Etudes sociales - La Coopération/02

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Etudes sociales - La Coopération
Revue des Deux Mondes3e période, tome 120 (p. 538-574).
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ÉTUDES SOCIALES

LA COOPÉRATION

II.[1]
LES ASSOCIATIONS COOPÉRATIVES DE CRÉDIT ET LES SOCIÉTÉS DE PRODUCTION

Nous avons dans un premier article[2] jeté un coup d’œil sur les plans des coopérateurs contemporains, puis examiné les applications souvent heureuses du principe coopératif dans le domaine de la distribution des produits. Il nous reste à examiner deux autres formes de la coopération, plus délicates, plus contestées, mais qui, elles aussi, en certaines circonstances, se sont épanouies avec succès, à savoir les associations coopératives de crédit et les associations coopératives de production. En étudiant attentivement l’évolution de ces deux catégories de sociétés depuis un demi-siècle, il nous sera possible de porter un jugement sur la vertu coopérative et sur la part qui, dans l’ordre social, peut être réservée aux organismes qu’elle suscite et qu’elle anime.


I. LES ASSOCIATIONS COOPÉRATIVES DE CRÉDIT

Une autre forme de sociétés, reposant sur le groupement de personnes qui se prêtent une aide mutuelle, a apparu il y a une quarantaine d’années et a obtenu dans certaines circonstances un grand succès : ce sont les sociétés coopératives de crédit, que l’on dénomme souvent aussi banques populaires. Ces institutions se sont beaucoup répandues en Allemagne, grâce à l’apostolat de deux hommes dont les idées et les systèmes diffèrent, d’ailleurs, Schulze-Delitzsch et Raiffeisen, en Italie aussi par l’apostolat de MM. Luzzati, Vigano et quelques autres. Elles gagnent la Suisse et un peu la France.

Pour bien comprendre ce mouvement et la portée qu’il peut avoir, quelques considérations sur son origine et son promoteur seront utiles. Schulze naquit en 1808 à Delitzsch, dans la Saxe prussienne ; de là le nom qu’il joignit au sien. Il entra dans la carrière judiciaire et en suivit les premiers échelons. Il fut administrateur du Conseil de justice de Delitzsch. Témoin des difficultés qu’éprouvaient les artisans et les petits fabricans à s’approvisionner en gros, il eut l’idée de substituer, pour cet objet très limité, l’association à l’action individuelle. Il fonda ainsi, dès avant 1818, deux sociétés pour l’achat des matières premières. Puis son attention se porta, sur l’utilité, d’une façon plus générale, d’améliorer les conditions du crédit pour ces couches modestes d’entrepreneurs et même pour les ouvriers qui n’en trouvaient que, sous la forme la plus coûteuse et la plus primitive, chez les détaillans. Il fonda ainsi, de 1852 à 1855, sept comptoirs d’avances ou sociétés de crédit populaire. Attaché de plus en plus au développement de son idée, il avait fait éclore assez d’institutions de ces deux natures pour que, en 1859, ces banques et ces sociétés constituassent le Congrès des associations allemandes. Cette assemblée se tint chaque année pour échanger des renseignemens, s’entendre sur des points d’organisation, discuter des questions d’intérêt commun. Tant par indépendance de caractère que pour se consacrer entièrement à une œuvre chaque jour grandissante, Schulze quitta le service public. Il créa un centre pour diriger le mouvement général, à savoir, l’Agence des Associations allemandes, dont l’administration lui fut confiée. Moyennant une allocation de 2 pour 100 sur les bénéfices nets des affaires comme indemnité et pour couvrir les frais ordinaires de bureau, il s’engagea à n’accepter aucun emploi public ou privé.

Les sociétés qu’il appela à l’existence se multiplièrent rapidement ; l’un des disciples de Schulze-Delitzsch, M. Rampal, portait le nombre des sociétés coopératives allemandes de toutes sortes à 2349 en 1868, 3602 en 1872. Sur ce nombre, d’après M. Rampal, il y avait 2221 sociétés de crédit. Le total de leurs opérations était alors évalué à plus de 2 milliards ; le capital social à 120 ou 150 millions de francs ; l’argent confié par des tiers à près de 400 millions de francs ; le nombre des membres à 1200000[3]. Dans les quinze années suivantes, le progrès a continué, plus lentement toutefois. Depuis quatre ou cinq ans il s’est arrêté, et il y a même un recul. Au 31 mars 1892, on comptait 1044 associations de crédit appartenant à l’Union de Schulze-Delitzsch, lesquelles se répartissaient en 33 sous-unions provinciales ; on y pouvait joindre 354 sociétés d’achat de matières premières, 55 associations diverses et 17 sociétés de banque ayant des statuts un peu différens, tout en se rattachant à l’inspiration de Schulze. Les 1076 associations ayant envoyé des comptes, à savoir les 1044 sociétés de crédit de Schulze-Delitzsch, plus quelques autres s’en rapprochant, comprenaient en tout 514524 membres, soit une moyenne de 478 par société. L’ensemble du capital versé montait à 114484000 marks, environ 142 millions de francs ; la réserve accumulée atteignait 29474000 marks, soit 30 millions et demi de francs, ensemble pour le capital propre des banques 144 millions de marks en chiffres ronds ou 178 millions de francs. À ce premier fonds dont elles étaient les propriétaires, ces associations joignaient la disposition de 439 millions de marks de capital emprunté, près de 550 millions de francs ; elles opéraient ainsi avec un ensemble de ressources atteignant 728 millions de francs. Le total des opérations de ces sociétés montait à 2612 millions de marks, soit 3 milliards 260 millions de francs en chiffres ronds. Les frais généraux atteignaient 6250000 marks (7700000 francs) ; les pertes, — car il s’en rencontrait, — I 237000 marks (1 540000 francs) ; les bénéfices nets 8840000 marks (11 millions de francs), dont 6402000 marks (8 millions de francs) furent distribués en dividendes, 1987000 marks (2480000 francs) mis à la réserve et le reste reporté à nouveau. Les dividendes moyens représentaient 5,34 pour 100 ; ils variaient de néant à 30 pour 100 pour une association ; l’année précédente, une société avait même distribué 56 2/3 pour 100. Les associations avaient employé la somme assez faible de 53065 marks (66000 francs) aux objets d’éducation[4].

Ces chiffres, en ce qui concerne le nombre des membres, indiqueraient un recul considérable par rapport aux évaluations de M. Rampal pour 1872. Mais il est probable que les calculs de ce disciple enthousiaste étaient exagérés : d’autre part, ils s’appliquaient, par voie de conjecture, à l’ensemble des banques populaires de Schulze, tandis que les chiffres donnés plus haut concernent seulement celles de ces banques qui ont communiqué leur bilan, les plus importantes à coup sûr.

Néanmoins, le rapprochement entre les statistiques précises de 1872 et celles de 1892 prouve que le progrès de ces institutions dans cette période de vingt années a été beaucoup plus lent que pendant le quart de siècle antérieur. En 1872, en effet, le nombre des membres des banques du type de Scluilze ayant communiqué leurs comptes était de 372000 ; en 1892 le nombre des membres est de 514000, chiffre encore assez limité et qui n’indique qu’un gain de 142000 membres en vingt années. Le capital propre accru des réserves a passé de 79 millions de francs (21373000 thalers) à 178 millions de francs, ce qui ne constitue qu’un accroissement de 5 millions par année. Le capital emprunté montait à environ 288 millions de francs (77188000 thalers) en 1872 : il n’a pas tout à fait doublé, étant de 550 millions de francs en 1892. L’ensemble des avances faites et prorogations atteignait 1350 millions de francs en 1872 ; il s’élève à 1950 millions de francs en 1892 sur un total d’opérations[5] de 3260 millions, comme on l’a vu plus haut.

L’œuvre est certainement grande : une somme de 2 milliards de francs prêtée à de petites gens, non pas, il est vrai, 2 milliards de francs simultanément, mais 1 250 millions. 1015301917 marks[6] qui se renouvellent dans l’année de manière à former ce chiffre de 2 milliards de francs ; le montant des comptes-débiteurs, c’est-à-dire des emprunteurs, atteint 1508424 pour une moyenne de 810 francs environ chaque (647 marks). Le mouvement de croissance, toutefois, paraît être arrivé à son terme. Il y a même un recul, sur plusieurs points, en 1892 relativement à 1891. La classe d’hommes susceptibles de se rattacher à ces institutions et d’en bénéficier semble avoir été tout entière recrutée depuis un certain nombre d’années ; il se peut que l’éducation y amène de nouvelles couches ; mais c’est conjectural. On attribue l’amoindrissement récent du nombre des associations, de celui des membres et de l’importance des a flaires, à une loi de 1889 qui réglementa d’une manière sévère ces sociétés, et qui, fort abusivement, leur interdit les prêts aux personnes non affiliées[7]. Une cause plus générale contribue à l’arrêt, sinon au déclin des sociétés Schulze-Delitzsch : c’est le progrès du socialisme en Allemagne.

Nul homme ne fut plus résolument l’adversaire du socialisme : que Schulze. Ses doctrines étaient celles de l’économie politique la plus stricte. Théoriquement et pratiquement il lutta, sans se lasser, sans jamais faire une concession, contre la conception socialiste. Il fut l’adversaire déclaré de Lassalle. Il le fut au même degré de toute intervention de l’Etat. Son disciple et commentateur Rampal a bien mis en évidence ce trait de sa doctrine, de son caractère et de sa vie. Quelques citations à ce sujet ne sont pas sans utilité. Schulze a consacré une série de conférences aux Voies et moyens pratiques pour améliorer le sort des classes ouvrières. Une de ces conférences traite des Entraves artificielles apportées aux relations naturelles du commerce. Schulze-Delilzsch y parle comme Adam Smith. Il constate « l’impossibilité de trouver dans des moyens d’action extérieure (tels que l’intervention de l’Etat et autres) la solution du problème… Ces erreurs aboutissent pour la plupart, dit-il, à une déclaration de guerre contre la libre concurrence et le capital, et, bien que l’on n’aille pas dans cette voie aussi loin que les socialistes, qui les abolissent tous deux sans détour en livrant l’industrie à l’Etat, on met, néanmoins, en avant tout un attirail de plans et une multitude d’essais, et l’on s’efforce de limiter, d’entraver par toutes sortes de restrictions et de mesures réglementaires plus arbitraires les unes que les autres le jeu de ces deux puissans leviers du commerce. » Si ce système d’intervention, malheureusement en vigueur, ajoute-t-il, dans divers États allemands et en Prusse, n’a pas produit tous les effets nuisibles qu’on en devait attendre, on doit « en rendre grâce à la puissance des faits accomplis qui minent lentement les barrières artificielles, et à l’intérêt personnel, toujours ardent à poursuivre, même par des voies détournées et en dépit de toutes les oppositions, l’exercice de son droit. » Cette phrase énergique n’est dépassée en netteté par aucun passage des économistes dits classiques.

Schulze est l’ennemi résolu des corporations, des « ordonnances et règlemens de police commerciale ». Il est un partisan enthousiaste de la libre concurrence et de la liberté industrielle : « La libre concurrence, écrit-il, est tout à la fois la liberté du travail et la liberté de l’échange. Or, sur le terrain de l’économie politique, comme partout ailleurs, c’est la liberté qui, seule et exclusivement, rend possibles les progrès de toute nature. Réclamer une protection contre cette liberté, c’est renoncer à la faculté innée en vertu de laquelle doit s’opérer notre développement. » Schulze est anti-protectionniste. Il soutient que « l’existence de gens riches ou aisés à côté de personnes pauvres ou indigentes » n’est pas un malheur, surtout pour l’ouvrier. Il croit à des lois économiques éternelles. Quesnay, Turgot et Adam Smith auraient applaudi à cette déclaration caractéristique : « Les rapports économiques des hommes, de même que tous les autres rapports naturels, se règlent d’après certaines lois éternelles fondées sur la constitution la plus intime de leur être. Aussi, tout succès, toute réussite dans le commerce, comme dans les affaires domestiques, n’est possible qu’à la condition de reconnaître les lois de la nature, de savoir les utiliser à son profit, et d’y subordonner ses actions. »

Le passage suivant est peut-être encore plus décisif. Terminant son quatrième discours sur les Voies et moyens pratiques pour améliorer le sort des classes ouvrières, Schulze-Delitzsch s’écrie : « Cela m’autorise, Messieurs, à dire en votre nom à la société tout entière : « Nous voici ! Nous acceptons toute responsabilité au sujet de notre existence, mais laissez les voies ouvertes à la liberté, et cette tâche n’aura rien qui nous effraye[8]. »

Rien n’est plus opposé soit aux rêveries creuses de Lassalle, soit au mysticisme de certains coopérateurs contemporains dont il a été parlé dans un précédent article, que le ferme bon sens et l’esprit scientifique de Schulze.

