varient, en divers tems & en divers lieux, selon la variété des circonstances & des avantages que les loix y ont attachés. Au Tonquin c'est la coutume des matelois de se marier pour la saison, dans les ports ou leurs vaisseaux ont relâché ; & quelques précaires que puisse paroître cet engagement, ils sont, dit-on, assurés de la fidélité de ces épouses passageres, aussi-bien que de la bonne admmistration de leurs affaires économiques.

J’ai lu quelque part, sans pouvoir à présent me rappeller l’endroit, que la république d’Athênes, ayant perdu par la guerre & par la peste un grand nombre de ses citoyens, pour réparer cette perte au-plutôt possible, donna la permission générale d’épouser deux femmes. Le poëte Euripide eut le malheur d’être associé à deux demons incarnés, dont les jalousies & les querelles le tourmenterent à un tel point que dans la suite il devint l’ennemi le plus déclaré du sexe ; & c’est le seul écrivain dramatique, peut-être le seul poëte, qui ait eu une aversion aussi générale pour les femmes.

Dans cet agréable roman, appellé l’Histoire des Sévarambes, où l’on suppose un grand nombre d’hommes & un petit nombre de femmes qui font naufrage sur une côte déserte, voici comment le chef de la troupe termine les querelles, & comment il regle les mariages. Après avoir pris pour lui une femme aimable, il range ses officiers deux à deux, & en assigne une pour chaque paire ; enfin il donne toujours à cinq hommes du dernier rang une femme en commun. Le plus fameux législateur eût-il pu prendre un plus sage parti.

Les anciens Bretons se marioient d’une façon bien singuliere, & dont il n’y a point d’exemple chez les autres peuples. Une dixaine ou une douzaine d’hommes, formoient une société entr’eux, ce qui peut-être, dans ces tems barbares, étoit nécessaire pour leur sûreté : pour resserrer d’autant plus ce lien, ils prenoient un nombre égal de femmes en commun ; les enfans qui en naissoient, étoient censés leur appartenir à tous, & entretenus aux dépens de la communauté.

La nature, en souverain législateur, a dicté elle-même les loix qui reglent les mariages des créatures qui sont au-dessous de l’homme, & a diversifié ces loix suivant les différentes circonstances où ces êtres sont placés. Partout où elle fournit à l’animal nouveau-né une nourriture aisée & des armes pour se défendre, le mariage se termine d’abord après l’accouplement, & le soin des petits ne regarde que la femelle. Si la nourriture est moins facile à acquérir, le mariage dure pendant une saison, jusqu’à ce que les jeunes puissent se pourvoir eux-mêmes : dès lors l’union cesse, & chacun des deux animaux a la liberté de former des nouveaux engagemens pour la saison prochaine. La nature n’a pas si exactement réglé les articles de nos contrats de mariage : nous ayant doués de raison, elle a laissé à notre prudence le soin de les ajuster à nos diverses situations ; & comme chaque individu en particulier n’a pas toujours assez de cette prudence, les loix municipales y suppléent, & en resserrant la liberté naturelle, ces loix assujettissent, en même tems, l’intérêt particulier à l’intérêt public. Tous les réglemens que l’on peut faire concernant les mariages, sont donc également conformes aux loix & aux principes naturels, mais ils ne sont pas également convenables au bien de la société. Les loix peuvent, permettre la polygamie, comme cela se pratique chez les peuples de l’Orient : elles peuvent permettre les divorces volontaires, comme ils étoient en usage chez les Grecs & chez les Romains : elles peuvent enfin obliger les hommes de se contenter d’une femme, comme cela se fait aujourd’hui par toute l’Europe. Il ne sera pas désagréable de considérer les avantages & les inconvéniens attachés à ces différentes institutions.

