Extrait des nouvelles du Purgatoire

La bibliothèque libre.
Tarleton
Extrait des nouvelles du Purgatoire
Textes établis par François-Victor Hugo
Œuvres complètes de Shakespeare
Tome XIV : Les farces
Paris, Pagnerre, 1873
p. 413-424
Le soir des rois ou ce que vous voudrez Extrait des Œuvres italiennes du Bandel


EXTRAIT DES NOUVELLES DU PURGATOIRE
DE TARLETON
[Londres, in-4o, 1590]


Le conte des Deux Amants de Pise, et pourquoi ils étaient fustigés dans le purgatoire avec des orties.

À Pise, fameuse cité d’Italie, vivait un gentilhomme de bonne lignée et ayant du bien, aussi respecté pour sa fortune qu’honoré pour sa vertu. Ce gentilhomme avait une fille unique, nommée Marguerite, qui pour sa beauté était aimée de tous et désirée de beaucoup ; mais ni les supplications d’aucun galant ni celles de la belle n’avaient pu prévaloir sur la résolution de son père, qui était déterminé à ne la marier qu’à un homme capable de maintenir dans l’abondance l’excellence de sa beauté. Divers jeunes gentilshommes avaient offert de larges domaines, mais en vain ; elle dut rester fille jusqu’au jour où un vieux docteur de la ville, qui professait la médecine, lui fît la cour et fut agréé du père par cette raison qu’il était un des hommes les plus opulents de Pise. C’était un superbe adolescent, et un damoiseau parfait, âgé d’environ quatre-vingts ans ; sa tête était blanche comme le lait, et il n’y restait plus une dent pour faire le mal ; mais peu importe ; sa bourse suppléait aux défauts de sa personne. La pauvre damoiselle se souciait peu de la richesse ; mais elle était toute jeune, et fut forcée de suivre les instructions de son père qui, moyennant un riche contrat, consentit à ce qu’elle épousât le docteur.

Le mariage fut conclu. Voilà la pauvre enfant attachée au poteau, ayant pour mari un vieillard impotent, et si jaloux que personne ne pouvait entrer dans sa maison sans suspicion, et qu’elle ne pouvait rien faire sans blâme : le moindre regard, la plus petite gracieuseté, un sourire était pour lui la preuve manifeste qu’elle en aimait d’autres plus que lui ; ainsi il vivait dans un enfer, et infligeait à sa femme les tourments d’une perplexité aussi douloureuse.

Enfin il arriva qu’un jeune homme de la cité, nommé Lionel, passant devant la maison, et voyant la jeune femme à sa fenêtre, remarquant ses rares et excellentes proportions, devint amoureux d’elle, et si éperdument que sa passion ne lui laissa pas de repos jusqu’à ce que les faveurs de la dame eussent soulagé sa morbide langueur. Le jeune homme, qui était ignorant en matière amoureuse et n’avait jamais été exercé à faire de cour, eut l’idée de révéler sa passion à quelque ami qui pût lui donner conseil, convaincu que l’expérience est le plus sûr des maîtres. Il vit un jour le vieux docteur se promener dans l’église, et, ne sachant pas que c’était le mari de Margaretta, il pensa qu’il ne pouvait avoir de meilleur confident, le docteur étant fort savant, et d’ailleurs pouvant, comme médecin, l’assister dans ses desseins à l’aide de drogues. Il aborda donc Mutio [c’était le nom du docteur], et, après lui avoir demandé le secret, lui raconta de point en point comme quoi il s’était épris d’une dame mariée à quelqu’un de sa profession, lui indiqua la résidence et la maison de la dame, et le pria, vu son inexpérience, de vouloir l’assister de ses avis. Mutio, à cette révélation, fut frappé au cœur, reconnaissant qu’il s’agissait de sa femme ; pourtant, voulant mettre à l’épreuve la vertu de sa femme et se venger des deux amants, si elle le trahissait, il dissimula, répondit qu’il connaissait parfaitement la dame, la loua hautement, mais ajouta qu’elle avait un ladre pour mari, et qu’elle n’en serait que plus traitable.

