Expédition française contre les Ovas/2

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MADAGASCAR. — Expédition française contre les Ovas[1]. — Après les affaires des 11 et 16 octobre, dont la première a eu pour résultat la destruction du fort de Tamatave, et la seconde la défaite des Ovas, au village d’Ambatoumanoui, la Terpsichore, la Nièvre et la Chevrette vinrent se présenter devant Foulpointe le 26 du même mois, et mouillèrent à une grande portée de la côte.

Le 27, dès le point du jour, les bâtimens se rapprochèrent de la terre. À huit heures et quart, ils avaient tous pris le poste qui leur avait été assigné dans le point d’attaque : la Terpsichose à 700 toises du rivage, la Nièvre à 250 toises, la Chevrette, dans le Barachois, à 200 toises d’une petite batterie de côté établie sur la pointe aux Bœufs.

M. le commandant Gourbeyre avait posté son guidon à bord de la Chevrette. Il y est resté tout le temps qu’a duré l’action. — À 8 heures 20 minutes, tous les bâtimens étant prêts à combattre, le commandant ordonna de commencer le feu, et bientôt leurs canons firent taire les batteries établies pour la défense du rivage. Celle qui protégeait la pointe aux Bœufs tira sur la Chevrette, qu’elle couvrit de mitraille. À neuf heures, l’ennemi abandonna les deux batteries de côté. À neuf heures et demie, les vigies placées au-dessus des mâts annoncèrent que les Ovas avaient quitté la palissade et se portaient en désordre vers la redoute du Champ-de-Mars. Le commandant fit débarquer les troupes, qui se formèrent en colonne et s’avancèrent jusqu’à l’angle S.-E. du fort ; elles furent accueillies par une décharge à mitraille. Les Ovas sortirent en grand nombre de leurs retranchemens ; une vive fusillade s’engagea sur tous les points ; mais bientôt nous fîmes cesser le feu de l’ennemi, et nos troupes, après s’être emparées de la batterie de la pointe aux Bœufs, y restèrent en bataille. Les Ovas avaient eu 75 morts et 50 blessés ; nous avions eu 11 hommes tués et 15 blessés. Au nombre des premiers est le brave capitaine Schœll, de l’artillerie de la marine, qui avait sollicité l’honneur de marcher à la tête des soldats africains.

À onze heures, l’ennemi ne se montrant plus sur aucun point, l’ordre fut donné aux troupes de rentrer à bord. Les bâtimens conservèrent pendant toute la journée la position qu’ils avaient prise pour l’attaque.

Pendant le combat, le sous lieutenant Pasquet de la Revanchère, du 16e léger, entré dans la palissade par une embrasure de canon, avec 14 de ses soldats, ayant trouvé une issue pour marcher à l’ennemi, osa se mettre en bataille devant la redoute ; et sa petite troupe fit la fusillade sur les Ovas, étonnés de se voir attaqués sur ce point : forcé de céder au nombre, il effectua sa retraite dans le meilleur ordre, emportant deux de ses soldats blessés.

Le grand canot de la Terpsichore, armée en guerre, avait été envoyé sur la côte pour faire diversion et partager ainsi l’attention de l’ennemi. L’élève de 1re classe, Marceau, qui le commandait, voyant que les Ovas s’éloignaient d’une batterie qui défendait le rivage, sauta à terre, et encloua lui-même le seul canon qui s’y trouva. Il se porta ensuite devant une rue par laquelle débouchait un détachement ova, et, par quelques coups à mitraille habilement dirigés, le força promptement à se retirer dans la redoute.

Tous les bâtimens ont fait leur devoir. La Chevrette, plus exposée que les autres au feu de l’ennemi, a eu deux blessés.