Economiste dans toute la force du terme, relevant de la doctrine la plus sévère, la plus attachée au principe de la liberté et de la responsabilité, la plus cou liante dans la fécondité de l’intérêt personnel, Schulze-Delitzsch a créé l’œuvre sociale la plus remarquable de ce siècle.

Il s’inspirait de sentimens moraux aussi bien qu’il suivait des règles économiques précises. S’il revendiquait le selfhelp ou l’assistance par soi-même, opposée à l’aide de l’Etat de Lassalle, il déclarait qu’il ne suffit pas de se procurer « les élémens extérieurs du succès », comme le capital, le crédit, l’exploitation en grand ; il y faut joindre « les qualités intérieures ou personnelles ». Il distinguait plusieurs grandes catégories et plusieurs sous-catégories d’associations : on premier lieu, les sociétés ayant pour objet le perfectionnement moral, d’une part, et, d’autre part, celles qui se préoccupent surtout de l’amélioration matérielle. Les premières sont des sociétés d’artisans ou d’ouvriers ayant pour objet l’instruction mutuelle, l’achat de bibliothèques, la création de cours.

Quant aux sociétés populaires qui ont surtout en vue l’amélioration de la situation matérielle de leurs membres, Schulze les classe en deux grandes catégories comprenant chacune plusieurs subdivisions : 1° les sociétés qui visent directement à rendre plus faciles et plus considérables les gains de chacun des associés, à leur faciliter l’économie et à faire fructifier celle-ci, sans rien changer à leur genre d’activité et à leur procédé de travail. Les membres ne s’associent alors que pour obtenir les conditions préliminaires d’une exploitation individuelle plus rémunératrice, d’un ménage plus aisé, continuant à diriger l’une et l’autre comme auparavant. À cette catégorie d’associations se rattachent les quatre variétés suivantes : a, les sociétés d’avances, de prêts, de crédit, de banques populaires ; b, les sociétés pour achat de matières premières par les artisans d’une même industrie ; c, les sociétés de consommation ; d, les sociétés de secours et d’assistance pour maladie, etc. Tous ces groupemens aident l’individu dans le genre d’activité qui est le sien, sans rien modifier de cette activité.

La seconde grande catégorie des associations se proposant l’amélioration de la situation matérielle de la classe inférieure et moyenne embrasse les sociétés dont les membres se réunissent pour l’exploitation collective d’une industrie, et où chacun abandonne, soit totalement, soit sous certains rapports, la position isolée qu’il occupait précédemment. Cette seconde catégorie comprend comme variétés principales : a, les sociétés de magasinage ou de vente en commun, les installations où chaque associé expose les produits fabriqués dans son atelier et où ils sont vendus pour son compte personnel ; b. les associations fondées pour l’exploitation collective d’une industrie.

Schulze-Delitzsch déclare celles-ci très difficiles et même les sociétés de consommation peu aisées ; sur ce dernier point, il exagère.

S’étant occupé particulièrement des sociétés d’avances ou de crédit et des sociétés pour achat de matières premières, Schulze a tracé des règles très précises en ce qui les concerne, notamment les sociétés de crédit populaire. Suivant lui : 1° pour obtenir des avances, il faut être membre et soutien de l’entreprise ; 2° il convient d’y fournir un concours intellectuel aussi bien que matériel ; 3° les fonds nécessaires aux affaires sociales doivent se former des versemens au comptant faits par les membres, de cotisations à échéance fixe, de prélèvemens sur les bénéfices ; on y peut joindre des fonds empruntés au public, mais il serait désirable de maintenir une certaine proportion entre ces emprunts et le capital propre de la société : la relation de 3 à 1 des premiers au second, qui est devenue habituelle, paraît exagérée et dangereuse ; Schulze voulait que le capital propre atteignît 32 pour 100 du total ; 4o tous les membres doivent être solidaires pour les dettes : Schulze attachait à cette clause une énorme importance ; 5o ces sociétés doivent se garder de l’exclusivisme ; elles doivent recruter le plus grand nombre possible de membres vraiment dignes ; leurs opérations doivent consister seulement en prêts ou en escomptes courans ; elles doivent éviter la commandite des entreprises, si intéressantes et philanthropiques qu’elles paraissent. La grande « Société d’épargne et d’avances de Dresde », qui l’avait fait, s’est perdue, de même que, plus tard, la « Société de crédit au travail de Paris. »

Toutes ces prescriptions de Schulze-Delitzsch n’ont pas toujours été fidèlement suivies. Les conditions morales tenaient, d’autre part, une grande place dans la conception qu’il se faisait du système. Il fallait rendre l’ouvrier et l’artisan dignes de crédit. Il avait raison de penser que l’association coopérative n’est pas un groupement numérique, comme l’assurance ; il doit y entrer beaucoup de qualités morales. D’autre part, ce mode d’association ne paraît pas destiné à embrasser la totalité des hommes : c’est un procédé de sélection.

Tout en attachant tant de prix aux qualités morales, Schulze bannissait régulièrement tout mysticisme de son système. Les employés de ses banques populaires à tous les degrés sont payés ; ils sont même souvent intéressés dans l’extension des allaires et dans les bénéfices. Lui-même, outre les avantages que nous avons vu qu’il avait acceptés, n’avait pas cru devoir décliner un don de 50000 thalers (187500 francs) provenant de souscriptions volontaires. Les dividendes distribués aux actionnaires peuvent être considérables : on a vu qu’en 1892 une de ses banques distribua 30 pour 100 et qu’en 1891 une même donna 56 pour 100. Peut-être le fondateur eût-il trouvé qu’il y avait quelque imprudence à d’aussi énormes répartitions, mais il n’était pas défavorable à des dividendes largement rémunérateurs.

L’œuvre de Schulze, comme on a pu en juger par les chiffres reproduits plus haut, a splendidement réussi, et, quoiqu’elle soit arrivée, semble-t-il, au point culminant, qu’elle demeure depuis quelque temps à peu près stationnaire, avec une légère tendance même au recul, elle n’en constitue pas moins la plus belle création sociale de ce temps. Le succès est dû tant à la méthode de Schulze, à son ardent apostolat, à l’habileté et à la rigueur de sa direction, qu’au grand nombre de petits artisans qui existaient en Allemagne de 1850 à 1880 notamment, à l’instruction très répandue parmi eux, à leurs propres qualités morales et intellectuelles.

Si les associations et le système de Schulze-Delitzsch s’inspirent des principes économiques les plus purs, tout en tenant un grand compte des qualités morales, diverses autres organisations coopératives très répandues n’émanent que de sentimens chrétiens, charitables et philanthropiques.

Tel est le cas, par exemple, des banques Raiffeisen en Allemagne. Né en 1818 dans la Prusse Rhénane, fils d’un bourgmestre et devenu lui-même bourgmestre de carrière[9] dans la même région, animé d’une grande foi chrétienne, Frédéric Raiffeisen, frappé de la détresse des petits paysans propriétaires en temps de crise, eut l’idée d’y obvier par l’association et le crédit mutuel. Après de pénibles débuts et nombre d’insuccès partiels, il parvint, en 1849, presque à la même époque où Schulze-Delitzsch commençait son œuvre, à grouper une soixantaine d’habitans aisés de Flammersfeld, bourg d’une certaine importance de son district ; il donna à ce groupement le titre suivant, assez significatif de son esprit et de son but : « Société d’assistance de Flammersfeld pour le soutien des cultivateurs pauvres[10]. » Ainsi, dès le début, l’idée charitable apparaît comme la base des institutions Raiffeisen. La famine de 1846-47 lui avait suggéré cette fondation ; la pratique de l’usure de la part des juifs dans les cantons ruraux (et parmi ces juifs il y avait quelques chrétiens) contribua aussi à l’engager dans cette voie. Raiffeisen était parvenu à emprunter deux mille thalers, 7500 francs, pour mettre à flot cette première banque, qui n’avait pas de capital propre.

La société de crédit rural qu’il avait en vue reposait uniquement sur le crédit personnel : point de capital versé, point de cotisations ; les membres de l’association, car le mot d’actionnaire semble ici ne pas convenir, s’engageaient seulement d’une façon illimitée à payer solidairement les dettes de la société. Celle-ci empruntait au plus bas taux possible, grâce à cette garantie, et prêtait à son tour aux membres avec un très faible écart d’intérêt relativement au taux de ses emprunts ; les bénéfices constituaient une réserve, ce qui augmentait le crédit de la banque et permettait d’étendre les prêts.

Cette organisation embryonnaire mit du temps à se développer. Cinq ans seulement après la première, on 1854, Raiffeisen fonda la seconde banque, alors qu’il changeait de district comme bourgmestre ; en 1862, il établit la troisième ; puis, en 1868, la quatrième. Les banques de Schulze-Delitzsch foisonnaient à cette époque et étaient en pleine prospérité. Ce ne fut qu’en 1874 que les banques Raiffeisen atteignirent quelque notoriété au loin, et en 1880 qu’elles se multiplièrent d’une façon sensible. Depuis lors, elles se répandirent avec une rapidité qui compensa la lenteur de leurs débuts. En 1885 elles étaient au nombre de 245 on Allemagne, de 610 en 1889, de 885 on 1891. Un de leurs panégyristes, M. Wolff, après avoir mentionné cette progression, écrit : « Les gouvernemens maintenant les encouragent, les diètes provinciales les réclament, les prêtres et les ministres les couvrent de bénédictions, les paysans les aiment. » L’auteur suppute qu’à l’heure présente on compte plus de mille de ces banques dans la seule Allemagne, qu’il ne se passe pas de jour où il ne s’en fonde une, deux et jusqu’à cinq. Après quarante-trois ans d’expérience, ajoute-t-il, ce qui est peut-être moins prouvé, elles peuvent se vanter de n’avoir fait perdre un liard ni à un membre ni à un créancier.

Le but strict de ces institutions est de venir au secours des cultivateurs pauvres, de leur permettre d’acheter du fumier, des semences, du fourrage, parfois même du bétail, de construire une grange, de foncer un puits, de drainer un champ. À ces emprunteurs il ne faut demander aucune souscription d’action, car ils manquent déjà de fonds de roulement, et il convient de leur faire de longs crédits : un an, parfois deux, cinq ou dix ans[11].

L’association doit être limitée à un district particulier, une paroisse si elle est assez peuplée (car une banque doit toujours avoir dans son rayon au moins 400 habitans, d’après Raiffeisen), sinon deux ou trois paroisses. Dans ces étroites limites territoriales, les membres sont admis avec grand soin et discernement par ceux qui ont déjà formé le premier noyau. Le but n’est pas d’avoir le plus de membres possible : il faut au contraire rejeter sévèrement tout postulant qui est impropre. Aucune distinction n’est faite entre le riche et le pauvre, sinon que les riches, supportant la plus grande part de la responsabilité solidaire, sont, d’un consentement tacite, admis à prendre la part principale dans l’administration. Le comité de direction se compose toujours de cinq membres, et le conseil de surveillance, suivant le cas, de six à neuf ; ce dernier se réunit au moins une fois par mois. Dans l’un et l’autre cas, dit M. Wolff, « il est entendu que les membres les plus riches (sans une certaine quantité desquels M. Raiffeisen n’aurait jamais formé aucune association) seront en majorité. » Toutes les fonctions sont gratuites : il n’y a ni traitemens, ni commissions. Un seul employé est payé, le caissier. L’Office central des banques Raiffeisen entretient un corps d’inspecteurs ou vérificateurs qui vont d’une banque à l’autre pour contrôler les livres, de façon que ce contrôle s’effectue pour chacune au moins une fois tous les deux ans. Les opérations de banque, dans le sens ordinaire du mot, sont strictement interdites ; les associations doivent se borner aux prêts. Il n’y a ni lettres de change, ni hypothèques, ni gages ; le crédit est strictement personnel, grâce à la solidarité des membres composant le groupe. Suivant le plan primitif du fondateur, il ne devait y avoir aucune action, aucune cotisation d’entrée. Le gouvernement impérial obligea les banques à avoir des actions ; mais on les fit aussi réduites que possible, généralement de 10 à 12 marks (12 fr. 50 a 15 fr.), payables en plusieurs fois. Raiffeisen voulait qu’il n’y eût pas de dividendes, parce qu’il ne devait pas y avoir de profit direct, l’avantage pour les membres consistant dans la faculté d’emprunter à bon compte. Pour se conformer à la loi, il a fallu admettre des dividendes ; mais on les a réduits à 00 centimes par tête, lesquels sont employés à un abonnement au Bulletin officiel des associations.

