Extraits des lettres de Descartes à Carcavi

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Texte établi par Léon Brunschvicg et Pierre BoutrouxHachette (p. 405-409).




XXXIII


EXTRAITS

DES LETTRES DE DESCARTES

A CARCAVI

11 juin et 17 août 1649.

Lettres de M. Descartes, tome III, 1667, p. 437 et 443.



EXTRAITS DES LETTRES DE M. DESCARTES
A MONSIEUR DE CARCAVI


A Monsieur de Carcavi[1]. Le 11 juin 1649.

Je vous suis tres-obligé de l’offre qu’il vous a plu me faire de l’honneur de vostre correspondance, touchant ce qui concerne les bonnes Lettres ; et je la reçoy comme une faveur que je tascheray de mériter par tous les services que je seray capable de vous rendre. J’avois cet advantage, pendant la vie du bon Pere Mersenne, que bien que je ne m’enquisse jamais d’aucune chose, je ne laissois pas d’estre adverty soigneusement de tout ce qui se passoit entre les doctes ; en sorte que s’il me faisoit quelquefois des questions, il m’en payoit fort libéralement les réponses, en me donnant advis de toutes les expériences que luy ou d’autres avoient faites, de toutes les rares inventions qu’on avoit trouvées ou cherchées, de tous les Livres nouveaux qui estoient en quelque estime, et enfin de toutes les controverses qui estoient entre les sçavans. Je craindrois de me rendre importun, si je vous demandois toutes ces choses ensemble ; mais je me promets que vous n’aurez pas desagréable, que je vous prie de m’apprendre le succez d’une expérience qu’on m’a dit que Monsieur Pascal avoit faite ou fait faire sur les montagnes d’Auvergne, pour sçavoir si le Vif-argent monte plus haut dans le tuyau estant au pied de la montagne, et de combien il monte plus haut qu’au dessus. J’aurois droit d’attendre cela de luy plustost que de vous, parce que c’est moy qui l’ay advisé, il y a deux ans, de faire cette expérience, et qui l’ay assuré que, bien que je ne l’eusse pas faite, je ne doutois point du succez. Mais, parce qu’il est amy de Monsieur R. qui fait profession de n’estre pas le mien[2], et que j’ay desja veu qu’il a tasché d’attaquer ma matière subtile dans un certain Imprimé de deux ou trois pages[3], j’ay sujet de croire qu’il suit les passions de son Amy lequel ne fait aucunement paroistre, par ce que vous m’avez envoyé de sa part, qu’il sçache la solution de la difficulté de M. de Fermât touchant les équations entre cinq et six termes incommensurables…


II
A Monsieur de Carcavi. A la Haye, le 17 aoust 1649.
Monsieur,

Je vous suis tres-obligé de la peine que vous avez prise de m’écrire le succez de l’experience de Monsieur Pascal touchant le Vif argent[4], qui monte moins dans un tuyau, qui est sur une montagne, que dans celuy qui est dans un lieu plus bas. J’avois quelque interest de la sçavoir, à cause que c’est moy qui l’avois prié il y a 2. ans de la vouloir faire, et je l’avois assuré du succez comme estant entièrement conforme à mes Principes, sans quoy il n’eust eu garde d’y penser, à cause qu’il estoit d’opinion contraire. Et pour ce qu’il m’a cy-devant envoyé un petit Imprimé, où il décrivoit ses premières expériences touchant le vuide, et promettoit de réfuter ma matière subtile, si vous le voyez je serois bien aise qu’il sceust que j’attends encore cette réfutation, et que je la recevray en très-bonne part, comme j’ay toujours receu les objections qui m’ont esté faites sans calomnie…[5].

  1. La lettre à laquelle répond Descartes n’a pas été retrouvée.
  2. Sur la portée de cette remarque, voir la lettre de Descartes à Mersenne du 4 avril 1648, supra, t. Il, p. 302, n°i.
  3. La lettre qui suit ne permet pas de douter que Descartes ne fasse allusion évidente aux Nouvelles Expériences, supra, p. 75. — Les chiffres, comme il arrive si souvent, ont été mal lus par le copiste ; c’est : 20 ou 30 pages, que Descartes avait probablement écrit.
  4. Voir la lettre de Carcavi, datée de Paris le 9 juillet 1649, qui contient le compte rendu de l’expérience du Puy-de-Dôme « imprimée il y a desja quelques mois ». Ed. Clerselier, t. III, p. 439, et Adam-Tannery, t. V, p. 369.
  5. Réponse de Carcavi, de Paris, 24 septembre 1649 : « J’ay écrit à Monsieur Pascal, qui n’est pas encore de retour en cette Ville, ce que vous avez désiré que je luy fisse sçavoir de vostre part touchant l’expérience qu’il a fait faire du Vif-argent. » (Clerselier, III, 450 et Adam-Tannery, V, 412).