Extrait du Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie

La bibliothèque libre.

Extrait du Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie.
(Bulletin, t. VII supplémentaire.)

INTRODUCTION.

Pendant plusieurs siècles, il fut généralement d’usage chez les peuples chrétiens, de ne porter d’autre nom que celui donné au moment du baptême.

Cette habitude se conserva en France jusqu’au VIIIe siècle. En 732, Charles, duc d’Austrasie, à la suite de la bataille de Poitiers, reçut de la voix publique le surnom de Martel, parce que, dans la mêlée, il avait été remarqué assommant avec un martel ou masse d’armes un grand nombre d’ennemis. De même, son fils Pépin, à cause de sa petite taille , fut nommé le Bref. Ses successeurs reçurent aussi , si ce n’est de leur vivant au moins à une époque rapprochée de leur mort, des surnoms empruntés à une particularité morale ou physique de leur personne . Ce furent Louis-le-Débonnaire, Charles-le-Chauve, Louis-le-Bègue, Charles-le-Simple, etc. Plus tard, le fils de Hugues-le-Blanc , Hugues-Capet, fut ainsi surnommé, parce qu’il porta le premier une coilfure appelée capet. Notons en passant qu’aujourd’hui encore, en patois normand , capet se dit journellement pour chapeau.

Cependant, à l’époque dont nous venons de parler, l’usage général des surnoms n’existait pas encore : il ne fut admis alors que pour quelques personnages historiques, et ce ne fut que beaucoup plus tard, comme on va le voir, que des sobriquets semblables furent employés comme noms de famille.

Vers le XIIe siècle, quelques propriétaires et seigneurs féodaux commencèrent à ajouter à leur nom de baptême, celui de la terre qu’ils possédaient. De là, la particule dite nobiliaire, qui rattacha le nom patronymique au nom de la seigneurie.

Quant aux serfs et aux vilains, longtemps durant le moyen âge, on les désigna par leur nom de baptême, associé à celui de leur père : Willelmus filius Eudonis, Rogerus filius Johannis, Stephanus filius Gaufridi[1]; ou encore à celui d’un frère : Jordanus frater Engeranni[2]; quelque fois même à la profession d’un oncle : Willelmus nepos preshyleri[3].

Il en fut ainsi jusqu’au XIIIe siècle, époque vers laquelle au nom de baptême, on commença à ajouter des surnoms : Osher dictus Miles, Willelmus dictus Magister, Johannes dictus Rex, Hugo dictus Bos[4].

Mais le surnom, par la force de l’usage, acquit une telle notoriété, qu’il ne tarda pas à perdre son caractère. Ce fut alors qu’il finit par devenir un véritable nom de famille, et qu’à ce titre il passa des individus à leurs enfants, puis à leurs familles, et qu’il servit enfin à distinguer celles-ci les unes des autres.

Ces surnoms eurent les origines les plus diverses[5].

Il y eut ceux empruntés : A la profession: Johannes Jugloor, p. 673 ; Radulfus Tuevaque, p. 164 ; Odo Textor, p. 682 ; Richier le Tumbeour, p. 721 ; Marie Lescoillecat, p. 698 ; Johannes Carpentarius , p. 675 ; Eudo Faber, p. 673 ; Ricardus le Quaretier , p. 678 ; Robin le Queu , p. 723 ; Durandus le Former, p. 689 ; Guillot le Porchier, p. 727 ; Nicholaus le Gordier , p. 674 ; Jouhan l’Arquier, p. 293 ; Odo le Telier, p. 686 ; Jehan le Caron, p. 707 ; Jehan le Parmentier, p. 695 ; Jehan le Quillor, p. 145 ; Colin le Potier, p. 293 ; Guillot le Boucher, p. 454 ; Jehan le Tonnelier, p. 293, etc.

Petrus le Moustardier, f° 17 ; Guillaume le Feutrier, f° 50 ; Jehan le Jugleur, f° 52 ; Thomas le Marqueant, f° 17 ; Jean le Messagier, f° 118 ; Guillaume le Gangeur, f° 112 ; Johannes le Perdrieur, f° 17 ; Guillaume le Trencheur, f° 74 ; Vincent Bremen, f° 54 ; Regnault le Vachier , f° 43 ; Petrus le Merchier, f° 18 ; Pierre le Maignan , f° 46 ; Guillermus le Meletier , f° 17 ; Johannes Feurier, f° 18 ; Jaquet le Portier, f° 50 ; etc.[6]. A la condition sociale : Guimondus Liber Homo, p. 674 ; Wimont Franc Home, p. 681 ; Robertus le Vilain, p. 136 ; Ricardus Paisant, p. 677 ; Guillaume le Vassal, p. 715 ; Ogerus Clericus, p. 677 ; Robertus Prepositus, p. 675 ; Rogerius Vaslet, ibid. ; Hugo le Chevaler, p. 164 ; Perrot Bacheler, p. 724 ; Laurens le Vavasseur, p. 454 ; Robertus Magister, p. 194 ; Rogerus le Baron (mari), p. 151, etc.

