Et moi aussi, j’ai eu vingt ans !/2

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Et moi aussi, j’ai eu vingt ans !Oeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 2 (p. 14-24).


Ci-gît, belle jeunesse


Nous sommes donc restés à l’infirmerie, Masson et moi. Moi, pour bronchite aiguë battant son plein et d’allure suspecte. Lui, pour une congestion pulmonaire arrêtée net par une judicieuse application de ventouses. Mais on le garde par crainte d’un retour du mal.

Nous ne sommes pas mal du tout, dans cette infirmerie où pétille un feu de chêne. Au dehors, le vent hurle dans les arbres du parc et vient heurter sourdement avec des sifflements ironiques aux vitres des fenêtres. La pluie cingle les croisées et l’eau coule dans les gouttières avec un bruit monotone. Parfois, un train passe, strident, sur le pont, et son grondement meurt au lointain dans les échos assourdis.

De temps à autre un de nous se lève pour alimenter le feu et nous regagnons en hâte le lit tiède.

Lui, Masson, est élève de seconde. Nous sommes des amis de longue date, étant presque compatriotes et comme nous sommes à l’âge où l’on s’éveille à l’amour et aux femmes, ce sont celles-ci qui font l’ordinaire sujet de nos conversations, souvent animées. Avec complaisance, avec fatuité sans doute, nous nous contons nos amourettes. Il me fit beaucoup rire en me détaillant le trouble où le jeta, un soir orageux de juin, le baiser que lui plaqua sur les lèvres, un camarade plus vieux, que je connaissais pour sa sentimentalité déviée et pour la perversité de sa sexualité florissante. Masson se fâcha, écœuré et s’essuyant vigoureusement les lèvres qu’il jugeait à jamais souillées, il cingla le délinquant d’un énergique « salaud » qui suffirait à dégoûter un satyre des attentats publics à la pudeur. Pour mon ami Masson mon rire était inexplicable et je ne sais pas si ce jour-là, il ne me taxa point de pédérastie, car il était courroucé en récitant une phrase latine qui devait être lapidaire où il était question de débauchés qui se baignaient en compagnie d’adolescents choisis parmi les plus beaux.

Pauvre Masson, cher ami, généreux et enthousiaste, pauvre fleur qui allait éclore et dont les pétales n’ont pas ri au soleil, accepte ma pensée émue, un souvenir ineffable, une larme de regret d’un poète, comme toi, frappé par Elle mais qui jusqu’ici échappa à sa dernière étreinte. Et si tu vis aujourd’hui, de la vraie vie parmi les justes et les bons, dans la Poésie éternelle, intercède pour moi auprès du Tout-Puissant… et dis-lui que je suis faible parce qu’homme, homme aussi, parce que souffrant !

Masson et moi, nous évoquions d’innocentes idylles que nous embellissions à souhait, avec cette merveilleuse imagination de notre jeunesse chaleureuse et toute la fantaisie des poètes. Il m’apprit qu’une de ses voisines, quelqu’étudiante, en « pinçait » pour moi. Flatté, je déclarais que moi aussi je la trouvais intéressante. Ce qui n’était pas vrai puisque je ne l’avais jamais remarquée jusque-là. Mais qu’importe ! ne vit-on pas de mensonges ? et ne sont-ce point les illusions et les mirages, les denrées quotidiennes de l’existence ? Leurrons-nous d’espoirs vains. Ils ne sont jamais tout à fait vains puisqu’ils nous ont fait espérer. Espérer c’est diviniser. L’espoir soulève le monde…

Ce que je ne racontais pas à Masson, c’était cette passion soudaine qui m’avait, un soir de fête, de l’été écoulé, jeté de toute mon âme éprise d’idéal, de toute ma sensualité d’adolescent capricieux vers une brune adorable, dont les yeux noirs si profonds et si doux, me fascinèrent. Non, je ne pouvais dire cet amour qui me fit tant mal. Une pudeur instinctive m’obligeait à taire l’aveu qui me brûlait les lèvres. Je me sentais trop enfant, trop neuf, auprès d’elle. Amèrement, je la revoyais dans l’épanouissement de ses vingt ans, avec les trésors de vie irradiant sa chair éblouissante, et l’éclatant sourire de ses dents blanches…

