Eveline, Aventure et intrigues d’une miss du grand monde/Chapitre IV

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Chez tous les Marchands de Nouveautés, Paris, 1907
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CHAPITRE IV

MES EXCURSIONS — SINGULIÈRE RENCONTRE — LE BAL MASQUÉ — LA GROTTE — SIR EDWARD


Le soir, après avoir fait ma toilette de nuit, je priai Sophie de me laisser ma bougie allumée, voulant lire un peu pour m’endormir ; mais à peine fut-elle partie que je jetai un châle sur mes épaules, allumai ma lanterne, éteignis ma bougie, m’assurai que ma porte était bien fermée contre toute indiscrétion, pris le passage souterrain et me trouvai bientôt dans le petit temple. Pour aller aux écuries, je n’avais qu’une vingtaine de mètres à faire dans une allée bordée d’épais buissons ; comme il pleuvait, je courus plutôt que je ne marchai jusqu’à la porte que je trouvai entr’ouverte, je la poussai et me sentis saisir par Thompson entièrement nu.

— Fermez la porte au verrou, Thompson.

— Ce n’est pas la peine.

— Mais si, supposez qu’une de vos conquêtes vienne vous surprendre !

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, charmante Éveline.

— Je veux dire que je suis toute mouillée, que j’ai froid, et que j’aurais bien besoin d’une chaleur extérieure pour me sécher et me réchauffer.

Thompson me prit dans ses bras robustes, comme si j’étais une enfant, et me monta dans sa chambre où il y avait de la lumière ; il me débarrassa de mon châle et de ma chemise et je me vis dans le même costume que le sien. Ainsi nus tous deux, sa forme herculéenne formait un contraste frappant avec mon corps mince et fluet ; nous ressemblions à Hercule et Déjanire dans les écuries d’Augias.

Thompson me levant dans ses bras, me plaça à cheval sur ses hanches, soutenant mon dos avec sa main gauche et mes fesses de la main droite. Je jetai mes bras autour de son cou et je m’empalai moi-même sur le monstrueux membre qui me procura de tels délices que je m’évanouis de volupté.

— Thompson, mettez-moi sur le lit maintenant.

— Faut-il me retirer ?

— Mais non, vous pouvez bien me coucher sans vous retirer.

— J’ai peur d’être trop lourd pour vous.

— Soyez sans crainte, je peux très bien vous supporter.

Car il est à remarquer, cher lecteur, qu’une faible enfant de dix-sept ans qui ne pourrait porter vingt livres, supporte parfaitement un homme fort et musculeux sur sa poitrine sans en être incommodée.

— Est-ce que je vous fais jouir, ma chère ?

— Délicieusement, mon cher Thompson, ah !… ne déchargez pas sans moi… attends… oh ! Ciel !… quelle volupté !… Oh ! Oh ! me seras-tu fidèle, Thompson ?

— Toute ma vie, chère et adorée Éveline.

Après quelques instants de repos, Thompson voulut me faire jouir d’une autre manière, il me fît placer sur lui de façon à ce que mon con fût placé directement au-dessus de sa bouche ; il y enfonça sa langue, me léchant, me suçant, me procurant une sensation enivrante ; pour ne pas être en reste, je saisis sa pine entre mes lèvres, la frottant, la roulant jusqu’à ce que la liqueur en jaillit en m’inondant d’un jet brûlant que j’avalai entièrement.

Vers trois heures du matin, je me retirai car j’avais peur de m’endormir, ce qui aurait été fort dangereux. Thompson qui, malgré les cinq fois qu’il m’avait possédée, voulait encore me retenir, y consentit après que je lui eus promis que je reviendrais peut-être le lendemain soir, et, après lui avoir fait promettre de ne pas me suivre, je partis.

Je me plongeai avec bonheur dans mon lit, où je goûtai un profond sommeil, qui me rendit fraîche et rose le lendemain matin comme la déesse des amours.

Robert était arrivé d’Orléans pendant la nuit, je m’arrangeai de façon à ce que ma mère, voulant se faire accompagner par lui à Versailles, où elle allait voir une amie, le laissât à la maison pour se reposer. Quand je fus assurée que ma mère était partie, emmenant sa femme de chambre, je donnai à la mienne plusieurs commissions qui devaient la tenir quelques heures dehors et j’allai trouver Robert qui était couché.

