Essay pour les coniques

La bibliothèque libre.
Texte établi par Léon Brunschvicg et Pierre BoutrouxHachette (I. Biographies. — Pascal jusqu'à son arrivée à Paris (1647)p. 252-260).

ESSAY POUR LES CONIQUES


Definition Premiere.


Quand plusieurs lignes droictes concourent à mesme point, ou sont toutes paralleles entr’elles, toutes ces lignes sont dites de mesme ordre ou de mesme ordonnance, & la multitude de ces lignes est dite ordre de lignes, ou ordonnance de lignes[1].


Definition II.


Par le mot de section de Cone, nous entendons la circonference du Cercle, l’Elipse, l’Hyperbole, la Parabole & l’Angle rectiligne : d’autant qu’un Cone coupé paralellement à sa base, ou par son sommet, ou des trois autres sens qui engendrent l’Elipse, l’Hyperbole & la Parabole, engendre dans la superficie Conique, ou la circonference d’un cercle, ou



un Angle, ou l’Elipse, ou l’Hyperbole, ou la Parabole[2].


Definition III.


Par le mot de droicte mis seul, nous entendons ligne droicte.


Lemme I.


Fig. I.Si dans le plan M, S, Q du point M partent les deux droites MK, MV, & du point S partent les deux droites SK, SV ; & que K soit le concours des droites MK, SK, & V le concours des droites MV, SV, & A le concours des droites MA, SA, & µ le concours des droites MV, SK, & que par deux des quatre points A, K, µ, V qui ne soient point en mesme droite avec les points M, S, comme par les points K, V, passe la circonférence d’un cercle coupante les droites MV, MP, SV, SK, ès points O, P, Q, N : je dis que les droites MS, NO, PQ, sont de mesme ordre[3].


Lemme II.


Si par la mesme droite passent plusieurs plans, qui soient coupez par un autre plan, toutes les lignes des sections de ces plans sont de mesme ordre avec la droite par laquelle passent lesdits plans[4].

Fig. I.Ces deux Lemmes posez, & quelques faciles conséquences d’iceux, nous demonstrerons que les mesmes choses estant posées qu’au premier Lemme, si par les points K, V passe une quelconque section de Cone qui coupe les droites MK, MV, SK, SV ès points P, O, N, Q, les droites MS, NO, PQ seront de mesme ordre. Cela sera un troisieme Lemme[5].

En suitte de ces trois lemmes & de quelques consequences d’iceux, nous donnerons des Elemens coniques complets, à sçavoir toutes les proprietez des diametres & costez droits, des tangentes, &c., la restitution du Cone presque sur toutes les données, la description des sections de Cone par points, &c.[6].

Fig. I.Quoy faisant, nous enonçons les proprietez que nous en touchons d’une maniere plus universelle qu’à l’ordinaire. Par exemple, celle-cy[7] : si dans le plan MSQ, dans la section de Cone PKV, sont menées les droites AK, AV, atteignantes la section aux poincts P, K, Q, V ; & que de deux de ces quatre poincts qui ne sont point en mesme droicte avec le point A, comme par les points K, V, & par deux points N, O, pris dans le bord de la section, soient menées quatre droictes KN, KO, VN, VO, coupantes les droictes AV, AP aux points L, M, T, S : je dis que la raison composée des raisons de la droicte PM à la droicte MA, et de la droicte AS à la droicte SQ, est la mesme que la composée des raisons de la droicte PL à la droicte LA, et de la droicte AT à la droicte TQ.

Fig. I.Nous demonstrerons aussi[8] que s’il y a trois droictes DE, DG, DH que les droictes AP, AR, coupent aux poincts F, G, H, C, γ, B, & que dans la droicte DC soit determiné le poinct E, la raison composée des raisons du rectangle EF en FG au rectangle de EG en Cγ, & de la droicte Aγ à la droicte AG, est la mesme que la composée des raisons du rectangle EF en FH au rectangle EC en CB, & de la droicte AB à la droicte AH. Et est aussi la mesme que la raison du rectangle des droictes FE, FD, au rectangle des droictes CE, CD. Partant, si par les points E, D passe une section de Cone qui coupe les droictes AH, AB ès points P, K, R, ψ, la raison composée des raisons du rectangle des droictes EF, FG, au rectangle des droictes EC, Cγ, & de la droicte γA à la droicte AG, sera la mesme que la composée des raisons du rectangle des droictes FK, FP, au rectangle des droictes CR, Cψ, & du rectangle des droictes AR, Aψ, au rectangle des droictes AK, AP.