…Ce soir-là, quelque part (à quoi bon préciser ?) j’errais mélancolique dans la foule en liesse, seul, dans la cacophonie écrasante des manèges. Pourquoi, l’ai-je rencontrée ? Pourquoi, elle, si hautaine, et si distante est-elle venue à moi, comme viennent dans les contes de fées, les princesses radieuses et cruelles, aux pages égarés ? Jamais je ne le saurais sans doute ! À quoi m’avancerait de le savoir ? Au bout d’une heure j’étais à elle, tout entier. Au premier regard je lui avais fait offrande de ce qu’il y avait de meilleur en moi, de tout ce qu’il peut y avoir d’affection contenue, de sentimentalité exaspérée, chez un collégien tendre et fougueux. Aujourd’hui, après bien des années fécondes en souffrances et en avatars, je ne garde plus de l’aventure qu’un souvenir discret, un peu nostalgique. Mais j’ai adoré cette femme. Elle m’a fait souffrir et elle ne l’a jamais su. J’ai souffert, comme l’on souffre toujours d’un premier amour meurtri, d’une première illusion envolée, comme l’on regrette toujours la ferveur d’un premier élan, la foi et la dévotion du premier baiser.

Non ! j’avais trop d’amour-propre, et je ne pouvais avouer décemment à mon ami Masson, cette blessure douloureuse que m’avait infligée la brune et radieuse amie d’un jour qu’il connaissait fort bien. Alors, dans la plaie qui malgré tout s’enkystait, je tournais et retournais le fer…

Oui, le vent pouvait hurler. Et, compatissante, ma tristesse doucement, se mêlait à l’éclat de sa voix et pleurait avec la bise la lamentable mélopée de la détresse humaine ?

Oui, nous étions très bien dans cette infirmerie ! Volontairement j’avais rejeté par-dessus ma tête mes soucis de classe, vouant au diable le bachot et tous les examinateurs d’à présent et de l’avenir, je n’avais pas au vrai, le courage de m’intéresser aux cours et aux classes. Il me semblait que tout cela s’était éloigné et toutes ces choses dont nous parlions parfois par habitude, me paraissaient vagues, inaccessibles, comme dans un autre monde. Une indifférence morne s’emparait de moi pour cette vie plate de pensionnaire et comme le pendu à sa dernière minute exècre sa corde, j’abhorrais la « boîte », boîte où l’on ne meurt pas, mais où l’on apprend à mourir…

Mes camarades vinrent me voir, en chœur. Leur turbulence m’énervait, me froissait. Je les trouvais grossiers, matérialistes. Ils eurent beau me raconter les potins de classe, le succès d’un tel à telle composition et le mémorable chahut de réception qu’on avait fait au nouveau pion, rien n’y fit. Je n’avais plus d’écho. Quelque chose était mort en moi sans que je m’en doute. Alors, ils finirent par se lasser et ne vinrent plus.

Mon professeur de français que j’affectionnais et qui, en secret m’avait en estime, me rendit visite lui aussi. Il fut surpris de me trouver si calme, si réfléchi, moi qu’il appelait parfois le « torrent ». Cela le frappa et il dut augurer mal de ma mine recueillie. Il m’apportait des romans, m’en promit d’autres. Cet homme avait de l’expérience. Je l’ai su depuis. Il savait que les romans sont les seuls livres prescrits aux malades, parce que généralement de lecture facile et agréable. Je le remerciais avec effusion. Je n’osais pas lui dire que mes yeux se troublaient vite et qu’au bout de dix minutes de lecture, les lettres et les mots dansaient la farandole sur le sabbat des feuilles tumultueuses.

Je gardais les romans. D’ailleurs la lecture des journaux que nous apportait l’infirmière nous suffisait. Elle nous gâtait, cette infirmière… Des fruits, des friandises, des desserts à bénédiction. Elle s’ingéniait pour diversifier et agrémenter notre menu qui, en temps ordinaire, n’était pas le régime de la suralimentation. Il s’en fallait de beaucoup ! Nous sommes nombreux ceux qui en ont pâti ! Masson, lui, mangeait avec appétit, avec un entrain qui ne ralentissait pas. Moi j’avais dégoût des mets. La seule vue de la viande, son odeur, suffisaient à m’écœurer pour toute une journée. Cela désolait notre vigilante infirmière.