Tous les bénéfices doivent aller au fonds de réserve : le premier objet de ce dernier est de faire face aux pertes qui, avec le système de très grand discernement dans les prêts et d’étroite surveillance, sont assez rares ; le second objet est de servir à de nouveaux prêts et d’abaisser ainsi leur taux ; le troisième enfin, quand la réserve devient surabondante, est de contribuer à quelque travail d’utilité commune pour le district. Même au cas où l’association viendrait à se dissoudre, le fonds de réserve ne devrait pas être partagé : il devrait être confié à quelque institution publique pour être conservé jusqu’au moment où quelques associations de même nature viendraient à se former, de façon à leur servir de dotation. Seulement, en l’absence prolongée de pareilles créations, ce fonds, après un délai d’attente raisonnable, pourrait être affecté à quelque ; œuvre d’utilité publique locale. On verra, cependant, que ces règles ont été enfreintes au moins pour la banque la plus ancienne.

Les prêts ne doivent être consentis qu’avec la plus grande circonspection, sur le double examen du caractère de l’emprunteur et de l’emploi qu’il veut faire de la somme demandée. C’est pour que ces prescriptions soient sérieusement appliquées que chaque banque Raiffeisen n’embrasse qu’un petit district. Tous les trois mois le conseil de surveillance révise la situation du débiteur et des garanties qu’il offre : s’il paraît avoir mal usé du prêt, on lui en réclame le remboursement à quatre semaines de délai. Les associations exigent en tout cas le paiement ponctuel du capital et des intérêts aux termes convenus. Les prêts se font sur de simples billets, qui quelquefois doivent être avalisés par une ou deux cautions. En l’absence de capital propre (puisque les banques primitivement n’en avaient aucun et n’en ont aujourd’hui qu’un très faible, et que d’autre part la réserve ne se constitue et ne s’accroît que lentement), les fonds nécessaires aux banques sont formés par des dépôts, soit à vue, soit à des échéances déterminées. L’intérêt dans ces derniers temps en variait de 3 1/3 à 4 pour 100 l’an.

Avec la multiplication des sociétés Raiffeisen, il s’est formé des unions d’associations. À la tête de tout le système est le Generalanwaltschaft, l’administration générale, avec son conseil représentatif et son assemblée générale annuelle. Depuis 1876, ces associations ont, en outre, une banque centrale qui ne s’occupe absolument que du même genre d’affaires que les banques locales, notamment répartit entre elles les fonds. Elle reçoit le superflu des fonds des unes et le transmet aux autres qui en manquent. En 1888, les opérations de cette banque centrale avaient porté sur 5 millions de marks (6 250 000 francs) ; l’ensemble des frais ne s’était élevé qu’à 9000 marks (11250 francs). En 1892, les opérations atteignirent 12 millions de marks (15 millions de francs) et les dépenses 10 000 marks (12 500 francs). Par un développement continu, les opérations ont atteint 10 millions de marks (20 millions de francs) en 1892.

À côté de ces institutions qui forment la sphère principale et essentielle du système Raiffeisen, il s’en est constitué d’autres qui s’y rattachent, par exemple un magasin ou bureau coopératif pour les engrais, les semences, les fourrages, le charbon même, des laiteries ou fruiteries coopératives, des houblonnières et des vignobles ayant aussi un caractère coopératif : ces dernières, appliquant le principe mis en lumière il y a plus de 80 ans par Fourier, substituent à la vinification par chaque paysan dans sa petite propriété la vinification en grand. Des magasins coopératifs de vente sont aussi ouverts. M. Raiffeisen, le fils ou le neveu du fondateur, espère couronner son œuvre sur ce terrain particulier en ouvrant un grand nombre de dépôts de vente, dans les principales villes d’Allemagne, des crus provenant des seules associations relevant de son système.

Aucune statistique n’existe des opérations des banques Raiffeisen, et c’est une grosse lacune. Quel que soit leur nombre, elles sont très loin d’atteindre en importance le mouvement d’affaires des banques Schulze-Delitzsch. Le paysan sérieux parvient ainsi à obtenir du crédit à 5 pour 100, sinon à moins, et souvent pour un temps très prolongé. On prétend que 15 pour 100 seulement des prêts seraient conclus pour une année ou moins, 43 pour 100 pour une période de 1 à 5 ans, 34 pour 100 pour une de 5 à 10, enfin 8 pour 100 pour plus longtemps. En l’absence d’hypothèques, ce sont des durées énormes.

Les banques Raiffeisen constituent un système tout patriarcal, qui a une base solide : la responsabilité illimitée des membres. L’objet de cette responsabilité indéfinie paraît être, d’après M. Wolff, de conférer la direction aux membres les plus aisés[12] ; c’est un trait caractéristique. Il en résulte à la fois une facilité d’emprunter et une très grande prudence dans les prêts.

Dans plusieurs pays, notamment en Hongrie, on a fondé des banques, appliquant censément les règles Raiffeisen, mais repoussant la responsabilité illimitée : tout le système est ainsi faussé, surtout quand il s’agit d’opérations agricoles et de prêts à très long terme.

L’œuvre de Raiffeisen a excité un très grand enthousiasme et a joui de très efficaces et nombreux patronages : le clergé catholique d’abord dans les provinces du Rhin et toute l’Allemagne du Sud ; l’empereur Guillaume fit à ces banques sur sa cassette particulière un don de 37 500 francs, et son petit-fils Guillaume II vient de leur en faire un de 25 000 francs.

Le caractère essentiellement bienveillant et chrétien du système Raiffeisen lui a attiré quantité d’admirateurs. On l’a opposé au système plus rationnel et plus sec de Schulze-Delitzsch ; la plupart des fervens apôtres de la coopération ont donné la préférence au premier, et ont pris texte de son succès, qu’il est, d’ailleurs, difficile de mesurer, en l’absence de tout document positif, pour décrier le second.

Raiffeisen et Schulze eux-mêmes étaient en mauvais termes ; des débats eurent lieu entre eux et tournèrent à l’aigreur. Dans son livre People’ s Banks, M. Wolff consacre un chapitre à ce qu’il appelle The great co-operative Controversy : il s’agit du parallèle entre l’organisation de patronage de Raiffeisen et l’organisation tout économique de Schulze. La première y est placée très au-dessus de la seconde. On y parle de la vanité de Schulze-Delitzsch, des attractions artificielles qu’il ménageait au capital et à l’habileté administrative, des larges répartitions pécuniaires sous la forme de salaires ou traitemens, de hauts dividendes, de commissions, des affaires de banque de toutes sortes auxquelles se livrent ses sociétés. Schulze, dit-on, écartait de propos délibéré les hommes tout à fait pauvres. Il prenait tous les gages en considération, sauf le caractère personnel et l’emploi même de la somme empruntée ; il n’admettait pas les longs crédits. Il copiait les sociétés anonymes, et finalement les associations qu’il a fondées tendent à nôtre plus que de simples banques par actions, ne différant pas par leur objet et leur constitution des banques ordinaires.

Chez Raiffeisen, au contraire, on ne se préoccupe que de distribuer le crédit au plus bas prix possible, de l’assurer au plus pauvre s’il est honnête ; on ne prend pas cure des dividendes : on les supprime ou on les réduit, à un chiffre intime ; on constitue une réserve qui est indistribuable ; tous les services sont gratuits. Les administrateurs des banques coopératives, dit-on, doivent avoir la conscience libre de toute préoccupation personnelle. Les sociétés coopératives ne sont pas une affaire, mais une œuvre. Il faut se garder de l’excès de gains. Aussi n’hésite-t-on pas à déclarer que le système Raiffeisen constitue « une plus pure conception des principes coopératifs[13]. »

Il nous est impossible de l’admettre. Très méritoire à coup sûr est le livre du coopérateur rhénan, très utiles toutes ces petites banques de districts ; mais ce sont des organismes assez rudimentaires, d’une influence qui paraît restreinte ; ils reposent, en outre, sur l’idée de patronage, sur la direction des classes riches ou aisées, comme le reconnaît très nettement, en plusieurs passages, M. Wolff. C’est dire que les sentimens qui les soutiennent peuvent être passagers, qu’ils ne sont pas de nature éternelle, qu’en tout cas ils ne se prêtent pas à l’universalité des situations.

Déjà l’organisme, de l’aveu même de ses plus enthousiastes admirateurs, a reçu certaines atteintes : la première banque fondée par Raiffeisen, celle de Flammersfeld, oubliant, dit M. Wolff, les principes coopératifs du créateur, a réparti récemment sa réserve, le produit des maigres surplus résultant des petites transactions parmi ses membres, et a découvert que cette réserve dépassait 50 000 francs[14].

On a pris des précautions pour que cette répartition de la réserve ne pût s’effectuer dans l’avenir. On voit, néanmoins, combien l’intérêt personnel est toujours aux aguets et comme les institutions philanthropiques les plus strictes, quand elles viennent à avoir un grand succès et qu’un long temps les sépare de leurs origines, finissent par se transformer en affaires commerciales vulgaires.

C’est ce qui paraît advenir à beaucoup de banques de Schulze-Delitzsch, et les néo-coopérateurs le lui reprochent amèrement. « Le système Schulze-Delitzsch, dit encore M. Wolff, a été le premier à prendre pied, et de beaucoup le plus grand nombre des associations actuellement existantes fonctionne en conformité de ses règles. Mais vers l’année 1886 le peuple a commencé à en être mécontent. Des reproches très durs lui furent adressés, alléguant qu’il avait manqué à satisfaire les demandes qu’il faisait profession de servir. L’administration des associations n’était pas ce qu’elle aurait dû être ; il y avait de la spéculation, il y avait des pertes[15], il y avait un intérêt excessif ; il y avait du désappointement, etc. Et à la diète de la Basse-Autriche, province métropolitaine, des attaques très vives furent faites contre le schulze-delitzschisme ; il en résulta un vote de fonds pour envoyer deux employés expérimentés procéder, dans les provinces du Rhin, à un examen sur place des principaux mérites du système Raiffeisen. Ils en revinrent enchantés de ce qu’ils avaient vu. Leur rapport fut entièrement favorable, et, depuis ce jour, les associations Raiffeisen sont les favorites officielles et populaires en Autriche[16]. » On a vu que l’expansion de ces dernières est très récente ; quand elles seront plus âgées de 20 ou 30 ans, qui dit qu’elles ne soulèveront pas des critiques aussi vives, quoique d’autre nature, que les banques de Schulze-Delitzsch, sensiblement leurs aînées ? La défaveur actuelle de celles-ci est un fâcheux précédent.

