Eve Effingham/Chapitre 3

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Eve Effingham ou l’Amérique
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 16p. 26-35).


CHAPITRE III.


Tu es aussi sage que tu es belle.
Shakespeare.



Le capitaine Truck demanda la permission d’essayer ses nouvelles pinces en allumant un cigare, et sir George dit tout bas à Pierre d’aller demander aux dames si elles voulaient lui permettre d’aller les joindre. Leur consentement ayant été obtenu, le baronnet s’éclipsa tranquillement, et fut bientôt hors de l’atmosphère des différentes odeurs qu’on respirait dans la salle à manger.

— Vous ne trouverez ici ni encens, ni encensoir, dit Ève en riant, quand sir George entra dans le salon ; mais vous vous rappellerez que nous n’avons pas ici d’église établie, et nous n’osons prendre de telles libertés avec le cérémonial des autels.

— C’est une coutume qui n’a pas été adoptée chez nous depuis bien longtemps, quoiqu’elle soit loin d’être désagréable ; mais vous ne me rendez pas justice si vous supposez que je n’aie voulu que me dérober à la fumée de la salle à manger.

— Non, non ; nous comprenons parfaitement que vous aviez aussi en vue la fumée de la flatterie, et nous supposerons que vous avez dit tout ce que l’occasion exige. — Notre vieux et honnête capitaine n’est-il pas dans son genre un vrai bijou ?

— En vérité, puisque vous me permettez de parler des hôtes de votre père, je crois impossible qu’on réunisse deux hommes qui soient si complètement le contraire l’un de l’autre que le capitaine Truck et ce M. Aristobule Bragg. Ce dernier est la personne la plus extraordinaire que j’aie jamais eu la bonne fortune de rencontrer.

— Vous l’appelez une personne, Pierre l’appelle un personnage. Je crois qu’il regarde comme une affaire de hasard s’il passe sa vie dans une condition ou dans une autre. Mon cousin John m’assure que, tandis que cet homme est prêt à accepter tel emploi qu’on veuille lui confier, il ne croirait pas manquer aux convenances en aspirant au trône dans la White-House.

— Certainement, sans espoir d’y arriver.

— C’est ce dont je ne puis répondre. Il faut qu’il subisse bien des changements importants et qu’il s’opère en lui une révolution complète avant que la fortune puisse le porter si haut ; mais du moment que vous supprimez les droits du pouvoir héréditaire, la porte s’ouvre au chapitre des accidents. Alexandre, empereur de Russie, s’appelait un heureux accident, et si jamais la fortune nous donne M. Bragg pour président, nous n’aurons qu’à l’appeler un malheureux accident. Ce sera toute la différence.

— Votre républicanisme est inexpugnable, miss Effingham, et je renoncerai à toute tentative pour vous convertir à de meilleurs principes, d’autant plus que je vous trouve soutenue par votre père et votre cousin, qui, tout en blâmant tant de choses, semblent au fond singulièrement tenir au système qui s’y rattache.

— Ils blâment certaines choses, sir George, parce que, quoiqu’ils sachent qu’on ne peut atteindre la perfection, ils sentent qu’il n’est ni sage ni sûr de louer des défauts ; et ils sont attachés au système adopté dans ce pays, parce qu’en ayant vu d’autres de très-près ils se sont convaincus que, comparativement du moins, et quelque défectueux qu’il soit, il vaut mieux que celui suivi dans beaucoup d’autres.

— Je puis vous assurer, dit Grace, que la plupart des opinions de M. John Effingham particulièrement ne sont pas celles qui ont la vogue ici. Il blâme ce que nous approuvons, et approuve ce que nous blâmons. On regarde mon cher oncle lui-même comme ayant des idées un peu hétérodoxes sur ce sujet.