La division quitta Foulpointe le 28 au soir, et après avoir remonté à Tintingue, où le commandant fut prendre 80 hommes appartenant à la garnison de ce poste, pour renforcer les troupes du débarquement, elle revint mouiller, le 3 novembre, sur la côte sud de la pointe à Lancé. La Terpsichore s’amarra à 320 toises du fort Ova et par son travers. La Nièvre s’embossa à 258 toises et de manière à battre en écharpe. La Chevrette qui prit poste à deux encâblures derrière la frégate, eut ordre de protéger le débarquement et de tirer sur les Ovas en retraite, si les résultats de l’attaque les amenaient de ce côté. Pendant la nuit, les équipages et les troupes prirent quelque repos.

Le 4 novembre, jour de la fête du roi, le branle-bas fut fait à bord des bâtimens dès le point du jour. À six heures 10 minutes, la canonnade commença. Nos canonniers avaient ordre de pointer bas et de tirer sans précipitation. À l’exception de quelques pièces réservées pour la mitraille, tous nos canons tiraient à boulet et à peu près sur le même point pour faire brèche. Les artilleurs de terre, dirigés par le lieutenant Baudson, lancèrent des obus dont plusieurs éclatèrent dans l’enceinte du fort. L’ennemi, qui avait tiré sur la Terpsichore et la Nièvre dès le commencement de l’action, cessa bientôt son feu ; la plupart de ses canonniers avaient péri ; les autres abandonnèrent les bastions, qui ne leur offraient plus d’abri contre les boulets et la mitraille.

À huit heures et demie, le commandant ayant distingué une brèche praticable, fit cesser le feu. Les troupes s’embarquèrent dans les chaloupes et canots qui se réunirent près de la Terpsichore. Au moment où les embarcations se dirigèrent sur le rivage, vers le point choisi pour faire la descente, la Terpsichore couvrit de mitraille tout l’espace compris entre la forêt et les retranchemens ; et continua de tirer dans cette direction, pour arrêter les Ovas qui auraient voulu s’opposer au débarquement. Elle cessa son feu quand nos troupes, ayant forcé la première palissade, marchèrent sur le fort. En abordant au rivage, la chaloupe et le grand canot de la Terpsichore tirèrent quelques coups de canonade à mitraille dans la forêt pour éloigner ceux qui auraient tenté de repousser le débarquement ; puis nos détachemens descendirent sans opposition et se formèrent immédiatement.

Le capitaine Despagne forma deux colonne d’attaque ; la première sous les ordres de M. Baudson, lieutenant à la 1re compagnie du 4e régiment d’artillerie à pied ; le commandement de la seconde fut donné à M. Pasquet de la Revanchère, sous-lieutenant au 16e léger, et il mit à la tête de la réserve, forte de 60 hommes, M. Maréchal, sous-lieutenant au corps africain.

Les deux colonnes d’attaque se portèrent en avant au pas accéléré, précédées de 45 soldats noirs, envoyés en éclaireurs, et marchèrent en très bon ordre jusqu’à une première palissade élevée à 200 pas du fort. Là, cinquante Ovas, cachés derrière un retranchement, voulurent défendre le passage : mais ils ne résistèrent pas long-temps à la fusillade dirigée contre eux, et aux grenades qui leur furent lancées. Cette première barrière fut bientôt renversée, le poste abandonné, et les Ovas obligés de se sauver dans le fort principal. Après avoir franchi ce premier obstacle, nos troupes, marchant toujours dans le même ordre, se dirigèrent sur le fort, et déjà elles étaient à quarante pas des remparts, quand elles reçurent trois coups de canon à mitraille qui nous blessèrent quelques hommes. Ce fut alors que le capitaine Despagne ordonna l’assaut ; à ce commandement impatiemment attendu, l’intrépide Baudson, à la tête de la colonne de droite, se précipite vers la porte du S.-E., et malgré une grêle de balles entraîne les soldats dans le fort, où il tombe couvert de blessures, au milieu des ennemis. De son côté, le brave La Revanchère s’élance avec une telle impétuosité sur le côté opposé, que la colonne de gauche était sur le rempart avant que l’ennemi eût pu recharger ses canons. Les Ovas, qui avaient fait jusque-là une courageuse résistance, ayant vu succomber leurs chefs et les plus braves d’entre eux ne songèrent plus qu’à la fuite : ils sortirent du fort et se sauvèrent dans la forêt, en suivant le rivage de la côte du nord. Poursuivis par la réserve, ils perdirent encore beaucoup de monde dans cette déroute.

