Exposé élémentaire de la théorie d’Einstein et de sa généralisation/Introduction

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INTRODUCTION

Presque tout le monde a entendu parler de la révolution qui, depuis quelques années, a bouleversé les notions fondamentales sur lesquelles reposaient la mécanique et la physique. Je me suis efforcé, dans ce petit livre, d’exposer les grands traits de la nouvelle théorie avec le minimum de calculs, presque sans calculs, en admettant seulement que le lecteur possède les notions les plus élémentaires de géométrie et d’algèbre. J’ai fait suivre cet exposé d’un appendice où les personnes familiarisées avec le calcul différentiel trouveront une sorte de précis de la théorie mathématique.

En 1905, un jeune physicien de génie, Albert Einstein, pour expliquer l’échec de toutes les tentatives destinées à mettre en évidence le mouvement absolu de la terre dans l’espace, a eu l’audace d’abandonner les idées basées sur les apparences les plus familières. Il a développé sa théorie en deux grandes étapes : la relativité restreinte au mouvement en ligne droite avec vitesse constante, et depuis 1912 la relativité généralisée. S’étant élevé au-dessus de Copernic, de Galilée, et de Newton, Einstein a découvert la véritable loi de la gravitation, qui contient en elle les principes généraux de la mécanique, et a été conduit à une impressionnante conception de l’univers.

On s’imagine à priori que « l’espace » dans lequel on observe la matière et dans lequel on mesure des distances est quelque chose d’absolu. On croit aussi que « le temps » est universel et absolu, que la simultanéité de deux événements a un sens bien défini ; on ne voit aucun lien entre l’espace et le temps, qui apparaissent comme deux individualités bien séparées.

Ces notions doivent être abandonnées aujourd’hui. L’espace et le temps ne sont ni absolus ni indépendants : ils sont unis et forment un Univers à quatre dimensions, qui seul possède une individualité ; en termes plus précis : chaque observateur décompose l’Univers en « espace » et en « temps », et deux observateurs en mouvement l’un par rapport à l’autre font deux décompositions différentes.

Chacun connaît, au moins un peu, la géométrie d’Euclide ; nous verrons qu’en toute rigueur l’espace-temps n’est pas régi par les lois de cette géométrie, telles qu’on peut les étendre à une multiplicité à quatre dimensions. Une sphère, un ellipsoïde, etc., constituent des surfaces courbes auxquelles la géométrie euclidienne du plan ne s’applique pas : de même l’Univers possède une courbure. Cette courbure se manifeste à nos yeux par le phénomène de la gravitation universelle ; elle se traduit à nous par l’existence d’une force d’inertie qui nous a donné l’illusion d’une force attractive émanant de toute matière et agissant à distance sur toute matière.

Il n’y a plus, comme dans l’ancienne mécanique, de masse invariable caractérisant une quantité déterminée de matière. La masse se confond avec l’énergie ; elle varie avec la vitesse et elle est relative à l’observateur car il n’y a pas de vitesse absolue, toutes les vitesses de translation étant relatives.

Enfin l’Univers ne doit pas être infini dans toutes ses dimensions, et la quantité totale de matière existante doit être limitée.

La mécanique classique garde son importance parce qu’elle constitue une approximation plus que suffisante dans la pratique, et en général satisfaisante en astronomie et en physique. Mais il est nécessaire de savoir que les notions d’espace et de temps sur lesquelles elle a été fondée sont inexactes, et d’expliquer certains écarts constatés entre les faits expérimentaux et les prévisions déduites des anciennes lois.

On doit répandre les idées nouvelles. Loin de conduire à une complication de la science, elles révèlent une admirable harmonie, une merveilleuse synthèse des lois naturelles par laquelle on aperçoit pour la première fois les liens qui unissent des phénomènes qu’on pouvait croire indépendants.

La principale difficulté qu’on rencontre dans le développement de la théorie de la relativité vient de la répugnance à abandonner des idées acquises, et de l’étonnement où l’on se trouve plongé devant certaines conséquences qui, par leur étrangeté, choquent ce que l’on considérait comme le bons sens. Je demande au lecteur d’avoir le courage, en abordant cette étude, de renoncer résolument à toute idée préconçue.

Pour la rédaction de cet opuscule, j’ai eu recours aux mémoires de M. Einstein, aux conférences de M. P. Langevin qui a introduit en France les idées nouvelles et a beaucoup contribué à leur développement, enfin aux ouvrages de M. Eddington.