Cardin le Bourgois, f° 113 ; Johannes le Visconte , f° 17 ; Raoul le Vavasseur, f° 84 ; Guillaume le Villain, f° 74 , etc.

A la nationalité : Guillemot Anglicus, p. 673 ; Michel le Franceis (en dialecte de l’Ile-de-France, le François), p. 716 ; Thomas le Brethon, p. 184 ; Jehannotin le Normant, p. 454, etc.

Guillermus le Caucheys, f° 17 ; Colinus Falesae, f° 18 ; J. le Tur, f° 22 ; Jean d’Irland, f° 51 ; Jean Galloys, f° 74 ; Gautier le Picart, f° 85 ; Guillaume Costentin, f° 60 ; Benoist du Maine, f° 37, etc.

A la personne physique : Jehannin Gorge d’Oue, p. 456 ; Pierrez Bel Effant, p. 702 ; Thomas Noir dos, p. 145 ; Ricardus Albus, p. 682 ; Radulfus Rufus, p. 689 ; Rogierus Rubeus, p. 181 ; Ricardus le Sor, p. 674 ; Raoul le Canu, p. 293 ; Radulphus Calvinus, p. 143 ; Herveus Corvum Cornu, ibid. ; Willelmus Magnus, p. 689 ; Ricardus Parvus, p. 678 ; Robertus le Gras , p. 674 ; Odo Masculus , p. 677, etc.

Colin Bonnechière (bon visage), f° 37 ; Clemens Bel Hoste, f° 18 ; Guillaume Noire Pel, f° 13 ; J. le Velu, f° 15 ; Ricardus le Pelé, f° 18 ; Colinus Flori (blanc de cheveux et de barbe), ibid. ; Robert Cauvin, f° 27 ; Robert le Sec, f° 15 ; Florent la Gresse, f° 22 ; Philippus Gabochart, f° 18 ; Jean Eschallart, f° 54 ; Richart le Greslé, P 46 ; Jean le Muet , f 47 ; Pierre le Borgne, f° 35, etc.

A la personne morale : Herveus Dure fidei, p. 678 ; Robertus Iratus (en patois normand le Herre), p. 686 ; Willelmus Probus Homo, p. 674 ; Jacobus Elemosinarius , p. 677 ; Willelmus Bruisemoralle , p. 687 ; Radulphus Tornemenu, p. 674 ; Willelmus Sapiens, p. 685 ; Robin Amatus, p. 678 ; Petrus le Cointe, p. 164 ; Robin le Guerrier, p. 454 ; Guillaume Duredent, p. 723 ; Willelmus Mordant, p. 144 ; Ricardus Beivin, p. 690 ; Willelmus Poussemie, p. 686 ; Richard Mauduit, p. 725 ; Jehan Maulfferas, p. 455 ; Ysebes le Marié, p. 145 ; Oliverus Gêner, p. 682 ; Johannes Nepos, p. 686 ; Guillaume l’Ainsné , p. 221 , etc.

Nicolaus Trop as femes, f°18 ; Regnault le Riche clerc, f° 52 ; Guillermus le Forbeor, f° 17 ; le Licquerre, f° 84 ; Guillermus Ahane, f° 18 ; Radulphus Fait nient, ibid. ; Ricardus Lisnel (l’isnel, le prompt), f° 17 ; Jean Bonenfant, f° 13 ; Thomas le Devin, f° 15 ; Jean Falluart (le conteur de falues, d’histoires faites à plaisir), f° 23 ; Robin le Doulx, f° 55 ; Colinus le Goulu, f° 18 ; Robert de Maudestour, f° 48 ; Jean Mauvoisin, f° 71 ; Colas Patouin (le sale), f° 94 ; Colin Flambard, f°21, etc.