La Chevrette, qui tira en ce moment, dut en mitrailler plusieurs dans le bois. À midi, le commandant Gourbeyre descendit à terre, et fit arborer le pavillon de France sur le fort des Ovas.

L’ennemi a laissé 119 morts sur le champ de bataille, dont 45 tués dans le fort, auprès des canons ou sur la brèche. Les prisonniers que nous avons faits, au nombre de 27, assurent que beaucoup de leurs blessés ont dû périr dans les bois. Nous avons su par eux que le poste de la pointe à Lancé était commandé par Andrianamifidi, et que ce chef avait sous ses ordres plus de 400 Ovas. Quelques-uns affirment qu’il a été tué en combattant contre la colonne de Baudson, d’autres disent qu’il s’est sauvé. Huit canons, 700 livres de poudre, quelques fusils, quelques sagaies et un troupeau de 250 bœufs, sont tombés en notre pouvoir. Nous n’avons eu que neuf blessés, dont un mortellement.

Les troupes ont occupé le fort pendant deux jours, et les bâtimens sont restés au mouillage pour embarquer les canons, les poudres, les bœufs, et tout ce qu’il pouvait être utile d’emporter à Sainte-Marie, où la Nièvre et la Chevrette ont débarqué les bœufs. De là ces deux bâtimens ont ramené les détachemens fournis à l’expédition par la garnison de Tintingue, et sont revenus de nouveau au mouillage du Port-Louis.

L’action des bâtimens a été très puissante ; les chefs de pièces, comme les maîtres canonniers, se sont fait remarquer par la justesse de leur tir, et ont maintenu le plus grand ordre dans toutes les parties du service de l’artillerie.

À la pointe à Lancé, comme à Tamatave et à Foulpointe, MM. Le Tourneur, capitaine de frégate, commandant la Nièvre, Depanis, lieutenant de vaisseau, commandant la Chevrette, et Prévost de Langristin, second de la Terpsichore, ont mérité les éloges du commandant Gourbeyre.

Le 20 novembre, deux envoyés du gouvernement d’Emirne, les généraux Coroller et Ratsitouhaine firent demander à M. le commandant Gourbeyre un sauf-conduit pour se rendre auprès de lui, lui remettre deux lettres de la reine Ranavalo-Manjaka, et traiter de la paix.

Le 21, la Terpsichore, suivie de la Nièvre et du Madagascar, revint au mouillage de la pointe à Lancé, où le commandant avait annoncé aux envoyés qu’il les recevrait.

Le 22, ils se rendirent à bord de la Terpsichore, où ils furent accueillis avec le plus grand appareil : le commandant les admit à sa table ; ils demandèrent jusqu’au lendemain pour réfléchir sur le traité qui leur était offert.

Le 23, l’état de la mer les ayant empêchés de venir à bord de la frégate, le 24 ils s’y rendirent, et après avoir exprimé les dispositions les plus favorables, ils emportèrent avec eux le traité.

Le 26, ils sont partis de Ténériffe pour le soumettre à la signature de la reine.

Le commandant Gourbeyre leur a accordé jusqu’au 30 décembre pour rapporter cette ratification.

Avant de le quitter, le général Coroller lui a remis une invitation à tous les traitans de rentrer à Tamatave et autres lieux occupés par les Ovas, un ordre aux chefs de la côte de cesser immédiatement les hostilités, et une lettre par laquelle ce général déclare que les navires du commerce français seront admis, comme par le passé, dans tous les ports, sous la domination de la reine Ranavalo-Manjaka.

Le 26 novembre, M. le commandant Gourbeyre, ayant ainsi glorieusement terminé la mission qui lui avait été confiée, appareilla avec la Terpsichore et la Nièvre, pour rentrer à Bourbon, après avoir complété la garnison de Tintingue et pourvu à tous les besoins de cet établissement.

  1. Voyez notre cahier de janvier.