— Éprouvez-la, jeune homme, dit-il à Lionel ; et, si elle ne veut pas se plier à votre caprice, je trouverai une potion qui la livrera vite à vos désirs. Or, pour vous indiquer les occasions, sachez que son mari sort chaque après-midi de trois à six. Je veux bien vous conseiller, par pitié pour votre passion, ayant moi-même autrefois été amoureux ; mais je vous recommande de ne révéler cela à qui que ce soit, de peur que cette intervention dans des affaires d’amour ne nuise à ma réputation.

Le jeune homme s’engagea à un scrupuleux secret, remercia vivement Mutio, et lui promit d’aller le trouver le lendemain pour lui dire les nouvelles. Sur ce il retourna vite chez lui, s’habilla dans toute sa braverie et se dirigea vers la maison de Mutio. Margaretta était à la fenêtre. Il lui adressa l’œillade la plus passionnée avec le plus humble salut. Margaretta, le considérant avec attention, et notant la perfection de sa tournure, le tint pour la fleur de Pise et songea combien elle serait heureuse de l’avoir pour ami, afin de suppléer aux défauts qu’elle trouvait à Mutio. Plusieurs fois cette même après-midi Lionel passa devant la fenêtre, élevant vers la dame des regards amoureux auxquels elle répondait par les plus gracieux sourires, ce qui l’encouragea tellement que, le lendemain, entre trois et six heures, il alla à la maison, et, frappant à la porte, demanda à parler à la maîtresse du logis. Celle-ci, reconnaissant à la description de la chambrière qui était le nouveau-venu, commanda de le faire entrer, et le reçut avec toute courtoisie. Le jeune homme commença son exorde en rougissant, mais enfin s’enhardit assez pour raconter à la dame comment il s’était épris d’elle, et pour la prier d’accepter ses services. La dame était un peu timide ; mais avant qu’on se séparât, il fut convenu que, le lendemain, Lionel reviendrait pour manger une livre de cerises : résolution qui fut prise avec un succado des labras.

Lionel, aussi joyeux qu’un homme peut l’être, courut à l’église rejoindre son vieux docteur, qu’il trouva faisant sa promenade habituelle.

— Quelles nouvelles, monsieur ? dit Mutio. Avez-vous réussi ?

— Aussi bien que je pouvais le désirer, fit Lionel, car j’ai vu ma maîtresse, et l’ai trouvée si traitable que j’espère allonger d’une paire d’andouillers le front de son vieux rustre de mari.

Le docteur demanda quand viendrait le moment.

— Morbleu, répliqua Lionel, demain à quatre heures de l’après-midi ; c’est alors, maître docteur, que j’armerai ce vieil écuyer chevalier de l’ordre fourchu.

Ils causèrent ainsi jusqu’à ce qu’il se fît tard ; et alors Lionel retourna à son logement, et Mutio à sa maison, couvrant tous ses chagrins d’une contenance joyeuse, et bien résolu à se venger pleinement, le lendemain, des deux coupables. Le docteur passa la nuit aussi patiemment qu’il put, et, le jour suivant, après dîner, il partit, guettant le moment convenu. À quatre heures précises Lionel arriva et fut accueilli avec toute courtoisie par Margaretta ; mais à peine s’étaient-ils embrassés que la servante cria à sa maîtresse que son maître était à la porte, car celui-ci s’était hâté, sachant qu’une corne n’est pas longue à greffer. Margaretta fut tout effarée de cette alerte ; pour parer au danger, elle fourra Lionel dans un panier rempli de plumes et s’assit à son ouvrage. Sur ce Mutio arriva tout soufflant ; et, feignant d’être venu en hâte pour chercher quelque chose, il demanda les clefs de ses chambres, regarda partout, fouilla tous les coins de la maison, visita le cabinet même, et, n’ayant rien pu découvrir, ne dit rien. Mais, alléguant un malaise, il resta à la maison, si bien que le pauvre Lionel fut obligé de rester dans le panier jusqu’à ce que le vieux ladre fût couché avec sa femme ; et alors la servante le fit sortir par une porte de derrière, et il s’en revint au logis la puce à l’oreille.

Le lendemain, il vint de nouveau à la rencontre du docteur, qu’il trouva à sa promenade accoutumée.

— Quelles nouvelles, dit Mutio ? Avez-vous réussi ?