— Allons, paresseux, levez-vous et venez dans ma chambre.

Il ne se fit pas prier et vint bientôt me retrouver vêtu seulement de sa chemise, qui se soulevait devant lui à un angle de quarante-cinq degrés.

— Eh bien, monsieur Robert, combien de fois avez-vous fait l’amour depuis que vous m’avez quittée ? Je vais bien voir si vous m’avez été fidèle.

Je pris son vit dans ma bouche et à peine l’avais-je sucé qu’une épaisse liqueur en jaillit, j’en trouvai le goût plus épicé que celle de Thompson.

Je me couchai ensuite sur le sofa et je l’attirai sur moi, j’introduisis son membre dans mon con et en moins de trois minutes, il déchargea encore. Sans sortir, il resta quelque temps immobile, puis recommença de nouveau à s’agiter et une troisième libation me convainquit de la fidélité de Robert.

Je le renvoyai alors, craignant qu’une plus longue séance n’éveillât les soupçons, et je lui donnai de l’argent pour m’acheter une paire de pistolets avec de la poudre et des balles qu’il devait me remettre le soir.

Après son départ, Sophie revint accompagnée du tailleur que j’avais fait mander, et auquel je commandai une suite d’habits, soi-disant pour mon frère, en lui recommandant de les faire un peu plus grands, parce que l’enfant grandissait tous les jours.

Le soir, à minuit, Robert arriva chargé des pistolets et des balles qu’il avait très bien choisis les pistolets étaient petits, faciles à cacher, de vrais bijoux.

Robert ne me laissa pas le temps de les examiner beaucoup, se déshabillant en un tournemain, il m’eut bientôt mise dans le même état. Il me prit alors dans ses bras, marbrant ma chair de baisers pareils à des morsures et me porta en travers du lit ; j’appuyai mes pieds sur ses épaules, et dans cette posture je me pâmai de volupté et de luxure ; le reste de la nuit ne fut qu’une longue étreinte d’amour, qu’une félicité sans cesse renaissante dans les embrassements vigoureux du robuste garçon.

Le lendemain, mon père revint d’Angleterre avec une lettre de Frédéric pour moi, une lettre passionnée, brûlante, dans laquelle le cher garçon, en termes ardents, parlait de nos plaisirs passés. Le soir, je prétextai un violent mal de tête pour me retirer de bonne heure, je renvoyai ma femme de chambre et m’enfermai dans ma chambre. Je revêtis alors les habits que le tailleur avait apportés et qui me donnaient l’air d’un joli garçon, je cachai un pistolet sous mon manteau et je pris sans trembler le passage souterrain et je me trouvai bientôt dans la rue. Une misérable femme m’appela pour aller avec elle, je lui donnai cinq francs et les bénédictions qu’elle me donna me firent du bien, il me semblait que cette bonne action contrebalancerait un jour les nombreux méfaits que j’aurais sur la conscience.

Le cœur plus léger, j’entrai hardiment au Palais Royal où je me procurai quelques objets indispensables à ma nouvelle condition. De là, je cherchai un appartement que je trouvai rue du Mont-Blanc, et que je louai sous le nom du chevalier de Saint-Albin, en prévenant que je ne viendrais pas tous les jours, mais qu’on reçoive les lettres et les paquets à mon adresse. Cela fait, je rentrai à l’hôtel, et me rappelant que j’avais mis une robe bleue, je me dirigeai vers les écuries après avoir repris les vêtements de mon sexe. Thompson m’attendait et m’attrapant dans ses bras, il me coucha sur le foin, où il m’enfila prestement. Nous allions décharger quand un coup frappé au volet nous fit bondir, une voix appela Thompson, c’était celle de ma mère.

— Ah ! vous me trahissez, Thompson.

— Ah Dieu ! non, que le diable emporte la vieille, elle vient toujours m’ennuyer.

— Pourquoi la trompez-vous alors ?

— Parce qu’elle vient toujours m’asticoter.

— Cachez-moi dans le foin et faites-la entrer, autrement elle restera toute la nuit et je ne pourrai pas m’en aller.