Fig. II.Nous demonstrerons aussi[9] que si quatre droictes AC, AF, EH, EL, s’entrecoupent ès poincts N, P, M, O, & qu’une section de Cone coupe lesdites droictes ès poincts C, B, F, D, H, G, L, K, la raison composée des raisons du rectangle de MC en MB, au rectangle des droictes PF, PD, & du rectangle des droictes AD, AF, au rectangle des droictes AB, AC, est la mesme que la raison composée des raisons du rectangle des droictes ML, MK, au rectangle des droictes PH, PG, & du rectangle des droictes EH, EG, au rectangle des droictes EK, EL.

Nous demonstrerons aussi cette proprieté, dont le premier inventeur est Mr  Desargues, Lyonnois, un des grands esprits de ce temps, & des plus versez aux Mathematiques, & entr’autres aux Coniques, dont les escripts sur cette matiere quoy qu’en petit nombre, en ont donné un ample tesmoignage à ceux qui en auront voulu recevoir l’intelligence ; & veux bien advoüer que je doibs le peu que j’ay trouvé sur cette matiere à ses escripts, & que j’ay tasché d’imiter, autant qu’il m’a été possible, sa methode sur ce subjet, qu’il a traité sans se servir du triangle par l’axe[10]. Et traitant generalement de toutes les sections de Cone, la propriété merveilleuse dont est question est telle[11]. Si dans le plan MSQ y a une section de Cone PQV, dans le bord de laquelle ayant pris les quatre points K, N, O, V, sont menées les droictes KN, KO, VN, VO, de sorte que par un mesme des quatre poincts ne passent que deux droictes, & qu’une autre droicte coupe tant l’abord[12] de la section aux poincts R, ψ que les droictes KN, KO, VN, VO ès points X, Y, Z, δ : je dis que comme le rectangle des droictes ZR, Zψ est au rectangle des droictes γR, γψ, ainsi le rectangle des droictes δR, δψ est au rectangle [des] droites XR, Xψ.

Nous demonstrerons aussi que, si dans le plan de l’hyperbole ou de l’elipse, ou du cercle AGE, dont le centre est C, on mene la droicte AB, touchante au poinct A la section, & qu’ayant mené le diametre CA, on prenne la droicte AB dont le quarré soit egal au quart du rectangle de la figure[13], & qu’on mene CB, alors, quelque droicte qu’on mene, comme DE, parallele à la droicte AB, coupante la section en E, & les droictes AC, CB, ès points D, F : si la section AGE est une elipse ou un cercle, la somme des quarrez des droictes DE, DF, sera egale au quarré de la droitce AB ; & dans l’hyperbole, la difference des mesmes quarrez des droictes DE, DF, sera egale au quarré de la droicte AB.

Nous deduirons aussi quelques problemes, par exemple : D’un poinct donné mener une droicte touchante une section de Cone donnée.

Trouver deux diametres conjuguez en angle donné.

Trouver deux diametres en angle donné & en raison donnée.

Nous avons plusieurs autres Problemes & Theoremes, & plusieurs consequences des precedens ; mais la defiance que j’ay de mon peu d’experience & de capacité ne me permet pas d’en avancer davantage advant qu’il ait passé à l’examen des habiles gens qui voudront nous obliger d’en prendre la peine : après quoy si l’on juge que la chose merite d’estre continuée, nous essayrons de la pousser jusques où Dieu nous donnera la force de la conduire.

À Paris, M. DC. XL.