Ceux qui plaident pour la polygamie, nous diront qu’elle est le seul remede efficace contre les fureurs & les désordres de l’amour, le seul moyen de délivrer les hommes de cet esclavage où les a réduits la violence de leur passion pour le sexe. Par-là nous reprenons le droit de souveraineté que nous avons perdu : nous rassasions notre appétit sans préjudicier à l’empire que la raison doit exercer sur notre esprit, ni par conséquent à l’autorité que nous devons exercer dans nos familles. L’homme est un monarque foible, qui ne peut se soutenir contre le manége & les intrigues de ses sujets, qu’en mettant les diverses factions aux prises les une avec les autres : il ne peut se rendre absolu qu’en excitant des jalousies entre les femmes. Divise et regne, est une maxime universelle : les Européans, en manquant de la pratiquer on subi un esclavage plus dur & plus ignominieux que n’est celui des Turcs & des Persans, sujets à la-vérité d’un souverain éloigné d’eux, mais maîtres à leur tour dans leur domestique, où ils gouvernent avec un pouvoir illimité. Quelle ne seroit pas la surprise d’un honnête Musulman, sortant de son serrail, où tout tremble devant lui, de voir Sylvie dans sa chambre de parade, adorée de toute la belle jeunesse & de tous les petits maîtres de la ville ? il la prendroit assurément pour une reine puissante & despotique entourée de sa garde, servie par ses esclaves & par ses eunuques.

Mais, d’un autre côté, l’on peut prétendre avec plus de raison, que ce despotisme des hommes est une véritable usurpation, destructrice de cette proximité, pour ne pas dire égalité de rang que la nature a réglée entre les sexes. Elle a ordonné que nous fussions les amans, les amis & les protecteurs des femmes ; voudrions-nous renoncer à des noms si chéris, & les échanger contre les noms barbares de maître & de tyran ?

Comment gagneroit-on à ces procédés inhumains ? est-ce comme amant, ou comme mari ? L’amant est anéanti lorsque les femmes ne peuvent pas disposer d’elles-mêmes, lorsqu’on les vend & les achete comme du bétail, personne ne se soucie de leur faire la cour, & la vie humaine y perd une de ses scenes les plus agréables. Le mari gagne tout aussi peu lorsqu’il a trouvé le beau secret de bannir de l’amour tout ce qu’il a de piquant, & de n’y laisser que la jalousie. Il n’y a point de roses sans épines ; mais celui qui extirpe les roses pour ne conserver que les épines, doit avoir abjuré le bon sens.

Je ne voudrois pas faire l’éloge des mœurs Européanes dans les termes de Méhémet Yffendi, dernier ambassadeur Turc en France. Nous sommes bien sots, nous autres Turcs, disoit-il, en comparaison des Chrétiens. Nous nous causons du trouble & des dépenses pour entretenir des serrails dans nos maisons : vous vous dispensez de cette peine-là, & vous trouvez chacun votre serrail dans les maisons de vos amis. La vertu reconnue de nos Angloises les met assez à couvert de ce reproche : & ce Turc lui-même, s’il avoit voyagé parmi nous, eût été obligé de convenir que notre commerce libre avec le beau-sexe contribue plus que toute autre chose, à embellir, à animer & à polir nos sociétés.

Mais si les mœurs Asiatiques sont funestes à l’amour, elles ne le sont pas moins à l’amitié. La jalousie détruit toute intimité, & même toute familiarité : personne n’ose introduire son ami dans sa maison, ni l’admettre à sa table, de peur d’amener un galant à sa femme. De-là vient que les familles vivent dans un état de séparation qui les fait ressembler à autant de royaumes différens. Il ne faut donc pas s’étonner que Salomon, vivant en prince oriental au milieu de ses sept cents femmes & de ses trois cents concubines, & n’ayant point d’ami, ait traité si pathétiquement le chapitre de la vanité du monde. S’il eût essayé la méthode de n’avoir qu’une femme, ou une maîtresse avec peu d’amis & beaucoup de compagnons, il eût trouvé plus, d’agrémens dans la vie. Otez l’amour & l’amitié du monde, il n’y restera rien qui soit digne d’être recherché.