— Je puis facilement le croire, répondit Ève avec fermeté. Ces messieurs s’étant familiarisés avec de meilleures choses, quant au goût et à ce qui est purement agréable, ne peuvent faire tort à leurs connaissances au point de louer ce que leur propre expérience leur prouve n’être bon que relativement. Si vous réfléchissez un instant, Grace, vous reconnaîtrez qu’on préfère naturellement ce qui est à son goût jusqu’à ce que l’on connaisse quelque chose de meilleur, et qu’on critique aussi naturellement les choses désagréables qu’on trouve autour de soi, quoique ces choses, étant la suite d’un système politique que l’on connaît, puissent frapper l’esprit moins désagréablement que celles qui sont le résultat d’autres systèmes moins connus. En pareil cas, on aime ce qu’on a de mieux dans son pays, simplement parce qu’on le trouve chez soi, et l’on critique ce qu’on y remarque de pire. La nature des choses nous inspire un goût ou une répugnance pour elles sans que nous fassions aucune comparaison, et quand nous trouvons des points de comparaison, si nous apercevons quelque chose de mieux, ce goût disparaît, tandis qu’il est, je crois, dans la nature de l’homme de se plaindre de tout grief positif.

— Une république est odieuse !

Une république est une horreur !

Grace regardait une république comme odieuse, sans connaître aucune autre forme de gouvernement, parce qu’elle y voyait des choses odieuses, et mademoiselle Viefville appelait une république une horreur parce que l’anarchie régnait et que les têtes tombaient dans son pays pendant sa première lutte pour obtenir la liberté. Quoique Ève parlât rarement plus sensément, et ne s’exprimât jamais avec plus de modération qu’elle ne venait de le faire, sir George Templemore, la regardant en ce moment, douta que ses traits eussent cette délicatesse exquise qu’il avait tant admirée, et quand il se tourna vers Grace au moment où elle fit l’exclamation soudaine et absurde que nous avons rapportée, sa physionomie animée le fit penser, du moins pour l’instant, qu’elle était la plus jolie des deux.

Ève Effingham avait encore à apprendre qu’elle venait d’entrer dans la société la plus intolérante possible, considérée simplement comme société, et par comparaison avec ce qu’on appelle des sentiments libéraux dans toute la chrétienté. Nous ne voulons pas dire qu’il serait moins sûr d’exprimer une opinion généreuse en faveur des droits des hommes en Amérique qu’en tout autre pays, mais seulement que la résistance des hommes éclairés aux entreprises des ignorants y a amené une disposition d’esprit, — disposition qui est rarement juste et qui n’est jamais philosophique, — qui a fait naître une prévention silencieuse, mais presque unanime, contre les effets des institutions dans ce qui est appelé le monde. En Europe on énonce rarement une opinion de cette nature, dans des circonstances où l’on peut le faire sans danger, sans la voir généralement partagée par tous ceux qui l’entendent ; mais dans le cercle dans lequel Ève se trouvait alors, on considérait presque comme une violation des convenances de prétendre que la masse des hommes a des droits. Qu’on ne nous en fasse pas dire plus que nous ne voulons. Nous ne doutons pas qu’une grande partie de ceux qui pensent différemment ne le fassent sans y avoir réfléchi, ou d’après le motif très-naturel donné par notre héroïne. Tout ce que nous voulons faire entendre, c’est que telle est l’apparence que la société américaine présente extérieurement à tout étranger, et même à tout Américain qui revient dans sa patrie après avoir séjourné dans un pays étranger. Cela est-il sage, prudent, de bon goût ? c’est sur quoi nous ne nous expliquerons pas en ce moment ; nous nous bornerons à dire que l’exclamation de Grace produisit sur Ève un effet désagréable, et que, bien différente du baronnet, elle pensa que sa cousine ne lui avait jamais paru moins jolie que lorsque sa physionomie exprimait le sentiment qu’elle avait énoncé en ce peu de mots.

Sir George Templemore avait assez de tact pour s’apercevoir qu’il y avait une légère opposition dans les opinions de ces deux jeunes personnes, et il changea le sujet de la conversation. Relativement à Ève, il était tranquille du côté des provincialismes, et sans trop songer au parti que prendrait Grace dans une telle discussion, il choisit pour sujet, peut-être un peu maladroitement, l’état général de la société à New-York.