— La peste du vieux coquin ! dit Lionel. À peine étais-je entré et avais-je donné un baiser à ma maîtresse que cet âne de jaloux était à la porte ; la servante l’a aperçu et a crié : Mon maître ! Si bien que la pauvre dame fut réduite, unique expédient, à me mettre dans un panier à plumes qui était dans une vieille chambre, et je dus rester là jusqu’au moment où il se mit au lit et s’endormit ; et alors la servante me délivra, et je partis. Mais n’importe ; ce n’est qu’un contre-temps, et j’espère avant peu avoir pris ma revanche sur lui.

— Comment ? dit Mutio.

— Morbleu, fit Lionel, ainsi : elle m’a fait prévenir aujourd’hui par sa servante que, jeudi prochain, le vieux rustre soupe avec un patient à un mille de Pise, et alors je m’engage à lui faire tout payer.

— C’est bon, dit Mutio, que la fortune vous soit propice.

— Merci, fit Lionel.

Et ainsi, après avoir échangé encore quelques paroles, ils se séparèrent.

Bref, le jeudi arriva ; vers les six heures Mutio sortit, et s’arrêta à la maison d’un ami d’où il pouvait apercevoir tous ceux qui entraient chez lui. Il y vit bientôt entrer Lionel, et courut après lui ; à peine celui-ci avait-il eu le temps de s’asseoir que la servante cria de nouveau : « Voilà mon maître ! » L’excellente épouse, qui d’avance avait pris ses précautions contre les surprises, avait découvert un retrait caché entre les deux cloisons d’un plancher ; elle y fourre Lionel, et le mari arrive tout en sueur.

— Mon ami, dit-elle, qu’est-ce donc qui vous ramène si vite à la maison ?

— Ma foi, chère femme, c’est un affreux rêve que j’ai eu cette nuit et qui m’est revenu à la pensée. J’ai rêvé qu’un misérable était entré secrètement chez moi avec un poignard nu à la main et s’y était caché ; mais je ne pouvais pas découvrir l’endroit. Sur ce, j’ai saigné du nez, et m’en suis revenu ; et, par la grâce de Dieu, je fouillerai tous les recoins de la maison pour le repos de mon esprit.

— Faites, mon cher, je vous prie.

Sur ce, il ferme toutes les portes, et se met à fouiller chaque chambre, chaque trou, chaque coffre, chaque tonneau, et jusqu’au puits ; il poignarde les lits de plume et ravage tout comme un furieux, mais vainement. Il commença alors à blâmer ses yeux d’avoir cru voir ce qu’ils n’avaient pas vu, se mit au lit à demi lunatique, et resta éveillé toute la nuit ; si bien que vers le matin il tomba dans un profond sommeil, et alors on fit évader Lionel.

Le matin, quand Mutio s’éveilla, il se demanda par quel moyen il pourrait enfin surprendre Lionel, et se mit en tête le plus terrible stratagème.

— Femme, dit-il, il faut que lundi matin je chevauche jusqu’à Vicence pour visiter un vieux patient à moi ; jusqu’à mon retour, qui aura lieu dans dix jours environ, je désire que tu habites notre petite maison de campagne.

— Bien volontiers, cher, dit-elle.

Sur ce Mutio l’embrassa, et fut aussi aimable que s’il ne soupçonnait rien ; puis le voilà qui court à l’église, où il rencontre Lionel.

— Eh bien, monsieur, dit-il, quelles nouvelles ? Votre maîtresse est-elle en votre possession ?

— Non, la peste du vieux coquin ! fit Lionel ; je crois qu’il est sorcier ou qu’il a recours à la magie, car je n’ai pas plutôt franchi la porte qu’il est sur mon dos, comme hier soir encore. J’avais à peine échauffé mon siége que la servante a crié : Voilà mon maître ! Et alors la pauvre créature fut obligée de me loger entre les deux cloisons d’une chambre dans un endroit parfaitement disposé ; là, j’ai ri de tout cœur de voir comme il fouillait tous les coins, mettait à sac tous les tonneaux, et poignardait tous les lits de plume, le tout en vain ; j’ai été parfaitement protégé jusqu’au matin, et alors, dès qu’il s’est endormi, j’ai déguerpi.