Pour rendre la polygamie odieuse, je n’ai pas besoin de détailler les horribles effets des jalousies, & la contrainte où elles retiennent le beau-sexe dans toutes les régions de l’Orient. Dans ces contrées, non-seulement tout commerce avec les femmes est interdit : le médecin n’ose les approcher, lors même qu’il est à supposer que la maladie a éteint tous les desirs voluptueux dans le sein de ces belles, ou les a rendues des objets peu propres à en faire naître. Tournefort nous raconte qu’ayant été introduit en qualité de médecin dans le serrail du grand-seigneur, il ne fût pas peu surpris, en parcourant des yeux une longue galerie, de voir sortir partout des bras nuds du mur des appartemens. Il ne pouvoit s’imaginer ce que cela signifioit, jusqu’à ce qu’on lui dit que ces bras appartenoient à des corps qui avoient besoin du secours de son art, & qu’il devoit guérir, sans en savoir autre chose que ce que ces bras pouvoient lui en apprendre. On ne lui permit pas de faire une seule question aux malades, ni à leurs domestiques, de peur qu’il ne trouvât nécessaire de s’enquérir de circonstances que la délicatesse du serrail défend de révéler. C’est de là que les médecins Orientaux prétendent connoître la nature de toutes les maladies en tâtant le pouls, comme nos charlatans par l’inspection de l’urine. Si Tournefort avait été de cette derniere classe, je doute fort qu’à Constantinople les Turcs jaloux eussent voulu lui fournir les matériaux requis pour l’exercice de sa profession.

Dans un autre pays, où la polygamie est aussi en vogue, on rend les femmes percluses, & on leur estropie les pieds, afin de les retenir chez elles. Mais ce qui doit paroître plus étrange, c’est que dans une contrée de l’Europe, où la polygamie est défendue, la jalousie aille au point que l’on regarde comme indécent de supposer qu’une femme de qualité puisse avoir des pieds ou des jambes. L’Espagnol est jaloux de la pensée même de ceux qui approchent de sa femme, il craint d’être déshonoré par leur imagination ; témoin l’histoire suivante, qui vient de fort bon lieu[1]. La mere de dernier roi d’Espagne, étant sur la route de Madrid, passa par une petite ville Espagnole, renommée par ses manufactures de gands & de bas. Les honnêtes magistrats de cette place pensoient ne pouvoir mieux marquer leur joie, & solemniser la réception de leur nouvelle reine, qu’en lui présentant un échantillon des marchandises qui seules rendoient leur ville fameuse. Le majordôme, qui conduisoit la reine, reçut les gands fort gracieusement ; mais lorsque les bas furent présentés, il les jeta avec beaucoup d’indignation, taxa les magistrats d’indecence, & leur fit une sévere réprimande : Sachez leur dit-il, que les reines d’Espagne n’ont point de jambes. La jeune reine, qui dans ce tems-là n’entendoit gueres la langue, & que l’on avoit souvent effrayée par des histoires relatives à la jalousie Espagnole, s’ imagina qu’on allait lui couper les jambes : elle jeta les hauts cris ? que l’on me ramena en Allemagne, dit-elle, je ne pourrai jamais soutenir cette opération : on eut bien de la peine, à l’appaiser. Cet événement fut raconté à Philippe IV, & l’on assure que c’est la seule fois qu’on l’ait vu rire de bon cœur.

Si l’on n’ose croire que les dames Espagnoles aient des jambes, que faudra-t-il penser des dames Turques ? Il ne faut pas s’appercevoir qu’elles existent, aussi les maris de Constantinople se croient-ils forts affrontés, lorsqu’en leur présence on est assez impoli pour faire mention de leurs femmes[2].

Il est vrai qu’en Europe les gens du bel air se sont fait une loi de ne jamais parler de leurs femmes ; mais ce n’est pas par jalousie ; c’est, je crois, pour ne pas importuner la compagnie en parlant trop d’elles.