En Italie, les banques populaires se sont aussi singulièrement répandues, grâce au vieil esprit d’association italien, à l’habitude traditionnelle en ce pays des opérations de banque et à la propagande infatigable de quelques hommes de mérite : MM. Vigano et. Luzzali. Là aussi, Schulze, que l’on imitait, fut l’objet de critiques et de dénigremens. On perfectionna, à certains points de vue, son système ; peut-être aussi l’affaiblit-on. M. Luzzati, qui se mit à l’œuvre vers 1863, a pu dire : « Nous n’avons pas copié une institution, mais produit un nouveau type, et, en lui imprimant le cachet de l’originalité italienne, nous avons créé les Banques populaires, Banche popolari. » Le système paraît être une combinaison de l’organisme de Schulze-Delitzsch et de celui de Raiffeisen. On y rejette la responsabilité illimitée des membres ; on y prend des précautions pour que les banques populaires ne perdent jamais leur caractère et ne deviennent pas de simples sociétés de capitaux. Les services dans ces banques doivent être autant que possible gratuits, mais le cachet de patronage des associations Raiffeisen, la direction des plus riches et des plus aisés, ne s’y doivent pas rencontrer. Les associations de Schulze, comme celles de Raiffeisen, étaient surtout des banques de dépôt ; celles de M. Luzzati sont plutôt des banques d’escompte. Ses banques admettent des actions, mais de faible importance, et chaque membre n’en peut posséder que quelques-unes ; on paie, en outre, en général, un denier d’entrée. S’inspirant du système des petits districts de Raiffeisen, le système italien repousse les grandes banques avec de nombreuses succursales et préfère les petites banques étagées, chacune autonome et correspondant à un cercle étroit de population où tout le monde se connaît. On s’y propose « la capitalisation de l’honnêteté », non, cependant, sans quelques garanties matérielles, car, si honnête que soit un homme, il peut se tromper et il peut mourir. Les caisses d’épargne, qui jouissent en Italie d’une très grande liberté pour le placement de leurs fonds, aidèrent beaucoup, ainsi que les sociétés fraternelles, au succès des institutions de M. Luzzati. Le terrain des premières, à savoir le Milanais, la Vénétie, les Romagnes, était admirablement préparé[17].

Après une expérience coopérative à Lodi en 1864, M. Luzzati fonda sa première banque populaire en 1866 à Milan, à la veille de la guerre austro-italo-prussienne. La banque n’avait que 700 francs de capital, juste la même somme que celle qui servit de premier fonds aux Pionniers de Rochdale. Les actions étaient de 50 francs, mais payables en dix mois, et le denier d’entrée de 25 francs, également avec des facilités de versement. Aujourd’hui la banque populaire de Milan est logée dans un palais. Outre 130 ou 140 fonctionnaires rétribués, elle emploie 100 commis ; elle comptait, en 1889, 16392 membres et n’a pas cessé de grandir depuis. Son capital versé montait à 8418850 lires, représenté par 165906 actions[18] ; la réserve atteignait 4209425, soif la moitié du capital. Les dépôts ordinaires s’élevaient à 57853000 fr., et les dépôts spéciaux dits d’épargne à 35 millions. En 1889, elle avait prêté 115 millions de francs en 162789 prêts, parmi lesquels 129401 étaient inférieurs à 1000 francs, 13349 à 100 francs et quelques-uns même ne dépassaient pas 10 francs. Sur un chiffre total d’opérations atteignant 1796 millions de lires, elle n’avait perdu que 65196 lires. Ses dépenses en salaires ne montaient qu’à 118200 lires ; elle avait consacré 10000 lires (somme modeste, doit-on dire) à des objets charitables et distribué en dividendes 1152000 lires, soit 14 pour 100 ; en 1890 le dividende avait été de 15.20 pour 100. La Banque était en rapport avec 320 autres banques populaires, et ses affaires avec elles montaient à 223 millions de lires.

On voit que la banque de Milan, et nous lui en faisons un mérite, ne suit pas M. Raiffeisen dans son dédain des dividendes. Elle en donne de très rémunérateurs. Contrairement aussi à Raiffeisen, elle pratique surtout les prêts à courte échéance ; elle ne place pas sur hypothèque, mais elle ne dédaigne pas les gages, warrans, transports de créances de fournisseurs sur leurs cliens, etc. Les autres banques populaires italiennes font de même. Elles consentent aussi des prêts agricoles à plus long terme, des cartelle agrarie, en ayant soin, comme Raiffeisen, qu’ils soient affectés à un objet déterminé et examiné contradictoirement entre l’emprunteur et les fonctionnaires de la banque, tout manquement à cet objet spécial étant une cause d’annulation du contrat. Il ne semble pas, toutefois, que ces prêts agricoles aient eu tout le succès espéré ; car, d’après M. Wolff, en 1881 la circulation du papier agricole des banques populaires atteignait 12224000 lires, et en 1889 elle ne s’élevait plus qu’à 6390000[19]. D’autre part, M. Luzzati aurait déclaré que ses banques populaires auraient mis 80 millions de francs à la disposition de l’agriculture, ce que certaines personnes pensent exagéré ; en 1889, d’après lui, 399 Banche popolari comptaient 234073 membres, dont 52083 étaient de petits agriculteurs, paysans, propriétaires ou métayers[20].

Guère plus que celles de Schulze-Delitzsch, les Banche popolari ne viennent au secours de l’homme vraiment pauvre. La pauvreté relève de la charité et d’une certaine hygiène sociale, non du crédit, sauf quelques cas exceptionnels. Une enquête faite en 1883 sur les banques populaires italiennes montre que 24.66 pour 100 des membres étaient dans une situation aisée, 28.68 se composaient de personnes engagées dans la petite industrie ou le petit commerce, 8.40 étaient des artisans, 15.40 des maîtres d’école ou des employés du gouvernement, 19.08 pour 100 de petits cultivateurs et 3.18 pour 100 des ouvriers à la journée. Un examen attentif des conditions des membres de la Banca popolare de Padoue, regardée comme représentant bien la moyenne des institutions de ce genre, faisait ressortir que, sur 4310 membres, 120 étaient des travailleurs ruraux, 399 de petits cultivateurs, 300 des artisans, 1121 de petits commerçans, 1094 des employés du gouvernement, 780 des personnes sans profession spéciale, etc. Les banques populaires d’Italie constituent des groupemens beaucoup plus étendus que les petites sociétés Raiffeisen. La moyenne des membres par association serait de 989, ce qui rendrait le contrôle mutuel plus difficile. En 1889, les banques populaires italiennes étaient au nombre de 714, avec 115 millions en chiffres ronds de capital et de réserve ; l’ensemble de leurs prêts annuels atteignait 207 millions. En 1892, en y rattachant 64 caisses Wollemborg, reposant aussi sur le principe coopératif, le nombre de ces associations de crédit populaire était de 930 en Italie. Ces résultats, sans équivaloir, même de loin, à une transformation sociale, sont satisfaisans[21].

Un comité d’escompte et un conseil (consiglio) ou comité général dirigent chacune de ces institutions ; M. Luzzati, contrairement à l’opinion de Schulze-Delitzscb, insiste pour que toutes ces fonctions soient gratuites. Cependant, dans les grandes banques, il faut un état-major rétribué, non seulement un caissier et un chef comptable, mais le président ; et, outre le traitement, on leur accorde des tantièmes sur les bénéfices.

Toute cette organisation fonctionne bien ; mais il commence à surgir quelques critiques : le taux des prêts est trop élevé, les bénéfices doivent être réduits pour l’abaisser, etc.

À considérer ces établissemens, ils ont tenu du patronage quant à leur origine ; maintenant ils commencent à fonctionner comme des institutions ordinaires de banque. On cherche à les empêcher de prendre tout à fait ce caractère. On s’y efforce surtout en limitant le nombre d’actions que chaque membre peut posséder. Ainsi, les actions de la Banque populaire de Milan étant de 50 francs, personne n’en peut détenir plus de 50. Nombre de coopérateurs considèrent ce chiffre même comme trop élevé. On prescrit que, dans les assemblées, chaque membre ait un vote égal, quel que soit le nombre de ses actions. On cherche ainsi à fermer la porte à l’inégalité et à l’accaparement qui, par la force des choses, finissent par s’insinuer partout. Toutes les actions, en outre, doivent être nominatives et le nouvel actionnaire agréé par le Conseil. On désire aussi qu’aucune banque populaire ne devienne trop puissante ; bien qu’on soit très lier du succès de celle de Milan et qu’on fasse sonner haut qu’elle dépasse de beaucoup le Creditverein de Leipzig, la principale des banques populaires allemandes on soutient, toutefois, en principe que lorsqu’une banque du peuple a pris un très grand essor, il convient de susciter à côté d’elle une autre institution similaire, fût-ce dans la même ville, a lin que les responsabilités soient mieux réparties et que l’on recherche avec plus de zèle les petites affaires (si approfondisce la ricerca degli affari minori) que les établissemens puissans finissent par négliger. La poursuite acharnée des petits dépôts et des petits escomptes est chaleureusement recommandée par M. Luzzati ; le grand nombre des établissemens indépendans doit y aider. Un cite l’exemple de la Banque populaire de Milan qui, avec un patriotique désintéressement, a fait naître dans son rayon la Banca popolare agricola milanese[22].

Dans plusieurs autres pays, notamment en Suisse, des banques populaires sont écloses et se sont développées. La grande Banque populaire de Berne, fondée en 1868, n’est que de trois ans postérieure à celle de Milan. Elle a été décrite par M. Rostand, qui lui préfère, cependant, la dernière. Les parts sont de 1 000 francs, ce qui est un gros chiffre, mais l’on ne peut en posséder qu’une. Contrairement à la méthode Raiffeisen et Luzzati, tous les services y sont rétribués, ce qui pour les coopérateurs mystiques est un mal, et pour les observateurs impartiaux une garantie de durée.

En France, le crédit populaire a pris au début une très fausse direction : suivant nos habitudes centralisatrices, on a dédaigné les humbles origines locales ; on a créé à Paris, en 1863, une institution portant le nom de Société du Crédit au Travail, qui devait susciter sur les divers points du territoire des sociétés coopératives et leur servir de banquier. Créée avec 20 000 francs de capital, elle en avait 302 000 en 1867, comptant alors 1 728 membres. Elle s’était procuré, en outre, 472 000 francs par des dépôts ou des emprunts en comptes courans[23]. Quoique des hommes distingués, appartenant à la haute bourgeoisie, aient collaboré à la direction de cet établissement, il échoua si complètement que, sans les sacrifices de quelques-uns de ses riches promoteurs, il fût tombé en faillite. Il avait été une sorte de Crédit mobilier populaire.

Dans ces dernières années on s’est repris, chez nous, à s’intéresser aux sociétés de crédit populaire. L’Almanach de la coopération française pour 1892 recense 18 associations de ce genre, dont 6 se rattachent à des syndicats agricoles.

Il n’est pas invraisemblable que ces institutions se répandent davantage. Elles serviront à la partie laborieuse, réfléchie, persévérante, de la classe des artisans, des ouvriers, des petits commerçans ou industriels et des modestes cultivateurs. Il n’y a, certes, dans ces organisations, aucun principe nouveau ; rien qui se ressente de ce que l’on appelle le socialisme. Pour arriver à un véritable épanouissement, ces associations doivent appliquer les principes économiques, comme l’a fait Schulze-Delitzsch ; on peut les tempérer par un alliage d’esprit chrétien et charitable, ainsi que l’a fait Raiffeisen. Mais alors l’œuvre est moins susceptible d’expansion, elle est plus limitée dans son objet et dans son efficacité, et elle a des chances d’être plus précaire.

Les associations coopératives de crédit, comme toutes les sociétés coopératives d’ailleurs, ou bien reposent simplement sur la bienveillance, sur des sentimens exceptionnellement charitables, sur le dévouement de quelques fondateurs d’élite : dans ce cas leur développement est restreint ; alors même qu’elles pulluleraient comme nombre, elles n’arrivent qu’à, un chiffre d’opérations limité ; ou bien ces sociétés, comme celles de Schulze-Delitzsch s’inspirent des règles économiques strictes : alors, par une évolution naturelle, elles arrivent, avec le temps, à n’être plus guère que des banques ordinaires par actions, ayant une clientèle spéciale qu’elles tendent à abandonner peu à peu pour la clientèle habituelle des maisons de banque.

Les sociétés coopératives ne paraissent, en effet, devoir être, dans le présent et dans l’avenir, comme elles l’ont été incontestablement dans le lointain passé, qu’un organisme de transition, destiné à faire émerger les hommes les plus actifs, les plus laborieux et les plus prévoyans ; une fois qu’elles ont constitué un noyau de ce genre, le procédé de sélection continue et s’accentue pendant un certain temps jusqu’à ce que le caractère coopératif, avec le succès croissant, finisse par disparaître.