— Je voudrais savoir, dit-il, si vous avez ici vos cercles particuliers comme à Paris et à Londres ; si vous avez votre Chaussée-d’Antin et votre faubourg Saint-Germain ; votre Piccadilly et vos Grosvenor et Russell-Square ?

— Il faut que je vous renvoie à miss Van Courtlandt pour la réponse à cette question.

Grace rougit, car c’était pour elle une chose toute nouvelle d’être interrogée sur un pareil sujet par un étranger plein d’intelligence.

— Je ne sais si j’entends bien la question, dit-elle, quoique je craigne que sir George ne veuille demander si nous avons des distinctions dans la société.

— Et pourquoi le craignez-vous, miss Van Courtlandt ?

— Parce qu’il me semble qu’une telle question impliquerait des doutes sur notre civilisation.

— Il y a souvent plus de distinctions que de différences réelles, dit Ève. Même Paris et Londres ne sont pas exempts de cette folie. Sir George, si je le comprends bien, désire savoir si nous estimons les gens d’après les rues et les squares qu’ils habitent.

— Ce n’est pas tout à fait cela, miss Effingham. Je désire savoir si parmi les personnes qui peuvent passer pour être bien élevées, vous faites ces distinctions minutieuses qu’on trouve en d’autres pays ; si vous avez vos exclusifs et vos élégants ; ou si vous traitez tout le monde sur le pied de l’égalité.

Les femmes américaines sont très-jolies, dit mademoiselle Viefville.

— Il est impossible qu’il ne se forme pas des coteries dans une ville de trois cent mille âmes.

— Sans doute ; mais ne fait-on pas de distinction entre ces coteries ? L’une n’est-elle pas placée au-dessus de l’autre par l’opinion et par un consentement tacite, sinon par des règlements positifs ?

— On fait certainement la distinction dont parle sir George, dit Grace, qui prit plus de courage pour parler quand elle comprit mieux le sujet de l’entretien. Les anciennes familles, par exemple, se voient entre elles plus que les autres, quoiqu’il soit à regretter qu’elles n’y mettent pas plus de sévérité.

— Les anciennes familles ! s’écria sir George Templemore en appuyant sur ces mots autant qu’un homme ayant du savoir-vivre pouvait le faire en pareilles circonstances.

— Oui, les anciennes familles, répéta Ève avec toute l’emphase que le baronnet n’avait osé y mettre ; aussi anciennes du moins que deux siècles peuvent les rendre ; et, par leur origine, remontant aussi loin que les habitants du reste du monde. L’Américain a même une noblesse plus qu’ordinaire, puisque la sienne peut avoir pris racine dans celle d’Europe.

— Ne vous méprenez pas, miss Effingham ; je sais parfaitement que les habitants de ce pays sont à cet égard comme ceux de toutes les autres contrées civilisées. Ma surprise est que, dans une république, vous ayez même ce terme « anciennes familles. »

— Vous me permettrez de dire que votre surprise est venue de ce que vous n’avez pas assez réfléchi sur l’état véritable du pays. Il existe partout deux grandes causes de distinction, la fortune et le mérite. Or si une race d’Américains continue pendant plusieurs générations à se rendre remarquable par une de ces causes ou par la réunion de toutes deux, pourquoi ses descendants n’auraient-ils pas le droit d’être considérés comme membres d’anciennes familles, puisqu’ils sont précisément dans les mêmes circonstances ? L’histoire d’une république est aussi bien une histoire que celle d’une monarchie et un nom historique a droit à autant de considération dans l’une que dans l’autre. Vous admettez cette vérité dans vos républiques d’Europe, tandis que vous voulez la nier dans la nôtre.

— Je dois insister pour avoir des preuves. Si nous permettons qu’on nous accuse ainsi sans preuves, mademoiselle Viefville, nous serons vaincus par notre propre faute.

C’est une belle illustration que celle de l’antiquité, dit la gouvernante.

— Si vous insistez sur des preuves, que répondrez-vous au mot de Cupponi ? « Faites sonner vos trompettes, et je vais faire sonner mes cloches. » Et que direz-vous des Von Erlachs, famille qui pendant cinq siècles s’est toujours montrée prête à résister à l’oppression et aux invasions ?