— La fortune vous est défavorable, dit Mutio.

— Oui, répondit Lionel, mais j’espère que c’est pour la dernière fois ; car lundi prochain il part pour Vicence, et sa femme va demeurer dans une maison de campagne aux environs de la ville, et là, en l’absence du mari, je prendrai ma revanche pour toutes mes infortunes passées.

— Dieu le veuille, dit Mutio en se retirant.

Les deux amants aspiraient au lundi qui arriva enfin. De bon matin Mutio monta à cheval, ainsi que sa femme, sa servante et un valet. On arrive à la maison de campagne. Mutio y déjeune, fait ses adieux et part dans la direction de Vicence. Après avoir chevauché un peu de temps, il revint par un chemin de traverse dans un bois où il se posta en embuscade avec une troupe de paysans pour surprendre le jeune homme.

Dans l’après-midi Lionel arriva au galop ; dès qu’il fut en vue de la maison, il renvoya son cheval par son page, et chemina à pied sans encombre ; il fut reçu à l’entrée par Margaretta, qui le fit monter et l’installa dans sa chambre à coucher, lui disant qu’il était le bienvenu dans cet humble cottage.

— Cette fois, ajouta-t-elle, j’espère que la fortune ne contrariera pas la pureté de nos amours.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! madame, cria la servante, voilà mon maître qui arrive avec cent hommes armés de piques et de bâtons.

— Nous sommes trahis, fit Lionel, je suis un homme mort.

— Ne craignez rien, dit-elle, suivez-moi.

Et sur-le-champ elle l’emmena dans un parloir en bas, où se trouvait un vieux coffre vermoulu, plein de manuscrits. Elle le mit là-dedans, le couvrit de vieux papiers et de parchemins, et s’en revint à la porte au-devant de son mari.

— Eh bien, signor Mutio, fit-elle, que signifie tout ce remue-ménage ?

— Vile et éhontée gourgandine, tu vas le savoir. Où est ton amant ? Nous l’avons tous guetté et vu entrer ici. Cette fois, il n’y a pas de coffre à plumes ni de plancher qui tienne ; car où il périra par le feu, ou il tombera entre nos mains.

— Fais à ta guise, jaloux imbécile, dit-elle, je ne te demande pas de faveur.

Sur ce, Mutio tout en rage investit la maison, et y mit le feu. Oh ! en quelle perplexité était le pauvre Lionel, enferme dans un coffre, l’incendie à ses oreilles ! Et quelle devait être l’émotion de Margaretta, sachant son amant dans un si grand danger ! Pourtant elle fit bonne contenance, et feignant d’être furieuse, elle appela sa servante et lui dit :

— Allons, ma fille, puisque ton maître dans une folle jalousie a mis à feu la maison et tout ce que je possède, je vais me venger de lui ; aide-moi à enlever ce vieux coffre où sont tous ses papiers et tous ses actes, et faisons-le brûler tout d’abord ; et, aussitôt que je le verrai en flammes, je m’en retournerai dans ma famille, car le vieux fou sera réduit à la misère, et je romprai avec lui.

Mutio, qui savait que toutes ses obligations et tous ses titres étaient là, la retint et dit à deux de ses gens d’emporter la caisse dans le champ et d’en prendre grand soin.

Lui-même demeura à voir brûler sa maison du haut en bas. Alors, ayant l’esprit en repos, il s’en retourna avec sa femme, et se mit à la cajoler, se croyant bien sûr d’avoir brûlé son amant, après avoir ordonné que sa caisse fût mise dans une charrette et transportée chez lui à Pise. Margaretta alla chez sa mère et se plaignit à elle et à ses frères de la jalousie de son mari ; celui-ci soutint qu’il n’avait que trop raison, et demanda un jour de délai pour le prouver. Sa belle-mère l’invita à venir souper chez elle le lendemain soir, espérant le réconcilier avec sa fille.

Sur ces entrefaites, Mutio se rendit à sa promenade accoutumée dans l’église, et là prœter expectationem il trouva Lionel. Tout étonné, il lui demande vite :

— Quelles nouvelles ?