II. — LES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES DE PRODUCTION.

La formule contenue dans le paragraphe précédent est d’une importance capitale. Elle trouve surtout Sa démonstration saisissante dans l’histoire des sociétés coopératives de production.

La société de production constitue le couronnement de l’édifice coopératif. Comprenant les difficultés qu’elle rencontre, les chances nombreuses non seulement d’échec, mais de dégénérescence en cas de succès, un des apôtres les plus croyans de la coopération, M. Gide, montre, cependant, quelque défiance et presque quelque hostilité à leur endroit. « L’association de production, dit-il, en tant qu’association autonome et fonctionnant par ses propres moyens, est impuissante à apporter aucune modification notable dans l’ordre de choses actuel. » Il ajoute avec discernement : « Toute association de producteurs, c’est-à-dire toute association d’individus exerçant le même métier et ayant par conséquent les mêmes intérêts professionnels, qu’elle s’appelle corporation professionnelle, chambre syndicale ou association coopérative de production, a nécessairement une tendance à l’égoïsme, j’entends par là à faire prédominer ses intérêts particuliers sur l’intérêt général : l’égoïsme corporatif est encore plus développé et plus tenace que l’égoïsme individualiste, et vous me permettrez bien de vous dire que les ouvriers, en cela, ne vaudront pas mieux que les patrons. Non seulement ces associations de production seront en état de guerre contre le consommateur, mais elles seront eu état de guerre entre elles, comme le sont aujourd’hui les fabricans, et feront revivre ainsi l’état d’anarchie industrielle que nous nous appliquons justement à faire disparaître[24]. »

Emanant du plus fervent protagoniste du principe coopératif, ces critiques sont intéressantes. On ne peut, non plus, refuser toute vérité à cette définition de l’association par Proudhon : « Un groupe dont on peut dire toujours que les membres, n’étant associés que pour eux-mêmes, sont associés contre tout le monde. » L’étude rapide, mais précise, que nous allons faire des associations de production permettra de dégager la part de vérité de ces jugemens.

La coopération de production doit séduire les ouvriers par la perspective d’un avantage moral et d’un avantage matériel. Le premier consiste en ce que les ouvriers n’auraient plus de patron, plus de maître, comme on disait autrefois ; ils s’emploieraient eux-mêmes, se surveilleraient et se dirigeraient eux-mêmes ou par des délégués qu’ils éliraient et qui seraient révocables. Ils deviendraient ainsi théoriquement leurs propres maîtres. Le sentiment de l’égalité et l’amour-propre puiseraient dans cette situation une vive satisfaction. Le second avantage, celui d’ordre tout matériel, dont la perspective peut aussi induire les ouvriers à créer des sociétés coopératives de production, c’est que les profits de l’entreprise écherraient, complètement aux ouvriers. Si, conformément à la croyance naïve de nombre d’ouvriers et aux enseignemens des socialistes, notamment de Karl Marx, les profits représentent simplement du travail non payé, s’ils sont en quelque sorte réguliers et proportionnels au chiffre des affaires, on conçoit que les ouvriers soient tentés de se les approprier ; ils rentrent ainsi dans leur bien, pensent-ils. Quand les Coopérateurs de Rochdale, après leur premier succès dans la coopération de consommation, résolurent, en 1854, de fonder une filature de coton coopérative, ils déclarèrent : « L’objet de la Société Coopérative manufacturière de Rochdale est de combiner des arrangemens par lesquels ses membres puissent recueillir les profits résultant de l’emploi de leur propre capital et de leur travail. »

Suivant l’expression du secrétaire de la Co-operative Union, M. J. C. Gray, « le travailleur doit être élevé à la situation d’associé (partner) et de participant aux profits (profitsharer), au lieu d’être la machine louée du capitaliste et du consommateur. »

Dans cette conception naïve de l’industrie, qui veut que les bénéfices naissent naturellement de l’emploi du capital et du travail comme les fruits naissent de l’arbre, la seule difficulté que les promoteurs du plan crussent avoir à surmonter, c’était le manque de capital. Elle leur semblait de celles dont on peut venir à bout. En formant par l’épargne un premier fonds, il est possible d’emprunter du capital à un intérêt fixe. Le capital prendrait ainsi désormais la place du travail ; il serait un salarié, n’ayant droit qu’à une rémunération fixe, généralement à la portion congrue ; il serait aussi un subordonné. Les termes actuels de l’organisation industrielle seraient renversés ; les ouvriers dirigeraient par eux-mêmes ou par leurs délégués révocables les entreprises ; ils en encaisseraient tous les profits ; le capital serait l’élément subalterne auquel on ne donnerait qu’une rémunération fixe, juste suffisante pour qu’il consentît à se prêter. Mais si le système se généralisait, comme le capital, n’ayant plus la conduite des affaires, ne pourrait plus prétendre aux bénéfices, il serait amené, sous peine de ne rien rapporter, à se prêter à des taux de plus en plus bas.

Telle est la conception. S’ensuit-il que, sous le régime de la coopération de production, tout le système des salaires soit abandonné, comme le dit M. David F. Schloss, et qu’il doive y avoir une complète substitution des profits aux salaires pour la rémunération des travailleurs[25] ? Nous ne pensons pas que telle soit la conception des ouvriers. Ils prétendent à la fois aux salaires et aux profits : ils ne pourraient pas, d’ailleurs, attendre soit la répartition annuelle de ceux-ci, soit même la répartition trimestrielle qui, un peu imprudemment, est en usage en Angleterre pour les sociétés coopératives. Les salaires leur sont nécessaires ; ils leur donnent une autre cause et les considèrent sous un autre aspect ; ces salaires ne sont plus pour eux la rémunération réelle de leur travail, c’est seulement le coût d’entretien de leurs forces, de leur Arbeitskraft, comme dirait Marx. De même qu’il faut fournir chaque jour à la machine et à ses rouages le charbon, l’huile, la graisse et les autres consommations qui sont nécessaires à son fonctionnement et à son maintien en bon état ; de même il faut assurer la subsistance quotidienne de l’ouvrier et le renouvellement incessant de ses forces. Les salaires sont donc maintenus sous le régime coopératif, non comme rémunération du travail à proprement parler, mais comme frais d’entretien indispensable du travailleur et de sa famille. Quant à la rémunération réelle, c’est le profit final.

Toute cette théorie est très simple et très claire : on serait tenté de dire d’une simplicité enfantine ; elle repose surtout sur ce postulat que les bénéfices éclosent naturellement, en quelque sorte mécaniquement, de l’emploi d’une certaine somme de capital. La mise en œuvre de la société de production serait aussi, à ce compte, des plus aisées ; un certain nombre d’ouvriers laborieux et économes s’entendent ; ils mettent en commun un capital déterminé, en général faible, il est vrai ; ils débutent modestement ; ils se nomment à eux-mêmes un ou plusieurs gérans ou employés ; leur première mise exiguë s’accroît par les profits qu’ils réalisent ; ils inspirent confiance et empruntent le capital nécessaire pour s’étendre ; tout va bien ainsi ; le développement de l’entreprise serait eu quelque sorte automatique. Il en serait ainsi, du moins, pour les affaires qui n’exigent à leur début qu’un capital d’une importance restreinte. Quant à la grande production concentrée, il serait plus difficile de la constituer coopérativement. Si la conception qui vient d’être exposée, cependant, était universellement reconnue exacte, on ne voit pas pourquoi les capitalistes ne prêteraient pas de grosses sommes à des groupes d’ouvriers, de même qu’aujourd’hui ils en prêtent à tel ingénieur ou directeur, considéré comme très capable et qui personnellement ne possède rien ou peu de chose.

Ceux qui se sont rendu compte de la source vraie des bénéfices industriels s’aperçoivent immédiatement de l’inanité de toute cette conception. Les bénéfices, surtout les bénéfices importans, résultent de la capacité tout exceptionnelle de l’entrepreneur. Il n’est sans doute pas impossible qu’un groupe d’ouvriers coopérateurs réussisse à constituer une organisation qui soit très habilement conduite et qui réalise des bénéfices notables, de même que ce bonheur échoit parfois à des groupes d’actionnaires. Mais ce n’est pas en tant que coopérateurs qu’ils obtiendront ce résultat, et ce n’est pas la coopération qui en sera la cause, c’est en tant qu’hommes ayant su ou ayant pu se procurer des gérans très capables ; la subordination même qu’ils établissent du capital au travail et de l’élément intellectuel à l’élément du labeur manuel sont des conditions défavorables à ce succès.

Aussi, l’histoire de la coopération de production amène à diviser les sociétés coopératives de ce genre en deux grandes catégories : les unes qui échouent, et c’est de beaucoup le plus grand nombre, les autres qui réussissent, mais qui, d’ordinaire, se sont considérablement éloignées du type coopératif pur et qui finissent presque toutes par devenir de simples sociétés anonymes ordinaires où les actions se concentrent de plus en plus et finissent, pour la majorité, à n’être plus que la propriété de quelques personnes entreprenantes.

C’est ce qui nous a fait dire que, avec le temps, les sociétés coopératives de production ou meurent de maie mort ou se pervertissent, c’est-à-dire se transforment en n’ayant plus rien de coopératif que le nom. Il ne reste des véritables sociétés coopératives de production, quarante ou cinquante ans, par exemple, après leur fondation, que quelques associations de modique importance, se répartissant, d’ordinaire, de maigres profits.

L’examen des essais nombreux de sociétés de ce genre en France et en Angleterre depuis un demi-siècle environ va le démontrer : la généralité des associations de production ayant réussi dans l’un et l’autre pays ont cessé d’être des sociétés coopératives ; elles en gardent encore souvent l’enseigne, parce que celle-ci est d’un bon effet sur certaines natures de cliens.

On sait que la coopération, aussi loin qu’on peut remonter, a été la forme primitive de l’entreprise humaine. C’est elle qui, par des modifications graduelles, au fur et à mesure du perfectionnement des arts et de l’extension des affaires, s’est transformée en entreprise individuelle. De même que la propriété collective, avec des restrictions diverses, se trouve au berceau du genre humain, de même la coopération est la forme embryonnaire de la production. Aussi serait-il tout à fait vain de rechercher les premières sociétés coopératives ; elles se perdent dans la nuit des temps ; il est certain qu’il en a toujours existé. Mais les premiers de ces groupemens qui se sont constitués en vertu de la doctrine coopérative nouvelle et sur lesquels l’attention publique s’est portée remontent en France au régime de 1830 et en Angleterre quelques années après 1850.

C’est au philosophe socialiste chrétien Buchez qu’on attribue la fondation des premières de ces sociétés : d’après l’Almanach de la coopération française pour 1893, cet ardent réformateur, qui y est classé comme un des douze saints de la coopération, aurait constitué, le 10 septembre 1831, la première association coopérative de production, celle des menuisiers, et en 1834 celle beaucoup plus connue des bijoutiers en doré ; la première périt presque en naissant, mais la seconde vit encore ; seulement elle perdit d’assez bonne heure le caractère coopératif. Si l’on se reporte à un document, appartenant encore à la période héroïque et naïve de la coopération, à savoir l’Almanach de la coopération pour 1868, on y trouve énumérées 57 sociétés coopératives de production pour Paris seul. Parmi elles, une seule, celle des bijoutiers en doré, était antérieure à 1848 ; celles des formiers, des fabricans de chaises, des ferblantiers, des tailleurs d’habit, des tailleurs de limes et des maçons, dataient de 1848 même, six autres de 1849, parmi lesquelles la célèbre société des lunetiers, qui eut un immense succès, mais qui, comme on le verra, n’est plus qu’une société anonyme pure et simple ; deux de 1850, une de 1851, une de 1857 ; toutes les autres étaient écloses de 1864 à 1868.

Constituées dans les petits métiers parisiens, où l’habileté de l’ouvrier tient une si grande place et qui n’exigent, en général, qu’une dose modique de capital, ces sociétés, si elles eussent été bien conduites, avaient des chances assez nombreuses de succès. Le même Annuaire de la coopération pour 1868 donnait la nomenclature de huit associations coopératives de production à Lyon, outre dix autres qui s’y trouvaient en fondation, disait-il. Il énumérait aussi en province un assez grand nombre de sociétés de ce genre.