— Comment voulez-vous guérir, si vous ne mangez pas, disait-elle. Elle s’obstinait, m’obligeait à avaler des jaunes d’œuf crus que j’absorbais, les yeux fermés, comme des hosties.

Au bout de quelques jours, j’avais repris des forces, sinon de la sérénité. Pourtant, de longues quintes de toux, suffocantes, glaireuses m’abattaient. Ni la teinture d’iode, ni les ventouses n’y firent. Cette toux faisait désormais partie de mon individu. Et j’en riais, tout le premier !

Midi sonnant nous apportait des émotions : l’heure du courrier. C’était le gros et souriant concierge qui nous amenait les lettres, entre sa casquette et son cœur. Quant au surveillant général, le Napoléon de l’espèce, il ne venait plus. À peine entr’ouvrait-il la porte, de temps à autre et, passant prudemment sa tête fouineuse dans l’entrebâillement, il jetait un bref « Eh bien, ça va là-dedans ? »

Masson jurait Teutatès que Napoléon avait peur… Dame, on peut être brave à la guerre, à la face du ciel et du monde, devant les balles qui viennent droit à la poitrine offerte, et craindre la menace pateline de la Mort sournoise qui couve dans l’air fade d’une salle d’infirmerie. C’est humain. Les plus grands héros ont souvent eu de bien petites faiblesses. Et notre surveillant général n’était pas un héros… Que les petits collégiens de l’avenir, en souvenir de leur malheureux aîné, François Rosmor, boursier de l’État, lui soient cléments !

N’ayant pas de fièvre, je me levais chaque jour. La notable partie de mon temps se passait, le front collé aux vitres, à regarder la pluie cingler sur l’Esplanade, les haies d’aubépine dénudées et le tourbillon des feuilles mortes au pied sali des marronniers.

Là-bas, au loin, derrière la brume blanche qui léchait les bois de Bot-Varec, j’imaginais la mer furieuse battant les rochers gris et l’écume jaillissant sur les rivages au goémon vaseux. J’évoquais les maisonnettes basses de Saint-Guénolé, bien closes dans l’averse et le crépitement de la pluie dans les taillis avoisinants. Locquénolé ! Gwenolé ! Ys, Gradlon, et la belle Ahès aux cheveux d’or ! Je savais une complainte bretonne, apprise dans mon enfance et que, bien des fois, par les nuits embaumées de l’été tombant en caresse sur le « Yun » bleu, je lançais à gorge déployée dans l’air pur : Merc’hed Sant Guénolé ! Les Filles de Saint-Guénolé, belles filles aux chairs hardies, bonnes langues et rudes cœurs… Et c’est pourquoi j’avais une obscure sympathie, une secrète prédilection pour ce village de la côte, si différent du mien, isolé dans la ceinture sauvage et grandiose de l’Arrée.

— Avance à l’allumage, me criait Masson. Alors j’empilais des bûches dans le foyer. La flamme s’élevait claire et joyeuse, avec des ronronnements voluptueux, mettant quiétude et gaîté dans la chambre, et des frissons au long de mon échine. Sur le manteau de la cheminée, on avait gravé des noms et des dates, au tisonnier rougi. « Nous autres collégiens, sous des allures émancipées et modernistes, nous sommes restés des traditionnalistes incurables et des conservateurs acharnés. » Ainsi disaient les inscriptions grossières ou naïves. Minutieusement, je fis rougir le fer pointu et, avec soin, à la suite des noms, beaucoup inconnus, je marquais en lettres inégales, profondément :

François Rosmor — 1re D. 1923
et, en dessous, en caractères plus modestes, sans au juste savoir pourquoi : Remember ! Rappelle-toi ! Remember, mot historique, mystérieux, mélancolique aussi, plein de défaite et d’abandon. Alors, satisfait de mon œuvre, je soupirai… Il y a dans tout soupir du rêve qui déteint !…

Le docteur est revenu. Il m’a ausculté longuement. Puis, soucieux, il a baissé la tête.