Au lieu d’hahitation ou à son voisinage : Hugo de Ultra aquam, p. 674 ; Alexander de Frigido Vico, p. 258 ; Robertus de Campis, f° 675 ; Aalart de Molendino, p. 688 ; Willelmus de Monasterio, p. 686 ; Guillelmus de Gardino, p. 164 ; Hugo de Ponte, p. 686 ; Robertus de Puteo, p. 131 ; Rogerus et Radulphus de Quemino, ibid. ; Guillelmus et Radulphus de Mara, ibid. ; Robert de la Planque de Tornebuc, p. 725 ; Colin de la Mote, p. 727 ; Symon des Prez, p. 293 ; Michiel de l'Orme, p. 702 ; Colet de la Ruele, p. 698 ; Richard des Valées, p. 727 ; Robin du Mont, ibid. ; Guillaume du Castel, p. 293, etc.

Jean de Vaucheulles (du vallon), f° 13 ; Laurent du Douet (du ruisseau), f° 114 ; Cardin d’Auge, f° 13 ; Jean des Quesnes, f° 76 ; Johannot du Houx, f° 52 ; Jean des Boullets (bouleaux), f° 22 Martin du Feugueray (de la fougeraie), f° 9 Colin de Belleau, f° 13 ; Durant de la Roque, f° 40 Thibaut de la Varende (garenne), f° 13 ; Oliverius Dehors la porte, f° 17, etc.

Au vêtement : Galterus Capel, p. 675 ; Gapa ferrea, p. 688 ; Johan Cauchart, p. 726, etc. Robinet Capperon, f° 13 ; Pierre Cauchon f° 50, etc.

Au règne animal : Jacobus le Cat, p. 151 Thomas Vaque, p. 723 ; Willelmus Torel, p. 652 Robertus Bos, p. 682 ; Helyas Vitulus , p. 681 Mychael Caval, p. 151 ; Colin l’Asne, p. 145 ; Ragnaut le Mouton, p. 145 ; Vincentius le Buffle, p. 151 ; Jehan le Porqueret, p. 457 ; Jehan Gorrey, p. 145 ; Martinus Lupus, p. 680 ; Osbertus Gervus, p. 678 ; Jehan la Pie, p. 460 ; Guerout l’Aloe, p. 682 ; Fvogerius Faucon, p. 678 ; Philppus Moignot, p. 151 ; Matheus le Gal (le coq), p. 104 ; Guillemot Coulombel, p. 455 ; Symon Perdrix, p. 194 ; Jaquette Verdier, p. 454 ; Thomas Evete (l’abeille), p. 145, etc.

Vincent le Cucu (le coucou), f° 28 ; Richard l’Espec (le pivert), f° 9 ; Jean Orieult (loriot), f° 57 ; Jaquet la Grue, f° 28 ; Jean le Mauvis, f° 45 ; Rogerin Pinchon, f° 136 ; Jean Pourcel, f_ 87 ; Petrus le Mulot, f° 17 ; Johannes Goupil (renard), ibid. ; Jean Belin (mouton), f° 77 ; Golin Louvet, f° 47 ; Robin Tesson (blaireau), f° 21 ; Rogerius Cabot, f° 17, etc.

Au règne végétal : Jehan Chouquet, p. 723 ; Etienne Chouquetel, p. 695 ; Richard Chardon, p. 728 ; Guillelmus Branche, p. 151 , etc.

Ricardus le Merisier, f° 18 ; Guillemin Fourment, f_ 34 ; Pierre Cardonnel, f° 38 ; Colin Fresnoye, f° 52 ; Jean Rachine, f° 38 ; Eudolotus Festu, f° 18, etc. [7]

Au moyen âge, comme maintenant encore, il était d’usage, en Normandie, de désigner une femme, mariée ou veuve, par le nom de famille de son mari, en donnant une désinence féminine à ce nom et en substituant à l’article masculin, l’article féminin. Le même mode d'appellation s’appliquait pareillement aux femmes célibataires : Asceline la Fornière, p. 687 ; Filius à la Jugleresse (sorcière), p. 681 ; Gaullière la Hauvillette , p. 453 ; Rohes la Caretière, p. 674 ; Johanne la Coulouesse , p. 695 ; Petronille la Paumière, p. 689, etc. — Christiana la Verrière, f° 17 ; Agnès la Despensière ; f° 34 ; Coleta la Monière, f° 18 ; Matillidis la Faucquete, f° 17 ; Rogière la Saunière, f° 18 ; Collette la Hericière, f° 73 ; Auberada la Saynière (la marchande de sain), f° 17, etc.