Il serait très intéressant de pouvoir suivre, à 25 ans d’intervalle, de 1868 à 1893, l’évolution de toutes ces associations, de constater celles que la mort a enlevées, celles qui subsistent et celles qui se sont transformées, de fait, en sociétés anonymes ordinaires. Les renseignemens manquent de précision. L’Annuaire de la coopération française pour 1893 énumère seulement 81 sociétés coopératives de production, en laissant en dehors les fruiteries et les laiteries. Or, en 1868, on en comptait au moins autant, sinon davantage. Comme il s’en est fondé beaucoup dans l’intervalle, c’est dire que le plus grand nombre de celles qui existaient en 1868 ont disparu un quart de siècle après. Si l’on s’en tient à Paris, l’Annuaire de 1893 ne mentionne que 38 sociétés de ce genre, au lieu des 57 citées dans l’Annuaire de 1868 ; l’Annuaire de 1893 ne donne pas la date de la constitution de chacune de ces sociétés, ce qu’avait fait l’Annuaire de 1868 avec raison. Nous reconnaissons, toutefois, parmi les associations fonctionnant à Paris en 1893 quelques-unes de celles dont on nous donnait déjà les noms en 1868 : ainsi celle des bijoutiers en doré, fondée en 1834 par Buchez, on la mentionne toujours, quoiqu’elle ne paraisse plus avoir de caractère coopératif ; celles des menuisiers de la rue Baron, des doreurs sur bois, des ferblantiers réunis, des facteurs en instrumens de musique de la rue Saint-Maur, des ouvriers en limes, des formiers, des lunetiers (mais celle-ci n’a plus que l’étiquette coopérative), des facteurs de pianos de la rue des Poissonniers. Voilà quelques associations qui ont tenu bon, les unes un quart de siècle, une même, celle des lunetiers, pendant quarante-quatre ans.

Ces exemples ne paraissent donc pas décourageans : si le plus grand nombre de ces sociétés semblent avoir sombré ou s’être dissoutes, certaines sont parvenues déjà à une longévité relative, plusieurs prospèrent. Mais ces dernières sont-elles encore vraiment des sociétés coopératives ? Les renseignemens manquent relativement à la plupart ; on en a, toutefois, pour les plus célèbres, les bijoutiers en doré et les lunetiers, et l’on peut répondre nettement que ces sociétés, qui sont nées coopératives, ont cessé de l’être et sont devenues de pures et simples sociétés anonymes. La véritable association de production n’existe que là où se rencontrent les conditions suivantes : toutes les actions composant le capital social appartiennent exclusivement à des ouvriers de l’établissement ou à d’anciens ouvriers de l’établissement ; tous les ouvriers occupés ou, du moins, de beaucoup le plus grand nombre, sont actionnaires ; aucun membre ne peut posséder plus d’un nombre restreint d’actions. Or, en ce qui concerne les lunetiers de Paris, ils sont à l’heure présente 58 associés et ils occupent 1 200 ouvriers salariés non associés qui ne sont même admis à aucune part dans les bénéfices[26]. Il est clair qu’une semblable association n’est plus une société coopérative ; c’est une société anonyme ordinaire. Les coopérateurs de 1849 ont obtenu un magnifique succès, mais ils ont cessé d’être des coopérateurs. Cette société avait débuté on s’appelant Association fraternelle ; le succès étant venu, la fraternité a disparu. Il en est de même des bijoutiers en doré : l’Annuaire de la coopération en 1893, dans sa notice sur Buchez, nous fait savoir que cette association, fondée par lui en 1834, a prospéré, mais a changé de caractère.

Cette évolution qui transforme les associations coopératives de production, avec le temps et le succès, en sociétés anonymes ordinaires paraît fatale. Si les documens manquent en France, ils abondent, au contraire, en Angleterre. Une femme qui s’est vouée aux études sociales et qui ne laisse pas d’incliner au socialisme, miss Beatrix Potter, a écrit un livre sur la coopération dans son pays ; elle analyse très finement et très justement le caractère passé et le caractère présent des associations de production britanniques.

En tête de ces associations, viennent les célèbres « Equitables Pionniers de Rochdale », qui, dix ans après la fondation de leur magasin coopératif, créèrent, en 1854, une filature de coton coopérative. Grâce, sans doute, à l’énergie des hommes d’élite qui constituaient le noyau de cette association, l’entreprise réussit à souhait ; mais précisément le succès lui fit perdre son caractère coopératif. Elle est devenue une société de capitaux ; bien plus, après avoir admis pendant quelques années les ouvriers à une participation aux bénéfices, elle est revenue sur cette concession et n’occupe plus que des salariés purs et simples[27]. Ainsi, au berceau même de la coopération britannique et dans les mains de ce groupe fameux, les Equitables Pionniers, l’association coopérative de production s’est transformée en une société anonyme vulgaire : la forme coopérative n’a été maintenue que pour la branche concernant les magasins de consommation.

Cette caractéristique déviation de l’esprit coopératif à Rochdale même est peu connue. Les ardens coopérateurs font le silence sur elle. Nous avons sous les yeux la traduction française de l’Histoire de la coopération à Rochdale par G.-I. Holyoake, un des principaux apôtres du principe coopératif : cette traduction date de 1888 ; on s’y étend en détails nombreux sur l’organisation des magasins de vente des Equitables Pionniers ; mais il n’y est rien dit de la Filature de coton coopérative, transformée, après succès[28], en société de capitaux pure et simple et retirant aux ouvriers la participation aux bénéfices.

Eût-il isolé, cet exemple, dans la ville sainte de la coopération, et de la part de tels hommes, serait typique. Mais, loin de constituer une exception, la dégénérescence de la société coopérative de production en société de capitaux vulgaire est en Angleterre le cas normal.

En premier lieu s’offrent à nous les compagnies détenant les 90 fiatures dites coopératives d’Oldham, lesquelles sont au capital de plus de 8 millions sterling ou 200 millions de francs, divisées en action de 1 livre à 10 livres (25 à 250 francs). Beaucoup de ces compagnies furent effectivement fondées par des ouvriers, et plusieurs milliers d’ouvriers en sont encore actionnaires. Ces sociétés ont gardé pour la plupart, dans leur administration théorique, des restes de leur origine : ainsi la règle « un suffrage par tête », one man, one vote. Miss Potter, ayant étudié attentivement la principale de ces compagnies, celle qui a servi de type aux autres, le Sun-Mill, s’exprime ainsi : « Dans cet établissement, les ouvriers avaient une grande partie des actions, et au début une résolution fut votée pour que les actionnaires et leurs familles eussent un droit de priorité pour les emplois… Je suis informée à l’heure présente que peu, — si quelques-uns, — des ouvriers sont actionnaires (few, if any, of the employees happen to be shareholders). La participation aux bénéfices pour les principaux employés ou ouvriers avait été introduite en 1869) ; elle fut abandonnée en 1875… M. Marcroft, l’historien du Sun-Mill, ajoute que « ceux qui participaient aux bénéfices avaient vu réduire leurs salaires, et qu’on releva ceux-ci lors de la suppression de la participation. » D’après miss Potter, le Sun-Mill est le type « de l’histoire générale des filatures de coton établies primitivement dans l’intérêt des ouvriers. À présent, tous les plans de participation ont été abandonnés dans les Working class limited, Compagnies de la classe ouvrière à responsabilité limitée[29]. » Il paraît que les ouvriers qui sont restés actionnaires le sont, de préférence, d’autres fabriques que celles où ils travaillent. Il est difficile d’expliquer le sentiment d’où vient cette anomalie. En 1885, le rapport de la Conférence pour l’étude des rémunérations industrielles établissait que moins de 2 pour 100 des actions d’une quelconque de ces filatures d’Oldham appartenaient aux ouvriers qui y étaient employés. Un déposant devant la Commission du travail, Labour Commission, M. Mullin, interrogé sur la proportion des ouvriers des filatures coopératives qui étaient actionnaires, répondait : « Je ne crois pas qu’il y ait 1 pour 100 des ouvriers ; il peut y avoir des actionnaires parmi les surveillans, contremaîtres, directeurs : je ne les compte pas. »

Ces associations qui ne peuvent plus figurer parmi les sociétés coopératives de production ont cependant gardé, au point de vue de leurs affaires, certains traits particuliers et intéressans. Elles ont fondé une fédération (the Cotton Buying Company, limited) pour les pourvoir de matières premières. Un intérêt de 7 l/2 pour 100 est payé sur le capital-actions de cette société ; le surplus des profits est réparti entre les acheteurs, ceux d’entre eux qui sont actionnaires recevant une part double.

Si l’on quitte Oldham et que l’on examine les associations coopératives diverses de production dans la Grande-Bretagne, l’impression que l’on a reçue se fortifie : ces sociétés s’éloignent graduellement du type coopératif pur ; elles s’en écartent d’autant plus qu’elles réussissent mieux. D’après le rapport de l’Union coopérative, il existait dans le Royaume-Uni, en mai 1891, 119 sociétés coopératives de production, s’étant établies sous le régime de l’Industrial and Provident Societies Act de 1876 ; les compagnies d’Oldham, bien antérieures, ne sont pas comprises dans ce chiffre ; le nombre des membres est porté à 27 214. L’importance des affaires de ces 119 sociétés montait à 2167000 livres sterling, environ 55 millions de francs, somme assez considérable en bloc, mais qui ne représente pas 500 000 francs pour chacune d’elles. D’après M. Schloss, 75 pour 100 de ces sociétés coopératives de production échoueraient : la plupart seraient de petites associations de patrons occupant des ouvriers salariés auxquels ils refuseraient toute participation aux bénéfices ; il n’y aurait pas plus de 20 de ces associations de production qui feraient aux ouvriers une part dans les profits, et cette part ne dépasserait pas en moyenne 25 francs par tête.

L’analyse minutieuse à laquelle s’est livrée miss Potter sur 54 de ces sociétés est particulièrement intéressante et démonstrative. L’auteur, nous l’avons dit, est un des apôtres de la coopération : aussi est-elle particulièrement frappée des dissemblances qu’elle constate entre l’étiquette coopérative et l’organisation vulgaire qu’elle couvre souvent. Miss Potter répartit ces 54 sociétés en quatre classes suivant qu’elles se rapprochent plus ou moins du véritable type coopératif. Elle n’en place que 8 dans la première ; on ne peut même pas considérer ces 8 associations comme de pures sociétés coopératives de production : sur quelques points essentiels elles s’éloignent encore de la théorie : presque tous les ouvriers occupés, à savoir 440 sur 483, sont actionnaires ; mais on ne peut dire que les ouvriers aient la direction de ces associations, car ils ne possèdent que 440 actions sur 1 457, les 1 017 autres appartenant à des personnes qui ne travaillent pas pour l’établissement. Quant au comité de direction, il devrait, suivant l’idéal coopératif, se composer uniquement d’ouvriers choisis par le personnel occupé : or, parmi ces 8 sociétés, plusieurs ont des administrateurs ou gérans qui non seulement n’ont jamais été employés dans l’affaire, mais qui sont étrangers à tout travail manuel, et qui n’ont même jamais été engagés, dans l’industrie dont s’occupe la société. Ainsi, même dans cette première classe des associations examinées par miss Potter, on s’écarte gravement de l’idéal coopératif et de la théorie pure de la coopération. La plupart de ces 8 sociétés sont des groupes bien exigus. Trois d’entre elles ne font pas, réunies, pour 25000 francs d’affaires par an ; quatre n’ont pu distribuer aucun dividende à leurs associés. Une seule, la Leicester Boot Manufacturing Society, la fabrique de bottes de Leicester, emploie plus de 80 ouvriers. Si les sociétés coopératives de production de la première classe s’éloignent, comme on l’a vu, de la pure théorie coopérative, l’écart est naturellement bien plus sensible pour les autres. Dans la classe II, miss Potter range quatre sociétés qui se sont imposé un gérant ou un comité irrévocable : il est clair que cette clause, qui peut être très prudente, constitue une déviation considérable de l’idéal coopératif[30]. La classe III comprend les associations de petits patrons, associations of small masters, dont il a déjà été question, et que miss Potter note défavorablement : sur 1 240 ouvriers occupés d’une façon permanente et dans l’atelier, 330 seulement sont actionnaires ; en outre, beaucoup d’ouvriers, non actionnaires non plus, sont occupés à domicile ou occasionnellement. La classe IV comprend treize sociétés, employant 1 274 ouvriers, dont 455 sont actionnaires : à ce point de vue cette classe semblerait supérieure à la précédente ; mais elle lui est inférieure et s’éloigne considérablement du type coopératif par cette autre circonstance : les ouvriers, quoique actionnaires, ne peuvent pas en général faire partie du comité d’administration, are disqualified from acting as directors, et il n’y a pas d’exemple qu’aucun ouvrier fasse partie du conseil de direction, de sorte que dans ces associations tout le pouvoir est dans les mains de non-ouvriers[31].