— Eh bien ? a demandé l’infirmière.

— Il y a quelque chose…

— Il y a quelque chose…

Ils se dirent quelques mots à voix basse. Et je vis, qu’en effet, il y avait quelque chose.

— Tu as les poumons fatigués, reprit le médecin en venant sur moi. Il faudra passer aux rayons X. J’envoie un mot à mon confrère du dispensaire qui te visitera. Tu comprends, il vaut mieux consulter un spécialiste. Puis, il faudrait retourner chez toi, te soigner sérieusement. Tu comprends ?

Je ne comprenais pas du tout. Non, je ne compris qu’une chose, c’est que j’allais quitter cette affreuse boîte, ce Collège qui avait bu toute la sève et la saveur de mon adolescence, années sacrifiées à l’ennui, aux préjugés, aux stupides lois de la vie moderne, aux rhéteurs incolores prêcheurs de vertu et d’austérité. Quoi ? Prêcher la vertu, l’austérité ! alors qu’on est jeune, bouillant, que le soleil rit aux cieux, que les fleurs se pâment dans les vigueurs de l’été et que l’amour est frais éclos sur les lèvres des fraîches filles de chez nous ! Pauvres fous ! Pauvre de nous.

Mais d’où me venait cette inconscience momentanée qui me laissait veule, ignare, devant le terrible diagnostic, pourtant si nettement formulé ? Sans doute de ma lassitude morale. En tout cas je restais indifférent devant la menace.

— Tu vas avertir ta mère, n’est-ce pas ? Retourne dans ta montagne, mon gars. Et bon courage, va !

Le bon docteur, chaleureusement, serre ma main fébrile.

— Et tu guériras vite. Crois-moi, ajouta-t-il persuasif.

Je ne demandais qu’à le croire, n’ayant pas encore attaché d’importance à ma maladie. « Pour être enrhumé, me disais-je, je ne suis pas si bas que ça. Et puis ma mère viendra, alors… »

Alors il ne fallait pas s’en faire ! Alors ce mal s’en irait au diable chassé par les soins affectueux d’une prévenance maternelle.

La « science » disparue, le collégien redevint gavroche et exécuta un pas de gavotte qui finit prématurément dans une affreuse quinte de toux qui effraya le tranquille Masson.

Le lendemain je fus convoqué au dispensaire.

L’économe, un charmant garçon, m’accompagna dans une voiture de louage frétée pour la circonstance et ayant proche parenté avec le char des rois fainéants. Une haridelle nous traîna par les rues tortueuses, nous cahotant sur les pavés sournois. Le temps était sec, l’air vif. Je me trouvais mieux. Le dispensaire se tenait dans un chemin détourné. Malheureux ceux que détournent ce chemin !

Le bâtiment était net avec cet air de froid mortel de charnier ou de morgue… Je descendis du char brinqueballant.

— Tu pourras marcher au moins ? interrogea mon mentor de sa voix bourrue.

— Dame ! fis-je d’un air étonné.

— Dame ! reprit-il, ce n’est pas si sûr que cela ! Il n’y aurait rien de drôle, dans ton état, que tu…

Je haussais les épaules, dédaigneux, et je gravis le seuil du dispensaire qui dispense les conseils et la science mais qui ne dispense pas la santé et la fortune. À défaut de grives, il est vrai… et sa création, but éminemment prophylactique sinon charitable, est un pas vers le progrès.

Je m’arrêtai, interdit.

Sur des bancs, pâles, bien sages, des malades attendaient. Quoi ? la guérison ? un docteur… Instinctivement, je reculais. Je les voyais. Je ne me voyais pas. La gorge serrée, je me laissais choir sur une chaise. Petit à petit, je repris mes esprits. Ma lucidité revenait. Un couple de jeunes mariés, gentils, livides, résignés, étroitement serrés, voisinait. Ils étaient tristes, si tristes que j’aurais voulu leur sourire, les rassurer, leur dire que tout cela, leur maladie, la mienne, c’était des mauvais rêves, un affreux cauchemar et que nous allions nous réveiller, renaître au soleil, à la vie.

— Rosmor, appela une infirmière en ouvrant une porte.