Telle est, sans aucun doute, l’origine des nombreux noms de famille que l’on rencontre en France, sous une forme féminine : Lamartine, Larousse, Ladoucette, Lamauve, Bonnesœur, Thomine, Guillemette, Gillette, Eudine, Colette, etc.

L’on doit donc supposer que le premier auteur connu des familles dans lesquelles se rencontrent des noms semblables, était un enfant illégitime, qui n’a pu dès lors transmettre à ses descendants d’autre nom que celui de sa mère.

L’on ajouta aussi parfois au nom de baptême, comme dénomination particulière à l’individu, le nom d’un objet quelconque. Ce fut, pare xemple, celui de l’arme ou de l’instrument dont il faisait le plus fréquemment usage : Lespée, Lance, Carel, Bellehache, Lancevelée, Ledart, etc. ; Bourdon, Houlette, Boissel, Ladrague, Rabot, etc. Beaucoup de noms de baptême sont aussi restés noms de famille : tels sont ceux de Simon, Benoît, Eudes, Germain, Jehan ou Jehenne, Laurent, Bernard, Marc, Marcel, Godefroy , André , etc.

La plupart des noms patronymiques, et en particulier ceux empruntés à la personne physique ou morale et au règne animal, ne furent, dans le principe, que de véritables sobriquets.

Ces sobriquets s’appliquèrent plus spécialement aux classes populaires.

Les noms bourgeois généralement se rattachèrent plutôt aux professions.

Quant aux paysans, ils furent le plus souvent désignés par la localité qu’ils habitaient.

C’est ainsi, par exemple, qu’au nombre des serfs tenanciers d’un domaine que possédait au XIIIe siècle l’abbaye du Mont-Saint-Michel, à Verson et à Bretteville-sur-Odon près Caen, l’on voit figurer, dans l’état des revenus de ce domaine, reproduit par M. Delisle, ceux dont les noms suivent : Willemus de Bavent, p. 673 ; Gaufredus de Baute, Willelmus de Carpiquet, Osber de Bolon, Robertus de Bitot, p. 675 ; Robertus de Vernai, Thomas de Hoga, p. 676 ; Germanus de Torigné, p. 678 ; Poincelin de Mondrevilla, p. 680 ; Tustenus de Moen, Willelmus de Barra , p. 682 ; Ricardus de Marcelet, p. 685 ; Willelmus de Ardena, p. 687 , etc. A cette époque, comme l’on voit, l’usage de la particule de n’était pas toujours un indice de noblesse. Aussi n’est-ce pas, sans doute, sur la longue liste des vilains de Verson et de Bretteville, que l’antique famille de La Rochefoucauld-Bisaccia est allée chercher l’un des fondateurs de sa maison , quoique parmi ces vilains il s’en rencontre un, nommé Henricus de Bisacia (de la besace), p. 674.

L’on trouve d’ailleurs dans les inventaires, dressés en 1307, du mobilier des Templiers du Bailliage de Caen, reproduits aussi dans l’ouvrage de M. L. Dehsle, les énonciations suivantes qui, s’il pouvait subsister quelques doutes à cet égard, seraient de nature à les dissiper :

« Thomas de Ballerry (et) Thomas Vaque sont garde (gardiens) d’une charue et deu herneis. Giefroy de Semilly est portier de la maison (p. 723). »

« Johan de Reniermesnil , Johan Hagueis... sont bouviers ; Johan de Longues, Guillaume le Goiz, Johannot de Longues, sont vachiers et berquiers (p. 724). »

« Ce sont les noms de la mesnie et des sergens (servientes), qui sont demorez en ladite maison : ... Colin de la Mote et Johannot de Raugie, pour le herneis ; Guillot le Porchier et Richard des Valées, pour la charue ; le Ruille, qui est en la forest ovec les pors ; Robert, le berquier, etc. (p. 727). » Lorsque les surnoms ou sobriquets furent définitivement acceptés comme dénomination de certaines familles, le nom primitif, c’est-à-dire le nom de baptême, devint ce que l’on appela le prénom (prœ nomen), ou celui qui précédait le nom de famille.

En Italie, cependant, le nom de famille s’appelle toujours le surnom, le cognome ; le nom de baptême ou le nom de patron est resté le nome.

Les souverains, comme les évêques, ont conservé l’ancienne habitude de ne signer que leur nom de baptême, qui est en effet le vrai nom de la personne.

Avant l’ère chrétienne, chez les Romains et chez les Grecs, existait aussi l’usage de désigner les individus et les familles, non-seulement par des noms patronymiques, mais aussi par des prénoms et des surnoms.