— Quelles nouvelles, maître docteur ? répliqua Lionel en éclatant de rire ; ma foi je l’ai échappé belle. Je suis allé à la maison de campagne où j’avais rendez-vous ; mais je n’étais pas plutôt dans la chambre que le magique coquin, son mari, a investi la maison avec des piques et des bâtons, et, pour être bien sûr qu’aucun recoin ne pût m’abriter, il a mis le feu à la maison, qui a brûlé jusqu’aux fondements.

— Bah ! fit Mutio, et comment avez-vous échappé ?

— Vive l’esprit des femmes ! s’écria Lionel. Sa femme m’a caché dans un vieux coffre plein de papiers qu’elle savait que son mari n’oserait brûler, et c’est ainsi que j’ai été sauvé et ramené à Pise, et hier soir j’ai été délivré par la servante.

— Voilà bien, dit Mutio, la plus amusante plaisanterie que j’aie jamais entendue ; et sur ce, j’ai une requête à vous adresser. Je suis ce soir prié à souper ; je vous présenterai comme convive ; la seule faveur que je vous demande, c’est de vouloir bien après le souper faire le divertissant récit des succès que vous avez eus dans vos amours.

— Qu’à cela ne tienne !

Et sur ce, Mutio emmena Lionel chez sa belle-mère, annonça aux frères de sa femme qui il était et comme quoi il révélerait toute l’affaire après souper :

— Car, ajouta-t-il, il ne sait pas que je suis le mari de Margaretta.

Alors tous les frères firent à Lionel le meilleur accueil, ainsi que la belle-mère ; et quant à Margaretta, elle fut tenue à l’écart. L’heure du souper étant venue, on se mit à table, et Mutio but à la santé de Lionel de l’air le plus aimable, afin de le mettre en belle humeur et de l’entraîner à faire la révélation complète de ses aventures d’amour. Le souper étant terminé, Mutio pria Lionel de conter à ces messieurs ce qui s’était passé entre sa maîtresse et lui. Lionel, la face souriante, se mit à décrire sa maîtresse, la maison et la rue où elle demeurait, comment il s’était épris d’elle, et comment il avait eu recours aux conseils du docteur qui dans toute cette affaire était son confident. Margaretta écoutait ce récit avec la plus vive inquiétude ; et, avant qu’il l’eût achevé, elle lui fît donner par une de ses sœurs une coupe de vin dans laquelle était un anneau qu’elle avait reçu de Lionel. Celui-ci venait de raconter comment il avait échappé à l’incendie, et se préparait à attester la vérité de toute l’histoire, quand cette dame but à sa santé ; Lionel prit la coupe pour lui faire raison, et aperçut l’anneau. Ayant l’esprit vif et la tête fine, il comprit tout, et devina qu’il avait révélé toutes ses évasions en présence du mari même de sa maîtresse. Sur ce, buvant le vin et avalant l’anneau, il poursuivit :

— Messieurs, que pensez-vous de mes amours et de mes aventures ?

— Voyons, dirent les convives, dites-nous si tout cela est bien vrai.

— Si cela était vrai, répliqua Lionel, aurais-je la simplicité de le révéler au mari même de Margaretta ? Sachez-le, messieurs, je savais fort bien que Mutio était le mari de celle que j’ai prétendu être ma maîtresse ; mais, comme il est généralement connu dans Pise pour être fou de jalousie, je lui ai mis en tête tous ces contes de mon invention pour l’amener au paradis des fous ; car, croyez-moi, foi de gentilhomme, je n’ai jamais parlé à sa femme, je n’ai jamais été dans sa compagnie, et je ne la reconnaîtrais pas si je la voyais.

Sur ce, tous se mirent à rire de Mutio qui était honteux d’avoir été ainsi bafoué par Lionel ; tout alla bien ; on réconcilia le mari et la femme. Mais la plaisanterie toucha Mutio au cœur si profondément qu’il mourut peu après, et Lionel posséda la dame. Et, comme ces deux amants ont causé la mort du vieillard, ils en sont maintenant punis dans le Purgatoire où Mutio les flagelle avec des orties.

Le soir des rois ou ce que vous voudrez Extrait des Œuvres italiennes du Bandel
Extrait des nouvelles du Purgatoire