— Tout cela est très-vrai, et cependant j’avoue que ce n’est pas sous ce point de vue que nous avons coutume de considérer la société américaine.

— Cependant je présume qu’un descendant de Washington, jouissant d’une réputation, et occupant ici une situation digne de ce nom, ne passerait pas tout à fait pour un homme du commun ?

— Si vous me serrez de si près, miss Ève, il faut que j’appelle miss Van Courtlandt à mon secours.

— N’attendez aucun appui de ce côté. Miss Van Courtlandt porte elle-même un nom historique, et elle ne renoncera pas à une fierté honorable pour tirer d’embarras une des puissances hostiles.

— Tout en convenant que le temps et le mérite doivent placer les familles sur le même pied en Amérique qu’en Europe, je ne vois pas qu’il soit d’accord avec vos institutions d’appuyer de la même manière sur les circonstances.

— Nous sommes parfaitement du même avis sur ce point ; car je crois que c’est l’Américain qui doit être le plus fier de sa famille.

— Vous paraissez aimer ce soir les paradoxes, miss Effingham ; car je suis très-certain que vous pourriez à peine soutenir cette assertion d’une manière plausible.

— Si j’avais ici mon ancien allié M. Powis, dit Ève touchant le garde-feu de son petit pied, et parlant d’un ton moins animé, mais plus doux et presque mélancolique, je le prierais de vous expliquer ce que je viens de vous dire, car il était singulièrement éloquent sur ce sujet. Mais, puisqu’il est absent, j’essaierai de le faire moi-même. En Europe, les places, le pouvoir, et par conséquent la considération, sont héréditaires, au lieu que dans ce pays-ci tout dépend des élections. Or, on doit être plus fier d’aïeux qui ont occupé des places éligibles, que d’ancêtres qui ne les ont remplies que par suite des accidents heureux ou malheureux de la naissance. La seule différence entre l’Angleterre et l’Amérique, c’est que vous donnez un rang positif, quand nous n’accordons que de la considération. L’estime est la base fondamentale de notre noblesse, et le grand sceau est celle de la vôtre. Et maintenant, ayant établi le fait qu’il existe d’anciennes familles en Amérique, voyons jusqu’à quel point elles ont de l’influence sur la société.

— Pour nous en assurer, il faut nous adresser à miss Van Courtlandt.

— Si l’on me demande mon opinion sur ce point, s’écria Grace avec vivacité, je dirai qu’elles en ont beaucoup moins qu’elles ne le devraient, car la grande multitude d’étrangers a complètement bouleversé toutes les convenances à cet égard.

— Et cependant, reprit Ève, j’ose dire que ces étrangers nous sont utiles. Un grand nombre d’entre eux doivent avoir été des gens respectables dans leur pays natal, et sont par conséquent une acquisition désirable pour une société qui, par sa nature, est nécessairement tant soit peu provinciale.

— Oh ! s’écria Grace, je puis tout tolérer excepter les hadgis.

— Les quoi ? demanda sir George. Me permettrez-vous de vous demander une explication, miss Van Courtlandt ?

— Les hadgis, répéta Grace en souriant, mais rougissant jusqu’au front.

Le baronnet regarda tour à tour les deux cousines, et jeta ensuite un coup d’œil sur mademoiselle Viefville, comme pour lui demander une explication. La gouvernante fit un léger mouvement d’épaules, et parut elle-même en désirer une.

— Les hadgis, sir George, dit enfin Ève, forment une classe dont vous et moi nous avons l’honneur de faire partie.

— Non, non, pas sir George Templemore, s’écria Grace avec une vivacité qu’elle regretta à l’instant même ; il n’est pas Américain.

— En ce cas je suis la seule ici qui aie cet avantage. — Ce terme s’applique, sir George, à ceux qui ont fait un pèlerinage, non à la Mecque, mais à Paris ; et le pèlerin doit être Américain et non musulman.

— Mais vous-même, Ève, vous n’êtes pas hadgi.