— Ah ! nom de Dieu ! je le ferai pour vous et pour elle.

Il me couvrit avec beaucoup de foin, et alors ouvrit la porte.

— Pourquoi avez-vous fermé la porte, Thompson ?

— Parce que je n’avais pas besoin que vous veniez ici.

— Manant, pourquoi m’avez-vous séduite, alors ?

— C’est vous qui m’avez fait les avances, maintenant il faut rompre car si Sir C… découvrait tout ceci, je serais un homme perdu !

— Ah monstre ! vous voulez donc me réduire au désespoir en m’abandonnant.

— Je veux surtout éviter les malheurs qui pourraient nous arriver, et puis du reste j’en ai assez, je veux en finir.

— Cruel ! tu as sans doute un autre amour, mais si tu romps avec moi, tu quitteras la maison… Voyons, montons dans ta chambre, veux-tu ?

— Oui pour cette fois, mais…

— Pas de mais, Thompson, vous continuerez ou vous vous en irez.

J’entendis Thompson grommeler entre ses dents que si ce n’était pour l’amour de quelqu’un, il la prendrait au mot et s’en irait ; puis ils montèrent tous deux dans la chambre.

Je me glissai aussitôt hors de ma cachette et m’élançai à travers le jardin. Une idée diabolique s’était emparée de moi, c’était de remplacer ma mère auprès de mon père, je me glissai dans son lit pour me réchauffer ; au bout de quelques instants, je m’approchai du lit de mon père et me penchant sur lui, je déposai un baiser sur ses lèvres.

Il s’éveilla à moitié et m’attira vers lui en murmurant :

— Venez donc, ma chère femme.

Je me glissai dans le lit, nos lèvres se rencontrèrent, ce fut une sensation délirante, il leva alors ma chemise pendant que je me saisissais de son membre qui était dur et raide, et que je l’introduisais doucement ; au bout de quelques spasmes nous déchargeâmes ensemble, mais je me gardai bien de proférer un seul cri.

— Ma chère, murmurait mon père, vous ne m’avez jamais donné tant de plaisir.

Sans répondre, je continuai à baiser ses lèvres, à caresser son corps, aussi une seconde offrande à l’autel de l’amour s’imposait : je la reçus toujours avec la même ardeur et le même mutisme. Je retournai alors au lit de ma mère où je demeurai quelques instants immobile, sa respiration m’avertit bientôt qu’il dormait, j’en profitai pour m’esquiver doucement dans ma chambre ; bientôt, j’entendis des pas légers, c’était ma mère qui rentrait, je volai aussitôt aux écuries où je trouvai Thompson endormi, je l’embrassai pour l’éveiller.

— Qu’est-ce que vous venez m’ennuyer encore ?

— Vraiment, je vous ennuie !

— Oh Dieu ! c’est vous, mon ange, j’ai cru que c’était la vieille.

— Faites attention à vos paroles, c’est ma mère.

— Eh bien, pourquoi me force-t-elle à la foutre ?

— Il est probable que vous n’auriez aucun scrupule de baiser la mère et la fille dans la même nuit, mais faites attention qu’il faut absolument que vous choisissiez entre elle et moi ; pour le moment, je crois que vous avez eu assez de plaisir, bonsoir, je vais me coucher.

Mais Thompson me pria tant et si bien, me promettant de rompre avec ma mère que je cédai et restai avec lui jusqu’à trois heures du matin, après avoir reçu trois nouvelles preuves de sa vigueur.

Quelle nuit voluptueuse et impudique ! Quoi, Éveline, votre père ! Oui, mon père, l’auteur de mes jours, le protecteur de mon enfance, l’ami qui m’aime, qui m’adore, qui m’idolâtre.

Eh bien ! quel est celui qui a plus de droit à mes caresses que celui qui concentre tout son bonheur en moi. Mais, me direz-vous, et les liens du sang ! Justement, je trouve que ces liens m’autorisent à cela ; qui peut aimer mieux que l’homme qui m’a élevée, qui m’a chérie depuis ma plus tendre enfance !

Les lois de la nature vous condamnent, me direz-vous ! Pas du tout, elles m’excusent, au contraire, ne voit-on pas la génisse souffrir les approches du taureau qui l’a engendrée, le coq engendrer sa progéniture ?