  1. Cette définition est presque textuellement empruntée à Desargues : « Ordonnance des lignes droites. Pour donner à entendre de plusieurs lignes droites qu’elles sont toutes entr’elles, ou bien paralleles, ou bien inclinées à mesme point, il est icy dit que toutes des droites sont d’une mesme ordonnance entr’elles » (Brouillon Project, etc. Œuv. de Desargues, I, p. 104).
  2. Ces considérations sont développées dans le fragment du traité complet des coniques de Pascal qui nous a été conservé sous le titre : Generatio Conisectionum (Vide infra, t. II, pp. 234 et sqq.).
  3. Ce lemme est le théorème classique de Pascal, relatif à l’hexagone inscrit dans une section conique. Il exprime que les points de concours des côtés opposés d’un tel hexagone sont trois points en ligne droite. Dans le traité complet des coniques qu’il a laissé inachevé, Pascal donnait à l’hexagone inscrit le nom d’hexagramme mystique. « Il (Pascal) explique, — dit Leibniz, résumant le contenu des papiers que lui avait envoyés Perier, — les proprietez remarquables d’une certaine figure composée de six lignes droites, qu’il appelle Hexagramme Mystique, et il fait voir, par les moyens des projections, que tout Hexagramme Mystique convient à une section conique, et que toute section conique donne une Hexagramme Mystique » (Vide infra, t. II, p. 231). Quelle était au juste la définition de l’Hexagramme Mystique ? Nous l’ignorons : mais cette définition équivalait à dire que les points de concours des côtés opposés étaient en ligne droite. On trouvera plus loin une figure conservée par Leibniz, qui représente l’Hexagramme Mystique de Pascal.
  4. Cf. le Brouillon project de Desargues (Œuv. de Desargues, I, p. 105).
  5. Suivant la méthode de Desargues, Pascal étudie les propriétés des sections coniques en considérant ces dernières comme les projections d’un cercle.
  6. Ce sont ces éléments coniques complets qui devaient former le Conicorum opus completum (et conica Apollonii et alia innumera unica fere propositione amplectens) dont Pascal entreprit la rédaction après 1640.
  7. Cette proposition signifie, en langage moderne, que le rapport anharmonique est égal au rapport anharmonique . On peut déduire cette propriété du théorème de Desargues cité plus bas, comme aussi du lemme de Pascal.
  8. Ce paragraphe contient en réalité trois énoncés.
    En premier lieu, Pascal écrit la relation
    ,
    qui équivaut à

    — C’est le théorème classique de Pappus, d’après lequel deux transversales coupant un même faisceau de quatre droites (ici, les droites DA, DG, Dγ, DB) déterminent des segments ayant même rapport anharmonique.

    En second lieu Pascal écrit :

    ,

    ce qui équivaut à

    .

    C’est le théorème de Ptolémée relatif aux segments déterminés sur une transversale par les trois côtés d’un triangle. Cf. le Brouillon Project de Desargues (Œuv. de Desargues, I, p. 111).

    En troisième lieu, Pascal obtient :

    Cette égalité exprime la relation à laquelle satisfont les segments déterminés par la section conique sur les trois côtés du triangle AFC.

  9. Cette proposition est une généralisation de la précédente. Elle s’écrit :

    et elle exprime la relation à laquelle satisfont les segments déterminés par une section conique sur les côtés du quadrilatère MNOP.

  10. « Soit un cône oblique à base circulaire : la droite menée de son sommet au centre du cercle qui lui sert de base est appelée l’axe du cône. Le plan mené par l’axe perpendiculairement au plan de la base coupe le cône suivant deux arêtes et détermine dans le cercle un diamètre : le triangle qui a pour base ce diamètre et pour côtés les deux arêtes s’appelle le triangle par l’axe. Apollonius suppose, pour former ses sections coniques, le plan coupant perpendiculaire au plan du triangle par l’axe » (Chasles, Aperçu historique sur l’origine et le développement des méthodes en Géométrie, 2e Éd., p. 18). Desargues et Pascal, au contraire, coupent le cône générateur par un plan quelconque.
  11. La proposition que Pascal énonce d’après Desargues est le théorème, — désigné aujourd’hui encore sous le nom de théorème de Desargues — en vertu duquel les points d’intersection d’une transversale avec une section conique et les quatre côtés d’un quadrilatère inscrit sont six points en involution.
  12. Bossut imprime le bord ; abord est peut-être une faute d’impression. — Voir pour ce qui suit infra, t. XI, p. 347.
  13. Pour que le carré du segment AB, supposé égal à DE+DF, fût égal au quart du rectangle circonscrit, il faudrait que la section conique fût un cercle. Si la conique est une ellipse, AB devra être pris égal à l’axe qui est perpendiculaire à CA. — Desargues avait traité des questions analogues dans son Brouillon Project (Œuv. de Desargues, I, p. 202 et p. 284). On remarquera que les énoncés de Desargues et Pascal conduisent immédiatement à l’équation des sections coniques.