— Il y a donc pour mériter ce titre quelque condition que je ne connais pas encore ? Instruisez-nous, Grace, et faites-nous connaître les traits caractéristiques de cet animal.

— Vous êtes restée trop longtemps à Paris pour être hadgi. Il faut n’être qu’inoculé, et non pas avoir gagné la maladie et en être guéri, pour être un véritable hadgi.

— Je vous remercie de cette description, miss Van Courtlandt. Comme j’ai eu la maladie, j’espère qu’elle n’a laissé aucune trace.

— J’aimerais à voir un de ces hadgis, s’écria sir George. Y en a-t-il des deux sexes ?

Grâce sourit et fit un signe de tête affirmatif.

— Aurez-vous la bonté de m’en montrer un, si nous sommes assez heureux pour en rencontrer ce soir ?

Grace répondit de la même manière.

— Je pense, Grâce, dit Ève après quelques instants de silence, que nous pouvons donner à sir George une idée plus juste d’une société qui lui inspire tant de curiosité, en faisant ce qui n’est pour nous qu’un devoir, et en lui permettant de profiter de cette occasion. Mistress Hawker reçoit ce soir sans cérémonie ; nous n’avons pas encore rendu la visite de mistress Jarvis ; il me semble que nous pourrions passer chez toutes deux, et nous serons encore à temps pour le bal de mistress Houston.

— Sûrement, Ève, vous ne voudriez pas conduire sir George Templemore dans une maison comme celle de mistress Jarvis ?

— Je ne veux conduire sir George nulle part ; car vos hadgis ont des idées qui leur sont propres sur de tels sujets mais comme mon cousin John nous accompagnera, il peut fort bien lui accorder cette faveur importante. J’ose dire que mistress Jarvis ne croira pas qu’il prend trop de liberté.

— Je puis vous en répondre. Rien de ce que peut faire M. John Effingham ne sera regardé comme déplacé par mistress Jared Jarvis. Il occupe dans la société une position trop bien établie, et celle de cette dame est trop équivoque pour laisser aucun doute à ce sujet.

— Voilà qui décide la question des coteries, dit Ève au baronnet. On pourrait écrire des volumes pour établir les principes ; mais quand un homme peut faire tout ce qu’il lui plaît, et aller où bon lui semble, on peut dire, sans craindre de se tromper, qu’il est privilégié.

— Cela est très-vrai quant au fait, miss Effingham ; mais j’aimerais beaucoup d’en savoir la raison.

— De pareilles choses se décident souvent sans aucune raison.

— Vous êtes un peu exigeant en demandant à New-York une raison pour ce qu’on fait à Londres sans en avoir aucune. Il suffit que mistress Jarvis sera enchantée de vous voir sans invitation, et que mistress Houston croirait du moins un peu étrange que vous prissiez la même liberté avec elle.

— Il s’ensuit, dit sir George en riant, que mistress Jarvis est celle des deux qui a le plus d’hospitalité.

Et que ferons-nous du capitaine Truck et de M. Bragg ! Ève ? demanda Grace ; nous ne pouvons les conduire chez mistress Hawker.

— Il est vrai qu’Aristobule serait un peu hors de sa sphère dans une telle maison ; mais quant à l’excellent, brave et honnête capitaine, il ne peut être déplacé nulle part. Je serai enchantée de le présenter moi-même à mistress Hawker.

Après une courte consultation entre les deux cousines, il fut décidé qu’on ne parlerait pas des deux premières visites à M. Bragg, mais qu’on prierait M. Effingham de l’amener au bal à l’heure convenable, et que le reste de la compagnie partirait sans avoir rien dit du projet qui venait d’être arrêté. Dès que cet arrangement eut été convenu, les dames se retirèrent pour faire leur toilette, et sir George passa dans la bibliothèque pour s’amuser à lire ; mais John Effingham ne tarda pas à aller l’y joindre. Le baronnet fit retomber la conversation sur les distinctions dans la société, et il parla sur ce sujet avec cette confusion d’idées qui caractérise les Européens quand ils veulent appliquer leurs principes à l’Amérique.