Les lois de la religion vous blâment. Naturellement, mais ces lois sont faites pour les dévots à l’imagination faible et au tempérament froid, elles ne sont pas pour moi. Et si vous remontez dans l’antiquité, ne voyez-vous pas les Perses, les Égyptiens, les Mèdes, épouser publiquement leurs mères, leurs sœurs et leurs filles. Même de nos jours, ne voit-on pas les peuplades du nord de l’Asie former de telles alliances ?

Mais enfin, si c’est un crime de recevoir d’un père ou d’un frère la semence de vie, c’est à cet être suprême dont vous invoquez l’autorité qu’il faut s’en prendre. Je suis jeune, je suis belle, je suis riche, je suis voluptueuse, tous ces dons, je les ai reçus du Ciel, non pas dans le but de me rendre malheureuse, ce qui serait contraire à sa sagesse, mais pour qu’ils concourent tous au bonheur de ma vie. Pourquoi alors me priverais-je des plaisirs sans lesquels l’existence serait décolorée ? Pourquoi ne pas jouir de ces voluptés qui me sont aussi nécessaires que l’air que je respire ? Quand il a faim ou soif, l’animal cherche sa nourriture ; ainsi, quand mes passions s’élèvent en tempête et ravagent tout mon être, il faut que je les satisfasse. Mes désirs sont indomptables, ils brûlent mes entrailles, bouleversent ma raison, et me priver de leur apaisement serait me priver de la vie.

Mon père et ma mère avaient formé le projet d’aller au bal masqué de l’Opéra et de m’emmener ; mais voulant m’y rendre seule et dans un costume de mon goût, je refusai obstinément de les accompagner, prétextant un dégoût insurmontable pour ces sortes de divertissements. J’en profitai néanmoins pour me faire remplir ma bourse par mon père qui m’appela petite prodigue, dépensière, mais qui me donna ce que je voulus en échange d’un baiser. Je me jetai dans ses bras. Je posai mes lèvres sur les siennes et lui donnai un long baiser qui sembla rappeler à ses sens une sensation nouvelle, quelque plaisir récent. Pour la première fois de sa vie, il me fixa d’un regard étrange. Je renouvelai le baiser, ses yeux brillèrent de cette flamme de luxure que je connaissais si bien ; je l’embrassai une troisième fois, mais après m’avoir rendu mon baiser, il quitta vivement la chambre.

Vers onze heures, mon père me fit demander si je voulais faire une promenade en voiture avec lui, j’acceptai.

Le tablier de la voiture étant mis, nos genoux se touchaient, et je sentais mon père ému et agité, mais nous ne parlâmes presque pas jusqu’à Saint-Germain, où nous descendîmes dans un hôtel pour prendre une collation. Le temps était froid, mon père s’assit près du feu, je me tenais droite à côté de lui, il passa son bras autour de ma taille.

— De tous vos beaux amoureux, quel est celui qui vous plaît le plus, ma chère Éveline ?

— Aucun, cher père, je n’en ai pas vu un seul qui vous ressemble.

— Petite flatteuse, vous me faites regretter d’être votre père.

Je m’assis sur ses genoux et je sentis quelque chose de dur qui m’avertit que mon père était en proie aux désirs lascifs, qu’il comprimait par ses préjugés. Sa main tremblait si violemment qu’il dut renoncer à me servir. Je jouissais avec délice de son trouble, et je posai mes lèvres sur les siennes, il me serra avec force sur son cœur, son agitation était excessive, mais brusquement il se leva et dit :

— Allons, Éveline, retournons à Paris, l’air de cette chambre est mauvais.

Nous revînmes silencieusement, mon père était sombre, et moi je voyais bien que le moment n’était pas venu.

Le soir, je m’habillai en homme et je retournai au Palais Royal faire les achats nécessaires au costume que je voulais mettre au bal de l’Opéra. J’eus rapidement fait, mais quand j’entrai chez le cordonnier où je commandai des pantoufles en tissu d’or, celui-ci s’émerveilla de la petitesse de mon pied, disant qu’il n’avait jamais rien vu de pareil, que beaucoup de duchesses voudraient bien avoir le pareil et que c’était un véritable plaisir pour lui de le chausser.