La conclusion qui ressort naturellement de cette enquête a été formulée par le président du Congrès coopératif de 1891, dans son adresse inaugurale, M. A.-H. Dyke Acland, membre du Parlement : « L’idéal de la société coopérative de production, où tout le capital est possédé par les ouvriers, est considéré comme une impossibilité, sauf dans des cas très rares. »

D’une part, on ne trouve pas assez d’ouvriers capables d’efforts et de sacrifices pour pouvoir les associer tous ; d’autre part, ceux des ouvriers qui se sont élevés par l’épargne et par leur habileté arrivent à dépouiller les sentimens purement fraternels, à vouloir garder pour eux les bénéfices et à enlever à la société, au fur et à mesure qu’elle progresse et réussit, le caractère coopératif qu’elle avait à l’origine.

Des sociétés coopératives de production peuvent certainement se constituer, parvenir à la prospérité ; mais cette prospérité même les fait se transformer, dégénérer si l’on veut, en pures sociétés de capitaux.

En face des associations coopératives ayant une origine vraiment populaire et ouvrière, on peut placer des organisations recommandantes, faisant grand honneur à leurs fondateurs, mais que l’on doit placer, au moins en ce qui concerne leur naissance et leur développement, parmi les pseudo-sociétés coopératives : ce sont les maisons fondées par un patron philanthrope, étant arrivées à la prospérité par une direction unitaire et capitalistique, si nous pouvons ainsi parler, et qui, à un certain moment, par la générosité de leur fondateur et l’abandon d’une partie de ses droits, ont revêtu une certaine forme que l’on a assimilée à tort à la forme coopérative. On peut en citer quelques-unes en France : les maisons Leclaire, Laroche-Joubert, Godin. Il est clair qu’il ne peut s’agir ici de coopération à proprement parler : ces sociétés sont nées et ont grandi sous la direction d’un patron ; elles conservent encore, dans beaucoup de clauses de leur organisation, l’empreinte des volontés de leur fondateur ; le temps seulement, un quart de siècle tout au moins, ou même un demi-siècle, sous le régime d’administration collective, pourra démontrer si elles possèdent une vertu propre ; elles sont des exemples de bienfaisance, de désintéressement patronal, non de créations coopératives.

Quelques mots au sujet de certains établissemens si connus suffiront. La maison de peinture en bâtiment Leclaire date d’avant 1830 ; la participation aux bénéfices y a été introduite en 1840 ; elle vécut sous le régime du patronat individuel jusqu’en 1869 ; son fondateur, M. Leclaire, la transforma alors en société en commandite : elle a gardé ce caractère depuis la mort de M. Leclaire en 1872 ; elle a deux gérans qui doivent posséder la moitié du capital et qui sont indéfiniment responsables des pertes ; elle possède en outre un conseil, appelé noyau, qui, en 1877, comptait 131 membres sur plus de 700 ouvriers employés. Tous ces derniers sont admis à la participation aux bénéfices. L’organisation de cette maison est très remarquable, mais on ne peut vraiment la classer parmi les sociétés coopératives. La loi même récemment votée par la Chambre des députés lui refuserait ce titre, ne serait-ce qu’à cause de la concentration de la moitié des actions dans les mains de deux gérans irrévocables.

La maison de quincaillerie Godin fut créée sous le régime du patronal individuel en 1840, et dotée par la libéralité de son chef de diverses institutions remarquables, dont l’une, qui date de 1860, est connue sous le nom de Familistère. M. Godin y introduisit en 1877 la participation des ouvriers aux bénéfices, non pas cependant pour tout le personnel, mais pour une partie. Dans les dernières années, M. Godin a transformé son établissement en une société anonyme qui, après la mort du fondateur, a aujourd’hui à sa tête Mme Godin. Cette société a une organisation très compliquée : le plan de M. Godin est que tout le capital social arrive avec le temps à appartenir aux ouvriers.

Plusieurs autres établissemens notables, ayant été constitués par des patrons individuels, hommes généreux et sans familles, les Grands Magasins du Bon-Marché par exemple, ont pris une organisation de même nature. Mais il est clair qu’on ne se trouve pas là en présence de véritables sociétés coopératives. C’est le patronat individuel qui a fondé ces établissemens ; c’est la générosité patronale qui, dans des proportions très diverses et suivant des combinaisons très variées, a admis les ouvriers ou les employés à la propriété. L’administration y reste encore très concentrée : l’expérience n’est pas assez longue pour juger des mérites de la transformation. Entre ces organismes et les véritables sociétés coopératives, il y a toute la différence qui existe entre une charte octroyée et une constitution démocratique pure.


III

On a voulu parfois imputer à la législation la lenteur des progrès de la coopération en France ou ailleurs. Toute la série des gouvernemens depuis 1848 s’est montrée cependant animée des intentions les plus bienveillantes à son endroit. On sait qu’un décret du 5 juillet 1848 mit trois millions à la disposition des sociétés ouvrières de production à titre de prêts. Le montant de ceux-ci varia de 3 000 à 250 000 francs par association, à l’intérêt modique, surtout pour l’époque, de 3 p. 100 jusqu’à 25000 francs et de 5 p. 100 au-dessus. La moitié environ des sommes ainsi avancées par l’Etat, sans compter les intérêts, ont été perdues ; il ne paraît, en effet, être rentré, en intérêts et capital, que 1700000 francs. L’expérience a été refaite depuis 1870 ; le Conseil municipal de Paris prête à ces associations une somme de près de 1 million et demi à lui léguée pour cet objet par un philanthrope, M. Rampal, traducteur de Schulze-Delilzsch. Ces bienfaits paraissent avoir plutôt un effet corrupteur qu’une vertu stimulatrice ou fortifiante.

Le montant exact du legs Rampal était de 1360000 francs ; de 1883 à 1890, on prêta 497000 francs à 50 associations ; en 1891, 27 de ces sociétés avaient péri, et les sommes à elles prêtées étaient perdues ou très compromises ; 23 autres de ces sociétés subsistaient, mais elles paraissaient gênées dans leur affaires, car sur les 243000 francs qu’elles avaient reçus, elles n’en avaient encore rendu que 22000. Ces précédens, peu favorables, n’ont pas empêché que le Parlement n’inscrivît une somme de 140000 francs au budget de 1893, et une somme égale au budget de 1894 pour « encouragemens aux associations ouvrières de production et de crédit. » La loi de 1867 a créé pour ces associations, sous le nom de sociétés à capital variable, un régime spécial leur conférant la personnalité juridique, abaissant à 50 francs, dont un dixième payable comptant, le montant des actions. On eût pu descendre jusqu’à 25 francs, et l’on eut le tort de limiter à 200000 francs le capital maximum des sociétés de ce genre. D’autre part, dans la pratique, on leur a accordé en fait de grandes faveurs, dont l’une, du moins, peut être considérée comme excessive et portant atteinte au principe d’égalité : on a exempté de la patente les sociétés coopératives de consommation ; c’est là un privilège et un abus, tout au moins pour celles de ces sociétés qui vendent à d’autres que leurs membres. On ne leur applique pas non plus l’impôt sur le revenu, sous le prétexte que leurs profits constituent une ristourne et non un dividende.

Les coopérateurs conservent toutefois des griefs contre la loi ou l’administration ; ils en énumèrent quatre : 1° les formalités trop onéreuses pour la constitution de la société ; bien que la loi n’exigeât pas explicitement d’acte authentique, c’est-à-dire notarié, et qu’elle se contentât d’un acte sous seing privé en double original, il fallait néanmoins recourir au notaire pour constater que le capital avait été versé effectivement, et. toutes les fois aussi qu’une société de production voulait traiter avec une administration publique, celle-ci exigeant la production d’un acte notarié ; il en résultait des frais de 4 à 700 francs ; 2° le chiffre trop élevé de l’action, que l’on désire voir abaisser de 50 francs à 20 ; 3° la limitation du capital social à 200000 francs, ce qui rend inaccessible à l’association coopérative la grande production ; 4° « l’emploi abusif du titre de coopératif par certaines entreprises purement commerciales désireuses de profiter des exemptions que ce titre confère. » Cette réclamation n’est pas sans fondement, surtout au point de vue de la confusion que l’abus de cette étiquette coopérative cause dans les idées du public et dans les statistiques ; mais il est assez difficile d’y remédier complètement. On l’a essayé cependant dans une loi votée par l’ancienne Chambre, mais qui n’a pas été adoptée encore par le Sénat[32].

La loi en projet ferait disparaître la plupart de ces griefs : les formalités d’origine sont simplifiées et consistent uniquement dans un dépôt des statuts au greffe de la justice de paix ou du tribunal de commerce ; le montant des actions peut être abaissé à 20 francs, il ne peut dépasser 100 ; le versement du dixième suffit pour la constitution de la société ; aucune limite n’est fixée au capital social. Il est stipulé que les actions doivent être nominatives et que personne ne pourra en posséder pour plus de 5 000 francs dans la même société. Cette clause de méfiance a un double objet : entraver l’évolution qui fend à transformer les sociétés coopératives prospères en sociétés anonymes pures et simples ; empêcher divers établissemens qui sont sous le régime du patronat, avec quelques modifications ingénieuses, de se couvrir du pavillon coopératif. En ce qui concerne le premier objet, il est à craindre que, comme toutes les lois qui portent atteinte à l’évolution naturelle, la loi récente ne soit tournée, ce qui est toujours possible, ou que la transformation des sociétés coopératives prospères en sociétés anonymes vulgaires n’en soit précipitée.

Cette transformation peut être aussi le résultat de la clause qui oblige les sociétés coopératives de production, sous peine de ne jouir d’aucune immunité fiscale, à admettre leur personnel à la participation, aux bénéfices dans la proportion de 50 pour 100 de ceux-ci, déduction faite, de l’intérêt du capital et des amortissemens. On a vu que presque toutes les sociétés coopératives anglaises sont opposées à la participation aux bénéfices, et il en est ainsi de nombre de françaises, surtout des plus florissantes.

Quelques lecteurs s’étonneraient peut-être si, dans une étude sur la coopération, nous passions sous silence une des institutions récentes qui se sont le plus développées dans notre pays, à savoir : les Syndicats agricoles. Autorisés par la loi du 21 mars 1884, ils ont bientôt foisonné ; au 1er juillet 1892, on en recensait 863 régulièrement constitués[33]. Très différens, par leur mode d’action, de la généralité des autres syndicats professionnels, les syndicats agricoles ne s’occupent pas uniquement de la représentation des intérêts communs de leurs membres ; ils procurent, pour la plupart, à chacun doux des avantages de l’ordre le plus tangible. Ils interviennent pour l’achat des engrais, des instrument agricoles, des matières diverses dont le cultivateur a besoin, le soufre, par exemple, le sulfate de fer ou de cuivre dans les pays viticoles. Ils livrent à leurs adhérons toutes ces substances d’une qualité plus pure, plus certaine du moins et à moindre prix que les agriculteurs isolés n’auraient chance, d’ordinaire, de les obtenir dans le commerce.

Ces syndicats, qui ont obtenu le plus grand succès, sont-ils, à vraiment parler, des sociétés coopératives ? On peut leur attribuer ce caractère ; ce sont plutôt, toutefois, des agences mutuelles qui réussissent d’autant mieux que leur but est plus précis et plus circonscrit. Peut-être, à la longue, certains de ces syndicats deviendront-ils le pivot d’un mouvement coopératif, embrassant le crédit agricole et la vente des denrées produites par leurs membres. Quelques-uns l’ont essayé, notamment pour le crédit. Ce sera pour eux une épreuve délicate.