— Tu n’as pas toutes les déveines. Un tour de faveur, plaisanta l’économe.

L’infirmière, grave sous ses voiles blancs, me désigna un siège. Elle se mit à me questionner. Son interrogatoire était tellement serré, tellement indiscret, avec ses curiosités pathologiques que j’étais sur des charbons ardents. Après avoir remonté assez loin dans ma généalogie pour rechercher les héritages ataviques, elle redescendait, fouillant mon individualité. Je trouvais sa curiosité purement indécente. Et je suis sûr que la mâtine riait sous cape.

— Est-ce qu’on vit vieux, dans votre famille ?

— Je crois bien.

— Pas de tuberculeux ?

Je me rebiffais, offusqué, effrayé aussi.

— Pas que je sache.

— Votre grand-père ? Côté maternel.

— Un colosse. Mort en pleine santé, au beau milieu d’un repas de noces, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. C’était exact et je fus sur le point d’ajouter involontairement : Priez pour lui !

Dieu m’en garda ! La grave petite infirmière se tordait les côtes, larme à l’œil. J’ai le culte des lignées, mais j’ai aussi quelques bribes de lettres. Rabelais, Gargantua… je me fâchais.

— Mademoiselle, je ne vois pas très bien à quel point une mort au milieu d’un repas de noces peut être risible…

J’étais digne, et solennel. Elle se tordait de plus belle, et, ma foi, que l’âme de mon grand-père ne frémisse là-haut, je m’esclaffais aussi !

Accalmie et reprise d’hostilités.

— Votre grand’mère ?

— Vivante.

Une menace planait sur moi. Je voulais la détruire et puis je voulais me venger de cette impertinente.

— Quatre-vingt-dix ans, ajoutai-je froidement, majorant de vingt ans le passé de mon aïeule qui ne s’en porte d’ailleurs pas plus mal. Mais, redoutant une nouvelle crise de rire, j’omis prudemment d’attester en faveur de mon aïeul de sang paternel, que cet avorton de Léonard assommait un bœuf d’un coup de poing en pleine ville de Landivisiau et qu’il mangeait un cochonnet déjà respectable du lever du soleil au lever de la lune.

Arguments décisifs et qui se moquent des charges ataviques.

Je passais ensuite à la radioscopie, impressionné par le jeu des lumières électriques et du ronronnement des dynamos. Rudement, les mains gantées du docteur me palpaient les côtes.

— Tournez-vous ! Levez les bras !

Sa voix est brève, métallique. Je ne suis pas rassuré. Un déclic sec, un bourdonnement qui meurt et me revoilà en pleine lumière, devant le tabouret mobile du médecin. Les bords du stéthoscope enfoncent dans ma chair. Je serre les dents sans me plaindre. Les injonctions de cet homme m’ont mis au garde à vous. Il me fait une impression pénible, ce docteur laconique, au regard dur.

— J’enverrai les résultats à votre médecin, a-t-il conclu.

Dans un cabinet, vague laboratoire où pullulent les boîtes d’outils, les tubes, où s’étalent sur des plaques de verre des crachats à l’analyse, je me rhabille en hâte. J’étouffe là-dedans, malgré le froid glacial du parquet…

Quelques jours après je me réveillais sous le regard navré et inquiet de ma mère accourue de Paris, au cri d’alarme. Et ce fut le retour hâtif vers la vieille chaumière recueillie et sombre.

De gros baisers d’adieu. Une grille de Collège qui se ferme sur du passé. Un ciel gris de fer, un cœur plein d’amertume et, sans fleurs ni couronnes, six années meurent, s’enterrent, pauvrettes, par un jour morne de février distillant toute la tristesse du monde. Pas de plaque commémoratrice, non plus. Pas de nom. Pas de regrets. Nulle prière.

Petit collégien qui foule la galerie d’honneur, rappelle-toi qu’elle vit un après-midi, 1923, passer un désespéré !

Je descendis, titubant dans l’arène des luttes sourdes, face à la Mort sournoise qui vous épie chaque instant et qui ricane.

Ci-gît, rêves fous, belle jeunesse !

Là s’ouvre la tragique école de la douleur !

En avant, quand même !…