— Allons, monsieur le cordonnier, trêve de compliments, me prenez-vous pour une femme ?

— C’est bien heureux que vous n’en soyez pas une.

— Pourquoi cela ?

— Parce que tous les hommes perdraient la tête.

Je pris congé du cordonnier enthousiasmé et je rentrai à l’hôtel comme une heure sonnait. Je me déshabillai, je pris ma lanterne et me rendis aux écuries, j’entrai doucement, voulant surprendre Thompson, je marchai sur la pointe des pieds. Tout à coup, j’entendis la voix de ma mère qui se pâmait sous les baisers du cocher.

— Ah ! ah ! très bien, mon garçon, je vous punirai.

Je retournai dans ma chambre, indécise ; irais-je trouver mon père ? non, décidément, une parole échappée pourrait me faire reconnaître. Je me dirigeai vers la chambre de Robert. Je l’éveillai par un baiser et me glissai dans son lit. En un instant, il fut sur moi, et avant que je n’eus le temps d’introduire son membre, il me couvrit la poitrine d’une forte décharge.

— Dieu ! Robert, comme vous êtes chaud, vous êtes plus brûlant que le soleil de votre pays.

— Je n’ai pas pu me retenir, mademoiselle.

— C’est bien, mettez-le maintenant et ne soyez pas si prompt.

— Il y a si longtemps que vous ne m’avez appelé vers vous, chère maîtresse, que je n’ai pu me retenir.

— Oh ! cher Robert, je me meurs !

Il venait de décharger une seconde fois, suivant sa bonne habitude, il ne déconna pas et recommença à me faire jouir, allant lentement, doucement, faisant durer le plaisir longtemps, je jetai mes jambes autour de lui et nous déchargeâmes ensemble.

Je me souvins alors que la chambre de Robert était trop dangereuse pour y rester, je l’emmenai dans ma chambre où je pouvais le cacher en cas d’alerte et nous passâmes une folle nuit de volupté.

Avant de partir, je demandai à Robert de m’apporter une petite vessie d’agneau pleine de sang, et de me la faire parvenir le plus tôt possible.

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À neuf heures, mes parents s’en allèrent ; mon père portait un domino noir, ma mère était costumée en Suissesse. Je me retirai dans ma chambre, sous prétexte de fatigue, je pris un livre et congédiai ma femme de chambre.

Vers dix heures, je me relevai, je m’habillai en homme et je me dirigeai vers mon logement.

Je trouvai tout ce que j’avais commandé la veille, je payai mes fournisseurs, et m’assurai d’une voiture pour la nuit. Au même instant, le cordonnier arriva et tint absolument à ce que j’essayasse devant lui les pantoufles.

— Monsieur le cordonnier, je crois que décidément vous êtes amoureux de mon pied.

— C’est le plus beau que j’aie jamais vu, mademoiselle… monsieur, veux-je dire.

Tout en m’essayant, sa main s’égarait un peu plus haut que ce n’était nécessaire ; l’attouchement de cette main d’homme qui croyait toucher la jambe d’un autre homme me fit vibrer comme une femme, d’autant plus que mon admirateur avait tout à fait bon air et semblait jouir d’une bonne santé.

— Voulez-vous me permettre de vous servir de valet de chambre, monsieur ?

La nouveauté d’avoir un cordonnier pour valet de chambre me plut ; comme il y avait un bon feu dans la pièce, je me fis déshabiller sur le sofa ; à mesure que mes vêtements tombaient, je voyais les yeux de l’homme briller d’une étrange manière ; quand il en fut à mes bas, ses mains montèrent si haut qu’elles touchèrent ma fourrure ; en même temps, je me couchai sur le sofa et il se jeta sur moi ; nous nous étreignîmes avec passion, aussi la jouissance fut rapide et délicieuse. Je lui fis promettre le secret et lui promis que je l’attendrais la semaine suivante pour lui prouver plus amplement mon amour.

Il me promit tout ce que je voulus, non sans m’avoir couverte de baisers passionnés sur tout le corps. Quand il fut parti, je revêtis mon costume, laissant mes cheveux bouclés flotter sur mes épaules.