Si l’on veut vraiment fonder le crédit agricole en France, ou n’a le choix qu’entre le type des sociétés Schulze-Delitzsch et le type des sociétés Raiffeisen, l’un s’inspirant plus des notions économiques, l’autre des sentimens charitables ; l’un visant plus à l’émancipation, l’autre s’appuyant sur le patronage. En tous cas, il faut rejeter impitoyablement toute subvention, toute direction, toute suggestion même de l’Etat, il convient de procéder localement, suivant la méthode des petits districts. Nous avons décrit plus haut comment, par des moyens divers, Schulze-Delitzsch et Raiffeisen sont arrivés au succès.


IV

Les expériences de la coopération dans les différens domaines depuis 1830 et surtout depuis 1844 sont maintenant assez nombreuses et assez anciennes pour qu’on puisse porter sur elles un jugement ayant bien des chances d’être définitif.

La coopération est un mécanisme ingénieux qui reproduit, à l’heure présente, l’évolution par laquelle ont passé les sociétés à leur premier âge. Elle groupe des hommes ayant plus de qualités personnelles que de capitaux ; grâce à une solidarité complète de droit ou tout au moins défait, elle leur permet d’émerger, d’améliorer leur position, dose faire parfois avec le temps une situation importante. La coopération est donc un excellent instrument de sélection.

Dans le domaine de la vente au détail, elle a obtenu des succès particulièrement remarquables ; elle a supprimé ou atténué plusieurs abus du petit et du moyen commerce, la majoration excessive des prix et la sophistication des marchandises. Dans celui du crédit, elle a ouvert des couches nouvelles, les plus profondes et les plus nombreuses, aux opérations de prêts, d’escompte et, d’une façon générale, à toutes les méthodes de banque. Même dans l’industrie, la coopération sous la forme des sociétés de production peut mentionner en sa faveur des succès dont quelques-uns sont éclatans, la filature de coton de Rochdale, l’association des lunetiers de Paris et nombre d’autres.

Si nombreux soient les services qu’elles ont rendus et ceux qu’on en attend, il n’y a, toutefois, dans la coopération qu’un procédé utile dans beaucoup de cas, et non un principe social rénovateur, Pour tous ceux qui étudient avec attention et impartialité les nombreuses expériences du dernier demi-siècle, il est constant que la vertu coopérative, pour chaque organisme coopératif constitué, s’atténue avec le temps et le succès, et finit par s’épuiser complètement. La coopération est une organisation de transition. Aux plus grandes associations de consommât ion d’Angleterre, déjà anciennes, en plein développement et longtemps citées comme modèles, les Magasins de l’armée et de la marine et les Magasins du service civil, un ardent coopérateur, M. Charles Gide, reproche d’être « organisés d’une façon fort incorrecte au point de vue des principes coopératifs. » On en pourrait dire autant de la plupart des sociétés actuelles de consommation en Angleterre, lesquelles n’admettent même pas leurs employés au partage des bénéfices ni au droit de vote dans les affaires sociales.

Les associations de crédit fondées par Schulze-Delitzsch, et qui ont maintenant quarante à cinquante années d’existence, sont, elles aussi, l’objet des plus vives critiques de la part des apôtres de la coopération, comme M. Henry Wolff et beaucoup d’autres. On soutient qu’elles ne sont plus, pour la plupart, que des sociétés anonymes pures et simples, se livrant à la spéculation, affrontant sans hésitation de gros risques et recherchant à tout prix les hauts dividendes.

Quant aux sociétés de production, les exemples des bijoutiers en doré et des lunetiers en France, de la filature de Rochdale, des filatures d’Oldham et de la plupart, des associations coopératives étudiées et décrites par miss Beatrix Potter en Angleterre, prouvent qu’au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de la ferveur des débuts, ces sociétés tendent aussi, surtout le succès venant, à se transformer en de simples associations de capitaux.

Ceux qui attendent de la coopération une rénovation sociale générale sont donc dans l’erreur ; l’expérience est sur ce point très probante.

De l’étude attentive du mouvement coopératif sous ses diverses formes depuis 1830, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie el ailleurs, de l’examen attentif de chacun des organismes coopératifs qui se sont constitués dans les soixante dernières années. il ressort avec une souveraine clarté que cette ingénieuse combinaison, la coopération, qui a existé dès l’enfance du monde, ne peut nullement aboutir, ainsi que le rêvent les coopérateurs mystiques, « à éliminer graduellement le salariat lui-même, en donnant aux travailleurs la propriété de leurs instrumens de production », et à remplacer tous les intermédiaires, « y compris l’entrepreneur », non plus qu’à « supprimer le droit du capital sur les profits ou dividendes en le réduisant à la portion congrue, l’intérêt[34]. » Le salarial reste la base de la société coopérative : aucune association de ce genre n’a encore eu l’idée inapplicable de le supprimer pour ses membres et de lui enlever ou de modifier son caractère légal de rémunération fixe, à l’abri de tout aléa, et irrévocable.

Quant à la part ou à la prédominance du capital, lorsque la société coopérative devient un peu ancienne et prospère, elle est graduellement amenée à reconnaître au capital tous les droits dont il jouit dans les sociétés ordinaires.

Il n’en est pas moins vrai que, tout en étant une organisation de transition, prompte, à dégénérer, la coopération est utile et susceptible d’applications nombreuses et profitables. Elle étend à de nouvelles couches les combinaisons économiques reconnues les plus avantageuses ; elle rend plus aisé l’essor de l’élite de la classe ouvrière. Si chaque organisme coopératif tend, avec le temps et le succès, à perdre son caractère originel, on peut constituer successivement, après la transformation des premiers, un grand nombre de nouveaux organismes du même genre qui remplacent les disparus ou les transformés. Cette éclosion successive peut rendre des services précieux. Elle est la vraie fonction de la coopération. Elle suffit pour classer ce mode d’association parmi les combinaisons nombreuses et recommandables qui, sous un régime d’absolue liberté économique et en l’absence de toute faveur corruptrice, peuvent être appliquées et propagées par les hommes prévoyans et énergiques. Il y a là un utile instrument de progrès social, non pas un germe de palingénésie.


PAUL LEROY-BEAULIEU.

  1. Voir la Revue du 1er novembre.
  2. Voir la Revue du 1er novembre.
  3. Cours d’économie politique à l’usage des ouvriers et des artisans, par Schulze-Delitzsch, traduit et édité par Benjamin Rampal ; Guillaumin éditeur, 1874.
  4. Henry W. Wolff, People’s Banks, page 64, London, 1893. Il ne s’agit dans le texte que des banques populaires qui ont fourni leurs comptes rendus ; ce n’est guère que le quart de celles qui existent. On estime, en effet, à 4 791 le nombre total de ces banques ; mais celles qui ne communiquent pas leurs opérations sont évidemment bien moins importantes que celles qui les font connaître.
  5. Ces chiffres comparatifs résultent du rapprochement du tableau publié à la page 341 de l’ouvrage de M. Rampal pour 1872 et des données recueillies par M. Wolff pour 1892.
  6. Ce chiffre est extrait des données de M. Wolff, People’s Banks, page 64. On peut se demander comment des institutions de crédit ne disposant en capital ou argent emprunté que de 728 millions de francs peuvent avoir à la fin de l’exercice une créance de 1 250 millions : c’est que sans doute elles se sont procuré un supplément de fonds en créant elles-mêmes des traites pour leur compte personnel.
  7. La loi de 1889, qui a réorganisé les sociétés coopératives en Allemagne, leur donne le choix entre la solidarité illimitée et la solidarité limitée. D’après le Jahresbericht (compte rendu annuel) de 1892, 4019 banques populaires ont opté pour la solidarité illimitée, et 232 seulement pour la solidarité restreinte ; le choix de quelques centaines de ces banques parait être resté inconnu. Il s’est trouvé, d’autre part, 1964 sociétés de production, 500 de consommation et 17 de construction pour la responsabilité illimitée, tandis que le principe opposé ralliait 331 sociétés de production, 474 de consommation et 98 de construction.
  8. Cours d’économie politique à l’usage des ouvriers et artisans, par Schulze-Delitzsch, traduit et édité par Benjamin Rampai, pages 162, 166 à 173, 177 et 183.
  9. On appelle bourgmestre (maire de carrière des fonctionnaires qui, moyennant traitement, se chargent d’administrer une ville où ils n’ont souvent aucun intérêt personnel. M. Miquel, aujourd’hui ministre des Finances de Prusse, fut un de ces bourgmestres de carrière et administra à ce titre la ville de Francfort.
  10. People’s Banks, page 71.
  11. Wolff, People’s Banks, page 71.
  12. M. Wolff est très formel à ce sujet : voir pages 73 et 85, People’s Banks.
  13. People’s Banks, p. 95 à 109. Voir notamment le paragraphe intitulé : Raiffeisen’s Triumph over Schulze-Delitzch, p. 118.
  14. Ibid., p. 71.
  15. On a vu que ces pertes s’étaient élevées à 1 237000 marks, plus de I 500 000 francs. en 1891-1892. Bien entendu, pour tout l’ensemble des associations, elles étaient beaucoup plus que compensées par les bénéfices. Mais, comme ces associations sont indépendantes les unes des autres, la situation d’un certain nombre a dû être très ébranlée, et plusieurs ont dû devenir insolvables. L’année précédente les pertes avaient été plus considérables.
  16. People’s Banks, p. 119.
  17. M. Léon Say a consacré d’intéressantes et vivantes études à la description des institutions de crédit populaire italiennes, voir notamment ses ouvrages : Dix jours dans la Haute Italie, 1883, et Le Socialisme d’État, 1884.
  18. Ce chiffre d’actions ne ferait que 8295300 francs : la différence, qui est d’ailleurs faible, a une cause que nous ignorons ; ce n’est pas que quelques-unes de ces actions ont été émises à prime, car la prime eût dû figurer à la réserve.
  19. People’s Banks, p. 157.
  20. Ibid., p. 135, note.
  21. Peoples Banks, pp. 165 et 166.
  22. Voir l’ouvrage intitulé : Sull’andamento del credito in Italia, relazione di Luigi Luzzati ; Milano, 1879, pages 25 à 32, notamment le chapitre intitulé Epilogo.
  23. Voir dans l’Almanach de la coopération pour 1868, pages 289 à 296, une étude très louangeuse sur cet établissement qui était à la veille de sombrer et qui néanmoins distribuait 5 pour 100 d’intérêt pour 1866 sur de prétendus bénéfices nets de 8 pour 100.
  24. De la coopération et des transformations qu’elle est appelée à réaliser, etc., pages 18 à 20.
  25. Methods of industrial Remuneration, p. 200 et 201.
  26. Gide, De la coopération et des transformations, etc. page 18, note.
  27. Schloss, Methods of Industrial Remuneration, page 214.
  28. Le chiffre d’affaires de cette filature s’est élevé, en 1890, à 191 928 livres sterling, 5 millions en chiffres ronds.
  29. Schloss, Methods of Industrial Rémunération, pages 205-206.
  30. Nous devons dire que, dans ces derniers temps, en France même, les coopérateurs sont arrivés à demander que « dans les associations coopératives de production » le directeur fût « nommé, sinon à vie, ce qui sentit le mieux, du moins pour de longues durées. » Qu’entend-on par ces mots « longues durées ? » C’est une période de quatorze à vingt et un ans. C’est là une conception tout à fait césarienne de la coopération ; ce serait transformer les sociétés coopératives en de véritables autocraties. (Voir le journal l’Émancipation, du 15 novembre 1893, pages 162 et 163.)
  31. Miss Potter, citée par Schloss, p. 228 à 230.
  32. Cette loi a été votée par la Chambre des députés le 7 juin 1889 ; le Sénat l’adopta avec quelques amendemens le 21 juin 1892 ; la Chambre la vota de nouveau, mais en y introduisant, de nouvelles modifications, le 27 avril 1893. Le Sénat en est actuellement de nouveau saisi ; voir les deux rapports successifs de M. Victor Lourties, sénateur.
  33. Annuaire des syndicats professionnels, 4e année, 1892, page XII.
  34. Revue d’économie politique, janvier 1893, page 17.