L’Auteur des Lettres Persannes donne un autre sens à cette maxime de politesse : ils ne parlent, dit-il, presque jamais de leurs femmes : c’est qu’ils ont peur d’en parler devant des gens qui les connaissent mieux qu’eux.

Après avoir ainsi rejeté la polygamie, après avoir marié un homme avec une femme, voyons à présent la durée que doit avoir cette union, & si l’on peut admettre ces divorces volontaires qui étoient en usage parmi les Grecs & les Romains. Voici comment raisonneront ceux qui sont pour le divorce.

Combien de fois n’arrive-t-il pas que le dégoût & l’aversion naissent du sein des mariages ? L'événement le plus ordinaire peut les exciter, souvent les humeurs sont incompatibles, & lorsqu'on en est venu au offenses, le tems, au lieu de fermer la plaie, ne fait que la rendre incurable, & l'entretien par des querelles et des reproches éternels. Séparons deux cœurs qui ne sont pas faits pour s'aimer, peut-être l’un et l'autre trouveront-ils ailleurs mieux leur compte ; au moins est-ce le comble de la cruauté, de maintenir par force une union que l’amour avoit d’abord formé, mais que la haine dissout.

La permission du divorce, non-seulement est un remede contre les animosités & les querelles domestiques, mais encore un excellent préservatif qui les empêche de naître, & l’unique moyen d’entretenir l’amour qui a commencé l’union. Le cœur humain aime la liberté, l’idée de la contrainte lui répugne déja : le choix qu’il auroit fait de lui-même, il ne se le laisse pas extorquer : dès qu’on use de violence, l’inclination s’évanouit, & le désir se change en aversion. Si l’intérêt public ne vous permet pas de nous accorder la polygamie, & cette agréable variété dont elle assaisonne l’amour, au-moins ne nous ôtez pas une liberté qui nous est si nécessaire. En vain vous me dites que j’étois libre de choisir la personne avec laquelle je voulois passer ma vie : il est vrai que je pouvois choisir ma prison, triste consolation ! en est-elle moins prison pour cela.

Tels sont les argumens qui militent pour le divorce, mais il y a contre-eux trois objections, qui me paroissent sans réplique. Premiérement. Lorsque les parens se séparent, que deviendront les enfans ? Faudra-t-il les abandonner aux soins d’une belle-mere, & au-lieu des tendresses maternelles, leur faire essuyer toute la haine d’une étrangère, toute la haine d’une ennemie ? Ces inconvéniens se font assez sentir lorsque la nature elle-même fait le divorce par le coup inévitable à tout ce qui est mortel ; & faudrat-il chercher à les multiplier en multipliant les divorces ? & faudra-t-il laisser au caprice des parens le pouvoir de rendre leur postérité malheureuse ?

En second lieu, quoique le cœur humain aime naturellement la liberté, & haïsse tout ce à quoi l’on veut le forcer, il lui est pourtant tout aussi naturel de se soumettre à la nécessité, & de perdre les inclinations auxquelles il voit qu’il lui est impossible de satisfaire. Vous attribuez, me direz-vous, à la nature humaine deux principes qui se contredisent ; mais l’homme est-il autre chose qu’un amas de contradictions ? Cependant il est remarquable que deux principes, qui produisent deux effets contraires, ne s’ entredétruisent pas toujours : ils regnent chacun à son tour, & lorsque les circonstances lui sont favorables. L’amour, par exemple, est une passion inquiete & impatiente, pleine de caprices & de variations : elle est l’ouvrage d’un moment : un trait, une physionomie, un rien la fait naître, & un rien l’éteint tout aussi subitement. Une passion de cette nature demande sur toute chose de la liberté : c’est pourquoi Eloïse, pour conserver son amour, eut raison de ne point vouloir épouser son cher Abeilard.