Pendant ce temps, la voiture était arrivée, je me fis conduire à l’Opéra et je recommandai au cocher de m’attendre exactement à l’endroit que je lui indiquai.

J’eus un succès colossal dans mon costume de princesse péruvienne ; tous les yeux étaient sur moi, des exclamations enthousiastes exaltaient chaque partie de mon corps, j’étais une beauté, un ange, une perfection. Les rois, les empereurs, les sultans, les guerriers, les clowns, les marins, les valets, les paysans m’entouraient, me pressaient, m’offraient des rafraîchissements et m’invitaient à danser. Je choisis comme partenaire le duc de M… que je reconnus déguisé en guerrier romain.

Pendant que je dansais, un domino noir et une Suissesse vinrent se placer derrière moi, m’admirant, et j’entendis le domino dire :

— Quelle belle créature ! elle ressemble à notre Éveline.

Je dansai encore plusieurs fois, puis à une heure, je me retirai, je passai rue du Mont-Blanc pour me déshabiller. J’étais rentrée depuis quelques minutes à l’hôtel quand j’entendis la voiture qui ramenait mes parents.

Dans l’après-midi du lendemain, désirant faire une promenade à cheval, je me fis accompagner par John.

— John, connaissez-vous quelques jolies promenades dans le bois de Vincennes ?

— Oui, mademoiselle, il y a une grotte naturelle tout à fait remarquable.

— Est-ce loin dans le bois ? y a-t-il du danger ?

— Pas que je sache, mademoiselle.

— Eh bien, montrez-moi le chemin.

Nous marchâmes un quart d’heure environ dans un chemin sombre et couvert, puis nous arrivâmes à la grotte ; les chevaux furent attachés, et je pénétrai, suivie de John, dans une grotte où était une fontaine limpide comme du cristal.

— Quelle belle fontaine ! est-ce que l’eau est froide ?

— Pas du tout, mademoiselle, elle est toujours chaude dans cette saison.

— Eh bien, j’ai envie de prendre un bain.

— Qu’est-ce qui vous en empêche, mademoiselle ?

— Mais je n’ai personne pour lacer mon corset.

— Eh bien ! et moi, mademoiselle, je peux très bien le faire.

John plia sa lévite et la posa à terre pour m’en faire un siège ; je lui ordonnai alors d’aller se cacher derrière les buissons, jusqu’à ce que j’eus pris mon bain, disant que je l’appellerais quand j’aurais besoin de lui. Je me déshabillai et dans ma nudité je ressemblais à la naïade de la fontaine ; je m’aperçus que John regardait à travers les feuilles et commençait à se dévêtir. J’entrai alors dans l’eau qui était chaude et me procura une douce sensation.

— John ! John ! au secours, je perds pied.

— Grand Dieu ! mademoiselle, quelle peur vous m’avez fait !

Et en même temps, il m’enlaça dans ses bras.

— Mais vous êtes nu, John !

— Je me suis déshabillé pour me jeter à l’eau, mademoiselle.

— Eh bien ! que faites-vous donc, John ? voulez-vous rester tranquille !

— Ah ! chère Éveline, comme vous êtes belle !

— Ah ! vous allez me faire tomber, John, ah ! cher… John… vous me faites mourir…

Et sous la caresse de l’eau qui baignait nos deux corps, nous nous abandonnâmes aux spasmes d’une volupté aiguë. Lorsque je repris ma raison, j’eus l’air effrayée de ce que nous avions fait. John me promit la plus grande discrétion.

Il m’enleva alors dans ses bras pour me déposer sur le gazon, il s’assit à côté de moi, couverts tous les deux par sa lévite. Au bout d’un quart d’heure nous étions complètement séchés, et John voulut recommencer. J’y consentis, je me mis à quatre pattes pour lui permettre de me le mettre par-derrière, mais il resta si longtemps avant de décharger, que je ne pus m’empêcher de faire des comparaisons avec Robert et Thompson ; je m’habillai à la hâte et nous reprîmes nos chevaux ; j’étais dans un état d’irritation extrême, ma passion n’était pas satisfaite, et quand j’arrivai, je dus songer à m’habiller, car nous avions du monde à dîner, mais je brûlais de désirs.