« Le premier des noms, dit Plutarque , que portoient les Romains, comme Gaius, estoit leur propre ; le second, comme Martius, estoit le nom de la famille et maison, et le troisième estoit un surnom , qui se donnoit ou pour quelque acte ou quelque adventure notable, ou pour quelque marque de la face et forme du corps, ou pour quelque vertu. Ne plus ne moins que les Grecs anciennement imposoient aussi des surnoms aux princes, tirez ou de quelque acte mémorable, comme quand ilz en ont nommé quelcun Soter ou Callinicos, c’est à dire sauveur et victorieux ; ou de quelque marque apparente au visage ou en la personne , comme Physcon et Grypos, c’est à dire ventru ou qui a Je ventre grand et le nez aquilin ; ou de quelque vertu, comme Evergetes et Philadelphos, c’est à dire bienfaitteur et aimant ses frères ; ou de la félicité comme Eudœmon, c’est à dire l’heureux. Car, ainsi fut surnommé le second des Battus. Et y a eu des roys à qui est demouré pour surnom le brocard de quelque moquerie, comme à l’un des Antigènes, qui fut surnommé Doson, c’est à dire qui donnera , pour ce qu’il promettoit tous jours et jamais ne donnoit ; et l’un des Ptolemées qui fut appelé Lamyros, c’est à dire plaisanteur et babillard. Et de ceste façon d’imposer les noms pris de quelque traict de moquerie, les Romains en ont plus usé que nulz autres. Comme il y eut un Metellus qui fut surnommé Diadematus, c’est à dire le bandé, pour ce qu’il porta longuement un bandeau à l’entour de sa teste, à cause d’un ulcère qu’il avoit au front. Et en eut un autre de la mesme famille qui fut appelé Celer, c’est à dire prompt, à cause qu’en bien peu de jours après la mort de son père, il feit veoir au peuple des combats de gladiateurs, c’est à dire d’escrimeurs à oultrance , dont on trouva l’appareil, pour la briefveté du temps, admirable. Les autres ont eu des surnoms tirés de quelque accident de leur naissance. Comme encore , jusques aujourd’huy, ils appellent Proculeius celuy qui naist, son père estant absent en voyage loingtain, et Posthumius celuy qui naist après la mort de son père. Et , quant de deux frères jumeaux, l’un meurt et l’autre survit, le survivant s’appelle Vopiscus. Aussi imposent ilz bien souvent des surnoms pris de quelque marque et accident du corps , comme Sylla, c’est à dire couperosé ; Niger, noir ; Rufus, roux ; Cœcus, aveugle ; Claudius, boitteux. »

Vie des Hommes illustres.— Coriolan, XV. Trad. d’Amyot.

Nous espérons que l’étude à laquelle nous nous sommes livré sera susceptible, en dehors de son objet spécial, d'offrir un certain intérêt aux philologues. Elle nous a fourni, en effet, l’occasion de faire connaître quelques-unes des formes de notre ancienne langue et en particulier un certain nombre de celles du vieux dialecte normand, considéré par nous comme ayant été le dialecte primordial de la langue d’oïl, et comme ayant, à ce titre , contribué , pour la plus large part, à la formation de notre langue nationale. Nous nous bornons à énoncer ici cette opinion, à l’appui de laquelle il nous sera peut-être permis un jour

d’apporter des justifications suffisantes. Mais ne serait-ce pas le cas de répéter ici avec un de nos vieux trouvères normands :
Maintes ovres sont comencies,
Qui sovent sont entrelessies ;
Dex me doint si ceste achever,
Qu’à dreit port puisse ancre giter !
BENOIT DE SAINTE MORE, Roman de Troie, v. 14851.

Tous les noms, sans exception, compris dans ce recueil, ont été relevés, ou parmi ceux qui nous étaient personnellement connus comme appartenant à des familles habitant la Normandie, ou dans divers recueils d’adresses, tables d’actes publics, listes électorales, etc., tous exclusivement normands.

Nous sommes bien loin d’affirmer cependant qu’on ne retrouvera aucun de ces noms en dehors de la Normandie ; il n’est pas douteux, au contraire, que beaucoup d’entre eux se rencontrent dans toute la France et particulièrement dans les contrées avoisinant la Normandie.

Nous ne dirons pas davantage que nous avons recueilli tous les noms de famille normands, susceptibles d’offrir quelque intérêt philologique. Mieux que personne, nous apprécions les lacunes nombreuses que doit renfermer ce travail, n’ayant pu étendre nos recherches au-delà de certaines limites forcément restreintes.