Tu le fait, Abeilard : quand ton ame charmée
Me pressa de subir les loix de l’hymenée :
Non, te dis-je en courroux, je déteste à jamais
Ces liens étrangers que l’amour n’a point faits.
L’amour tremble à l’aspect de la pesante chaîne,
Où veut le retenir la tyrannie humaine :
Cet enfant du plaisir & de la liberté
Demande, comme l’air, un champ illimité ;
Au seul mot de contrainte, il déploie ses ailes,
Et fend des vastes cieux les voûtes éternelles.

[3]

Mais l’amitié est une affection plus paisible & plus calme : la raison y préside, l’habitude l’affermit : née d’une longue familiarité & d’obligations réciproques, elle ne connoît ni la jalousie, ni la crainte, ni tous ces accès fiévreux de chaud & de froid, qui font le doux tourment des cœurs que l’amour a subjugués. Une affection aussi sobre gagne à être contrainte, loin d’en souffrir, & ne va jamais plus loin, que lorsqu’un grand intérêt, ou la nécessité même a formé le lien, & a engagé deux personnes à fournir la même carriere. Voyons donc lequel des deux doit dominer dans le mariage, si c’est l’amitié ou l’amour. Par-là nous pourrons déterminer si c’est la liberté ou la gêne qui lui convient le mieux.

Les mariages les plus heureux sont assurément ceux où l’amour par un long usage, s’est converti en amitié. Il n’y a qu’un fou qui puisse se figurer des transports & des extases au-delà du premier mois. Les romanciers eux-mêmes, malgré la liberté qu’ils ont de feindre, sont obligés d’abandonner leurs héros à leur jour de noces : ils trouvent moins de difficulté à soutenir l’intérêt pendant des années qui se passent en froissemens, en dedains & en traverses, que durant une semaine de jouissance & de sécurité. Ne craignons donc point de trop serrer le nœud du mariage. Si l’amitié des époux est solide & sincere, elle ne peut qu’y gagner ; & si elle est incertaine & chancelante, c’est le meilleur moyen de la fixer. Il ne faut qu’une prudence médiocre pour oublier je ne sais combien de querelles & de dégoût frivoles, lorsque l’on se voit obligé de passer la vie ensemble : au-lieu qu’on les pousseroit aux dernieres extrémités, & qu’il en naîtroit des haines mortelles, si l’on étoit libre de se séparer.

En troisieme lieu, il faut considérer que rien n’est plus dangereux que de confondre les intérêts de deux personnes, sans rendre leur union complette. Dès qu’il y a la moindre apparence, la moindre possibilité d’un intérêt séparé, il en naîtra des disputes & des jalousies éternelles : ce petit esprit voleur des femmes, comme le docteur Parnel s’ exprime[4] sera doublement ruineux pour le ménage, & l’amour-propre du mari, soutenu de plus de pouvoir, aura des suites encore plus funestes.

Ceux à qui ces raisons ne suffisent pas, ne rejeteront pas au moins le témoignage de l’expérience. Du tems que les divorces étoient le plus en vogue chez les Romains, les mariages étoient rares, au point qu’Auguste se vit obligé de forcer les gens de façon à se marier, circonstance dont on trouvera peu d’exemples en d’autres tems & chez d’autres nations. Denis d’Halicarnasse donne de grands éloges à ces loix plus anciennes de Rome, qui interdisoient les divorces. Il régnoit, dit cet historien, une harmonie admirable entre les époux, produite par l’union inséparable des intérêts : considérant la nécessité inévitable qui les lioit, ils abandonnoient toutes les vues étrangeres à cet établissement.

L’exclusion de la polygamie & du divorce fait suffisamment connoître l’utilité des maximes de l’Europe, par rapport aux mariages.

  1. Mémoires de la cour d’Espagne, par madame d’Aunoi.
  2. Mémoires du marquis d’Argens.
  3. Hou oft, when prest to marriage, have J said,
    Curse on all laws, but those which love has made.
    Love, free as air, at sight of human ties,
    Spreads his light wing, and in amoment flies.

    Tome VI.

  4. The Little pils’ring temper of a wife.