Je trouvai néanmoins un prétexte pour éloigner ma femme de chambre et faire monter Robert dans ma chambre. À peine fut-il entré que je lui dis :

— Robert, donnez-moi rapidement une preuve de votre amour.

J’avais à peine parlé qu’il était prêt. Pour ne pas me chiffonner, car j’étais habillée, j’appuyai mes deux coudes sur le lit et tendis mes fesses du côté de Robert.

Il souleva mes robes avec précaution et introduisit son membre qui, instantanément, me fit oublier le monde terrestre, je jouis délicieusement ; par deux fois encore, le vaillant garçon me fit mourir de volupté, tout le temps il m’avait tenue par les hanches sans s’appuyer sur moi.

— Assez, assez, Robert, il faut que je descende, à ce soir, à minuit.

Je ne pris même pas la peine de me laver, pensant que ce serait dommage de mêler cette riche semence au goût épicé à de l’eau froide et insipide et je descendis au salon, fraîche comme une rose et les yeux brillants.

L’amoureuse liqueur avait répandu dans mes veines une sensation délicieuse, une douce chaleur qui me rendait plus légère et plus colorée.

Sir Edward H…, un gentleman anglais, l’un des amis les plus intimes de mon père, colonel dans l’armée anglaise, me complimenta particulièrement sur la vivacité de mes regards ; je rougis presque, car je savais bien à qui je les devais, et je fus reconnaissante au colonel de son attention qu’il ne m’avait pas prodiguée jusque-là.

Comme je rêvais, le colonel s’approcha de moi et me demanda ce que je pensais ; je répondis simplement que je m’étonnais qu’un homme de sa valeur délaissât les femmes les plus brillantes pour une petite femme comme moi.

— Voulez-vous me permettre de vous expliquer cette préférence, miss Éveline.

— J’en suis curieuse, Sir Edward.

— C’est parce qu’il s’est aperçu qu’Éveline possède un sens droit sans ostentation, la beauté sans vanité et beaucoup de douceur dans le caractère ; parce qu’il a observé qu’elle est légère de tempérament, honnête par principe et sensible de cœur.

C’est parce qu’il a étudié son caractère, qu’il a découvert ses erreurs et ses qualités ; qu’il attribue les premières à l’ardeur de son imagination, et les dernières aux lois du cœur et de la tête ; parce qu’il la plaint d’être sujette aux premières, que l’âge seul guérira, et admire et révère les secondes.

— Ne pensez-vous pas que ces erreurs pourraient être corrigées par la société d’un homme sage et bon ?

— Pour le moment, ses défauts sont aussi indomptables que les éruptions du Vésuve ; elle est le jouet de ses passions, mais si elle épouse un homme sensé et bon, qui saurait comment la guider et supporter ses défauts, elle serait la meilleure des épouses et la plus heureuse des femmes.

— Croyez-vous qu’un pareil homme se trouve ?

— J’en connais certainement un, mais il ne s’avancera pas avant de savoir si Miss Éveline n’a pas déjà donné son cœur.

Notre conversation en resta là, et quoique Sir Edward fût placé à côté de moi à table, il ne reprit pas le sujet. Dans la soirée, je sentis ses yeux constamment fixés sur moi ; il avait pris un tel empire sur moi, que je ne donnai mon appréciation sur un sujet qu’après avoir en quelque sorte consulté son regard, de peur d’avancer une opinion qui lui déplût.

Comme ce gentleman tiendra une large part dans ces mémoires, je ne crois pas inutile de donner un léger aperçu de son caractère et de ses qualités.

Il avait environ trente ans, et cinq pieds sept pouces.

Il était mince, musculeux, mais non épais, les épaules un peu hautes. Sa figure était ovale, les yeux petits et brillants, le nez romain, la bouche moyenne, le teint un peu pâle, son front très développé était presque chauve.

Quoiqu’il possédât une grande fortune et que ce fut un militaire capable et renommé pour sa bravoure, il n’avait qu’une commission de capitaine dans l’armée. Il s’était distingué particulièrement en Espagne, au siège de Salamanque et y avait conquis une brillante renommée.

Très instruit et très intelligent, il parlait cinq langues, en comprenait plusieurs autres et était versé dans chaque branche de la littérature. Il était en somme ce que l’on appelle un parfait gentleman.