L’on sait de quels écueils sont entourées les recherches étymologiques. Lorsqu’il s’agit de remonter d’une forme altérée à la forme exacte, souvent plus d’une solution peut être proposée. Autant que nous l'avons pu, nous avons indiqué les variantes étymologiques qui nous ont paru admissibles. Quelquefois aussi nous avons rejeté celles que nous n'avons pas cru suffisamment justifiées. Il en est assurément bon nombre, parmi celles que nous avons proposées, qu’une critique plus sûre que la nôtre devra à son tour écarter. Le croire est, de notre part, un acte de modestie très-sincère. Nous nous estimerions très-heureux cependant si nous étions parvenu à attirer, sur ce sujet, l'attention des personnes compétentes, et à provoquer de leur part une étude plus complète des questions que nous avons soulevées.

  1. V. charte, du milieu du XIIe siècle, citée par M. L. Delisle dans ses Études sur la condition de la classe agricole et Célal de Cugricullure en Normandie au moyen âge (Evreux, A. Hérissey, 1851, p. 143.
  2. V. autre, du même siècle, ibid., p. 269.
  3. V. document, du milieu du XIIIe siècle, ibid., p. 675.
  4. V. autre, de la même époque, ibid., p. 674, 675, 676 et 684.
  5. Nos recherches sur les anciens noms de famille normands ont été très-circonscrites; ceux qui vont être indiqués dans les nomenclatures suivantes ont été puisés à deux sources seulement : l’une, est le savant ouvrage de M. L, Delisle, déjà cité, et l’autre, le Carlulaire de l'Evêché de Lisieux, ms. in-folio, appartenant à la ville de Lisieux. Les noms recueillis dans le livre de M. Delisle se rencontrent à la page de ce livre, indiquée à la suite de chaque nom, et ceux trouvés dans le Cartulaire, au folio du manuscrit, porté après chacun des noms qui en proviennent.
  6. Au XIVe siècle, l’idée de la profession à laquelle un individu avait emprunté son nom, restait toujours tellement dominante que, quand on parlait de deux personnes portant le même nom, de deux frères, par exemple, on indiquait ce nom sous la forme plurielle. Ainsi, l’on trouve dans un acte du 21 juillet 1321 (Cart. de Lis., f° 12) : « In quadam pecia terras quam tenent Henricus et Radulplius les Feivres. » — « In domibus, terris et jardinis heredum Ricardi, Colini et G. les Potiers. » — « In domo Colini et Johannis les Mières (les médecins). »
  7. Beaucoup de noms compris dans les nomenclatures qui précèdent se rencontrent encore aujourd’hui en Normandie. Il en est d’autres appartenant aux mêmes catégories, qu’on y trouve aussi et dont nous allons citer quelques-uns, en adoptant une classification semblable :
    Profession : Lebedel, Lemessier, Lecoustellier, Lesénécal, Lesueur, Lebailly, Mouillefarine, Tliubeuf, Porteboscq, Cuvelier, etc.
    Condition sociale : Lefranc , Levasseur, Damoisel, Lescuyer, Chefdeville, Lebert, Lesergent, Lepage, etc.
    Nationalité : Lepoyctevin, Legallois, Ledanois, Langevin , Danjou, Décosse, Dorléans, Defrance, Manceau, Flamand, Romain, etc.
    Personne physique : Blanguernon , Piedfort, Piéplu, Piednoir, Dopley, Follebarbe, Grosseteste, Courtaut, Bellœil, Brafin, Groscol, Rincourt, Ledentu, Lebel, Lehérissey, etc.
    Personne morale : Bonfils, Malfilastre , Cheradame , Charmeux , Gaillard, Prentout, Pertout, Doucerain , Lemeilleur, Lépreux, Luzurier, Bellamy, Léveillé, Legaland, Bonvoisin, etc.
    Habilation : Horlaville, Surlemont, Dubreuil, Dubosc, Surtouques, Duliamel, Desvaux, etc.
    Vêtement : Courdemanche, Chausseblanclic, Chapedelaine, Malcappe, Tirloque, Aube, etc.
    Règne animal : Laignel, Blancagniel, Piédagnel, Lechevrel, Lebouc, Ledain, Loisel, Leslournel, Lautour, Lacaille, Coulon, Mézange, Papillon, etc.
    Règne végétal : Graindorge, Genetz, Aveline, Lys, Laviolelte, Lozier, Lérable, Larose, Olivier, Millet, Peirier, etc.